Par Camille Gaubert - 3.12.2018.
La technique de modification de l'ADN CRISPR-Cas9 permet
d'insérer ou de supprimer un morceau d'ADN, d'une façon que l'on pensait
aléatoire. Mais des scientifiques britanniques ont réalisé qu'elle obéissait en
réalité à des règles simples !
A
l'origine, CRISPR-Cas9 est un genre de système immunitaire pour les bactéries :
il repère et découpe les insertions de gènes viraux.
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Est-il possible d'éviter les erreurs provoquées par la
fameuse technique de modification de l'ADN CRISPR-Cas9 ?
C'est en effet le principal reproche fait à cette méthode
: si elle permet en théorie de couper des fragments précis d'ADN pour le
corriger ou le modifier à l'envi, on croyait son mode d'action aléatoire.
Mais selon une nouvelle étude britannique publiée dans
Molecular Cell, les règles gouvernant la précision de CRISPR-Cas9 sont en
réalité très simples ! Elles tiennent notamment au choix de la séquence d'ADN
ciblée.
"Il existe des modèles simples et prévisibles"
guidant la précision de CRISPR-Cas9
Pour comprendre, il faut savoir que l'ADN, longue
molécule contenue dans le noyau de chaque cellule, est composée d'une
succession de 4 types de molécules que l'on a nommé A, C, G et T.
Ces 4 lettres suffisent à composer des séquences
interprétables de mille manières par la cellule, dont beaucoup forment des
gènes.
Ces derniers codent pour des protéines remplissant des
fonctions multiples et souvent essentielles pour l'organisme.
Lorsqu'une ou plusieurs lettres changent, cela constitue
une mutation.
Cela peut être sans conséquence, ou au contraire causer
des maladies graves. Pour soigner ces maladies, les chercheurs espéraient
depuis longtemps pouvoir corriger les séquences d'ADN mutées.
C'est pourquoi la découverte de la protéine CRISPR-Cas9
dans une bactérie en 2012 a sonné comme un coup de tonnerre dans le monde
scientifique.
Cette protéine est en effet capable de couper, une
séquence d'ADN précise comme des "ciseaux génétiques".
Pour reconnaître cette séquence d'ADN, CRISPR-Cas9
utilise une séquence complémentaire de celle de l'ADN ciblé, appelée "ARN
guide". C'est cet ARN guide que les chercheurs modifient pour guider
CRISPR-Cas9 vers la séquence d'ADN à découper.
Une fois l'ADN coupé, la cellule doit le réparer, sous
peine de mourir.
Pour cela, soit elle relie les bouts d'ADN entre eux, ce
qui aboutit à une délétion pure et simple de la séquence ciblée, soit elle
complète le vide avec une autre séquence, que les chercheurs peuvent suggérer -
on parle alors d'une insertion.
Mais il est difficile de prévoir si la cellule va mettre
en place un mécanisme de délétion ou d'insertion, qui impliquent des
machineries séparées.
"Jusqu'à présent, la modification de gènes avec
CRISPR impliquait beaucoup de conjectures, de frustrations, d'essais et
d'erreurs", explique dans un communiqué Paola Scaffidi, qui a dirigé
l'étude.
"On pensait que les effets de CRISPR étaient
imprévisibles et apparemment aléatoires mais en analysant des centaines de
modifications, nous avons été choqués de constater qu'il existe en fait des
modèles simples et prévisibles".
CRISPR-Cas9
risque de favoriser le cancer. KTSDESIGN / SCIENCE PHOTO
LIBRARY / KTS / SCIENCE PHOTO LIBRARY
La précision de CRISPR dépend de la lettre de l'ADN
ciblée
La clé, ce sont en fait les dernières lettres de la
séquence d'ADN ciblée par CRISPR-Cas9 : si la 4e lettre est un A ou un T,
CRISPR-Cas9 est très précis et entraîne plutôt des insertions.
Presque aussi bien, un C donnera lieu à une délétions
relativement précise… Tandis qu'un G entraînera de nombreuses délétions
imprécises !
