Par Julien Colliat – via herodote.net
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Durant la Première Guerre
mondiale, les combats sur le sol européen ont fait passer au second plan la
guerre qui se déroulait au même moment en Afrique.
Alors contrôlé dans sa
quasi-totalité par les belligérants, le continent africain fut pourtant un
enjeu non négligeable du conflit.
Loin des tranchées et de
la boucherie européenne, les guerres du front africain, en raison du nombre
réduit de combattants et des faibles moyens matériels, apparaissent comme un
conflit d’une autre époque, marqué par un profond respect entre des adversaires
contraints de faire face à un milieu hostile.
L’épopée du général
allemand von Lettow en Afrique orientale en constitue sans nul doute l’une des
plus belles pages.
L’Afrique du Nord aux mains
des Alliés
Dès le mois d’août 1914,
l’Algérie est la cible d’un bombardement naval effectué par deux croiseurs
allemands.
Elle restera ensuite
totalement épargnée par le conflit, en dépit de quelques troubles dans les
Aurès, consécutifs à la mobilisation massive de la population française.
Au Maroc, le résident
général Hubert Lyautey, redoutant une révolte indigène, parvient à maintenir
l’ordre malgré le départ d’une partie de ses troupes.
En Afrique du Nord, la
colonie la plus stratégique pour les belligérants est l’Égypte.
Protectorat britannique
depuis 1882, cette dernière reste officiellement sous suzeraineté ottomane et
est gouvernée par un khédive, descendant de Méhémet Ali.
Aussi, lorsqu’en octobre
1914, et après bien des hésitations, l’Empire ottoman renonce à sa neutralité
et entre dans le conflit aux côtés des empires centraux, les nationalistes
égyptiens se rangent majoritairement dans le camp des Turcs.
De leur côté, les
Britanniques en profitent pour mettre un terme à la suzeraineté nominale que le
sultan ottoman exerce sur l’Égypte.
Le 19 décembre 1914, le
khédive Abbas II Hilmi est déposé par les autorités britanniques et remplacé
par un de ses oncles, Hussein Kamel, qui reçoit le titre de sultan, ce qui
aboutit de facto à rompre tout lien d’allégeance à Constantinople.
L’objectif principal des
Turcs et de leurs alliés allemands est le contrôle du canal de Suez.
En janvier 1915, une armée
ottomane de 20 000 hommes, dirigée par le général Djemal Pacha et appuyée par
le Reich, traverse le Sinaï et lance une offensive en direction de Suez.
Ne bénéficiant pas du
soutien escompté de la population égyptienne alors que le calife ottoman avait
proclamé le djihad, l’offensive est brisée par les Alliés.
En août 1916, les Ottomans
tentent une seconde fois d’envahir l’Égypte mais leur offensive est à nouveau
arrêtée dans le Sinaï par les Britanniques à la bataille de Romani.
Pour affaiblir les Alliés,
les Turcs s’appuient les Senoussis, une confrérie musulmane fondée au XIXe
siècle et prônant un retour à l’islam des origines, sur le modèle des
wahhabites séoudiens.
Basés en Libye où ils ont
combattu l’implantation italienne, ils tiennent une partie du Sahara.
Dès novembre 1914, alors
que l'Italie n’est pas encore entrée en guerre, les Senoussis s’emparent de
l’oasis de Sebha et massacrent la garnison, obligeant les Italiens à évacuer
les places du Fezzan et à se replier dans quelques villes côtières.
Après l’entrée en guerre
de l’Italie en août 1915, Rome va rapidement perdre le contrôle de la Libye.
Les Italiens ne parviendront
qu’à se maintenir à Tripoli et Homs, laissant les Senoussis maîtres de la
Cyrénaïque et du Fezzan.
À partir de 1916, le chef
de la confrérie, Idriss As-Senussi, convaincu de la défaite des Turcs, choisit
d’entamer des négociations avec les Alliés lesquelles débouchent en avril 1917
sur l’accord d’Acroma.
Celui-ci prévoit un
partage territorial de la Libye, reconnaissant la quasi indépendance de la
Cyrénaïque sous l’autorité d’Idriss tout en laissant à la Tripolitaine une
large autonomie.
En 1951, Idriss As-Senussi
deviendra roi de Libye sous le nom d’Idriss 1er.
Il sera renversé 18 ans plus tard par un
certain… Mouammar Kadhafi !
