dimanche 16 décembre 2018

Modification de l'ADN

Des scientifiques "choqués" de découvrir à quel point la précision de CRISPR obéit à des règles "simples"
Par Camille Gaubert - 3.12.2018.

La technique de modification de l'ADN CRISPR-Cas9 permet d'insérer ou de supprimer un morceau d'ADN, d'une façon que l'on pensait aléatoire. Mais des scientifiques britanniques ont réalisé qu'elle obéissait en réalité à des règles simples !
A l'origine, CRISPR-Cas9 est un genre de système immunitaire pour les bactéries : il repère et découpe les insertions de gènes viraux.
KTSDESIGN / SCIENCE PHOTO LIBRARY / KTS / SCIENCE PHOTO LIBRARY / AFP

Est-il possible d'éviter les erreurs provoquées par la fameuse technique de modification de l'ADN CRISPR-Cas9 ?

C'est en effet le principal reproche fait à cette méthode : si elle permet en théorie de couper des fragments précis d'ADN pour le corriger ou le modifier à l'envi, on croyait son mode d'action aléatoire.

Mais selon une nouvelle étude britannique publiée dans Molecular Cell, les règles gouvernant la précision de CRISPR-Cas9 sont en réalité très simples ! Elles tiennent notamment au choix de la séquence d'ADN ciblée.

"Il existe des modèles simples et prévisibles" guidant la précision de CRISPR-Cas9
Pour comprendre, il faut savoir que l'ADN, longue molécule contenue dans le noyau de chaque cellule, est composée d'une succession de 4 types de molécules que l'on a nommé A, C, G et T.

Ces 4 lettres suffisent à composer des séquences interprétables de mille manières par la cellule, dont beaucoup forment des gènes.
Ces derniers codent pour des protéines remplissant des fonctions multiples et souvent essentielles pour l'organisme.
Lorsqu'une ou plusieurs lettres changent, cela constitue une mutation.

Cela peut être sans conséquence, ou au contraire causer des maladies graves. Pour soigner ces maladies, les chercheurs espéraient depuis longtemps pouvoir corriger les séquences d'ADN mutées.

C'est pourquoi la découverte de la protéine CRISPR-Cas9 dans une bactérie en 2012 a sonné comme un coup de tonnerre dans le monde scientifique.
Cette protéine est en effet capable de couper, une séquence d'ADN précise comme des "ciseaux génétiques".

Pour reconnaître cette séquence d'ADN, CRISPR-Cas9 utilise une séquence complémentaire de celle de l'ADN ciblé, appelée "ARN guide". C'est cet ARN guide que les chercheurs modifient pour guider CRISPR-Cas9 vers la séquence d'ADN à découper.

Une fois l'ADN coupé, la cellule doit le réparer, sous peine de mourir.
Pour cela, soit elle relie les bouts d'ADN entre eux, ce qui aboutit à une délétion pure et simple de la séquence ciblée, soit elle complète le vide avec une autre séquence, que les chercheurs peuvent suggérer - on parle alors d'une insertion.
Mais il est difficile de prévoir si la cellule va mettre en place un mécanisme de délétion ou d'insertion, qui impliquent des machineries séparées.

"Jusqu'à présent, la modification de gènes avec CRISPR impliquait beaucoup de conjectures, de frustrations, d'essais et d'erreurs", explique dans un communiqué Paola Scaffidi, qui a dirigé l'étude.
"On pensait que les effets de CRISPR étaient imprévisibles et apparemment aléatoires mais en analysant des centaines de modifications, nous avons été choqués de constater qu'il existe en fait des modèles simples et prévisibles".
CRISPR-Cas9 risque de favoriser le cancer. KTSDESIGN / SCIENCE PHOTO LIBRARY / KTS / SCIENCE PHOTO LIBRARY

La précision de CRISPR dépend de la lettre de l'ADN ciblée

La clé, ce sont en fait les dernières lettres de la séquence d'ADN ciblée par CRISPR-Cas9 : si la 4e lettre est un A ou un T, CRISPR-Cas9 est très précis et entraîne plutôt des insertions.

