vendredi 14 décembre 2018

Mort d’un journaliste

Twitter « a donné à l’Arabie Saoudite des informations ayant finalement conduit à la mort d’un journaliste »
Par Lucy Middleton - 09/12/2018 - Les Crises - Source : Metro.

Twitter a été sous le feu des critiques après qu’un autre journaliste dissident ait vraisemblablement été torturé et tué en Arabie saoudite.

Turki Bin Abdul Aziz Al-Jasser a été arrêté le 15 mars pour avoir prétendument géré un compte Twitter appelé Kashkool, qui dénonçait les violations des droits humains perpétrées par les autorités saoudiennes et la famille royale.

Il est finalement mort en détention, sous la torture , affirme le Nouveau Khaleej, ce qui a provoqué une nouvelle indignation à la suite d’une supposée fuite d’informations qui aurait conduit à sa capture.

Turki bin Abdul Aziz al-Jasser aurait été arrêté en raison de son compte Twitter (Photo : TurkialjasserJ/ Twitter)

« C’est par l’antenne Twitter de Dubaï qu’ ils ont obtenu ses informations. C’est ainsi qu’il a été arrêté », a déclaré à Metro.co.uk une source qui souhaite rester anonyme.

« Twitter est devenu peu sûr pour les dissidents ou les opposants. Tout le monde parle sous la menace et la pression. »

« Les comptes des dissidents saoudiens sont espionnés. Nous ne sommes pas en sécurité quand nous utilisons Twitter. »

La source a également affirmé que Saud al-Qahtani, l’ancien conseiller de la Cour royale, dirige un « réseau d’espionnage cybernétique » et a des contacts au bureau Twitter de Dubaï.

Ils affirment qu’une soi-disant « taupe Twitter » a transmis des informations sur Al-Jasser, ce qui a conduit à son arrestation au début de cette année.

Beaucoup de gens pensent qu’il est devenu dangereux pour eux d’exprimer leurs opinions sur les autorités saoudiennes via Twitter (Photo : Getty Images)

Ils ne sont pas les seuls. Après la nouvelle de la mort présumée d’Al-Jasser, pour tenter d’accuser la plate-forme d’être « dangereuse », de nombreuses personnes ont commencé à utiliser le hashtag #TwitterKilledTurkiAlJasser [#TwitteraTueTurkiAlJasser, NdT]

« Nous voulons que justice soit faite pour les militants qui ont été arrêtés à cause de Twitter », a déclaré une personne sur Twitter.

Une autre a dit : « Twitter [n’est] plus sûr », tandis qu’une troisième a écrit : « Twitter doit revoir sa politique de confidentialité. Littéralement, des vies sont en jeu ici. »

Al-Qahtani, qui a été démis de ses fonctions à la suite de la mort du journaliste Jamal Khashoggi, a fait allusion aux « trois méthodes » utilisées par les autorités pour démasquer les militants sur les réseaux sociaux l’année dernière.

Dans un tweet de 2017, il a prévenu que les pseudos ne pouvaient pas protéger les dissidents.

Saud al-Qahtani a tweeté sur les « méthodes » utilisées pour traquer les dissidents qui utilisent Twitter, écrivant en ligne :
« Est-ce que votre pseudo vous protège de la liste noire » ?

Al-Qahtani a écrit en ligne : « ton pseudo te protège de la liste noire ? »

1. Les États ont les moyens de connaître le propriétaire du nom.
2 – L’adresse IP peut être identifiée par de nombreux moyens techniques.
3- Le secret que je ne vais pas dévoiler ».

La source a déclaré que son tweet est « considéré comme une menace sérieuse ».

Twitter déclare maintenant que les accusations portées à son encontre sont fausses.

« Nous avons des équipes dans le monde entier qui travaillent à améliorer la sécurité de la conversation publique », a déclaré aujourd’hui un porte-parole de Twitter Public Policy.

Aucune de ces équipes d’exécution des politiques n’est basée dans la région MENA [Middle East and North Africa, NdT], y compris notre bureau de Dubaï. Les récentes accusations qui diraient le contraire sont fausses.

