lundi 25 mars 2019

Toutânkhamon

Le petit roi d'Égypte tombe le masque
Par Bernadette Arnaud - 24.03.2019.

Autopsie virtuelle au scanner, tests ADN, analyses radar…
Depuis quelques années, les techniques de pointe permettent aux égyptologues de dresser un portrait plus précis du pharaon et de tordre le cou aux fantasmes. Cet article est extrait du hors-série de Sciences et Avenir n°197 (avril / mai 2019) consacré à l'Égypte.

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Howard Carter et un ouvrier égyptien anonyme se penchent sur le troisième cercueil d’or de Toutankhamon, encastré dans le deuxième, en 1925 (photo colorisée). HARRY BURTON / PVDE / BRIDGEMAN IMAGES

Il aura régné moins d’une décennie avant de mourir, vers 1327 avant J.-C., à l’âge de 19 ans.

Vidéo
Les Trésors de Toutankhamon - Documentaire Egypte ancienne
imineo Documentaires 

Sa disparition précoce a suscité de multiples théories, celle d’un assassinat ayant longtemps été considérée comme la plus plausible.

Masque funéraire en or de Toutânkhamon (musée égyptien du Caire).
Bjørn Christian Tørrissen

En 1968, près d’un demi-siècle après Howard Carter, qui avait été obligé de découper le jeune pharaon en plusieurs morceaux pour dégager la momie coincée dans le cercueil, l’anatomiste R.G. Harrison, de l’université de Liverpool, réalise un examen radiographique de Toutankhamon.
Il conclut que celui-ci souffrait d’une scoliose et repère un morceau d’os à l’intérieur du crâne ainsi qu’une zone plus épaisse au niveau de la nuque, qu’il interprète comme les stigmates d’un coup violent porté à la tête.


Passée au scanner, la momie du jeune pharaon a révélé que celui-ci n’est pas mort d’un coup sur la tête, mais que son crâne a été malmené lors de la momification.

Pas de meurtre sur le Nil

Mais les campagnes de tests ADN pratiquées en 2010 sur la royale momie et onze membres de sa famille vont esquisser un tout autre scénario.

Tête du roi-enfant, assimilé à Néfertoum, émergeant du lotus bleu. Jon Bodsworth

Quelques années auparavant, l’analyse tomographique avait déjà permis d’écarter l’hypothèse du coup fatal - le mauvais état du crâne relevait du travail des embaumeurs - et de révéler que le superbe masque en or massif cachait un visage disgracieux, marqué par des "dents de lapin" et peut-être un bec-de-lièvre.

Trône de Toutânkhamon. Yveke — Flickr: Tutankhamun throne

L’étude de l’ADN menée par les spécialistes de l’université de Tübingen (Allemagne) sous la direction de Zahi Hawass, alors directeur des Antiquités égyptiennes, et du généticien Albert Zink, de l’Institut des momies de l’Eurac à Bolzano (Italie), livre plusieurs révélations.
D’abord généalogiques :
Toutankhamon est le fruit de liens incestueux entre le célèbre roi Amenhotep IVAkhénaton (1353 - 1337 av. J.-C) et une inconnue baptisée Younger Lady (KV35YL).
Cette consanguinité lui aurait valu sa piètre santé… et expliquerait le décès prématuré de sa progéniture - deux fœtus de 7 et 9 mois, inhumés près de lui.

Le disque solaire Aton tend la croix de vie à pharaon et à son épouse. Jerzy Strzelecki

D’autre part, selon les scientifiques, qui ont trouvé dans la momie des traces de Plasmodium falciparum, Toutankhamon serait mort de la combinaison d’une forme sévère de paludisme et d’une nécrose vasculaire aggravée par une affection congénitale due à la maladie de Köhler, une lésion des tissus osseux.

Il avait également des hanches très larges et un pied-bot - plus de 130 cannes, toutes utilisées, ont été retrouvées dans sa tombe.

Christian Eckmann, restaurateur allemand, travaille sur le masque d’or du jeune pharaon au Musée égyptien du Caire, en 2015. Plus de 40000 objets qui s’entassaient dans le vieux musée du Caire ont déjà été restaurés en vue de leur installation au nouveau Grand Musée de Gizeh.

D’autres propositions ont, depuis, été avancées. En 2013, l’égyptologue Chris Naunton, de l’institut Cranfield Forensic (Royaume-Uni), a ainsi réalisé une "autopsie virtuelle" du corps scanné du souverain.
Selon lui, celui-ci serait décédé des suites d’un enfoncement de la cage thoracique dû à un accident de char…

Néanmoins, la plupart des experts considèrent toujours que sa disparition tient plus à un mauvais état général qu’à un quelconque accident, aussi dramatique fût-il.

Coffre du tombeau de Toutânkhamon : bataille de Toutânkhamon contre les Asiatiques.

