samedi 2 mars 2019

Langage et évolution

Nouvelles hypothèses.
Par Jean-François Dortier 

En croisant de nombreuses données issues de différentes disciplines, il est désormais possible d'élaborer des scénarios sur l'émergence du langage, les raisons de son apparition, et même d'imaginer quelle langue ont parlée les premiers hommes.

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La Confusion des langues, Gustave Doré. Ce dessin se conforme à la tradition picturale : la punition divine frappe les humains pour leur ambition sans bornes à édifier Babel ; le motif mythologique est comparable à Prométhée, qui provoque la colère divine en dérobant le secret du feu.

La question de l'origine du langage, fort prisée des philosophes des Lumières, devint centrale pour nombre de savants du XIXe siècle : les théories se mirent à pulluler et chacun y allait de son hypothèse plus ou moins fantaisiste...

Le philologue Friedrich Max Müller s'était d'ailleurs plu à classer toutes ces théories en leur donnant des noms péjoratifs : ainsi la théorie « bow-bow », selon laquelle les onomatopées étaient à l'origine du langage ; ou encore la théorie « pooh-pooh », qui supposait que le langage dérivait des cris d'alerte chez les animaux.


https://fr.wikipedia.org/wiki/

Pour la linguistique naissante, qui voulait constituer une véritable science, il fallait mettre un terme à cette profusion d'hypothèses oiseuses par le moyen le plus radical : en 1866, la Société de linguistique de Paris, lors de sa création, inscrivit dans ses statuts qu'elle refusait toute publication relative à l'origine du langage.

Ainsi ce thème disparut-il du champ d'investigation scientifique car considéré comme un sujet peu crédible.

Crâne d'Homo habilis KNM ER 1813 de Koobi Fora au Kenya.
José-Manuel Benito Álvarez (España

Il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour que ce sujet sorte du ghetto dans lequel elle avait été plongée pendant un siècle.

Sa réapparition provint de l'émergence de nouveaux domaines d'études : recherches éthologiques, expériences d'apprentissage du langage aux grands singes, données nouvelles sur les bases anatomiques et neurobiologiques du langage, preuves indirectes issues de la préhistoire et de l'archéologie expérimentale.

La coordination de ces recherches permet désormais de dessiner des scénarios sur l'émergence du langage au cours de l'évolution et d'envisager des réponses à quatre grandes questions : quand le langage est-il apparu ?

L'évolution de cette famille a été marquée par des modifications anatomiques, morphologiques et culturelles. Pour les paléontologues, la boîte crânienne est particulièrement caractéristique des 5 formes principales de fossiles d'hominidés. © Muséum de Marseille

Quel langage parlaient les premiers hommes ?

Pourquoi est-il apparu ?

Enfin, quel lien existe-t-il entre l'essor du langage et l'apparition de l'intelligence technique ?


Reconstitution d'une hutte de Terra Amata telle qu'elle avait été proposée originellement par Henry de Lumley. José-Manuel Benito

Quand le langage est-il apparu ?

Jusque dans les années 80, une large partie de la communauté scientifique s'accordait sur le fait que le langage était apparu il y a environ 40 000 ans, en même temps que la « révolution symbolique » du paléolithique supérieur.

Cette révolution symbolique est marquée par l'avènement de l'art des grottes ornées, la diversification des outils (lames, harpons, outils en os, etc.) et la généralisation des sépultures avec offrandes.

On s'appuyait sur des indices anatomiques comme l'impossibilité d'articuler des sons chez les anciens Homo (du fait de la formation de leur larynx).

Désormais, de nouveaux indices permettent de penser que l'aptitude anatomique au langage est beaucoup plus ancienne.

Et tout porte à croire qu'il y a environ 2 millions d'années que sont apparues les premières formes de langage.

Chantier Terra Amata - Nice - Un site préhistorique où les hommes chassaient l'éléphant, entre autres !

Par ailleurs certaines données archéologiques, comme la construction de huttes ou la domestication du feu il y a 450 000 ans, suggèrent qu'à cette époque des formes élémentaires de langage existaient.
Elles étaient rendues nécessaires pour la construction des premiers campements.

Le chantier de fouilles de Terra Amata en 1966

Quel langage parlaient les premiers hommes ?

Si on retient l'hypothèse d'une apparition reculée dans le temps, quel type de langage parlaient les premiers hominidés ?

Le psychologue américain Merlin Donald a imaginé que la première forme de langage a fait son apparition chez Homo erectus, sous forme d'un langage mimétique.

Reconstitution du site de Terra Amata il y a 400 000 ans (dessin copyright Wilson)

Pour désigner un lion ou un buffle, les premiers hommes auraient utilisé le mime en adoptant leur démarche et leurs gestes caractéristiques.
Pour M. Donald, une aptitude similaire à celle dont disposent les chimpanzés à mimer autrui - à « singer », comme on dit justement - aurait créé les bases de ce langage primitif.


Selon lui, la pratique de la danse dans toutes les sociétés primitives attesterait de l'archaïsme du comportement mimétique.

Pour comprendre les possibilités et les limites de ce que M. Donald nomme la « culture mimétique » d'Homo erectus, on peut imaginer la communication que l'on emploie lorsqu'on est touriste dans un pays dont on ne connaît pas la langue.

Un aperçu de la faune de Terra Amata il y a 400 000 ans...
Photographies copyright Kroko et Neekoo pour Hominides.com.





Pour se faire comprendre, on adopte spontanément le mime.

Pour dire « manger », on porte la main à la bouche.
Pour dire « boire », on fait semblant de lever un verre, etc.

Ce mime permet donc de représenter des objets absents, des situations.
Il donne accès à une représentation différée, étape essentielle dans la définition du langage.

Mais ce langage mimétique n'ouvre pas encore la possibilité de représenter des concepts abstraits, ni d'évoquer des modalités complexes (le passé, le futur, le conditionnel).
Cela surviendra, selon M. Donald, dans un second temps, avec l'apparition d'un langage élaboré.

L'hypothèse de M. Donald est originale, mais elle présente un défaut majeur.
Si l'imitation, source de la communication mimétique, est effectivement très pratiquée chez les chimpanzés ou l'enfant humain, c'est à des fins d'apprentissage ou de jeu, jamais comme moyen de communication.

Cependant, elle a le mérite de dessiner les contours possibles de ce que peut être un langage primitif.

Quelles autres formes de (pré)langage sont imaginables ?

Michael C. Corballis, de l'université d'Auckland (Nouvelle-Zélande), a avancé la thèse d'une origine gestuelle du langage chez Homo erectus.
L'idée est que le langage aurait débuté par un langage des signes proche de celui employé par les sourds-muets.
Il avance une série d'arguments à l'appui de son hypothèse.

Tout d'abord, les limites anatomiques des Homo erectus pour la production de la parole, montrées par les travaux de Philip Lieberman, rendraient plus probable un stade gestuel préexistant à l'oral.

Par ailleurs, la gestuelle serait mieux adaptée à l'environnement des premiers hommes.
Comme ils vivent dans une savane, entourés de prédateurs, la voix leur fait courir le risque de se faire rapidement repérer, alors que le geste est silencieux.
De plus, le langage gestuel se révèle très efficace dans les activités de chasse où il ne faut pas se faire remarquer du gibier.

Ensuite, remarque M.C. Corballis, la gestuelle est très adaptée pour indiquer les directions lors des déplacements.
Le fait qu'aujourd'hui les enfants et beaucoup d'adultes parlent en accompagnant leur discours de gestes des mains serait un vestige de ce passé gestuel.

Enfin, la création spontanée par les sourds d'un langage des signes serait un argument en faveur de l'existence d'un comportement gestuel très archaïque enraciné dans le passé évolutif des êtres humains.

La thèse de M.C. Corballis est séduisante, mais elle ne permet pas de savoir pourquoi le langage des signes, paré de tant de vertus, aurait été abandonné pour l'utilisation de la voix.

Selon l'auteur, la voix procure l'avantage sur le geste de communiquer dans l'obscurité : mais cet argument va exactement à l'encontre de ce qui avait été dit plus haut sur l'avantage du geste par rapport à la voix.

Un autre argument serait que l'usage de la voix permettrait de libérer la main pour la fabrication et le maniement des outils.
Argument un peu spécieux : à ce compte, on pourrait faire remarquer que la voix interdit de manger et de parler en même temps.

La théorie la plus couramment admise sur le langage des origines est la théorie du proto-langage avancée par le linguiste Derek Bickerton.
Certes, le langage ne se fossilise pas, mais D. Bickerton a eu l'idée d'utiliser des traces de fossiles indirectes, ce qui a pu ressembler à un langage primitif.

Dans Language and Species, il propose d'utiliser quatre types de « fossiles ».

Tout d'abord, le langage utilisé par les grands singes (gorilles, chimpanzés) qui ont appris le langage des signes.
Certes, ils n'utilisent pas de langage dans la nature, mais leur faible maîtrise indique justement à quoi peut ressembler un langage soumis à de fortes limites cognitives.

Le langage des enfants de moins de 2 ans environ serait un autre indicateur possible d'un langage élémentaire.

Une autre source utilisée par D. Bickerton est le langage de Genie, une jeune « enfant-placard » qui avait été séquestrée dans une pièce depuis sa naissance, pratiquement sans aucun contact extérieur.
Lorsqu'elle fut repérée et libérée vers l'âge de 13 ans, elle ne parlait pour ainsi dire pas.
Son cas fut suivi par des psychologues, et ses (faibles) progrès dans l'acquisition du langage avaient fait l'objet d'études précises.

Enfin, D. Bickerton est spécialiste du pidgin.
Un pidgin est une langue sommaire que forgent des populations de nationalités différentes qui se retrouvent ensemble et doivent communiquer.
Ce fut le cas des esclaves africains issus d'ethnies différentes qui furent transportés dans les plantations de coton en Amérique.

En comparant ces quatre types de langages élémentaires - chimpanzé, enfant de 2 ans, « enfant-placard », pidgin -, D. Bickerton s'est rendu compte qu'ils avaient deux choses en commun.
Ces langages sont composés uniquement de mots concrets : « table », « manger », « rouge », « marcher », « gros »...

De plus, ils ne possèdent pas de grammaire.
La simple juxtaposition de deux ou trois mots suffit à définir le sens.

Ce protolangage a dû être parlé par Homo erectus, pense D. Bickerton.

Il lui aurait permis d'évoquer des objets qui ne sont pas dans l'environnement immédiat (« Niki dort », « là-bas, il y a le loup »...), voire d'indiquer des actes à venir (« moi aller montagne » ou « toi prendre arme »), mais il est inapte à construire des récits complexes ou des discours abstraits.

Ce scénario du protolangage a l'intérêt de nous forcer à penser les possibilités d'un langage primitif.

Pourquoi le langage est-il apparu ?

A la question : pourquoi les hommes parlent-ils ?, la réponse semble évidente, du point de vue des sciences évolutionnistes.

Pour échanger des informations, transmettre des messages et ainsi augmenter leur chance de survie.
Mais ce genre d'évidence ne suffit pas aux chercheurs.
En effet, selon la théorie néo-darwinienne de l'intelligence machiavélique, il est désavantageux de transmettre des informations.