Enfin, entre 1916 et 1917,
le nord de l’actuel Niger est le théâtre d’une rébellion touarègue contre
l’occupation française, largement soutenue par les Senoussis.
Après être parvenus à
prendre la plupart des villes du nord du pays, les insurgés seront finalement
chassés.
Les colonies allemandes
d’Afrique
En 1914, l’Allemagne
possède 4 colonies éparses en Afrique noire :
• Le Togo, qui comprend
l’actuel Togo ainsi que la partie orientale du Ghana,
• Le Cameroun, qui
correspond à l’actuel Cameroun étendu à plusieurs régions des pays limitrophes,
• Le Sud-Ouest africain,
actuelle Namibie,
• L’Afrique Orientale
allemande qui comprend l’actuelle Tanzanie (sans Zanzibar), le Rwanda et le
Burundi.
Lors du déclenchement de
la guerre, l’Allemagne, consciente de la fragilité de ses possessions
africaines, tente d’empêcher que le conflit ne s’étende aux colonies, faisant
prévaloir la neutralité de tout le bassin du Congo, décidée à la conférence de
Berlin en 1885.
Les Allemands trouvent un
allié de circonstance dans le gouvernement belge qui envoie une note allant
dans ce sens à ses ambassadeurs en France et au Royaume-Uni :
« Vu la mission
civilisatrice commune aux nations colonisatrices, le gouvernement belge désire,
par un souci d'humanité, ne pas étendre le champ des hostilités à l'Afrique
centrale.
Il ne prendra donc pas
l'initiative d'infliger une pareille épreuve à la civilisation dans cette
région et les forces militaires qu'il y possède n'entreront en action que dans
le cas où elles devraient repousser une attaque contre ses possessions
africaines. »
Mais de leur côté, la
France et le Royaume-Uni s’opposent à la neutralisation du continent africain.
Leur priorité est
d’attaquer l’Allemagne sur tous les fronts afin d’obtenir des victoires rapides
qui pourraient raviver le moral de leur opinion publique.
La campagne du Togo
Le Togo est la moins
protégée et défendue des colonies allemandes.
Curieusement, c’est dans
cet étroit couloir bordant le lac Volta que le Reich a installé, près de la
ville d'Atakpamé, la station radio de Kamina, une station de TSF ultramoderne,
indispensable pour la coordination des navires de guerre.
Le 7 août 1914, Français
et Britanniques envahissent le Togo.
La progression rapide des
Alliés contraint les Allemands à détruire la station radio de Kamina dans la
nuit du 24 au 25 août.
Le lendemain, les troupes
commandées par le gouverneur Hans Georg von Doering capitulent.
Alors qu’au même moment,
les Français, bousculés par l’offensive allemande en Belgique, entament la
retraite de la Marne, la conquête du Togo apparaît comme un très insignifiant
succès.
La campagne du Cameroun
Pour les Français, la
conquête du Cameroun est une priorité, la colonie allemande séparant en deux
l’Afrique-Équatoriale française.
En plus de leur supériorité
numérique, les Alliés disposent dans le secteur des infrastructures du Congo
belge (chemins de fer, lignes télégraphiques…) que Bruxelles a aussitôt mis à
leur disposition.
Les Français lancent les
hostilités dès le 6 août 1914 en occupant Bonga, à la pointe sud du pays, ce
qui leur permet de rétablir les communications fluviales entre les possessions
de l’Afrique-Équatoriale française.
Quelques semaines plus
tard, un corps expéditionnaire franco-britannique commandé par le Canadien
Charles Macpherson Dobell débarque près de Douala, la capitale de la colonie.
La ville est prise le 27
septembre.
Au même moment, à
l’extrême nord, les Français s’emparent de l’avant-poste de Kousséri.
En mars 1915, la grande
offensive alliée est déclenchée.
Plutôt que de s’arc-bouter
autour de Yaoundé menacée d’encerclement, le commandant militaire du Cameroun,
Emil Zimmermann, décide d’abandonner la colonie et tente avec ses hommes une
percée au sud en direction de la Guinée espagnole (actuelle Guinée
équatoriale), un territoire neutre où ils ne pourraient être capturés par les
troupes alliées.
Sans se faire intercepter,
les Allemands atteignent la colonie espagnole en janvier 1916.
Des négociations sont
alors entreprises avec Madrid qui accepte d’embarquer Zimmermann et ses troupes
sur des navires espagnols à destination de Cadix.