« Nous restreignons rigoureusement l’accès aux renseignements sur les comptes sensibles à un petit groupe d’employés ayant reçu une formation approfondie à la sécurité et à la protection des données personnelles.
Aucun autre membre du personnel n’a la possibilité d’accéder à ces informations, quel que soit son lieu de travail. »

« Nous nous engageons à protéger ceux qui utilisent nos services pour défendre l’égalité, les libertés individuelles et les droits humains. »

« Nous continuerons à prendre des mesures pour renforcer la protection de leur vie privée et leur sécurité en général. »

L’assassinat présumé d’Al-Jasser survient un mois à peine après l’assassinat de Khashoggi, journaliste du Washington Post, dans les murs du consulat saoudien d’Istanbul.

Source : Metro, Lucy Middleton, 09-11-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.


Big Bang

Des formes géométriques émergent dans des gouttelettes du quagma du Big Bang
Par Laurent Sacco - 13/12/2018.

Un plasma de quarks-gluons, encore appelé quagma, existait pendant les premières microsecondes du Big Bang.

On peut le reconstituer sur Terre depuis les années 2000 grâce à des collisions d'ions lourds, et maintenant avec des noyaux plus légers.
Il se forme alors une sorte de fluide sans viscosité, capable d'adopter des formes, comme des gouttes de liquide.
Une présentation du quagma. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. 
Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Fermilab

La théorie des quarks a été proposée indépendamment par deux physiciens, George Zweig et Murray Gell-Mann, en 1964.

Elle va progressivement s'imposer malgré un scepticisme initial, dû notamment au fait que ces nouvelles particules ne pouvaient pas être isolées ni observées séparément comme c'est le cas pour les composants des atomes, électrons et nucléons.
Les collisions d'hadrons, supposés être formés de quarks, ne donnaient jamais que des hadrons.

Mais au début des années 1970, alors que les données expérimentales commençaient à fournir des preuves incontestables de la structure en quarks des protons et des neutrons en particulier, Gell-Mann et Harald Fritzsch complètent la théorie.

Ils découvrent, en 1972, les équations de la QCD (la chromodynamique quantique) qui gouverne les forces nucléaires entre les quarks en introduisant des cousins du photon, les gluons.

L'année suivante, en 1973, Gross, Politzer et Wilczek découvrent aussi la liberté asymptotique découlant de ces équations et impliquant que les forces entre quarks ne font qu'augmenter si l'on essaie de les séparer, tant est si bien que l'énergie utilisée pour tenter de le faire provoque la formation de nouveaux quarks qui se lient rapidement en donnant des hadrons.
Voir les explications ci-dessus pour les collisions entre noyaux représentées par un artiste (en bas) et vu dans le détecteur de l'expérience Phenix (en haut). © Javier Orjuela Koop, University of Colorado, Boulder

Les quarks apparaissaient donc comme confinés dans les nucléons.
Mais on ne tarda pas à découvrir que dans des conditions de pression et de température analogues à celles du Big Bang, ou rencontrées lors de collisions violentes de nucléons, les quarks devaient se déconfiner pour former un plasma dense et chaud où ils sont libres de se déplacer.

Ce nouvel état de la matière, au départ une simple prédiction théorique, a été appelé un quagma et plus généralement un plasma de quarks-gluons.

La première création de ce plasma de quarks et de gluons par l'Humanité a été annoncée en février 2000 par les chercheurs du Cern.

L'étude de ce plasma s'est poursuivie par la suite surtout au Laboratoire national de Brookhaven aux États-Unis, en particulier avec le collisionneur d'ions lourds relativistes (RHIC, Relativistic Heavy Ion Collider).

On le produit essentiellement en accélérant en sens inverse deux faisceaux de noyaux lourds, de cuivre ou d'or pour les faire entrer en collision frontale.
On peut faire de même au LHC avec des noyaux de plomb.
Des expériences similaires concernant le quagma ont ainsi été réalisées avec le détecteur Alice.