Dans le monde du chimpanzé, tel que le décrit le modèle de l'intelligence machiavélique, il vaut mieux se taire et garder pour soi les informations que les transmettre.
En conséquence, l'apparition du langage constitue même un paradoxe évolutif qu'il faut expliquer.

Pour le primatologue Robin Dunbar, professeur de psychologie évolutionniste à l'université de Liverpool, l'avantage évolutif du langage ne réside pas tant dans l'échange d'informations que dans le maintien des relations sociales.

Dans Grooming, Gossip and the Evolution of Language, il soutient que le langage chez les humains tient le même rôle que l'épouillage dans les sociétés de singes.
C'est une forme de contact social destinée à entretenir les relations, à apaiser les conflits et à créer des liens d'attachement entre individus.

Pour appuyer sa thèse, R. Dunbar a mené des enquêtes sur le contenu des conversations courantes.
Lui et son équipe sont allés enregistrer les personnes qui discutent dans les cafés.

De quoi les gens parlent-ils ?

Pour l'essentiel, des relations avec les autres :
« Nous avons étudié des conversations spontanées dans des lieux divers (cafétérias d'université, bars, trains...), nous avons découvert que 65 % environ du temps de conversation est consacré à des sujets sociaux : qui fait quoi, avec qui, ce que j'aime ou n'aime pas, etc. »

Il en tire cette conclusion : le langage agit comme un « épouilleur social », il facilite la sociabilité.

Si le langage a partie liée avec les relations sociales et le maintien du contact, on peut cependant objecter à la théorie de R. Dunbar qu'elle survalorise cette dimension.
D'ailleurs, s'il avait réalisé son enquête sur des lieux de travail, dans les familles, ou bien à partir de relations téléphoniques ou d'emails, celle-ci aurait sans doute révélé les usages pratiques et fonctionnels du langage.

Toutefois, ce qui « sonne juste » dans la théorie de R. Dunbar est qu'une grande partie des conversations qui ont lieu dans les cafés ou ailleurs n'ont pas de contenu fonctionnel évident.
Les petits potins, les ragots tiennent une place de choix dans les bavardages quotidiens.
Partant de ce constat, Jean-Louis Dessalles, chercheur en intelligence artificielle, a échafaudé toute une théorie sur le rôle de ces petits potins dans l'évolution du langage.

Le propre du langage humain réside dans sa fonction référentielle, c'est-à-dire sa capacité à pouvoir rapporter les faits du monde (ce qui est impossible à la communication animale).

Pour J.-L. Dessalles, la tendance humaine à rapporter les événements a une fonction importante : celui qui parle attire l'attention autour de lui et s'attire une bonne place dans le groupe.
Et cette attitude contribue à créer des coalitions solides, des groupes stables.

Au fond, le langage aurait donc une fonction essentiellement « politique » : elle donne une prime aux bavards et aux beaux parleurs.

Cette théorie politique du langage ne manque pas d'originalité, mais est-elle vraiment convaincante ?

En effet, pourquoi l'assise politique du langage serait-elle plus importante que l'assise sociale (R. Dunbar) ou tout simplement que le rôle pratique du langage ?
On a le sentiment que l'auteur tire d'une petite cause (le besoin de raconter des potins) un énorme effet (l'émergence du langage).

Quel lien entre la naissance du langage et celle de l'outil ?

Les hypothèses récentes sur les origines du langage situent, on l'a dit, son apparition à environ 2 millions d'années, à la même époque que les premiers outils et que le genre Homo.

On peut dès lors s'interroger sur les relations qu'entretinrent langage et outil. Logiquement, plusieurs cas de figures se présentent :
- soit le langage et la technique se sont développés comme deux modules indépendants ;
- soit le langage est la cause motrice de l'apparition de l'intelligence technique ;
- soit l'intelligence technique (l'outil) est la cause de l'apparition du langage ;
- soit enfin langage et technique sont tous deux l'expression d'une aptitude plus fondamentale qui a conditionné leur développement.

Envisageons tour à tour chacune de ces hypothèses.

Première hypothèse : le langage s'est-il développé comme un module indépendant ?

L'idée que le langage se serait développé indépendamment des autres aptitudes humaines (intelligence technique, intelligence sociale notamment) est défendue par la psychologie évolutionniste.

Stephen Mithen suppose par exemple qu'Homo erectus a développé plusieurs compétences spécialisées : une intelligence technique, liée à la fabrication d'outils ; une intelligence sociale et communicative, qui suppose une compréhension des intentions d'autrui.

Avec Homo sapiens, il y a eu, selon S. Mithen, une « fusion » entre ces différentes formes de compétences.
Et cette fusion s'est faite sous la forme d'une intelligence générale ou « méta-représentationnelle ».
Cette théorie modulaire de l'évolution se heurte cependant à plusieurs objections.
D'abord, elle est coûteuse théoriquement.
Elle suppose que soient apparus au même moment plusieurs modules : une intelligence technique, une intelligence sociale, une intelligence linguistique...
De ce point de vue, la concomitance du développement du langage et de l'outil serait purement hasardeuse.

Mais la faiblesse majeure de la théorie modulariste tient surtout à ses présupposés concernant le développement cérébral.
L'idée d'aires cérébrales séparées (responsables chacune des aptitudes techniques, linguistiques, sociales) qui auraient ensuite fusionné en un super-module d'intelligence générale va à l'encontre de la voie habituelle de l'évolution des organes.

L'évolution procède en général par spécialisation progressive et non par fusion d'éléments séparés.
De plus, les données sur l'évolution neurobiologique montrent que le cerveau humain s'est développé essentiellement autour du lobe frontal et selon une imbrication forte entre plusieurs aires cérébrales (motricité, aire du langage...).

Cette imbrication des aires cérébrales dépendantes rend difficile la thèse d'une indépendance des modules cognitifs.

Deuxième hypothèse : le langage, moteur de la technique et de la pensée créatrice ?

Si le langage et la technique ne se sont pas développés indépendamment comme le prétend la thèse modulariste, se pourrait-il alors que le langage soit la cause motrice ayant permis le développement de l'outil, mais aussi d'autres aptitudes comme l'intelligence sociale, l'imagination ?

C'est l'option implicite des théories qui voient dans le langage le « propre de l'homme ».

Grâce au langage, les premiers hommes auraient acquis une forme de pensée symbolique et créatrice qui leur aurait permis d'imaginer, de concevoir, et donc de produire des objets techniques.

Notons tout d'abord que cette théorie fait l'objet de peu de démonstrations convaincantes.

En général, la primauté du langage est postulée plus que démontrée, et les liens entre langage et autres aptitudes (techniques notamment) ne font pas l'objet de descriptif précis.
C'est le principal point faible de cette théorie : de ne pas en être vraiment une.

Dans la théorie linguistique, tout se passe comme si l'être humain n'était qu'un être de parole (et qu'il n'y avait donc pas à expliquer les autres aptitudes). Cette thèse, que l'on retrouve notamment chez D. Bickerton, ne trouve en outre pas d'appuis proprement préhistoriques.

Troisième hypothèse : l'origine technique du langage.

Cette hypothèse voudrait que ce soit l'outil (ou l'intelligence technique plus exactement) qui précède et explique l'essor du langage.

Cette idée était courante dans les années 1940-1960, à l'époque où dominait la théorie de l'Homo Faber, l'homme créateur d'outils.

Aujourd'hui, ce genre d'hypothèse n'a plus vraiment cours et aurait du mal à trouver de solides arguments...
En effet, les recherches actuelles mettent en évidence des liens nets entre le langage et la manipulation gestuelle (et donc la fabrication d'outils). Tous deux impliquent le lobe frontal et les régions pariéto-temporo-frontales .

Chez les humains, comme chez les singes, le système dévolu à la reconnaissance des actions manuelles est localisé au niveau de l'hémisphère gauche, dans la région de Broca, qui est responsable du langage.

On constate que les humains sont massivement droitiers, ce qui n'est pas le cas chez les chimpanzés (qui ne sont pas ambidextres, mais indifféremment gauchers ou droitiers).
Or la partie droite du corps est sous la dépendance de l'hémisphère gauche, hémisphère qui est celui qui produit le langage.

Cette imbrication entre fonctions et aires cérébrales responsables de la gestualité et du langage montre qu'il y a eu vraisemblablement un développement combiné des deux fonctions.
Cela dit, l'état actuel des recherches ne permet pas d'invoquer une relation de causalité dans un sens ou un autre.

Quatrième et dernière hypothèse : le langage et la technique dépendent-ils tous deux d'un mécanisme sous-jacent ?
Cette aptitude pourrait être la faculté proprement humaine à produire des représentations mentales et à les combiner entre elles.
Cette théorie est davantage compatible avec les hypothèses actuelles sur l'apparition et le développement conjoint du langage et des techniques.

Sinon, sur les millions d'années d'évolution qu'a duré l'hominisation, par quel étrange hasard le langage et la technique seraient-ils apparus exactement en même temps ?

Quand le langage a-t-il émergé ?

Dans les années 80, un chercheur américain, Philip Lieberman, a imposé la thèse d'une apparition très récente de la parole.
Cette hypothèse s'appuyait sur l'étude comparée de l'appareil vocal (larynx, pharynx, tractus vocal) des hommes, des singes et des premiers humains.

Or, chez l'homme moderne, le larynx est situé au fond de la gorge, en « position basse ».
Cette position a l'inconvénient de laisser passer à la fois les aliments et l'air au fond de la gorge, d'où parfois le phénomène de « fausse route ».

En revanche, le phénomène de descente du larynx, apparu au cours de l'évolution, a permis la constitution d'un appareil vocal élaboré et l'articulation des sons.
La descente du larynx se reproduit d'ailleurs chez l'enfant au cours de son développement.

Chez le bébé, le larynx est en position haute (comme chez les chimpanzés et probablement les australopithèques) : cela lui permet de téter tout en respirant.
Puis, tout au long de l'enfance, son larynx descend, lui permettant ensuite d'articuler des sons.
D'où l'idée, selon P. Lieberman, que le langage est apparu avec Homo sapiens.

Des données anatomiques

Mais de nouvelles données ont entraîné des remises en cause de sa thèse.

En 1983, Ralf Holloway provoqua une secousse en annonçant qu'il avait repéré sur un crâne d' Homo habilis la présence embryonnaire de l'aire de Broca, une des zones cérébrales de production du langage.
Par ailleurs, en examinant la forme du basicrâne d'un Homo erectus, ce chercheur conclut que son appareil vocal était comparable à celui d'un enfant de 6 ans.
Il pouvait donc articuler une palette de sons assez large.

En 1989, la découverte sur un squelette de Neandertal de l'os hyoïde - dont la morphologie permet le mouvement du larynx nécessaire à l'articulation vocale - allait apporter un argument supplémentaire en faveur de l'existence d'un langage articulé chez les ancêtres des hommes modernes.

Une autre série d'arguments indirects furent mis au crédit de l'idée d'une apparition ancienne du langage.

