samedi 3 août 2019

Antibiotiques

Des «grenades génétiques» pour cibler et tuer les bactéries résistantes
20 Minutes - 16/04/2019

La structure imaginée par les chercheurs n’attaque pas les bactéries bénéfiques au corps humain

Des antibiotiques. — Philippe Huguen AFP

Des chercheurs ont mis au point une « bombe génétique » pour lutter contre la résistance aux antibiotiques.
La trouvaille est capable de cibler et détruire les bactéries résistantes aux médicaments sans tuer celles qui sont bonnes pour l’organisme.

Institut Pasteur – 10/04/2019 - Des chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et de de l’Universidad Politécnica de Madrid sont parvenus à programmer une structure génétique bactérienne, la rendant capable de tuer spécifiquement les bactéries multi résistantes aux antibiotiques, sans détruire les bactéries bénéfiques à l’organisme.

Une étude, détaillant le travail des scientifiques de l’Institut Pasteur (Paris) et de l’Université polytechnique de Madrid, a été publiée ce lundi dans la revue Nature Biotechnology.
Pour Didier Mazel, de l’Institut Pasteur, le développement des approches ciblées est « essentiel ».

Illustration d'un hôpital. Ici, le CHU de Purpan. Toulouse, FRANCE-7/10/13 — Fred.Scheiber

Viser les mauvaises bactéries uniquement

En effet, quand on prend un antibiotique, celui-ci s’attaque sans distinction aux bactéries nocives et aux bactéries bénéfiques qui vivent dans notre intestin.
Cela entraîne un déséquilibre de la flore bactérienne, qui favorise le développement de bactéries antibiorésistantes.

Pour éviter cela, Didier Mazel et son équipe ont imaginé une stratégie alternative.

Ils ont créé une structure semblable à une « grenade génétique », porteuse à la fois d’une charge explosive et d’une goupille de sécurité.
Elle véhicule une toxine qui ne s’active que près d’une molécule spécifique de la bactérie ciblée.
Ainsi, seules les bactéries responsables de maladies sont touchées et tuées.

L’antibiorésistance, un problème grave et urgent

Les chercheurs ont ensuite affiné la « grenade » pour qu’elle cible seulement les souches de bactéries antibiorésistantes.
Le mécanisme a été testé sur la bactérie Vibrio cholerae, présente chez les poissons et responsable du choléra chez l’homme.
Les chercheurs ont réussi à tuer spécifiquement cette bactérie chez le poisson zèbre et des larves de crustacés.

« Le système est en place et peut être facilement adapté à d’autres bactéries », explique Didier Mazel.
 Les autorités sanitaires mondiales alertent régulièrement sur le danger de la surconsommation d’antibiotiques.

Selon l’OMS, sans mesures d’urgence, « nous entrerons bientôt dans une ère post-antibiotique dans laquelle des infections courantes et de petites blessures seront à nouveau mortelles. »
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INFECTIONS : Une inquiétante bactérie résistante aux antibiotiques se répand dans les hôpitaux européens
Extrait de 20 Minutes - 01/08/19

Les chercheurs demandent des mesures pour ralentir le développement de cette « super-bactérie » qui a tué 2.000 personnes en 2015 en Europe

La bactérie « Klebsiella pneumoniae » se propage dans les hôpitaux européens (illustration). — Pixabay / geralt

La bactérie Klebsiella pneumoniae, résistante aux antibiotiques les plus puissants, s’est répandue dans les hôpitaux européens et continue de se développer.
Ainsi, sur le « Vieux Continent », le nombre de patients morts des suites de cette infection a été multiplié par six entre 2007 et 2015 et a dépassé les 2.000 patients, selon une étude publiée ce lundi dans Nature.

Le constat préoccupe les spécialistes, qui appellent à une action des autorités sanitaires.