La campagne camerounaise
n’est cependant pas terminée car une enclave allemande subsiste encore dans le
nord du pays, près de Mora, où, à l'abri d'une imprenable position rocheuse, le
capitaine Ernst von Raben résiste depuis 18 mois avec une poignée d’hommes à
l’encerclement allié, refusant de capituler.
Lorsqu’on lui apprend que
l’armée allemande a été désarmée en Guinée espagnole, von Raben consent à se
rendre, à la condition que les honneurs militaires lui soient rendus.
Les Alliés acceptent,
magnanimes.
Dilemmes afrikaners face
au Sud-Ouest africain allemand
Sitôt la guerre déclarée,
l'Union sud-africaine, en tant que dominion britannique, se trouve engagée dans
le camp anglais et est chargée par Londres de conquérir le Sud-Ouest africain
allemand.
Encore profondément
marquée par la guerre des Boers, la population blanche sud-africaine est
divisée.
Si les anglophones
acceptent la mobilisation comme un seul homme, les Afrikaners sont partagés
entre la loyauté à la couronne britannique, à l’instar du Premier ministre
Louis Botha, et la stricte neutralité, comme le prône le général James Hertzog,
fondateur du Parti national.
En septembre 1914, le
parlement sud-africain accepte de lever une armée pour envahir le Sud-Ouest
africain allemand.
Alors qu’il commande un
régiment stationné à proximité de la frontière avec la colonie allemande, le
colonel Manie Maritz refuse d’obéir aux ordres de Pretoria et entre en
rébellion.
Dans l’optique d’une
revanche de la guerre des Boers, Maritz entend obtenir par la force
l’indépendance des républiques afrikaners d'Orange et du Transvaal et se rapproche
des Allemands.
Suivi par 12 000 hommes,
il marche sur la capitale !
Pour les Anglais, la
perspective de devoir affronter Allemands et Boers coalisés est si préoccupante
que Londres envisage de dérouter les 30 000 hommes du contingent
australo-néozélandais en route pour les Dardanelles et de les faire débarquer
en Afrique du Sud.
Le 12 octobre 1914, Louis
Botha proclame la loi martiale.
Les rebelles afrikaners
sont finalement vaincus par les troupes restées fidèles au gouvernement, tandis
que Maritz se réfugie en territoire allemand.
Dégagée du risque
d’insurrection intérieure, l’Afrique du Sud peut désormais débuter la campagne
du Sud-Ouest africain allemand.
En avril 1916, trois
colonnes sud-africaines, fortes de 42 000 hommes au total, pénètrent dans la
colonie du Reich.
Entre la modeste armée
allemande et les puissantes troupes sud-africaines, le rapport de force est
complètement disproportionné, à tel point que le général Botha dédaigne l’aide
des populations indigènes, hostiles aux colons allemands, arguant qu’il s’agit
d’une guerre entre Blancs.
Le 12 mai, les
Sud-Africains occupent le poste de Windhoek abandonné par les Allemands qui se
replient à Tsumeb, à l’est du pays.
En quelques semaines, les
villes de la colonie sont prises les unes après les autres.
Le 8 juillet, Tsumeb tombe
aux mains de l’armée de Pretoria.
La prise de la ville met
fin aux espoirs des troupes du Reich qui espéraient rejoindre l’Afrique
Orientale allemande en passant par la bande de Caprivi. Sans possibilité de
retraite, le gouverneur, Theodor Sietz, capitule le lendemain.
L’Afrique Orientale
allemande résiste aux Alliés
En Afrique Orientale
allemande, les troupes du Reich sont commandées par le colonel Paul Emil von
Lettow-Vorbeck.
Âgé de 44 ans, celui-ci
s’est illustré dix ans plus tôt dans le Sud-Ouest africain allemand durant la
campagne contre les Hereros où il s’est familiarisé avec les guerres
coloniales, basées sur la rapidité et l’esprit d’initiative.
Rédacteur d’un rapport
remarqué sur les aspects militaires de la politique coloniale allemande, il a
été nommé en Afrique orientale en 1914...
L'historien africaniste
Bernard Lugan s'est pris de passion pour l'épopée militaire du général Von
Lettow-Vorbeck.
Il lui a consacré une
monographie exceptionnellement documentée et illustrée (disponible en ligne sur
le site internet de l'auteur, 30€).
Ce livre demeure, au moins
en français, la principale source d'information sur les opérations militaires
en Afrique subsaharienne en 1914-1918.
https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=2466&ID_dossier=36
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