Pour de plus en plus de préhistoriens, il apparaissait évident que les activités des premiers hommes, comme la construction des huttes ou la domestication du feu, impliquaient une organisation sociale et donc une communication langagière au moins élémentaire.

Aujourd'hui, la plupart des spécialistes envisagent l'apparition du langage en deux étapes : une première phase de langage primitif ou proto-langage parlé par l'Homo erectus, suivie par le langage complexe avec Homo sapiens.

Reconstitution de la hutte de Terra Amata

A Terra Amata, près de Nice, Henry de Lumley et son équipe ont dégagé les vestiges d'une habitation ancienne vieille de 380 000 ans. Cette hutte ovale (ici reconstituée), de 6 mètres de long et de 4 mètres de large, fut habitée par les derniers représentants des Homo erectus. H. de Lumley estime que dix à vingt personnes ont pu y séjourner.

Construire une belle cabane exige l'usage d'une langue, même sommaire. A la différence des outils de pierre (comme les bifaces) qui se fabriquent et s'utilisent seul, la construction d'une telle hutte exige le travail de plusieurs personnes, qui coordonnent leur activité : pour choisir l'emplacement, couper le bois, le transporter, aménager le sol, trouver des pierres de soutènement, etc.
On pourrait à la limite imaginer que cela soit fait de façon séparée par plusieurs personnes. La mise en place de l'armature centrale (pilier et branches porteuses) requiert forcément une activité collective concertée.

Sans doute un leader a pris la direction des opérations et donné des ordres : « Toi, va chercher des branches » ; « toi, nettoie le sol ». Tout cela exige donc une forme de langage, même rudimentaire.
Ce langage ne requiert pas de mots abstraits, ni même de structures grammaticales : « Toi, chercher bois » pourrait suffire.
On peut souvent joindre le geste à la parole : « Prends par là... par ici » (en montrant la branche) ; « pousse-la vers moi » ; « plus haut, plus haut ! » ; « voilà, ne bouge plus... ».
Il faut faire comprendre à l'autre ce que l'on veut faire.

La construction de huttes suggère donc que les Homo erectus tardifs, voici 400 000 ans, vivaient dans des groupes organisés (pour vivre et travailler en commun) et maîtrisaient un langage au moins élémentaire. La construction de huttes est contemporaine d'une autre innovation fondamentale dans l'histoire de l'homme : la domestication du feu.
Les linguistiques cognitives

Les « linguistiques cognitives » sont apparues depuis les années 70. Elles désignent une famille de recherches qui, bien que non unifiées, partagent un postulat commun sur les fondements du langage. Elles soutiennent que le langage est sous la dépendance de processus cognitifs sous-jacents : schémas perceptifs et images mentales.
Pour dire vite, ce n'est pas le langage qui structure la pensée, c'est la pensée qui façonne le langage.
- Ainsi, pour exprimer les modalités grammaticales telles que le temps (expression du futur, du passé, du présent), il faut d'abord se représenter le monde sous forme temporelle. La forme grammaticale n'est qu'un dérivé du schéma cognitif sous-jacent.
- Les catégories du langage telles que le verbe exprimant l'action (« manger », « sauter », « courir »), le sujet exprimant l'agent (celui qui agit), les déterminants (où, et, dans...) dépendent eux aussi de schémas cognitifs préalables (représentations de l'espace, représentation de l'action, de la causalité).
- Si on adopte cette approche, l'émergence du langage ne peut plus être conçue comme un mécanisme cognitif autonome, mais doit être envisagée comme la spécialisation d'une aptitude plus fondamentale qui se serait déployée également dans d'autres domaines (intelligence sociale, intelligence technique).

Par Jean-François Dortier - 01/12/2003.









vendredi 1 mars 2019

Les Scythes.

Par Wikipédia

Les Scythes étaient un ensemble de peuples indo-européens d'Eurasie en grande partie nomades et parlant des langues iraniennes.

Le collier-pectoral gréco-scythe en or du Kourgane royal de Ordjonikidzé, Ukraine - seconde moitié du ive siècle av. J.-C..Д.Колосов — фото (сайт А-фото)

Originaires d'Asie centrale ils ont vécu leur apogée entre le VIIe siècle av. J.-C. et la fin de l'Antiquité, notamment dans les steppes de l'Eurasie centrale, une vaste zone allant de l'Ukraine à l'Altaï, en passant par la Russie et le Kazakhstan.

Tailles comparées de la Scythie et du territoire des Parthes en 100 av. J.-C..
Dbachmann

Les Perses désignaient ces peuples par le nom de Sakas, francisé en Saces.
De nombreuses sources antiques attestent des peuples scythes, les Assyriens mentionnent les Saces dès −640.

Un négociant sogdien sur un chameau de Bactriane. Figurine chinoise, période Tang, viie siècle.

Connaissance des Scythes

Le peuple et la culture scythes nous sont essentiellement connus grâce aux textes des géographes grecs et romains.

Ainsi, pour les géographes grecs, le monde scythe, situé au Nord de la Grèce, constitue l'un des quatre mondes barbares répartis géographiquement selon les points cardinaux.

Carte des royaumes Indo-Scythes en Inde à leur apogée au ier siècle av. J.-C.

L'antique culture du cavalier scythe est principalement connue grâce aux récits de l'historien grec Hérodote qui séjourna auprès des Scythes de la mer Noire.

Ses récits constituent une source d'information très riche, mais ce « coup de projecteur » jeté sur les Scythes d'Ukraine pourrait faire penser que le phénomène scythe était essentiellement européen.

Paysage de la steppe pâturée au Kazakhstan en été - Togzhan Ibrayeva —

Les Scythes ont en réalité joué un rôle encore plus important en Asie qu'en Europe.

Pour les étudier, nombreux sont les vestiges archéologiques et de l'art des steppes : les nomades scythes ont laissé leurs tombes, appelées « kourganes », très richement pourvues de matériel parfois très bien conservé, ainsi que des stèles anthropomorphes et des roches gravées de motifs animaliers.

Applique en or représentant des guerriers scythes avec des arcs, Panticapeum, Crimée. ive siècle av. J.-C., Musée du Louvre. PHGCOM

Par extension, le terme « Scythe » a parfois été utilisé pour désigner d'autres peuples nomades d'Eurasie ethniquement proches ou culturellement influencés par les Scythes, mais le consensus scientifique actuel est que les Scythes proprement dits sont les peuples indo-européens antiques d'Eurasie centrale qui parlaient au niveau véhiculaire et religieux une langue iranienne, et qui avaient en partie un mode de vie de cavaliers nomades.

Une épingle à cheveux en or, kourgane d'Arjan, viiie siècle av. J.-C., de la Touva dans le sud de la Sibérie russe.  Derzsi Elekes Andor

Origines de la culture scythe

Durant le IIe millénaire av. J.-C., la culture d'Andronovo, du nom d'une nécropole située sur l'Ienisseï, se développe au Kazakhstan et en Sibérie méridionale, allant de l'Oural à l'ouest, au lac Baïkal à l'est, et jusqu'au Syr-Daria au sud.

Mouflon (urial).(ovis orientalis blandford) Afghanistan, kourgan de Tillyan tepe, ier siècle avant notre ère. Or, 5,2 × 4 cm. Musée National d'Afghanistan
Robert Kluijver

La culture d'Andronovo dispose du char de guerre à deux roues, tiré par deux chevaux, ce qui a sûrement beaucoup contribué à l'expansion de ses porteurs. Ses membres vivaient en partie de façon sédentaire dans des villages, cultivaient la terre et élevaient des animaux.
Ils fabriquaient des armes et des outils en bronze.

Une plaque ornementale en or, représentant un animal composite, représentatif de l'art animalier scythe, provenant d'un kourgane du Kazakhstan, ve siècle av. J.-C. Derzsi Elekes Andor

Au cours des XIIIe et XIIe siècles av. J.-C., afin de faciliter la transhumance, les éleveurs construisirent des habitations coniques démontables aux murs en claie, dont le toit comportait une ouverture centrale.
Ce fut le prototype de la yourte, toujours utilisée par tous les nomades de l'Asie centrale.

Un griffon en or et argent, provenant d'un kourgane du Kazakhstan, ive siècle av. J.-C. Derzsi Elekes Andor

Pour l'origine des Scythes, l'école russe privilégie la culture d'Andronovo, adoptant quelques changements importants.

Le plus marquant est l'abandon de l'agriculture au profit du nomadisme pastoral au cours ou avant le VIIIe siècle av. J.-C.

Le cerf d'or, Musée national hongrois. Cette parure en or, forgée vers le vie siècle av. J.-C., ornait le bouclier d'un prince scythe de Hongrie.- Yelkrokoyade

Les hommes d'Andronovo étaient de type europoïde et de langue probablement iranienne et à l'origine de toutes les langues et cultures iraniennes qui suivront (Mèdes, Perses et Scythes), ils descendaient eux-mêmes théoriquement et indirectement de la culture de Yamna des rives nord de la mer Noire dans le cadre de l'expansion des peuples indo-européens.

Reconstitution de la tunique d'or d'un chef scythe à partir d'artefacts du kourgane d'Issyk, Kazakhstan. Derzsi Elekes Andor

En 2015, une vaste étude fondée sur l'ADN autosomal des anciennes populations eurasiennes a montré que la culture d'Andronovo et celle des Scythes sont essentiellement descendantes de la culture de Sintashta qui provient elle-même essentiellement de la culture de la céramique cordée en Europe du centre-nord (et non directement de Yamna), dans le cadre d'une seconde vague de migrations indo-européennes durant l'âge du bronze depuis l'Europe vers l'Asie qui est hypothétiquement à l'origine du rameau des langues indo-iraniennes.

Peigne gréco-scythe en or. Kourgane de Soloha. (près Nikopol Ukraine). ive siècle av. J.-C. Musée de l'Ermitage.

Il y avait durant l'âge du bronze un continuum génétique et ethnoculturel depuis l'Europe centrale jusqu'à l'Altaï.

Il y a un stade intermédiaire entre la culture d'Andronovo et celle des Scythes : la culture de Karassouk.

Collier-pectoral en or du Kourgane royal d'Ordjonikidzé (Ukraine). Art gréco-scythe, seconde moitié du ive siècle av. J.-C. Musée des trésors historiques de l'Ukraine, Kiev. Terminator

Elle est datée du XIIIe au VIIIe siècle av. J.-C. et s'étendait sur la Sibérie méridionale, à l'ouest de l'Ienisseï, et sur une large partie du Kazakhstan et de la Mongolie.

C'est dans le cadre de cette culture, durant sa phase finale, que les mutations se sont produites : le passage au nomadisme, mais aussi l'introduction de la métallurgie du fer.

Les selles de chevaux, ainsi qu'un harnachement permettant le développement de la cavalerie montée, font leur apparition.

Les hommes de Karassouk ont surtout laissé des tombes.

Vase en or gréco-scythe du kourgane de Kul-Oba, Ukraine, représentant des guerriers scythes. Joanbanjo

Leurs techniques de construction des sépultures et leur poterie étaient issues de celles d'Andronovo, ainsi que certains de leurs bijoux, comme leurs pendentifs tubulaires ou en forme de palme.