La malédiction... du champignon

Le mythe étonnamment populaire de la malédiction de Toutankhamon reflète sans doute l’incroyable fascination qu’a exercée sur le public la découverte du tombeau du pharaon, en novembre 1922.

Momie reconstituée de Toutânkhamon, dépouillé de ses bijoux, toujours présente dans son tombeau de la vallée des rois. Howard Carter

Quelque temps après l’ouverture de la sépulture, une vingtaine de personnes ayant côtoyé sa momie décédèrent dans des circonstances présentées comme mystérieuses.

Pectoral de Toutânkhamon, représentant son nom de Nesout-bity.
https://www.flickr.com/photos/dalbera/

À commencer par le financeur des fouilles lui-même, l’Anglais lord Carnarvon, cinq mois à peine après la mise au jour de la tombe inviolée.
On raconta même que son chien Susie poussa un long hurlement avant de mourir, lui aussi, le même jour…
Et que toutes les lumières de la ville du Caire s’éteignirent sans explication.


Statues représentant le jeune Toutânkhamon et son épouse Ânkhesenamon, — Temple d'Amon, Louxor.
Karen Green

Dans les mois qui suivirent, du magnat des chemins de fer George Jay Gould au colonel Aubrey Herbert, un demi-frère de lord Carnarvon, une succession de disparitions furent immédiatement associées à "la malédiction du pharaon" !

Une peau fissurée et des dégâts à la poitrine peuvent être observés sur la momie noircie de Toutankhamon.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTO KENNETH GARRETT

Le spiritisme étant à la mode, l’écrivain Arthur Conan Doyle, père de Sherlock Holmes, guidé par son goût pour les revenants, affirma qu’un "esprit malin avait pu être la cause de la maladie fatale de lord Carnarvon".

Chambre funéraire de Toutânkhamon (musée égyptien du Caire).

Et ne parlons pas des thèses de la romancière Marie Corelli, qui firent florès.

"La mort vient ailée à quiconque pénètre dans la tombe d’un pharaon", écrit-elle en mars 1923 dans le New York Times, où elle fait part de sa conviction que "les anciens Égyptiens maîtrisaient le secret de substances empoisonnées susceptibles de survivre des millénaires et de provoquer des infections bactériennes".
Une survie destinée à neutraliser les violeurs de sépultures !
En réalité, lord Carnavon aurait été victime d’une septicémie due à une piqûre d’insecte (les antibiotiques n’existaient pas à l’époque…).

Coffre à vases canopes (musée égyptien du Caire).

Quant aux autres personnes présentes lors de l’ouverture de la tombe - y compris Howard Carter, le découvreur du tombeau - ou venues la visiter, telle la reine des Belges Élisabeth en Bavière, elles atteindront tranquillement la soixantaine et plus…
La propre fille de lord Carnarvon, lady Evelyn Herbert, entrée dans le royal caveau aux côtés de son père, vivra jusqu’à près de 80 ans !

Tombeau de Toutânkhamon dans la vallée des rois (KV62).

L’explication possible des décès "mystérieux" a été livrée en 1985.

Les analyses de la momie d’un autre pharaon, Ramsès II, ont révélé la présence de nombreux champignons.
Or, le tombeau de Toutankhamon en était plein.

Les spores soulevées par les pas des visiteurs ainsi que celles présentes sur les parois de la chambre funéraire ont sans doute été à l’origine d’une maladie infectieuse bien connue des archéologues et des spéléologues : l’histoplasmose. Pneumonie aiguë, cette affection respiratoire est provoquée par l’inhalation du champignon Histoplasma capsulatum.

Gageons qu’une malédiction des champignons n’aurait pas rencontré le même succès public !

Son trésor pour une femme

© POL EMILE/SIPA

Le plus célèbre des pharaons serait-il un usurpateur ?

Le masque de Toutankhamon, ce trésor de 11 kg d’alliage d’or incrusté de pierres précieuses que des millions de visiteurs viennent admirer chaque année en Égypte, ne lui aurait en fait pas été destiné !

Pendentif représentant l’œil d'Horus. Jon Bodsworth

Bien que difficile à croire, le nom de Toutankhamon étant omniprésent dans la tombe, le jeune roi de la XVIIIe dynastie aurait en réalité détourné ce chef-d’oeuvre d’orfèvrerie à son profit.

Celui-ci aurait été initialement façonné pour un autre souverain, un mystérieux Ankh- Khéperourê Néfernéferouaton.
Ce dernier pouvant d’ailleurs être un des multiples noms de… Néfertiti, grande épouse royale d’Akhénaton, le père de Toutankhamon.

Dans un article publié en 2015, intitulé "Le masque d’or d’Ankh-Khéperourê Néfernéferouaton", l’archéologue britannique Nicholas Reeves est revenu sur des analyses précédemment réalisées sur le célèbre masque.
Reprenant une proposition émise alors qu’il travaillait au British Museum (Londres), l’égyptologue a expliqué que le masque, dont les oreilles sont percées, avait été confectionné pour un souverain féminin et été ensuite adapté pour Toutankhamon.