L’une des 12 bactéries ultra-résistantes

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a placé la Klebsiella pneumoniae sur sa liste des 12 bactéries ultra-résistantes qui présentent le plus grand danger pour les humains et requièrent la création de nouveaux traitements antibiotiques.
En Europe, les chercheurs ont étudié les cas de 1.700 patients suivis dans 244 hôpitaux de 32 pays européens différents.

Les scientifiques ont observé que l’agent pathogène se répand « essentiellement entre les patients soignés dans le même hôpital, ou dans des hôpitaux situés à proximité les uns des autres », explique à The Telegraph Sophia David, co-auteure de l’étude.

392.000 décès en Europe en 2050 ?

Les conséquences peuvent donc être graves, même si la bactérie est naturellement présente dans les intestins et peut n’avoir aucun effet néfaste sur l’organisme.
C’est lorsqu’elle atteint le système respiratoire ou le réseau des vaisseaux sanguins que la Klebsiella pneumoniae peut devenir mortelle.

« Nous craignons que le problème prenne de plus en plus d’ampleur si aucune mesure n’est mise en place pour limiter le développement des souches résistantes de la K. pneumoniae », alerte Sophia David.

La situation est d’autant plus alarmante qu’une simulation basée sur des chiffres de la Commission européenne prévoit 392.000 décès potentiels de personnes infectées par des bactéries multi-résistantes en Europe, en 2050.

Au niveau mondial, le bilan pourrait être de 10 millions de morts.
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Antibiotiques: Les infections dues aux bactéries résistantes coûtent 290 millions d’euros par an en France.
20 Minutes - 19/04/2019

Selon les chercheurs, le surcoût lié aux infections à bactérie résistante est en moyenne de 1.100 euros par séjour à l’hôpital

Le surcoût annuel des infections résistantes aux antibiotiques est estimé à près de 290 millions d'euros. (Illustration) — Pixabay

Un total de près de 290 millions d’euros : c’est ce que coûtent les infections dues aux bactéries résistantes aux antibiotiques tous les ans en France, selon une équipe de chercheurs de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, de l’Inserm et de l’Institut Pasteur.
Leurs travaux sont parus dans les revues spécialisées Applied Health Economics and Health Policy et Epidemiology & Infection.

D’après leurs calculs réalisés à partir de la base nationale de données sur les malades hospitalisés en 2015 et 2016, le surcoût lié aux infections à bactérie résistante est en moyenne de 1.100 euros par séjour à l’hôpital.

Infections urinaires, respiratoires et intra-abdominales

En 2016, près de 140.000 nouveaux cas d’infection à bactérie résistante ont été identifiés, soit 12 % de toutes les infections bactériennes ayant nécessité une hospitalisation.

Les infections urinaires, respiratoires et intra-abdominales en constituent les deux tiers.
Elles sont dominées par les bactéries E. coli résistantes aux céphalosporines, les staphylocoques dorés résistants à la méthicilline (SARM) et les bactéries pyocyaniques.

En novembre dernier, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait déjà publié un rapport montrant que les bactéries résistantes aux antibiotiques pèsent financièrement sur les systèmes de santé, en plus de mettre des vies en danger.
Elles pourraient entraîner jusqu’à 3,5 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros) de dépenses annuelles d’ici 2050 dans chaque pays membre de l’OCDE.
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Dentifrice, gels douche...
Pourquoi les produits d'hygiène sont soupçonnés de favoriser la résistance des bactéries aux antibiotiques

La faute au Triclosan, un antibactérien très puissant ajouté par les industriels dans la plupart de nos produits d’hygiène

Le Triclosan est présent dans la plupart des dentifrices industriels (illustration). — Pixabay

On en trouve dans la plupart des dentifrices, les bains de bouche, les gels douche, les cosmétiques, et même dans certains jouets pour bébé. Le Triclosan, un puissant agent antibactérien, est largement utilisé par les industriels dans les produits d’hygiène et de beauté.

Dans les années 1970, il était utilisé comme agent anti-infectieux dans les gels désinfectants utilisés par les chirurgiens.
Au fil des années, son usage s’est progressivement étendu aux produits d’hygiène destinés au grand public, un phénomène qui inquiète les autorités sanitaires depuis plusieurs années.