Ensemble de pierres à cerf près de Mörön, dans la province mongole de Hövsgöl. Aloxe

Les kourganes

Les tombeaux des Scythes sont des tumulus, encore appelés kourganes par les archéologues de l'école russe, ils peuvent atteindre une taille monumentale.
La tombe proprement dite est constituée d'une ou plusieurs chambres funéraires enterrées construites en bois ou en pierre, dans laquelle sont parfois accumulées de nombreuses richesses que le défunt doit emporter dans l’au-delà.

Stèles anthropomorphes scythes en Ukraine - Boris Rybakov

Ce type de tombe est aussi le fruit d'un important culte des ancêtres dont le souvenir est ainsi pérennisé pour les générations suivantes dans le paysage des grandes prairies, ainsi de nos jours les steppes d'Europe et d'Asie sont encore marquées par ces nombreuses collines artificielles parfois organisées en vastes groupes ou en lignes de plusieurs kilomètres.

Le nationalisme romantique : Bataille entre Scythes et Slaves (Viktor Vasnetsov, 1881). Viktor Vasnetsov

Ce type d’inhumation était caractéristique des différentes populations indo-européennes semi-nomades des steppes d'Eurasie qui se sont succédé depuis la culture de Yamna.
Les différences de taille reflètent des différences de statut social : les plus grands tumulus sont ceux des rois.

Le kourgane d'Arzhan, par exemple, dans la Touva en Sibérie méridionale, daté du VIIIe siècle av. J.-C. c'est-à-dire des débuts de la culture scythe proprement dit, est constitué d'un remblai en pierres de 120 m de diamètre et de 3 à 4 m de haut qui recouvre une structure constituée de 70 cages en rondins rayonnant autour d'un double noyau central.

On y a retrouvé les restes de 300 chevaux qui devaient provenir d'un festin funéraire.
L'archéologue M. P. Griaznov a estimé que 1 500 hommes ont dû travailler durant une semaine pour édifier cette structure.

Un homme et une femme vêtus de fourrures richement ornées sont enterrés au centre, dans des sarcophages.
Ils sont accompagnés par quinze hommes et par 160 chevaux entièrement harnachés.
On y a retrouvé des tapis, les plus anciens du monde, rehaussés d'or et d'argent, ainsi que des armes et des sculptures, et des milliers d'objets en or finement ouvragés.
Ils fournissent des exemples de l'art animalier caractéristique des Scythes.

De grands kourganes, de 100 à 200 m de diamètre et d'une hauteur atteignant les 17 m, parsèment également l'Altaï, ainsi que, plus à l'ouest, le Kazakhstan.

Les kourganes de Pazyryk, en Sibérie méridionale, à environ 500 km au sud-ouest du site d'Arjan, sont d'un intérêt exceptionnel.
 Ils sont datés du vie au IVe siècle av. J.-C..

Les plafonds de leurs chambres funéraires s'étant effondrés, elles se sont remplies d'une eau qui a ensuite gelé, permettant une excellente préservation de leur contenu.
On y a trouvé des objets en cuir et en bois, des tentures de feutre, des tapis et des coussins rembourrés de poils d'animaux ou d'herbe, qui contribuaient au confort des nomades.

Ils dormaient, semble-t-il, sur des tapis, la tête posée sur un oreiller en bois recouvert de cuir.
Ils possédaient des tables basses ou des plateaux.
L'une de ces tables avait des pieds démontables.
Le seul animal fantastique connu des gens de Pazyryk était le griffon.
On le retrouve chez les Scythes d'Europe, ainsi que chez les Perses.

L'archéologie révèle certaines différences entre Scythes d'Europe et d'Asie.

 Ainsi, les premiers avaient un bestiaire fantastique beaucoup plus développé que les seconds.
Les chaudrons avaient un pied en Europe et trois en Asie.
Les Scythes avaient de lourds plateaux surélevés en bronze qui servaient peut-être d'autels portatifs.

Aspect physique

Les Scythes sont généralement décrits comme étant d'aspect europoïde par les auteurs anciens et les anthropologues.

L'historien grec Hérodote du Ve siècle av. J.-C., qui a lui-même séjourné chez les Scythes, les décrit comme roux avec des yeux gris.

Au IIIe siècle av. J.-C., le poète grec Callimaque décrit les Arimaspes de Scythie comme blonds.

Au IIe siècle av. J.-C., Zhang Qian, un envoyé et explorateur chinois de la dynastie des Han, décrit les Sai (Scythes) comme étant blonds avec les yeux bleus.

Dans l'Histoire Naturelle, du Ier siècle, l'auteur romain Pline l'Ancien caractérise les Serres, identifié comme Iraniens (Scythes) ou Tokhariens, aux cheveux roux et aux yeux bleus.

À la fin du IIe siècle, le théologien chrétien Clément d'Alexandrie écrit que les Scythes sont blonds.
Toujours au IIe siècle le philosophe grec Polemon comprend les Scythes parmi les peuples nordiques caractérisés par les cheveux blonds ou roux et les yeux bleu-gris.

À la fin du IIe siècle ou début du IIIe siècle de notre ère, le médecin grec Galien déclare que les Sarmates, les Scythes et les autres peuples du Nord ont les cheveux roux.

L'historien romain du IVe siècle Ammien Marcellin a écrit que les Alains, un peuple étroitement lié aux Scythes, étaient grands, blonds et aux yeux clairs.

Au IVe siècle l'évêque Grégoire de Nysse écrit que les Scythes avaient le teint clair et les cheveux blonds.

Au Ve siècle le médecin Adamantios, qui suit Polémon, écrit que les Scythes sont blonds.

Cependant il est possible que les descriptions physiques tardives de Adamantios et de Grégoire de Nysse se réfèrent à des tribus germaniques orientales présentes dans les mêmes zones, celles-ci ont souvent été confondues avec les Scythes dans les sources romaines les plus tardives, car ces populations se ressemblaient.

Une étude génétique a montré en 2008 que les populations du sud de la Sibérie, de l'âge du bronze (culture d'Andronovo et de Karassouk, qui sont ancêtres des Scythes), et de l'âge du fer (cultures scythes proprement dit), avaient très majoritairement un phénotype européen du nord avec une peau claire, et en majorité des yeux et cheveux clairs, ces populations sont également porteuses de l'haplogroupe Y R1a1 originaire d'Europe du nord et de l'est.

La culture scythe de Pazyryk localisée dans l'Altaï, qui se différencie culturellement des autres cultures scythes et en représente une des branches les plus orientales, est la seule qui est mélangée en proportion significative, bien que minoritaire, avec le type mongoloïde.

Histoire des Scythes

En Europe

Selon Hérodote, les Scythes habitaient originellement de l'autre côté de l'Araxe. Ce fleuve serait la Volga.

Ils délogent les Cimmériens, peuple proto-scythe qui a laissé son nom à la Crimée, du nord de la mer Noire, les forçant à se diriger vers l'Anatolie et les Balkans.
Les ayant poursuivis, les Scythes atteignent l'Assyrie, où ils s'allient au roi Assurbanipal contre les Mèdes (-669 à -626).

Les textes assyriens donnent les noms de deux chefs scythes : Iskpakāy et Partatûa.
Changeant ensuite d'alliance, les Scythes contribuent à la chute des Assyriens, puis ils dominent et pillent la Mésopotamie et la Judée pendant 28 ans, laissant des traces archéologiques de leur présence tel le trésor mannéen de Ziwiyé.

Ils envahissent également une partie de l’Égypte, où leur départ est acheté par le pharaon Psammétique Ier venu à leur rencontre.
Puis ils retournent dans les steppes de la mer Noire.
L'archéologie montre que les Scythes étaient établis en Ukraine au début du VIIe siècle av. J.-C.

Les Scythes pénètrent également à plusieurs reprises en Europe centrale, où de nombreuses traces archéologiques de leur présence sont attestées, notamment en Transylvanie et la plaine hongroise.

Les habitats fortifiés de la culture proto-celte de Hallstatt en Slovaquie sont attaqués par les Scythes dans la seconde moitié du VIIe siècle av. J.-C.

Leur présence est également attestée en Pologne et en Tchéquie (kourganes avec trésors scythes).
Ils sont suspectés d'être à l'origine de la chute de la culture de la Lusace.

À cette époque, les Grecs fondent des colonies au nord de la mer Noire, comme la cité d'Olbia du Pont où séjourne Hérodote.

Cette présence grecque au Nord de la Mer Noire met les Grecs en contact direct avec les Scythes.
Leurs relations commerciales, culturelles et artistiques ont été très intenses, une véritable culture gréco-scythe riche en productions a fleuri sur le territoire de l'actuelle Ukraine et de la Crimée, en dépit des inévitables conflits entre les Grecs sédentaires et les Scythes nomades.

Le terme « Scythe » désigne parfois au sens strict seulement ces Scythes de la mer Noire qui forment alors un sous-groupe distinct parmi les peuples scythiques, mais les Grecs utilisent le terme également pour nommer tout l'ensemble des populations scythiques d'Asie.

Souvent, les deux populations n'entretiennent pas de relations continues, mais se rencontrent au gré de la remontée des fleuves par les marchands grecs.

L'armée perse compte de nombreux Scythes d'Asie centrale (Saces), durant les guerres médiques contre les Grecs, où ils se distinguent aux batailles de Marathon et de Platées.

Au IVe siècle av. J.-C., un roi scythe, Ateas, rassemble sous son autorité de vastes territoires scythes d'Europe entre le Danube et la mer d'Azov, et effectue une tentative d'expansion vers l'ouest, peut-être liée à une pression exercée à l'est par les Sarmates, autre peuple scythe du Kazakhstan occidental.

En 339 av. J.-C., à l'âge de 90 ans, il est tué par les Macédoniens, sous Philippe II de Macédoine, lors d'une bataille sur le Danube.

Au IIIe siècle av. J.-C., les Sarmates, un peuple scythique donc, repoussent les Scythes de la mer Noire en Crimée et les remplacent dans la majeure partie des steppes européennes.

Sédentarisés et hellénisés, les anciens Scythes de la mer Noire constituent sous l'autorité du roi Scilurus un royaume réduit entre le bas Dniepr et le nord de la Crimée.

La cité grecque d'Olbia du Pont, l'un des plus importants ports d'échange de la Scythie vers la Méditerranée, est intégrée comme vassale de ce royaume mixte gréco-scythe dont la capitale était Neapolis.

Les Scythes de la mer Noire ont constitué une ethnie distincte jusqu'au IIIe siècle de l'ère chrétienne.

D'autres peuples scythiques plus tardifs, et notamment dérivés des Sarmates, ont joué un rôle dans l'histoire européenne durant l'Antiquité tardive et jusqu'aux grandes invasions, comme les Iazyges, les Taïfales, les Roxolans et enfin les Alains.

Les Scythes et la Perse achéménide

Les Scythes, appelés « Sakas » par les Perses, francisé en « Saces », ont des liens de parenté culturels avec les anciens Perses, car ils partagent probablement, au moins partiellement, des origines ethno-culturelles et linguistiques communes en Eurasie centrale, ces deux populations parlent notamment des langues iraniennes encore assez proches.
De plus les peuples nomades Scythes sont les voisins de la Perse Achéménide au nord.