Howard Carter et les ouvriers ouvrent les portes de la chambre funéraire (reconstitution faite en 1924 des événements de 1923). Harry Burton

L’examen minutieux du cartouche - le symbole hiéroglyphique de forme ovale contenant le nom et la titulature du pharaon -, auquel il a eu accès, confirmerait l’hypothèse, en montrant les traces effacées d’un précédent nom royal !

En collaboration avec l’ancien directeur du musée du Caire, Mahmoud El-Halwagi, et le photographe Ahmed Amin, "il a été possible d’obtenir une image exceptionnellement précise de ce palimpseste », raconte l’égyptologue français Marc Gabolde, maître de conférences à l’université Paul-Valéry de Montpellier III, qui a collaboré à cette analyse en compagnie de Ray Johnson, de l’Institut oriental de l’université de Chicago, tous adhérant à cette hypothèse.

© Reuters/capture d'écran Patryd Wolrd Latest News

"Il est clair qu’un premier nom a été “bruni” [poli, ndlr] avec un outil qui a permis d’en effacer les traces, et que le nom de Toutankhamon a été gravé par-dessus."

Dans la communauté des égyptologues, la suspicion existait depuis plusieurs années.
"Nous avions déjà l’exemple de petits sarcophages à viscères ainsi que d’un pectoral, dont j’avais constaté qu’ils n’appartenaient pas à ce souverain", poursuit le spécialiste.
L’examen des inscriptions qui se trouvaient à l’intérieur a permis de découvrir que sous le nom de Toutankhamon figurait celui de sa demi-soeur Mérytaton.

Pire encore, c’est l’ensemble du mobilier funéraire de l’enfant-roi qui aurait été usurpé !
"En dehors du mobilier du palais, le mobilier funéraire précieux présent dans la tombe de Toutankhamon ne lui était pas destiné", a ainsi déclaré Marc Gabolde.

Une chambre secrète imaginaire

Le 3 mai 2018, la science a permis de lever l’un des plus grands mystères, celui de la possible présence d’une salle secrète à l’intérieur de l’hypogée du célèbre pharaon. Francesco Porcelli, de l’Université polytechnique de Turin (Italie), responsable de l’équipe scientifique italienne en charge des dernières analyses radar, n’a pas confirmé les informations livrées en mars 2016 par le Japonais Hirokatsu Watanabe.

Chevalière au nom de Toutânkhamon.

Les données radar de l’époque, accueillies avec enthousiasme par Mamdouh Mohamed Eldamaty, alors ministre des Antiquités égyptiennes, avaient suggéré la présence d’une cavité inconnue à l’intérieur du célèbre tombeau, avec une probabilité de 95 %.

Maïa et Toutânkhamon.

En 2015, l’égyptologue britannique Nicholas Reeves, spécialiste de la XVIIIe dynastie, avait en effet avancé l’idée que, pris au dépourvu par le décès soudain de l’enfant-roi, pour lequel aucune sépulture n’avait été préparée, les prêtres l’auraient inhumé dans une tombe disponible mais qui ne lui était pas destinée : celle de la reine Néfertiti - "la Belle est venue" -, l’épouse d’Akhénaton, son père.

Portrait de la reine Néfertiti au Neues Museum de Berlin. Arkadiy Etumyan

Les sépultures d’un grand nombre de reines d’Égypte n’ayant toujours pas été découvertes, Nicholas Reeves, ex-directeur du Projet royal des tombes d’Amarna, découvreur d’un tombeau intact dans la vallée des Rois en 2000, estimait que pouvait y reposer depuis plus de 3000 ans cette reine mythique d’Égypte.

Selon lui, la dépouille de la souveraine aurait pu être entreposée dans une pièce annexe du tombeau pour laisser place à celle du pharaon défunt...
S’en étaient suivies trois années de fébrilité parmi les scientifiques.

À l’origine de son hypothèse, l’examen par scanner haute définition des murs avait fait apparaître un certain nombre d’anomalies sous la texture des peintures du tombeau royal, suggérant la possible présence de "deux portes" plâtrées.

Tête de Néfertiti, Altes Museum, Berlin. Keith Schengili-Roberts

 Des entrées scellées identiques à celles franchies (en les abattant) par Howard Carter, en 1922.
Hélas, les ultimes analyses radar ont été implacables.
Aucune cavité ne se trouvait derrière ces murs.
Échec aussi pour la quête de Néfertiti. Certains égyptologues considèrent en effet qu’il est inutile de rechercher cette reine, car elle pourrait être la fameuse Younger Lady (YL), l’épouse d’Akhénaton identifiée lors des analyses génétiques réalisées en 2010 au Caire... et donc déjà retrouvée !

Une source inépuisable de discordes et d’empoignades...




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