Des bulles de quagma en expansion sans viscosité

Aujourd'hui, les physiciens travaillant avec RHIC, dans le cadre de l'expérience Phenix, viennent de publier un article dans Nature Physics.
Un article qui, sans annoncer une percée fondamentale en physique (on sait par exemple qu'il y a des liens entre la physique du quagma et la théorie des supercordes dans le cadre de la fameuse correspondance AdS/CFT), n'en est pas moins intéressant car il valide des prédictions faites il y a quelques années par des chercheurs, comme le physicien Jamie Nagle, en se basant sur des expériences au LHC justement.
Une présentation des recherches sur le quagma avec RHIC. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur " Sous-titres " et enfin sur " Traduire automatiquement ". Choisissez " Français ". © BrookhavenLab

Les collisions d'ions lourds font intervenir des centaines de protons et de neutrons et on s'attendait à ne pouvoir observer le quagma que de cette façon. Mais les détecteurs CMS et Alice du LHC ont fourni des indications de l'apparition de ce plasma déjà dans des collisions de protons.

Il s'agissait de vérifier ce phénomène de production d'un quagma avec des collisions entre des systèmes contenant un plus petit nombre de nucléons que des ions d'or ou de plomb.

Les théoriciens s'attendaient à ce que le comportement du plasma formé reflète la nature des particules en collision.
En effet, le quagma se comporte en fait comme un fluide presque parfait, sans viscosité.
 Il peut donc s'écouler à la façon de l'hélium liquide avant de se refroidir en donnant des gouttes de liquide hadronique visqueux, c'est-à-dire des hadrons.

La géométrie du flot de ces hadrons, dans le détecteur entourant le lieu de formation du quagma, permet de remonter à sa structure initiale, celle d'une goutte de liquide adoptant des formes bien particulières.

L'idée a été mise en pratique avec des collisions de noyaux d'or (symbole Au) avec respectivement des protons, des deutérons (un proton et un neutron) et des noyaux d'hélium trois (3He, deux protons + un neutron).

Les flots résultant devaient être là aussi respectivement ceux d'une sphère en expansion, d'un ballon de rugby (la somme de deux sphères en expansion) et d'un triangle (la somme de trois sphères en expansion).

C'est effectivement ce qui a été observé. Ces résultats pourraient aider les théoriciens à mieux comprendre comment le plasma originel de quark-gluon du Big Bang s'est refroidi en quelques millisecondes, donnant naissance aux premiers protons et neutrons.

CE QU'IL FAUT RETENIR

Les quarks, qui s'attirent entre eux avec une force augmentant avec la distance, ne sont jamais solitaires.
Mais dans un tout petit volume, avec des pressions et des températures très élevées, les quarks des protons, des neutrons et autres hadrons peuvent exister sous la forme d'une sorte de gaz appelé quagma, ou plasma de quarks et de gluons.
Dans ce quagma, qui se comporte comme un liquide parfait sans viscosité, des physiciens, au laboratoire, ont observé des tourbillons dont les vitesses de rotation dépassent de loin celles mesurées dans tous les fluides connus à ce jour.

Avec l'expérience Phenix aux États-Unis, les chercheurs ont maintenant observé que du quagma pouvait se former avec des simples collisions entre noyaux légers et lourds alors que l'on pensait qu'il fallait nécessairement des collisions d'ions lourds pour produire sur Terre ce plasma exotique.


jeudi 13 décembre 2018

Vive la culture générale !

Par Florence Braunstein - dans Art & Société | 8 commentaires

La culture générale revient en force.

 Florence Braunstein, éditorialiste d’iPhilo, et Jean-François Pépin, agrégé d’histoire, docteur ès lettres et professeur de chaire supérieure en classes préparatoires aux grandes écoles, viennent de publier 1 kilo de culture générale - 1700 pages (P.U.F., février 2014), sur notre culture et celle des autres.

Loin d’avoir voulu empiler les feuilles sur les différents savoirs à travers le temps, de donner une connaissance stérile à la façon d’un Bouvard et Pécuchet, nous avons voulu fournir un véritable couteau suisse contre le refus d’une pensée aliénante et totalitaire, mais en revanche une pensée qui favorise un regard méditant qui refuse la banalisation, la dispersion.