Selon l'hypothèse des chercheurs, la lettre pourrait
influer sur le recrutement des machineries dédiées à la délétion ou à
l'insertion.
Pour trouver cela, les chercheurs ont examiné les effets
de CRISPR-Cas9 sur 1.491 séquences ciblées sur 450 gènes de cellules humaines.
"Nous avons été stupéfaits de découvrir que les
règles qui déterminent le résultat de l'édition du CRISPR sont si
simples", commente dans le communiqué le Dr Anob Chakrabarti, co-premier
auteur de l'étude.
"En tenant compte de ces règles lors de la
conception de nos ARN guides, nous pouvons maximiser les chances d'obtenir le
résultat souhaité d'une modification génique spécifique - ce qui est
particulièrement important dans un contexte clinique".
Ainsi, éviter simplement les G aux endroits sensibles
rend l'édition du génome beaucoup plus prévisible.
Autre règle découverte par l'équipe : la façon dont l'ADN
cible était "ouvert" ou "fermé" influe également sur le
résultat de l'édition des gènes.
La molécule d'ADN étant très longue, elle est en effet
souvent compactée dans la cellule, comme enroulée sur elle-même.
Ainsi, l'ajout de composés qui obligent l'ADN à s'ouvrir
permettent à CRISPR-Cas9 de scanner plus efficacement le génome à la recherche
de la séquence complémentaire de son ARN guide.
Cette observation pourrait s'avérer utile lorsque des modifications
doivent être introduites dans des gènes particulièrement inaccessibles.
…………………
Un scientifique chinois annonce la naissance des premiers
bébés génétiquement modifiés
Par Hugo Jalinière - 26.11.2018.
Un scientifique chinois annonce la naissance de Lulu et
Nana, les deux premiers bébés génétiquement modifiés à l'aide de la technologie
d'édition génétique CRISPR.
Deux jumelles dotées d'une mutation qui les protègeraient
du VIH.
He
Jankui, chercheur à l'université de Shenzhen, a annoncé la naissance de deux
jumelles issues d'embryons génétiquement modifiés.HE JANKUI
Deux bébés issus d'embryons génétiquement modifiés
seraient nés il y a quelques semaines en Chine.
C'est l'annonce fracassante faite par un chercheur
américain, He Jankui, travaillant en Chine à l'université des sciences et
technologies de Shenzhen.
A la veille de l'ouverture du Sommet international de
l'édition du génome humain à Hong Kong, le 27 novembre, He Jankui a mis en
ligne une vidéo dans laquelle il annonce que les deux jumelles, Lulu et Nana
(des pseudonymes), sont déjà rentrées chez elles et qu'elles se portent bien.
Si "l'heureux événement" était avéré, il
constituerait un bouleversement sans commune mesure autant pour le monde de la
génétique que pour celui de la bioéthique.
L'université de
Shenzhen a annoncé ne pas être au courant des travaux de He Jankui, précisant
que le chercheur était en congé sans solde depuis le mois de février 2018.
Dans un communiqué, l'université se dit
"profondément choquée" par ce travail qu'elle considère comme
"une sérieuse violation des normes et de l'éthique académiques".
L'institution annonce ainsi avoir constitué une
commission en charge d'enquêter sur cet incident.
Dans le même temps, David Baltimore, de l'Institut des
technologies de Californie (CalTech), président du comité d'organisation du
Sommet international Human Genome Editing, explique ne pas connaître les
détails des annonces à venir lors de ce congrès :
"Nous ne savons pas ce que He Jankui va dire"
lors de son intervention.
De son côté, le pionnier de la génétique de l'université
Harvard, George Church, dit que les déclarations de He Jankui étaient
"probablement précises.
J'ai été en contact avec l'équipe de l'université de
Shenzhen et j'ai vu leurs données", précise-t-il à nos confrères de
STATnews.
Les jumelles auraient dans leur génome un "vaccin
génétique" contre le VIH
He Jankui annonce ainsi que son équipe a utilisé la
désormais fameuse technique d'édition génétique CRISPR-Cas9, facile et peu
coûteuse à déployer, afin d'introduire dans les embryons une modification du
génome à même de protéger ces deux jumelles contre le virus de l'immunodéficience
humaine (VIH).