Presque aussi bien, un C donnera lieu à une délétions relativement précise… Tandis qu'un G entraînera de nombreuses délétions imprécises !

Selon l'hypothèse des chercheurs, la lettre pourrait influer sur le recrutement des machineries dédiées à la délétion ou à l'insertion.

Pour trouver cela, les chercheurs ont examiné les effets de CRISPR-Cas9 sur 1.491 séquences ciblées sur 450 gènes de cellules humaines.
"Nous avons été stupéfaits de découvrir que les règles qui déterminent le résultat de l'édition du CRISPR sont si simples", commente dans le communiqué le Dr Anob Chakrabarti, co-premier auteur de l'étude.

"En tenant compte de ces règles lors de la conception de nos ARN guides, nous pouvons maximiser les chances d'obtenir le résultat souhaité d'une modification génique spécifique - ce qui est particulièrement important dans un contexte clinique".
Ainsi, éviter simplement les G aux endroits sensibles rend l'édition du génome beaucoup plus prévisible.

Autre règle découverte par l'équipe : la façon dont l'ADN cible était "ouvert" ou "fermé" influe également sur le résultat de l'édition des gènes.

La molécule d'ADN étant très longue, elle est en effet souvent compactée dans la cellule, comme enroulée sur elle-même.
Ainsi, l'ajout de composés qui obligent l'ADN à s'ouvrir permettent à CRISPR-Cas9 de scanner plus efficacement le génome à la recherche de la séquence complémentaire de son ARN guide.

Cette observation pourrait s'avérer utile lorsque des modifications doivent être introduites dans des gènes particulièrement inaccessibles.

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Un scientifique chinois annonce la naissance des premiers bébés génétiquement modifiés
Par Hugo Jalinière - 26.11.2018.

Un scientifique chinois annonce la naissance de Lulu et Nana, les deux premiers bébés génétiquement modifiés à l'aide de la technologie d'édition génétique CRISPR.
Deux jumelles dotées d'une mutation qui les protègeraient du VIH.

He Jankui, chercheur à l'université de Shenzhen, a annoncé la naissance de deux jumelles issues d'embryons génétiquement modifiés.HE JANKUI

Deux bébés issus d'embryons génétiquement modifiés seraient nés il y a quelques semaines en Chine.
C'est l'annonce fracassante faite par un chercheur américain, He Jankui, travaillant en Chine à l'université des sciences et technologies de Shenzhen.

A la veille de l'ouverture du Sommet international de l'édition du génome humain à Hong Kong, le 27 novembre, He Jankui a mis en ligne une vidéo dans laquelle il annonce que les deux jumelles, Lulu et Nana (des pseudonymes), sont déjà rentrées chez elles et qu'elles se portent bien.

Si "l'heureux événement" était avéré, il constituerait un bouleversement sans commune mesure autant pour le monde de la génétique que pour celui de la bioéthique.

 L'université de Shenzhen a annoncé ne pas être au courant des travaux de He Jankui, précisant que le chercheur était en congé sans solde depuis le mois de février 2018.

Dans un communiqué, l'université se dit "profondément choquée" par ce travail qu'elle considère comme "une sérieuse violation des normes et de l'éthique académiques".
L'institution annonce ainsi avoir constitué une commission en charge d'enquêter sur cet incident.
Dans le même temps, David Baltimore, de l'Institut des technologies de Californie (CalTech), président du comité d'organisation du Sommet international Human Genome Editing, explique ne pas connaître les détails des annonces à venir lors de ce congrès :
"Nous ne savons pas ce que He Jankui va dire" lors de son intervention.

De son côté, le pionnier de la génétique de l'université Harvard, George Church, dit que les déclarations de He Jankui étaient "probablement précises.
J'ai été en contact avec l'équipe de l'université de Shenzhen et j'ai vu leurs données", précise-t-il à nos confrères de STATnews.

Les jumelles auraient dans leur génome un "vaccin génétique" contre le VIH
He Jankui annonce ainsi que son équipe a utilisé la désormais fameuse technique d'édition génétique CRISPR-Cas9, facile et peu coûteuse à déployer, afin d'introduire dans les embryons une modification du génome à même de protéger ces deux jumelles contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH).