Enjeu ces dernières années de débats politiques, prise en otage par des doxologues de droite ou de gauche, la culture générale mérite aujourd’hui d’éviter un requiem, parce qu’être sourd, écrivait Nietzsche, n’est pas la meilleure condition pour écouter de la musique.

Elle est devenue ces dernières années un vaste fourre tout, où pêle-mêle sont associés, la culture d’entreprise, la culture populaire, la culture de masse.

Trop de culture partout a fini par défavoriser la culture générale, la réduire à une peau de chagrin, à un smic intellectuel, dans le meilleur  des cas à un kit de survie pour briller en société.

Notre époque est certes boulimique de savoirs, une attitude facilitée par un accès au web qui a mis à disposition une masse énorme de connaissances mais où tout est mis à plat, au même niveau, œuvres et moyens d’expressions et où nous assistons à la mise en place d’une espèce de cafétéria culturelle, celle dénoncée par Claude Lévi-Strauss.

De la culture générale nous sommes passés à la culture généralisée.

La démocratisation de la culture a conduit à sa diffusion, puis à son exploitation commerciale sous toutes les formes (Quiz et QCM en console), menant davantage à une décérébralisation de l’individu qu’à sa formation.

Bref de la culture générale pour tous, nous sommes passés à l’inculture pour tous ou peu s’en faut.

Les principaux arguments contre cette culture générale se sont appuyés sur l’incapacité à en donner une définition exacte en dépit de celle fournie par le Dictionnaire de l’Académie française en, 1932, « ensemble de connaissances générales sur la littérature, l’histoire, la philosophie, les sciences et les arts que doivent posséder au sortir de l’adolescence toute personne ».

Le but de la culture générale est de pourvoir les jeunes d’un bagage de connaissances utiles, mais aussi et surtout de favoriser le libre et complet développement de leurs facultés.

C’est aussi ce qui est demandé aujourd’hui à tout élève de Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles à travers la matière enseignée de culture générale : connaître ce qui a constitué notre socle commun intellectuel et culturel.

Pourtant dans certains concours, elle a été tout bonnement supprimée, au grand Oral de l’ENA et à Sciences Po, parce que jugée trop discriminatoire socialement.

Nous n’en avions pas encore fini avec « la raison instrumentale » de l’école de Francfort et les héritiers de Bourdieu.
Mais, ainsi que souligne Claude Javeau, ce ne sont pas les élites qui sont visées mais « celle d’une certaine façon de concevoir leur existence et la justification de celle-ci, ce que notre époque a baptisé élitisme ».

Aujourd’hui encore, nous le savons tous, les fils de polytechniciens ne deviennent pas polytechniciens et tous les fils de postiers ne deviennent pas postiers.

Résumer à un « habitus » le mérite d’un travail, le goût de l’excellence et de l’effort est complétement réducteur.

Sous prétexte que certains ne manient pas bien l’oralité d’une langue première, faut-il pour autant faire disparaitre toute langue littéraire, toute forme de poésie ?

C’est aussi au nom d’un égalitarisme à tout crin que l’on fait croire que la France progressera mieux avec des bacheliers, des fonctionnaires, des administratifs, des médecins, sans culture générale, oubliant ainsi la notion d’humanités qui lui est centrale.

La culture générale est la culture du débutant, elle demande, à partir de connaissances acquises, de savoir en faire le tri et de savoir comment les accroitre avec raison.

C’est une véritable passerelle entre les choses qu’il faut établir pour savoir ce qui les relie entre elles avec jugement et discernement, à la différence du spécialiste qui ne peut le faire que sur un objet restreint dans un domaine bien précis.

C’est pour cela aussi que l’on dit du polytechnicien qu’il sait tout et rien d’autre…

La culture générale aurait en fait vocation, dès son origine, à être étendue sans spécificité profonde, sans être particulière pour autant.
L’homme de notre époque est souvent amnésique et il est bon de lui rappeler ce qui en a fait la grandeur et la valeur.