Mais alors que la Perse est un grand empire agricole et sédentaire très puissant et centralisé, les Scythes sont des peuples de cavaliers pastoraux nomades farouchementS indépendants et politiquement éclatés. De ce fait les relations entre les deux blocs sont intenses et complexes, faites de nombreux conflits de pouvoir, d'invasions réciproques, et d’alliances militaires.

Hérodote relate de manière très prolixe une très importante campagne militaire Perse en Scythie d'Europe, en mer Noire, menée par Darius Ier vers 513 av. J.-C.

Les motivations de Darius sont mal connues et on ne sait s'il voulait seulement châtier les Scythes à la suite d'une éventuelle invasion de ces derniers en Perse en soutien aux Saces d'Asie centrale, ou s'il avait pour projet d'intégrer toute la Scythie à un vaste empire pan-iranien qui rassemblerait tous les peuples de culture iranienne sous son autorité, comme cela a été supposé par plusieurs auteurs.

Mais une autre hypothèse est que cela s’inscrit dans le cadre d'une stratégie plus globale de conquête de l'Europe, Darius ayant préalablement soumis une partie de la Thrace en alliance avec les Ioniens au sud du Danube.

Selon Hérodote, Darius mena la plus grande armée jamais vue (plus de 700 000 hommes, ce qui est probablement exagéré) arrivée dans une immense flotte que les Grecs virent passer stupéfaits, pour envahir la Scythie.

Les Scythes ont tenu un grand conseil entre les rois des peuples scythes et des peuples voisins.
Ils ont obtenu l'alliance des Gélons, des Boudines et des Sauromates (ancêtres des Sarmates), mais beaucoup d'autres ont décidé de ne défendre que leur propre territoire.

Les Scythes alliés se divisèrent en trois groupes commandés par trois rois :
- Idanthyrsos (neveu du philosophe Anacharsis),
- Skôpasis et
- Taxakis.
Ils firent évacuer les non combattants (femmes et enfants) en zone protégée vers le nord dans une immense cohorte de chariots, puis ils attirèrent Darius et son armée pour les perdre dans des territoires inconnus d'eux, en particulier dans les lieux les plus arides.

Les Perses s’épuisèrent dans un périple extravagant à travers la Scythie d'Europe et le pays des Sauromates à l'est du Don.
Une fois les Perses revenus à l'ouest du Don, un célèbre dialogue eu lieu, Darius réclama selon la coutume iranienne « la terre et l'eau » en signe de soumission des Scythes.

Idanthyrsos répliqua « je te ferai pleurer pour avoir osé t'intituler mon maître ! ».

Les Scythes en sous-nombre se mirent à harceler jours et nuit l'armée perse (qui est très majoritairement faite de fantassins) par des raids de cavalerie et à couper le plus possible leurs ravitaillements.

Ils ont essayé de convaincre les Ioniens de trahir leurs alliés Perses en coupant la retraite de ces derniers sur le Danube faite de ponts de bateaux reliés, ce qui échoua.
Au lieu de « la terre et l'eau » réclamées par Darius les Scythes envoyèrent un oiseau, un rat, une grenouille et cinq flèches, invitation à s’enfuir et signe d'un sort funeste.

Enfin les Scythes ont fait semblant d'accepter une bataille rangée, normalement suicidaire pour eux.
Mais quand les deux camps se trouvèrent face à face, les Scythes se sont mis à la chasse au lièvre à cheval dans la steppe devant les Perses.

Darius impuissant et dégoûté avec son immense armée de fantassins assoiffés ordonna la retraite.
Les Perses purent retraverser le Danube sur les ponts gardés par les Ioniens.

Cette campagne qui dura 60 jours est fort probablement exagérée sur de nombreux points par la légende dans le récit d'Hérodote, Strabon en fait un récit plus modéré.
Toujours est-il qu'à la suite de ces événements les Scythes ont gagné durablement une réputation d'invincibilité auprès des Grecs.

Pour se venger des Perses, toujours selon Hérodote, les Scythes d'Europe se seraient alliés à Sparte.

 Le roi de Sparte Cléomène serait même devenu fou à force de boire « à la scythe » (vin non coupé d'eau) lors des nombreuses rencontres diplomatiques festives avec les rois Scythes.
Mais cette alliance fut semble-t-il sans suite militaire effective.

Les Scythes prirent cependant aux dépens des Perses la « Chérsonèse de Thrace » au sud du Danube selon Hérodote.

Le scythe Arsace Ier fonde l'Empire parthe

Arsace Ier est le chef des Parni, une tribu scythe de la confédération des Dahéens qui vivait approximativement entre la mer Caspienne et la mer d'Aral, quand cette tribu fait la conquête de la province perse de Parthie qui était alors en rébellion contre l'empire gréco-perse des Séleucides.

Il y fonde la dynastie des Arsacides.
Un de ses successeurs, Mithridate Ier, fait la conquête d'une grande partie de l'empire des Séleucides au iie siècle av. J.-C. et fonde ainsi le puissant Empire parthe qui prend la place de l'ancien empire Perse.

Sous les Arsacides l'utilisation plus généralisée des techniques militaires propres aux Scythes, tel que l'importance première accordée à la cavalerie lourde aristocratique, les cataphractaires, les archers montés et le célèbre tir parthe, feront la puissance de cet empire et sa résistance face aux Romains.

En Asie centrale et orientale

L'histoire des Scythes d'Asie centrale et orientale est beaucoup plus mal connue, de même leur extension maximale vers l'est et le nord fait débat.
Les Scythes commerçaient sans doute directement avec les Chinois, ou par l’intermédiaire des Tokhariens, un autre peuple indo-européen établi plus à l'est encore.
Mais il est certain qu'ils ont joué un rôle important dans l'établissement du commerce transcontinental, notamment la Route de la Soie qui se développa surtout à l'époque où les Scythes régnaient sur la plus grande partie de l'Asie centrale, et qui sera un atout majeur de l'Empire parthe.

Un peuple scythe a fondé au IIe siècle av. J.-C. le royaume de Khotan, au sud-ouest du bassin du Tarim, passage obligé de la Route de la Soie où étaient établis également les Tokhariens.

Il a laissé de nombreux documents écrits bouddhiques, les seuls qui permettent de bien connaître une langue scythe.

Ces documents ne remontent pas plus loin que le VIIe siècle de l'ère chrétienne, mais le vocabulaire des Tokhariens, leurs voisins indo-européens orientaux, comprend des mots qui ont dû être empruntés aux Khotanais depuis le début de l'ère chrétienne.
En vérité, tout l'ouest du bassin du Tarim était scythe, en particulier l'oasis de Kashgar.

L'archéologie indique que les Scythes étaient présents dans cette région depuis le début du Ier millénaire av. J.-C.

Ces Scythes étaient appelés Sakaraukai par les Grecs et Sai-wang par les Chinois. Il y a une étonnante correspondance, puisque wang signifie « roi » et que raukai s'interprète par le khotanais rūkya-, prononcé *raukya- à un stade antérieur, qui signifie « commandant, chef ».

Le terme Sai, prononcé *Sek durant l'Antiquité, est la désignation chinoise des Scythes.
Ainsi, ces gens étaient les « Saces-Rois ».
Ils évoquent les « Scythes royaux » dont parle Hérodote.
L'art et la culture scythe semble avoir eu une influence, directe ou indirecte, sur les cultures d’Extrême Orient.

Un autre peuple scythe de l'actuel Ouzbékistan, les Sogdiens, fondent plusieurs cités dont Samarcande, toujours sur la Route de la Soie, vers le IVe siècle av. J.-C. et se sédentarisent.
Ils connurent un apogée culturel et commercial très important à la fin de l'Antiquité et le début du Moyen Âge, en dominant le commerce d'Asie centrale et sur la Route de la Soie.

Ils ont exercé une importante influence culturelle dans la Chine des Tang.

Au IIe siècle av. J.-C., des Yuezhi, un peuple tokharien originaire de la province actuellement chinoise du Gansu, sont contraints d'émigrer vers l'ouest chassés par les Xiongnu de Mongolie.

Les Yuezhi poussent devant eux des tribus scythes, qui arrivent en Bactriane, au nord de l'Afghanistan.
Les Yuezhi les y ayant rejoints, ces scythes doivent se déplacer plus au sud, au Cachemire puis au sud de l'Afghanistan, où ils donneront leur nom à la province du Séistan ou Sistan : ce nom était autrefois prononcé Sakastan « Pays des Sakas ».
De là, ils se dirigent vers la plaine de l'Indus et y fondent des royaumes.

Les Indo-Scythes

Les Scythes descendus depuis l'Asie centrale, poussés par les Yuezhi, fondent donc un royaume au Sakastan au IIe siècle av. J.-C..

Puis, au Ier siècle av. J.-C., le roi scythe Mauès (en) (-120 ? - -85 ?), agrandit leur royaume dans une grande partie du Nord de l'Inde : sur la totalité du bassin de l'Indus et l'Ouest de la plaine du Gange, en remplaçant en grande partie les Indo-Grecs qui y étaient précédemment établis dans les suites indirectes des conquêtes d'Alexandre le Grand.

Les rois indo-scythes conservent en grande partie leur culture scythe avec des apports helléniques (gréco-bactriens et indo-grecs).

Ils ont laissé du vocabulaire qui s'interprète principalement grâce au khotanais. Par exemple, le terme maja « ravissant » correspond au khotanais māja « ravissant ».

Le nom de Maues s'explique sans doute par le khotanais mauya ou muyi, qui signifie « tigre ».
Les Indo-Scythes durent le temps d'une dynastie, et sont ensuite supplantés par les Indo-Parthes ainsi que les Kouchans, une tribu des Tokhariens Yuezhi qui y fondent un empire.

Les Scythes émigrent alors vers le Gujarât et le Mâlwâ.

Ces Scythes d'Inde, indianisés et hellénisés, subsistent en principautés jusqu'au IVe siècle apr. J.-C. : principalement les Satrapes occidentaux, mais aussi dans la plaine du Gange.

Une dynastie installée à Ujjain règne sur une partie du Râjasthân jusque dans les années 380.
On doit à l'un de ses plus célèbres rois, Rudradâman, mort en 150, la plus ancienne inscription dans la forme classique du sanskrit, trouvée à Gimar.
Les dernières principautés scythes d'Inde sont détruites par la dynastie Gupta sous Chandragupta II (376-415).

La culture scythe

Mode de vie

Les Scythes étaient surtout des éleveurs nomades, mais aussi semi-nomades ou des agriculteurs sédentaires, selon les conditions locales et les opportunités.

Nomadisme

Le nomadisme scythe était « territorial », il n'a pas de rapport avec un nomadisme errant ou sous-développé, mais était le fruit d'un long développement de techniques complexes et très rodées, après avoir longtemps expérimenté l'agriculture et l'élevage sédentaire qui a peu à peu évolué vers le nomadisme.

Les tribus scythes connaissaient, possédaient et défendaient chacune leur propre territoire qu'elles parcouraient.