Les chercheurs s'appuient pour cela sur la seule et unique personne à avoir été déclarée guérie du VIH : le patient de Berlin, Timothy Brown de son vrai nom.

Traité pour une leucémie, celui-ci avait bénéficié d'une greffe de moelle osseuse provenant d'un donneur doté d'une mutation génétique rare empêchant le virus de pénétrer dans les cellules.

Depuis 2007, "le patient de Berlin" ne présente plus aucune trace du virus dans l'organisme.
C'est cette mutation du gène CCR5 (CCR5 delta 32) qui concerne 0,3% de la population mondiale que les chercheurs auraient ainsi inséré dans le génome de Lulu et Nana.

"Lorsque Lulu et Nana n'étaient encore qu'une seule cellule, l'intervention génétique a supprimé l'accès par lequel le VIH entre dans les cellules pour infecter l'hôte", explique He Jankui dans la vidéo.

Avant de réimplanter l'embryon, l'équipe a vérifié que la modification avait bien eu lieu en séquençant l'ensemble du génome.
"Les résultats indiquaient que l'intervention s'était bien déroulée, comme nous l'espérions."

Selon le chercheur, la grossesse a été suivie de près s'est bien déroulée.
"Après la naissance, nous avons à nouveau séquencé l'ensemble du génome de Lulu et Nana.
Cela nous a permis de vérifier que la chirurgie du gène s'était bien passée : aucun gène n'a été altéré à l'exception de celui permettant de prévenir l'infection par le VIH."
He Jankui assure ainsi qu'aucune modification "off-target" n'a été détectée. Autrement dit, pas de dommages collatéraux sur d'autres gènes que celui ciblé, comme cela a souvent été rapporté avec CRISPR.

Bien sûr, l'annonce a déjà fait réagir la communauté scientifique concernant les problèmes éthiques que cet essai clinique pose : la mutation introduite se transmettra à l'éventuelle descendance des deux jumelles, et elle pourrait à terme affecter l'ensemble du patrimoine héréditaire.

Par ailleurs, la modification du gène CCR5 ne s'inscrit pas vraiment dans une logique thérapeutique, puisque Lulu et Nana ne sont pas malades.
Il s'agit plus d'une sorte d'avantage qui leur est conféré, à la façon d'un vaccin protégeant d'une maladie, sauf que le vaccin est génétique, et donc transmissible d'une génération à l'autre.
"Si cela est avéré, cette expérience est monstrueuse" a réagit Julian Savulescu, directeur du Centre d'éthique des pratiques de l'université d'Oxford.

Le programme baptisé "Vaccin anti-sida" aurait déjà six autres couples, dont l'un des membres est séropositif, prêts à participer à cette expérimentation humaine.
Lulu et Nana pourraient ainsi être suivies d'autres bébés génétiquement modifiés.

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Les "ciseaux génétiques" CRISPR-Cas9 pourraient augmenter le risque de cancer
Par Elena Sender - 18.06.2018 .

Deux études publiées dans Nature Medicine alertent sur le risque de générer des cancers en utilisant l’outil d’édition du génome, CRISPR-Cas9.

CRISPR-Cas9, découverte chez les bactéries, est une machine moléculaire qui cible un endroit précis du génome et coupe l'ADN. Les biologistes utilisent aujourd'hui ces  "ciseaux moléculaires" pour corriger des fragments d'ADN défectueux.
Cette méthode révolutionnaire, qui pourrait corriger des maladies comme la myopathie de Duchenne, est testée aussi dans des essais cliniques contre le cancer.
La méthode n'est cependant pas exempte de risques.
On connaissait le risque de mutation indésirable ("off targets") c'est-à-dire le fait que l'outil aille couper des bouts d'ADN non ciblés et génère des mutations non voulues.
Ou encore le risque inflammatoire.
Aujourd'hui, c'est un nouveau risque qui est mis au jour par les articles de Nature Medicine.


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