La culture générale a toujours eu cette volonté d’ouverture sur l’extérieur, sur les autres et sur soi.

Elle refuse l’isolement, le fixisme et privilégie la remise en cause, le questionnement, même si notre époque croit valoriser ceux qui aiment les réponses toutes prêtes, les contenus sans forme, le préfabriqué dans la construction de l’individu où le paraître a détrôné depuis longtemps l’être.

Elle constitue le meilleur rempart contre les idéologies totalitaristes, amies des idées uniques et simplificatrices tenues pour un ersatz de culture générale à ceux qui en sont justement dépourvus.

Les totalitarismes brisent la pensée, l’arrêtent dans son élan, refusent d’accepter les différences des autres et, en ce sens, castrent l’identité de ces richesses.
Ce sont des « misologies » au sens où Kant l’entendait, une ruse de la raison contre l’entendement, un discours contre la raison.
L’inculture devient leur fond de commerce, elles l’entretiennent, le soignent, car elles ne seront ainsi jamais remises en cause.

Enfin la culture générale permet, même dans les heures les plus sombres de l’histoire, à travers les écrits de Jorge Semprun, de Primo Levi, ou de Robert Antelme de comprendre comment en développant et en tissant davantage les liens sociaux et amicaux entre les déportés, elle a été une des conditions de survie puis de résilience.
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Culture générale
Par Wikipédia.

La culture générale désigne les connaissances en tout genre d'un individu, sans spécialisation.
Elle fait partie du projet humaniste, trouvant ses origines dans la paideia grecque, traduite par Cicéron sous le terme d'humanitas, puis se mêlant lors de la Renaissance aux arts libéraux, par exemple chez Pic de la Mirandole.

Le projet d’une culture générale est intrinsèquement lié à des réflexions à propos de l'humanité, qu'elle soit conçue comme nature humaine ou encore comme dépassement de la nature par la culture (ou « seconde nature »).

Durant la Renaissance, elle forme l'idéal de l'« honnête homme ».
La problématique de la culture générale est au cœur de ce que l'on a pu appeler la « crise de l'éducation » (La crise de la culture de Hannah Arendt).

L'humanitas de Cicéron

Cicéron définit l’humanitas comme « le traitement à appliquer aux enfants pour qu’ils deviennent hommes » (De oratore, I, 71, et II, 72).
Il forge aussi l'expression « culture de l'âme » (cultura animi):

« La culture de l’âme, c’est la philosophie : c’est elle qui extirpe radicalement les vices, met les âmes en état de recevoir les semences, leur confie et, pour ainsi dire, sème ce qui, une fois développé, jettera la plus abondante des récoltes  »
— Cicéron, Les Tusculanes, II, 13

Selon Cicéron, la culture générale se distingue de l’éducation donnée à l'enfant, puisqu’elle doit se poursuivre tout au long de la vie (De oratore, II, 1 et I, 12). L’idéal de culture de la Grèce du IVe siècle s’est transmis jusqu’à aujourd’hui, s’incarnant dans des modèles scolaires distincts.
Voir la suite sur :
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J’ai quelques correspondant(e)s qui sont lycéen(ne)s, et qui ne se plaisent pas trop au lycée, car ils trouvent que l’enseignement de « culture générale » est sans intérêt.

 Je comprendrais très bien leur point de vue s’ils étaient attirés par de l’enseignement concret d’un métier, et ils faudrait alors qu’ils se dirigent vers l’enseignement technique, qui leur serait plus approprié.

 Mais il n’en n’est rien; ils détestent tout autant le travail manuel, si ce n’est taper sur un clavier pour écrire sur Facebook ou envoyer un SMS.

 En fait pour eux la « culture générale » est une chose inutile.

 Je ne suis pas d’accord sur ce point de vue, et pourtant le contenu de l’enseignement actuel est bien moins un enseignement général qu’autrefois.