Le nomadisme a pris son essor notamment grâce au développement de la cavalerie montée, qui a permis de mieux tirer parti de toutes les ressources du territoire très particulier qu'est la steppe, cet océan d'herbe qui demandait à être conquis par des techniques novatrices, aboutissant ainsi à une véritable civilisation du cheval et de la steppe très sophistiquée.

Le nomadisme errant n'a existé que lorsqu'une tribu perdait le territoire de ses ancêtres et devait alors en rechercher un autre.

Dans les grandes steppes et prairies eurasiatiques, le nomadisme consistait en une transhumance des troupeaux afin de suivre les zones de pâturage abondant en fonction des saisons, selon un cycle régulier.
Les distances parcourues surtout nord-sud pouvaient être de 400 à 1 500 km.

Ainsi les prairies et steppes boisées plus septentrionales au climat plus frais et humide étaient pâturées en été lorsqu'elles n'étaient pas couvertes de neige, tandis que les steppes plus maigres et surtout les vallées alluviales marécageuses des régions plus méridionales au climat plus aride étaient pâturées en hiver et au printemps.

Dans les régions plus montagneuses les déplacements, plus courts, se faisaient entre pâturages d'été en altitude et pâturages d'hiver dans la plaine.

La topographie et les climats locaux étant très variés en Asie centrale, différents types de transhumance existaient.

Dans le même temps, grâce à une métallurgie très sophistiquée, les Scythes ont pu développer des techniques d'attelage et de harnachement des chevaux de plus en plus élaborées et devenant un des supports les plus importants de l'art scythe.

Le bétail était varié, il était essentiellement constitué de bovins ou de moutons suivant les zones, mais l'animal le plus précieux était le cheval (qui était à la fois objet de légendes, monture du cavalier, animal de trait indispensable au nomadisme, fournisseur de lait de jument ainsi qu'un animal de guerre).

Le lait et surtout ses produits dérivés était l'aliment de base des nomades, plus encore que la viande dont la productivité était moindre en comparaison mais celle-ci était aussi un des aliments les plus importants.

Le lait de jument fermenté était le plus apprécié et était bu dans des rhytons en corne de vache décorée pour les plus modestes, en bronze, ou en or massif ornée d'une tête d'animal (mouflon, félin, bouquetin) pour les nobles.

De plus le territoire parcouru par les Scythes étant riche en cours d'eau, marais, lacs et mers intérieures poissonneuses, le poisson était donc aussi une ressource non négligeable.

De nombreux animaux étaient également chassés (une grande faune sauvage existait encore à cette époque dans les steppes) mais cela constituait plus une activité de prestige qu'une ressource importante comparé à l'élevage.

A cela s'ajoutaient les produits végétaux et les céréales localement cultivés et échangés.
Selon Hérodote, les Scythes d'Europe étaient également de grands buveurs de vin, qu'ils buvaient « à la scythe » c'est-à-dire pur et non coupé d'eau contrairement aux Grecs.

Les nomades vivaient principalement dans de grands chariots à quatre roues à rayons, couverts d'une tonnelle en feutre.
Ils étaient souvent tirés par des bœufs, plus endurants que les chevaux à l'époque pour le trait.

D’après les sources grecques, lors des déplacements les femmes et les enfants conduisaient les chariots tandis que les hommes étaient à cheval pour conduire les troupeaux et mener la garde.

Les chariots des personnes de haut rang pouvaient être richement meublés à l'intérieur et confortablement aménagés à l'aide de tapis peut-être importés de Perse (les plus anciens connus proviennent des kourganes scythes), des étoffes de feutre aux couleurs vives, et du mobilier à base de bois, d'os, de métaux, de dorures, de fourrure et de cuir travaillé et décoré.

Les kourganes gelés de l'Altaï ont permis d'avoir un rare aperçu sur le confort et le luxe que pouvait atteindre ce type d'habitat.

Les nobles et les rois pouvaient posséder plusieurs dizaines de chariots conduits par des serviteurs, constituant des sortes de palais roulants, et de nombreux chevaux aux harnachements riches et pompeux.

Il était fréquent que la tête des chevaux soit surmontée de longues cornes de bouquetin ou de bois de cerf ou d'élan, leur donnant l'aspect d'animaux fantastiques.
Toutes ces richesses étaient enterrées dans les kourganes avec leurs propriétaires défunts pour être emportées dans l'au-delà.

Des tentes (ancêtres des yourtes) aménagées en camps temporaires sont aussi mentionnées mais le peu de vestiges ne permet pas d'en comprendre l'aspect exact.

Agriculture, sédentarité, urbanisation

Le nomadisme généralisé concernait surtout la steppe herbeuse et les régions montagneuses d'Asie centrale, mais il existait aussi divers modes de vie mixtes, semi-nomades ou semi-sédentaires agricoles dans laquelle seule une partie de la population se déplaçait pour la transhumance.

Dans la zone plus favorable de la steppe boisée européenne, des franges plus septentrionales, une agriculture était pratiquée par des groupes sédentarisés dans de nombreux villages bien organisés, cultivant blé, orge, millet, lentilles, pois, oignons et ail sur les riches terres noires.

De nombreux fruitiers étaient également plantés (pruniers, pommiers, cerisiers).

Des animaux plus sédentaires y étaient élevés comme les porcs et les volailles (oies, canards, poules).
Les bovins y étaient plus prépondérants que les chevaux, signe de sédentarité.

On y a retrouvé des faucilles, des meules de pierre, des silos, des grands fours complexes de séchage de grain et de fruits, qui caractérisent une économie agricole sédentaire.

Une partie de la production de ces régions, notamment des céréales, était exportée par les fleuves vers les Scythes nomades de la steppe herbeuse (qui probablement dominaient les tribus sédentaires), mais aussi vers les cités grecques de la mer Noire puis exportée en Méditerranée, en échange de vin et de céramiques grecs importés en grande quantité en Scythie.

Ce commerce a fait la richesse des cités grecques de la mer Noire et des Scythes nomades d'Ukraine.
Une agriculture sédentaire scythe était également développée en Crimée avec des apports grecs.

Sous l'influence de la civilisation hellénique, mais aussi sous l'influence de cultures sédentaires plus anciennes, les Scythes d'Europe ont été assez prompts à se sédentariser partiellement, y compris dans certaines zones de la steppe herbeuse.

Des établissements urbains importants se développèrent alors dès le VIIe siècle av. J.-C. et se multiplièrent au IVe siècle et IIIe siècle av. J.-C.
Ils sont fréquemment associés à des exploitations minières et à l'activité métallurgique.

D'autres fois ils semblent être des « capitales » de tribus scythes (à l'image des oppidums gaulois).
Ces villes sont fortifiées et généralement construites en des lieux stratégiques, notamment aux confluences des grands cours d'eau.
Elles comportent généralement une « acropole » légèrement surélevée et fortifiée.

La ville la plus importante connue dans la steppe boisée est de loin Bil's'ké Horodychtché près de Kiev au bord du Dniepr, construite aux VIIe siècle et VIe siècle av. J.-C.

Elle couvrait 4 000 hectares, avec une enceinte en bois (soutenant un terre plein en terre) de 33 kilomètres de long qui devait atteindre 9 mètres de haut et doublée de fossés de 5 mètres de profondeur.
Elle était entourée de trois forts importants.

La population urbaine permanente y est estimée à 40 000 ou 50 000 habitants. Hérodote parle aussi d'une mystérieuse grande ville appelée Gélônos chez les Boudines dans une région de forêts et de marais au Nord des Sauromates au bord d'un grand et profond lac.
On y chassait la loutre et le castor.

Non localisée par les historiographes (parmi les nombreuses villes connues archéologiquement), elle est décrite fortifiée et construite entièrement en bois, les maisons comme les temples, mais avec des formes grecques, la population y vivait à la grecque, s’habillait comme des grecs et rendait un culte à Dionysos.

La ville aurait été fondée par les Gelons (semi-légendaires) qui sont d'origine grecque et qui se sont mélangés aux Boudines, leur langue était composé de scythe et de grec, et selon Hérodote ce serait une population d'agriculteurs.

Artisanat

La métallurgie était très développée chez les nomades scythes qui travaillaient tous les métaux connus de l’époque et exploitaient des gisements, pour la fabrication d'armes, d'objets usuels comme les attelages et harnachements, mais aussi d'objets d'art. L'artisanat pouvait être pratiqué dans des camps saisonniers.

Les nomades travaillaient aussi tous les produits dérivés de leurs cheptels : cuir, laine, os, corne, à des fins autant utilitaires (tentes, courroies, vêtements, outillage...) que décoratives et pour le commerce, ils excellaient notamment dans le travail du cuir et de la fourrure.

La céramique scythe quant à elle est assez grossière et a beaucoup régressé, comparée aux cultures proto-scythes plus anciennes, et les Scythes d'Europe préféraient importer de la céramique grecque trouvée en quantité dans certaines tombes.

L'ébénisterie semble avoir été développée chez les Scythes et des meubles démontables en bois sophistiqués à motifs animaliers sculptés typiquement scythes furent découverts dans les kourganes gelés de l'Altaï, souvent incrustés d'or.

Commerce

Le commerce est un élément très important des cultures scythes qui commerçaient avec tous les peuples qui les entouraient et entre eux.
Les Grecs furent les principaux partenaires commerciaux en Scythie européenne, en Asie centrale ce furent les Perses et les Chinois, notamment avec le développement de la Route de la Soie.

Une grande culture guerrière

Selon Hérodote, les Scythes étaient des guerriers qui espéraient être tués au combat.
Mourir de vieillesse était pour eux une honte, ce qui explique qu'un roi comme Atéas ait guerroyé jusqu'à 90 ans et soit mort au combat contre les Macédoniens.
Ce comportement se confirme encore chez les Sarmates et les Alains.

En tant qu'éleveurs nomades dans les grandes steppes eurasiennes, les Scythes étaient les grands maîtres de la cavalerie dans l'Antiquité.

On attribue aux Scythes les principaux développements de la cavalerie montée. Développant dans un premier temps la cavalerie légère, les Scythes sélectionneront ensuite des races de chevaux plus fortes, qui leur permettront de développer la cavalerie lourde aristocratique et les premiers cataphractaires entièrement en armure.

Déjà engagés par les Achéménides ils constituent plus tard la force de l'Empire parthe.
Dans le même temps, les Scythes exploitent leur mode de vie nomade pour utiliser massivement le char de combat, face auquel les civilisations sédentaires sont démunies.

Au gré des alliances opportunistes les cavaliers scythes servirent de mercenaires dans les armées des empires pour lesquels ils constituaient un atout majeur.

Ils s'engagèrent en particulier auprès des Assyriens et des Perses achéménides, et plus sporadiquement auprès des cités grecques.

Ainsi au Ve siècle av. J.-C., Athènes utilisa une police mercenaire d'archers scythes.
Par la suite, ils formèrent des contingents de mercenaires au service des Séleucides, puis des Romains (Sarmates, Alains) et peut être aussi les Chinois.

L'arme principale des Scythes était l'arc et les archers montés à cheval étaient la grande spécialité scythe.