Les chercheurs s'appuient pour cela sur la seule et
unique personne à avoir été déclarée guérie du VIH : le patient de Berlin,
Timothy Brown de son vrai nom.
Traité pour une leucémie, celui-ci avait bénéficié d'une
greffe de moelle osseuse provenant d'un donneur doté d'une mutation génétique
rare empêchant le virus de pénétrer dans les cellules.
Depuis 2007, "le patient de Berlin" ne présente
plus aucune trace du virus dans l'organisme.
C'est cette mutation du gène CCR5 (CCR5 delta 32) qui concerne
0,3% de la population mondiale que les chercheurs auraient ainsi inséré dans le
génome de Lulu et Nana.
"Lorsque Lulu et Nana n'étaient encore qu'une seule
cellule, l'intervention génétique a supprimé l'accès par lequel le VIH entre
dans les cellules pour infecter l'hôte", explique He Jankui dans la vidéo.
Avant de réimplanter l'embryon, l'équipe a vérifié que la
modification avait bien eu lieu en séquençant l'ensemble du génome.
"Les résultats indiquaient que l'intervention
s'était bien déroulée, comme nous l'espérions."
Selon le chercheur, la grossesse a été suivie de près
s'est bien déroulée.
"Après la naissance, nous avons à nouveau séquencé
l'ensemble du génome de Lulu et Nana.
Cela nous a permis de vérifier que la chirurgie du gène
s'était bien passée : aucun gène n'a été altéré à l'exception de celui permettant
de prévenir l'infection par le VIH."
He Jankui assure ainsi qu'aucune modification
"off-target" n'a été détectée. Autrement dit, pas de dommages
collatéraux sur d'autres gènes que celui ciblé, comme cela a souvent été
rapporté avec CRISPR.
Bien sûr, l'annonce a déjà fait réagir la communauté
scientifique concernant les problèmes éthiques que cet essai clinique pose : la
mutation introduite se transmettra à l'éventuelle descendance des deux
jumelles, et elle pourrait à terme affecter l'ensemble du patrimoine
héréditaire.
Par ailleurs, la modification du gène CCR5 ne s'inscrit
pas vraiment dans une logique thérapeutique, puisque Lulu et Nana ne sont pas
malades.
Il s'agit plus d'une sorte d'avantage qui leur est
conféré, à la façon d'un vaccin protégeant d'une maladie, sauf que le vaccin
est génétique, et donc transmissible d'une génération à l'autre.
"Si cela est avéré, cette expérience est
monstrueuse" a réagit Julian Savulescu, directeur du Centre d'éthique des
pratiques de l'université d'Oxford.
Le programme baptisé "Vaccin anti-sida" aurait
déjà six autres couples, dont l'un des membres est séropositif, prêts à
participer à cette expérimentation humaine.
Lulu et Nana pourraient ainsi être suivies d'autres bébés
génétiquement modifiés.
………………
Les "ciseaux génétiques" CRISPR-Cas9 pourraient
augmenter le risque de cancer
Par Elena Sender - 18.06.2018 .
Deux études publiées dans Nature Medicine alertent sur le
risque de générer des cancers en utilisant l’outil d’édition du génome,
CRISPR-Cas9.
CRISPR-Cas9, découverte chez les bactéries, est une
machine moléculaire qui cible un endroit précis du génome et coupe l'ADN. Les
biologistes utilisent aujourd'hui ces
"ciseaux moléculaires" pour corriger des fragments d'ADN
défectueux.
Cette méthode révolutionnaire, qui pourrait corriger des
maladies comme la myopathie de Duchenne, est testée aussi dans des essais
cliniques contre le cancer.
La méthode n'est cependant pas exempte de risques.
On connaissait le risque de mutation indésirable
("off targets") c'est-à-dire le fait que l'outil aille couper des
bouts d'ADN non ciblés et génère des mutations non voulues.
Ou encore le risque inflammatoire.
Aujourd'hui, c'est un nouveau risque qui est mis au jour
par les articles de Nature Medicine.
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