 Qu’est ce que la culture générale ? : C’est « l’ensemble des connaissances sur l’histoire, la littérature, la philosophie, les sciences et les arts que l’on devrait posséder au sortir de l’adolescence et à l’entrée de l’âge adulte », (dictionnaire de l’Académie).

 C’est en quelque sorte un ensemble de connaissances et de savoir-faire importants pour vivre dans la société humaine.

 Je suis d’accord avec cette définition mais elle me semble restrictive.

 Certes tout au long de ma vie, l’éducation que m’avait donnée mes parents et grands-parents et l’instruction que j’ai eue dans le primaire et le secondaire, m’ont beaucoup plus servi que les études supérieures que j’ai faites ensuite, qui m’ont surtout été utiles dans mon métier ou pour comprendre mes lectures scientifiques.

 Peut être l’enseignement était il plus concret autrefois, mais il ne se passe pas de jour où je n’utilise les vieux savoirs que j’ai appris à l’école.
Voir la suite sur :


TERRORISME.

Par Joseph Henrotin – 12/12/2018

 « Tant que l’on passe à côté de la nature politique du terrorisme, on ne pourra pas y répondre efficacement »

Entretien avec le spécialiste de la défense Joseph Henrotin sur la réponse que nos sociétés peuvent apporter au terrorisme.
Joseph Henrotin est chargé de recherche à l’Institut de Stratégie Comparée et rédacteur en chef de Défense & Sécurité Internationale.

Interview menée par Frédéric Mas.

Reuters - Vincent Kessler - 11/12/2018

Les explications ne manquent pas pour comprendre le terrorisme.
Seulement, à écouter certains médias, les motivations idéologiques des acteurs passent au second plan.

N’y a-t-il pas une tendance à vouloir dépolitiser et décontextualiser le terrorisme ?
Le réduire à des actes isolés ou de déséquilibrés n’est-il pas un moyen parmi tant d’autres de ne pas le comprendre pour ce qu’il est ?

- Si des actes de déséquilibrés n’avaient pas été interprétés comme terroristes il y a quelques années ils le sont maintenant du fait du contexte, vous avez raison.

La dynamique propre de nos sociétés, comme d’une partie des médias, tend à nous focaliser sur l’événement au détriment de ses conditions de production.
Le résultat est évidemment que l’on passe à côté de la complexité du phénomène ; et ce jusque dans la communication gouvernementale.

À de nombreuses reprises ces dernières années – toutes tendances politiques confondues, donc – l’ennemi désigné est le terrorisme, ciblant ainsi la forme plutôt que le fond.

 Or, ce n’est qu’un mode d’action parmi d’autres.

Il y a, ici, le résultat d’un manque de culture sur les questions stratégiques – ses raisons sont diverses, je n’approfondirai pas – qui aboutit à faire du terrorisme un anathème, une sorte d’insulte.

Mais dans ce que l’on qualifie de guerre irrégulière, le terrorisme n’est bien qu’un mode d’action parmi d’autres (essentiellement la guérilla, l’insurrection et la guerre des partisans).

La leçon portée aussi bien par l’État Islamique que par les Tigres Tamouls au Sri Lanka – qui ne sont absolument pas jihadistes et ont pourtant eu, un temps, le taux de succès le plus important de leurs attentats-suicides – est que dès qu’un groupe a les moyens de monter militairement en gamme, il le fait.

Dès que l’EI a eu les moyens de disposer de blindés, il les a utilisés ; dès que les Tigres Tamouls ont eu les moyens de se doter d’une marine, ils l’on fait.
Et dès que ces groupes ont été militairement affaiblis, ils sont repassés sur une logique de terrorisme.
On est, en fait, typiquement dans la recherche d’une économie des forces, gage d’efficience.

Voilà pour la mécanique du terrorisme.
Ses motivations, de Gavrilo Princip et des anarchistes russes à l’EI, restent de nature politique.

Historiquement, le terrorisme a été utilisé par des groupes aux motivations politiques très diverses : anarchiste, d’extrême-droite, d’extrême-gauche, écologiste, sans compter toutes les gammes du nationalisme – irrédentismes et indépendantismes compris.