Les Scythes, ou du moins leurs ancêtres directs (Sintashta, Andronovo) sont les inventeurs de l'arc composite, c'est-à-dire formé de plusieurs matériaux différents, ce qui lui donnait une souplesse et une résistance supérieures à celles des arcs simples en bois, privilégiant une grande puissance de tir.

L'arc scythe avait un profil très reconnaissable, il était d'une taille modérée, à double courbure prononcée et des extrémités recourbées. Ils utilisaient également la lance et l'épée, les épées étaient de deux types, une longue et surtout une courte du type akinakès (akināka- en sogdien).

La religion scythe

Les Scythes sont d'origine indo-européenne, leur religion complexe et polythéiste entretient donc de nombreuses similitudes avec les religions grecque, thrace, celte, germanique, iranienne (perse) et hindoue.

Les récents travaux montrent que les Scythes baignaient dans une atmosphère religieuse.
Pourtant, ils n'avaient pas de classe de prêtres, contrairement à leurs cousins indo-européens.

Hérodote (IV, 67) mentionne des devins qui manipulaient des faisceaux de baguettes de saule et d'autres, les Enarées « hommes-femmes » (d'un composé iranien *a-narya « non-mâle »), qui se servaient de morceaux d'écorce de tilleul. Ces personnages n'avaient rien de sacré.
Quand un roi tombait malade, ils pensaient généralement que quelqu'un avait juré un faux serment sur le feu royal.

Ce que les Scythes avaient de plus sacré était sûrement leurs sépultures : symbolisant la pérennité des ancêtres dans le paysage, ils les construisaient aussi loin que possible de leurs ennemis et étaient prêts à mourir pour les défendre.

Les dieux scythes

Hérodote donne une liste de divinités scythes avec leurs équivalents grecs.
Pour certaines d'entre elles, il précise leur nom scythe, mais prononcé à la manière grecque :

- Tabiti, déesse équivalente à Hestia, la déesse grecque du feu et du foyer ;
- Papaios, dieu équivalent à Zeus ;
- Apia, la Terre, épouse de Papaios ;
- Thagimasadas, dieu équivalent à Poséidon ;
- Oitosuros, dieu équivalent à Apollon ;
- Argimpasa, déesse considérée comme « Aphrodite céleste » ;
- un dieu équivalent à Héraclès et un dieu équivalent à Arès, le dieu de la guerre des Grecs.

L'Héraclès scythique devait être très proche de son homologue grec, puisque les Grecs de la mer Noire ont mélangé leurs mythes : ils lui ont attribué le dixième travail de leur propre héros, celui où il vole les bœufs de Géryon (lesquels se transforment en juments dans la suite de leur récit).

L'identification de ces dieux est problématique, mais ce travail a bénéficié de l'avancée des études indo-européennes.

Les Indo-européens mettaient le dieu du feu en tête de leur panthéon, ce qui est le cas ici.

Tabiti correspond à une ancienne déesse indienne[réf. nécessaire] dont le nom est lié au sanskrit tapati « brûler ».

Georges Dumézil a retrouvé ses traces dans les légendes des Ossètes, peuple iranien du Caucase.
Il a également reconnu en l'Arès scythique un héros ossète, Batraz.
Ces deux personnages s'identifient notamment tous les deux à une épée.

Dans le nom d'Apia, les spécialistes s'accordent à reconnaître l'iranien āp- « eau ».
Selon Hérodote, c'est la Terre, mais l'analyse de la mythologie indo-européenne montre que la Terre était représentée sous la forme d'une montagne « sécrétant » une rivière, c'est-à-dire d'une montagne-source.
Les Indo-Iraniens ont accentué son aspect humide.

Dans les textes grecs, le dieu iranien Mithra est identifié à Apollon, ce qui permet de considérer qu'Oitosuros est Mithra.
Ce nom devait être un composé Oito-suros dont le deuxième membre provenait du vieil iranien sūra- « fort ».
Dans l'Avesta, ce qualificatif est attribué à Mithra.
Quant au terme oito, selon l'analyse de François Cornillot, il était la graphie grecque de *witāw, de *hwatāwah « souverain ».
Ainsi, les Scythes surnommaient Mithra le « Souverain Fort ».

Ce même auteur a proposé une autre lecture du nom des Sakā haumavargā (une confédération de Saces nommée ainsi par les Perses) : il fait dériver son deuxième membre de hauma warāgan, où le terme warāgan signifie « vainqueur de *Wāra » et aboutit à l'ossète Wœrgon.
De la sorte, les Sakā haumavargā sont les « Saces adeptes du culte du Haoma vainqueur de *Wāra ».

Pour comprendre la signification de cet ethnonyme, le Haoma est une plante divinisée et son ennemi *Wāra, appelé Vritra dans les textes indiens, est un démon qui cherche à faire disparaître le soleil et à obstruer la rivière qui descend de la montagne-source.
Comme *Wāra représente la mort, la victoire du Haoma (plante d'immortalité) est celle de la vie sur la mort.

Les Sogdiens, fondateurs de la cité de Samarcande, étaient d'anciens Sakā haumavargā, car le nom de cette cité pourrait s'expliquer comme Saka-Haumawarga-kantha « ville des Saces Haumawarga »
Enfin, le hauma-wāragan est aussi connu sous le nom de xwarnah (ou khvarnah).

C'est une entité multiforme, lumineuse, assimilée à un feu mais qui séjourne sous les eaux.
Selon un texte iranien, le Bundahishn, il est gardé par la déesse Aredvi Sūrā Anāhitā.
Celle-ci est donc la xwarnah-pāthrā, « [déesse] assurant la garde du hauma-wāragan » (ou th se prononce comme « thank you » en anglais).
En inversant les termes hauma et wāragan, puis par transformations successives, on obtient : wārag[an]-hauma-pāthrā → *wārgumpāsā → argempāsā.
On reconnaît le nom de la déesse Argimpasa.

L'art scythe

L'art animalier

Les Scythes sont connus pour leur art animalier.
Il s'agit d'un trait de culture original : les hommes d'Andronovo ne décoraient leurs céramiques qu'avec des motifs géométriques abstraits.

Les Scythes qui leur ont succédé couvraient leurs objets de représentations de cerfs stylisés à très longs bois en « galop volant », de bouquetins, de félins enroulés ou de rapaces, dans une stylisation bien particulière et des conventions de représentation constantes depuis l'Ukraine jusqu'à la Mongolie sur plusieurs siècles.
Le loup était présent surtout en Sibérie méridionale.

Le cerf semble être un animal important et symbolique de cette culture.
Il y a aussi le griffon, commun à tous les Iraniens, et des animaux imaginaires et composites.
Il y a des représentations très réalistes de combats d'animaux.

On ignore ce que tous ces symboles animaliers signifiaient, mais il semble certain qu'ils renvoient à des idées mythologiques complexes.

Les momies scythes de l'Altaï qui ont une peau bien conservée ont de nombreux tatouages virtuoses de motifs animaliers complexes, ce sont les plus anciens tatouages parvenus jusqu'à nos jours avec ceux des momies du Tarim.

Les représentations humaines sont aussi importantes, le guerrier scythe et les chevaux sont très souvent représentés ainsi que des scènes pastorales, mais essentiellement en Ukraine par suite de l’influence hellénique.

L'art scythe présente d'évidents liens de parenté avec l'art grec, l'art perse et l'art thrace, ainsi que l'art celte, surtout dans les zones où des groupes scythes ont été en contact avec ces cultures, mais cela s'est greffé sur un fond d'art scythe constant et plus ancien que ces influences.

L’orfèvrerie scythe

Les Scythes étaient des métallurgistes réputés, ils fabriquaient beaucoup d'objets légers de bronze et d'argent, en particulier des plaques ornementales ajourées représentant des scènes animalières en mouvement, ces plaques étaient cousues sur les vêtements et accessoires des personnes et des chevaux qui pouvaient être très richement ornés.

Mais l'art majeur et le plus connu des Scythes était l'orfèvrerie, les Scythes sont considérés comme parmi les meilleurs orfèvres de l'Antiquité.

De nombreuses tombes (kourganes), richement meublées, dans toute l'aire de répartition des Scythes, ont livré de très grandes quantités d'objets en or, jusqu'à plusieurs milliers d'objets d'or massifs pour les tombes princières, particulièrement remarquables par la finesse de leur travail, la diversité des techniques utilisées, le réalisme des représentations, l'équilibre des proportions et un grand sens de la représentation du mouvement.

Le style de l’orfèvrerie scythique montre quelques liens évidents de parenté avec l'art celte, grec, thrace, perse et même assyrien, mais possède aussi son style propre.
De nombreux objets en or étaient des ornements cousus sur les vêtements d'apparat et les accessoires des hommes et des chevaux.

En Scythie européenne, au nord de la mer Noire, l'art scythe a fusionné avec l'art grec, donnant naissance à une riche orfèvrerie gréco-scythe.

Influences scythes sur l'Asie orientale

Une influence artistique antique provenant de l'Asie centrale nomade est identifiable en Chine à partir du VIIIe siècle av. J.-C., à la suite de contacts avec les Scythes frontaliers de l'ouest et du nord-ouest de la Chine antique.

Par ailleurs, la présence d'une culture de type scythique, ou du moins d’influence scythique, est également connue archéologiquement dans la grande boucle du Fleuve jaune, au cœur de la Chine antique : la culture de l'Ordos.

Après leur expulsion du Tarim par les Yuezhi au iie siècle av. J.-C., certains Scythes pourraient aussi avoir migré vers le Yunnan en Chine du sud, où leurs talents de métallurgistes auraient été mis à profit.

Des guerriers scythes pourraient également avoir servi comme mercenaires pour les différents royaumes de la Chine ancienne.

Les objets d'art anciens du royaume de Dian dans le Yunnan ont révélé des scènes de chasse de cavaliers europoïdes et des représentations animalières dans un style typique des Scythes d'Asie centrale.

Des influences scythes ont également été identifiées en Corée et au Japon.

Divers artefacts coréens, comme les couronnes royales en or du royaume de Silla, sont peut-être de conception scythe.
Des couronnes similaires, apportées par des contacts avec le continent, peuvent également être trouvées durant la période Kofun au Japon.

Via les steppes d'Asie du nord-est des groupes scythes auraient facilement pu atteindre la Corée où le savoir-faire des orfèvres aurait pu être mis à profit, les Coréens adoptent également à cette époque le principe des kourganes pour les inhumations nobles.

Les stèles anthropomorphes et les pierres à cerf

Une manifestation archaïque de l'art animalier des Scythes se trouve sur les « pierres à cerfs ».
Elles ont une répartition très orientale : on les trouve à l'est du lac Baïkal et surtout en Mongolie.
Plus à l'ouest, dans la Touva, elles sont placées près des sépultures, parfois au sommet des kourganes, le kourgane d'Arjan contient un fragment de pierre à cerfs.
Il y en a aussi, mais en faible nombre, au Kazakhstan, jusqu'au sud de l'Oural.
La plupart sont considérées comme très précoces et datant de la culture proto-scythe de Karassouk.