Reuters - Stéphane Mahe - 08/12/2018


Qu’il s’agisse du jihadisme d’al Qaïda ou de l’EI, des Naxalites indiens ou des anarchistes grecs, il s’agit d’imposer
1) un groupe de règles normatives ;
2) à une population donnée ;
3) sur un territoire.
Nous sommes donc en plein dans la définition du politique et que le jihadisme veuille appliquer ce qu’il pense être les règles de l’islam n’y change rien : il s’agit bien de chercher à gouverner.

Comment lier le terrorisme ici à la stratégie politique et militaire globale de l’État islamique ?
Serait-ce une tactique de repli « sur un autre front » après les différents revers militaires subis sur le terrain au Proche Orient ?
Il y a de cela, mais pas uniquement.

Si le berceau de l’EI est au Levant, nombre de groupes lui ont fait allégeance, en Afrique, aux Philippines ou encore en Afghanistan.

Sa stratégie est « glocale », hybridant plusieurs modes d’actions.

Dans certaines zones, ils sont quasi-réguliers – avec l’usage d’unités constituées disposant d’appuis et parfois de blindés, comme le ferait une armée classique.

Dans d’autres zones, ils mènent un combat de guérilla.
Ailleurs encore – là où leur empreinte géographique est faible – ils vont frapper des civils au moyen du terrorisme, de Bagdad à Paris.

On a bien affaire à un objet stratégique au sens où il est la concrétisation d’un projet politique luttant pour s’imposer ; mais aussi d’une rationalité de recherche d’efficience au vu des contraintes qui lui sont opposées.
Autrement dit, le fait de s’arrêter de le frapper au Moyen Orient n’impliquera pas qu’il ne frappera plus ici.

Le problème est bien ce que nous sommes – soit dysfonctionnels au vu de son projet – et pas ce que nous faisons.


Que faire pour combattre le terrorisme ?
L’état d’urgence en France est-il une réponse adaptée face à la volatilité d’une telle menace ?

Dès lors que l’on passe à côté de la nature politique du phénomène, on a le plus grand mal à apporter des réponses efficaces.

On continue ainsi à traiter la question comme on le ferait de la criminalité, en multipliant les lois mais en ne se posant pas les bonnes questions et en oubliant que les logiques de guerre sont porteuses d’incertitude… alors que nous nous entêtons à promettre la certitude de la sécurité.

 Je ne suis pas juriste et je me garderai donc bien de m’exprimer sur le fond de l’état d’urgence ; par contre, je pense qu’il est utile aux gens sur le terrain pour compenser leur sous-effectif, en leur donnant du temps et la possibilité de court-circuiter des procédures bureaucratiques.

Le déni de la nature politique de la menace aboutit à ce qu’elle soit traitée dans une logique de droit commun, où un cas se résout après l’autre.
Mais le jihadisme est une menace persistante : tant qu’un combattant ne s’avoue pas vaincu, il continue et sera rejoint par d’autres.

On aboutit ainsi à des séquentialités très particulières, où chaque attentat débouche sur une nouvelle mesure.
Il n’y a ainsi toujours pas un équivalent, en matière de sécurité intérieure, du CPCO (Centre de Planification et de Conduite des Opérations) pour les armées1.

La dissonance entre un traitement de droit commun et la perception que l’on a affaire à quelque chose d’autre explique les paniques politiques que l’on a connues en France ou en Belgique, avec des mesures politiquement très visibles mais concrètement peu efficaces.

C’est le cas du déploiement de soldats en rue, critiqué à juste raison pour son inefficacité à plusieurs niveaux ; ou encore le lock down de Bruxelles, fin 2015.

C’est évidemment prolonger les effets du jihadisme en mettant les sociétés sous pression de manière inutile.

Déployer les soldats dans les rues, c’est prolonger les effets du jihadisme en mettant les sociétés sous pression de manière inutile.

Que faire alors ?
Personne n’a de martingale, mais on peut sans doute dessiner trois pistes.

D’abord interroger notre capacité à faire des États européens des modèles qui font rêver : le jihadisme propose une vision du monde, mais que lui opposons-nous ?

Ensuite, nous ne sommes sans doute pas au paroxysme idéologique du jihadisme, de sorte qu’il est urgent de reconstituer le potentiel des forces, épuisées par la multiplication des engagements, et donc d’arrêter leur déploiement permanent en rue.

Leur remontée en puissance est également nécessaire : aussi paradoxal que cela puisse paraître, depuis le 11 septembre 2001, en France ou en Belgique, les budgets et les effectifs des forces militaires et de police n’ont fait que baisser.

En Belgique, la capacité d’analyse des services de renseignement a même été… pratiquement liquidée.
Remonter en puissance n’est pas un objectif en soi, mais il permettra de combattre aussi bien à l’extérieur que de disposer de logiques plus pertinentes à l’intérieur, de type quick reaction force.

Enfin, il parait également nécessaire d’appliquer ce qu’implique la résilience, intégrée aux Livres blancs sur la défense depuis 2008, mais d’une manière assez bancale, en la confondant avec d’autres aspects comme la protection des infrastructures critiques ou la continuité gouvernementale.

L’évolution de nos sociétés a dépossédé, en quelque sorte, le citoyen de sa sécurité.
L’État, face à un mode d’action tel que le jihadisme, ne peut évidemment pas garantir une « sécurité ISO-9001 ».
Depuis les attaques de 2015, les choses commencent à bouger : les gens se forment aux premiers secours, réapprennent les vertus des numéros d’urgence, etc.
Il y a un potentiel sécuritaire très fort dans les réactions des citoyens aux attaques, qu’il faut apprendre à canaliser et à utiliser2.

Il y a aussi un aspect informationnel extrêmement important, mais qui ne dépend pas de l’État.
Ce que dit la littérature est que les résiliences sont affaiblies, non pas par la puissance de feu, mais par les chocs découlant de la surprise : c’est ce qui explique que les Londoniens de 1917 aient été nettement moins flegmatiques qu’en 1940.

La différence entre la panique de 1917 et ses réelles conséquences économiques et la placidité de 1940 sous le Blitz est l’information : dans l’entre-deux guerres, les débats sur la nature de ce qui était alors « le futur de la guerre » étaient nombreux, approfondis, bien informés et menés par des personnes auxquelles les citoyens affectaient un haut degré de confiance.

En somme, à peu près l’inverse de la situation actuelle, où les événements sont martelés mais pas remis en perspective ; sans même compter des systèmes d’alerte nettement moins efficaces que ceux utilisés en 1940.

Cet article a été publié une première fois en 2017.

Voir notamment Yves Trotignon (interview), Réformer le contre-terrorisme français ? 

Sur le concept de résilience : Joseph Henrotin, Résilience ou comment lutter contre le terrorisme, Histoire & Stratégie, n°20, décembre 2014-février 2015
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Terrorisme. Portrait-robot du djihadiste européen –
Par  Hazem Al-Amin - 02/05/2017.

Il est porteur de demi-identités. Mi-musulman, mi-européen, mi-analphabète, mi-citoyen.
Et parfois mi-criminel, mi-schizophrène. Il veut aussi avoir un impact sur les élections en France, comme partout dans le monde.

“Et pourtant, en prison, il ne donnait aucun signe de radicalisation.”
Cette phrase est devenue rituelle au sujet de la plupart des terroristes sur le Vieux Continent.
Les deux derniers exemples en date, à savoir l’auteur de l’attentat des Champs-Élysées Karim Cheurfi [le 20 avril] et celui de l’attentat de Stockholm Rakhmat Akilov [le 7 avril], tous les deux âgés de 39 ans, étaient eux aussi passés par la case prison.

Cela étant, leur casier judiciaire ne comporte rien d’exceptionnel : vols, agressions contre des policiers, drogues…
Mais ils sont devenus violents en passant par le crime ordinaire, par la crasse des prisons, par un long parcours de rapports

Hazem Al-Amin






Syrie