Sur les pierres sibériennes ou mongoles des animaux très stylisés sont gravés, surtout des cerfs en « galop volant » selon un prototype qui sera omniprésent dans l'art scythe durant des siècles sur tout le territoire des peuples scythes, on trouve aussi des représentations de bouquetins, de sangliers, de chevaux ou de félins.

Les stèles anthropomorphes, plus nombreuses, sont des pierres dressées représentant de manière très schématique un homme en armes, elles marquent l'emplacement des tombes et sont-elles aussi parfois placées au sommet de certains kourganes.

On reconnaît un collier de perles et une ceinture où sont accrochés des objets (poignard, pic, arc, hache de combat, couteau et pierre à aiguiser).

En Mongolie orientale, dans l'Altaï et la Touva, ces pierres apparaissent dès le IXe ou le VIIIe siècle av. J.-C., mais les stèles anthropomorphes ont des origines bien plus anciennes, selon un prototype presque inchangé, dans les steppes du nord de la mer Noire où elles étaient dressées dès les premières cultures indo-européennes de l'âge du bronze ancien et s'étaient déjà répandues en Europe occidentale et en Asie avec les invasions indo-européennes.

Les Scythes dans la mythologie

Le mythe greco-romain de Scythès

Lorsque le héros Héraclès se fut accouplé avec le monstre Échidna, cette dernière mit au monde trois garçons.
Puis vint le moment pour Héraclès de continuer sa route.
Mais le jour du départ, Échidna demanda à son amant ce qu’elle devrait faire de leurs enfants, une fois parvenus à l’âge d’homme.
Héraclès prit l’un de ses deux arcs et son baudrier qu’il donna à Échidna.

Il ajouta que celui des trois qui parviendrait à positionner le baudrier et à bander l’arc comme lui-même le faisait, deviendrait le roi du pays.
Les deux autres frères devraient alors s’exiler.

Arrivés à l'âge d'homme, Échidna rassembla ses trois enfants, Agathyrsos, Gélonos et Scythès.
Le test pouvait alors commencer.
Seul Scythès parvint à réussir les deux épreuves.
Comme l’avait exigé Héraclès, Échidna donna le pouvoir suprême au vainqueur, tandis que ses deux autres enfants s’exilèrent.
À ce moment, Scythès donna son nom à cette région et à son peuple.

Vision gréco-romaines

Pour les Grecs et les Romains, le monde dans lequel évoluent les tribus scythes est marqué par le froid et la neige : Homère parle d'une terre froide, Hérodote du ciel neigeux; Ovide d'un monde de glaces éternelles et de mer gelée.

Ce contact avec le climat continental déstabilise les auteurs méditerranéens, peu habitués aux vents.
Lucien signale que les invocations des Scythes se font souvent « par le fer et par le vent ».

Les Amazones

Les Amazones sont un peuple semi-mythique uniquement constitué de femmes guerrières, elles peuplaient les steppes du nord de la mer Noire et l'Asie centrale.
Leurs attributs sont typiques des peuples scythiques : cheval monté, lance, hache, et surtout arc et flèches, elles vont même jusqu'à se couper le sein droit pour faciliter le tir à l'arc.

Or si les Amazones proprement dit n'ont probablement pas existé, le fait que les femmes scythes et sarmates, appartenant à un peuple de cavaliers nomades aux mœurs différentes des sédentaires puissent chevaucher comme les hommes, et même de guerroyer quand la tribu était en danger, a pu frapper l'imaginaire des grecs.

Des fouilles archéologiques à la frontière entre la Russie et le Kazakhstan ont permis de mettre au jour des tombes de femmes guerrières, enterrées avec leurs armes entre 600 et 200 av. J.-C., probablement cavalières comme le révèle l'analyse ostéologique.
L'une des tombes était richement garnie de nombreux objets et bijoux féminins et également de 100 pointes de flèches.

Une enquête approfondie menée dans la même région a démontré l'existence d'une tradition vivace de la femme archer et cavalière émérite, leur arc est identique à celui qui est représenté sur des céramiques antiques.

Dans l'Avesta

Selon les Yasht, la partie mythologique de l'Avesta, le texte sacré du zoroastrisme, un héros nommé Thraetaona (le Fereydoun du Shâh Nâmâ de Ferdowsi) partagea son royaume entre ses trois fils, Iradj, Salm et Tour.

-  Iradj reçut la Perse,
- Salm la partie occidentale de son royaume et
- Tour la partie orientale.

Le Yasht XVII (prière à la déesse Ashi,) parle des « Tours aux chevaux rapides ».

Selon les écrivains de l'Antiquité et du Moyen Âge, le Touran s'étendait dans les steppes du nord de la Perse et du Turkestan occidental (domaine des Sogdiens). Ceci permet de les identifier aux Scythes.
Le roi Fraransyan du Touran agressa les Perses mais fut vaincu.
Cette lutte est relatée dans le Yasht XIX. Si Thraetaona est purement mythique, il n'y a pas de raison de douter de la confrontation entre les Perses et les nomades touraniens.
Après l'arrivée des tribus turques au Turkestan, les Touraniens (et par conséquent les Scythes) furent considérés à tort comme Turcs.

Le nom de Tour vient d'un terme indo-iranien, tura, qui signifie « puissant ».

D'après les travaux de François Cornillot, spécialiste du Rig-Veda et de l'Avesta, on le retrouve dans le nom de Targitaos, l'ancêtre des Scythes selon une légende racontée par Hérodote, avec une transformation du u et un a propre aux Scythes septentrionaux : ce nom était auparavant prononcé *Tar-γwitaw, titre provenant lui-même de *Tur-hwatawah « Souverain Puissant ».

Hérodote (IV, 5-6) rapporte que Targitaos eut trois fils, Lipoxaïs, Arpoxaïs et Coloxaïs.

Sous leur règne, trois objets en or tombèrent du ciel, une charrue et un joug, une hache-sagaris et une coupe. Les deux premiers frères voulurent prendre ces objets, mais ils s'enflammèrent.
Ils revinrent à Coloxaïs, qui eut alors le titre de roi.
Ces trois objets représentent les trois fonctions reconnues par Georges Dumézil chez tous les peuples indo-européens : la fonction cléricale (le bol), la fonction guerrière (la hache) et la fonction de production (la charrue et le joug).

Étant entré en possession de ces trois objets, Coloxaïs acquit un caractère trifonctionnel, comme tous les rois indo-européens.
Par ailleurs, les linguistes considèrent unanimement que le suffixe -xaïs reproduit le nom iranien du roi, qui était xshaya- en avestique.

Le souvenir des Scythes à l'époque moderne

Plusieurs groupes ethniques se sont plus ou moins réclamés d'une ascendance scythe, moyen d'établir une connexion prestigieuse entre identité nationale et Antiquité classique.

Les traditions des peuples turcophones kazakhs et iakoutes (dont l'endonyme est Sakha), ainsi que celles des Pachtounes d'Afghanistan les connectent également aux Scythes.

Plusieurs légendes pictes, gaéliques, hongroises, serbes et croates (entre autres) mentionnent également des origines scythes.
La déclaration d'Arbroath de 1320 revendique la Scythie comme ancienne patrie des Écossais.

Les Scythes sont également intégrés dans des récits post-médiévaux sur l'origine supposée des Celtes.

L'historien britannique Sharon Turner les décrit, dans son Histoire des Anglo-Saxons, comme ayant investi l'Europe autour du VIe siècle av. J.-C. et, se basant sur plusieurs sources anciennes, ils les identifie aux ancêtres des Anglo-Saxons. De même William Jones les rapproche des populations européennes.

À la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle se répandit l'intuition que la plupart des langues européennes et la langue persane, qui sont très proches entre elles (faisant partie d'une même famille de langues que l'on n'appelait pas encore les langues indo-européennes) ont une origine commune que l'on se figure alors chez les anciens peuples cavaliers des steppes de la mer Noire, identifiés aux Scythes dont parle Hérodote, du fait entre autres de l'importance du vocabulaire commun propre au cheval qui caractérise ces langues.

Cette intuition, la « théorie scythique », notamment défendue par le philosophe et mathématicien Leibniz qui était passionné par la question, est la préfiguration de l'hypothèse kourgane qui est aujourd'hui largement admise par la majorité des archéologues, linguistes et généticiens pour expliquer l'origine des langues et cultures indo-européennes, et selon laquelle c'est la domestication du cheval et l'invention du char par les peuples des steppes de la fin du néolithique et de l'âge du bronze, ancêtres des Scythes, qui leur ont permis leur vaste expansion en Europe et en Asie.

« On peut conjecturer que cela vient de l'origine commune de tous ces peuples descendus des Scythes, venus de la mer Noire, qui ont passé le Danube et la Vistule, dont une partie pourrait être allée en Grèce, et l'autre aura rempli la Germanie et les Gaules » (Leibniz, Essais sur l'entendement humain, 1703).

Mais il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle pour que la découverte du sanscrit, lui aussi très proche des langues européennes, lance le début des études indo-européennes.

Aux XVIIe et XVIIIe siècle, il est commun de considérer les Russes, les Polonais, les Lituaniens, les Russes blancs comme descendants des Scythes.

AInsi, en 1704, Leibniz situe la région d'origine des Scythes dans la Steppe pontique, en faisant les ancêtres des Slaves.
Au cours du XIXe siècle, les Scythes sont perçus, dans le contexte de conquête russe de l'Asie centrale, comme les ancêtres communs des populations non turques de la région.

Souvent, les lettrés polonais de l'époque humaniste ou du siècle des lumières, tel Stanislas Leszczynski, assimilent le qualificatif « scythe » avec l'identité primitive des ancêtres, adoptant spécifiquement le terme « sarmate » pour dénommer leurs compatriotes anciens ou vivants en république chrétienne.

Les Sarmates étant les successeurs et héritiers des Scythes, à l'époque historique et surtout chrétienne.

Mais nous savons désormais, par les études linguistiques, que les Russes et les Polonais sont des Slaves, les Lituaniens sont des Baltes... et non pas des Scythes, appellation conventionnellement utilisée dans la poésie du XVIIIe siècle : Alexandre Blok l'évoque d'ailleurs de manière sarcastique dans son dernier grand poème Les Scythes (1920).

Le romantisme du XIXe siècle en Occident exalte les « barbares » scythes de la littérature en ancêtres libres et démocratiques des Indo-Européens blonds, tandis que des écrivains nationalistes romantiques ont reconnu la présence de Scythes dans la formation de l'Empire mède et de l'Aghbanie, précurseur de l'Azerbaïdjan moderne.

De nos jours, la revendication d'origines scythes joue même un rôle important dans les théories panturque et sarmatiste, en réalité, si les Scythes ont effectivement eu une influence culturelle importante sur les populations turco-mongoles d'Asie centrale qui ont progressivement remplacé les populations scythes au cours du Moyen Âge, l'ascendance scythe dans ces populations est assez faible.

L'ethnie des Jats dans le Penjab du Pakistan et d'Inde, se réclame d'une ascendance indo-scythe.

Actuellement, sur le plan uniquement linguistique, les Ossètes dans le Caucase sont les derniers à parler une langue scythique proprement dite, mais il existe aussi quelques villages prés de Samarcande en Ouzbékistan qui parlent encore un dialecte descendant du sogdien.