Un agent soupçonné de favoriser l’antibiorésistance

Une étude de l’Université Washington de Saint-Louis, récemment publiée dans la revue Antimicrobial Agents & Chemotherapy, pointe les dangers de cette substance : le Triclosan contribuerait à aggraver la résistance des bactéries aux antibiotiques.
Plus grave encore, cette résistance concernerait également les bactéries responsables de troubles courants, comme les infections urinaires ou les affections respiratoires.

Pour parvenir à cette conclusion, les scientifiques ont cherché à mesurer à quel point cette substance limitait la capacité de l’organisme à répondre à un traitement antibiotique.

Dans un premier temps, ils ont donc traité avec des antibiotiques des cellules bactériennes exposées au Triclosan. Verdict : ils ont constaté que de nombreuses cellules survivaient au traitement.

« Le système immunitaire est dépassé »

« Normalement, une cellule sur un million survit aux antibiotiques, et un système immunitaire en bon état peut la contrôler, analyse le professeur Petra Levin.
Mais le Triclosan a modifié ce nombre de cellules.

Au lieu d’une bactérie survivante sur un million, un organisme sur dix survit après 20 heures. Maintenant, le système immunitaire est dépassé ».
Une seconde expérience, réalisée sur des souris, a abouti aux mêmes résultats : les souris malades traitées au Triclosan n’étaient pas réceptives au traitement antibiotique.

D’autres recherches devront être menées avant de pouvoir affirmer de manière définitive que le Triclosan interfère avec les traitements antibiotiques.
Mais les chercheurs américains espèrent que ces premiers résultats serviront d’avertissement, afin de « repenser l’importance des antimicrobiens » dans les produits de grande consommation.
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Le triclosan aussi appelé 5-chloro-2-(2,4-dichlorophénoxy) phénol est un biocide ((pesticide organochloré proche des chlorophénols).

Le triclosan, considéré comme un perturbateur endocrinien, se retrouve dans de nombreux dentrifices, savons antibactériens ou gels douche. (EYEEM / GETTY IMAGES)

Il est largement utilisé depuis les années 1970, et massivement dans des centaines de produits courants depuis le début des années 1990 (dont dans « plus de 2 000 produits de consommation tels que du dentifrice, des cosmétiques, des ustensiles de cuisine et des jouets »), au point qu'en 2018 « l'exposition au triclosan est pratiquement inévitable aux États-Unis ».

Il possède des propriétés biocides (antifongique et antibactérien à large spectre) mais depuis les années 1990 au moins, dans les produits d'hygiène personnelle, ce produit préoccupe les toxicologues et spécialistes de la santé publique :
Outre qu'il semble être un perturbateur endocrinien, il provoque des réactions inflammatoire, semble avoir des effets négatifs sur le microbiote intestinal (dont il diminue la diversité) et est soupçonné d'être cancérigène ou de favoriser la croissance de cancers préexistants ;

En 2018 une neurotoxicité lors de la neurogenèse est mise en évidence chez le poisson zèbre utilisé comme modèle animal9. ; Il passe à travers la peau et les muqueuses et en raison de sa stabilité est retrouvé dans les urines puis, difficile à épurer, il contribue à la pollution des eaux superficielles.

De plus son efficacité diminue face à des microbes qui lui sont devenus antibiorésistants.

Ce produit a été mis sur le marché vers 1970 tout d'abord pour le lavage chirurgical des mains, puis son usage a été largement étendu.
À partir de 1990 et jusqu'en 2010, les tonnages utilisés ont fortement augmenté pour atteindre 10 000 tonnes/an en 2011

Efficacité et innocuité discutées

Selon une revue de la littérature faite par quatre consultants de SRC (un cabinet de consultants créé en 1996 pour aider l'industrie des biocides et pesticides à préparer ses dossiers d'homologation par l'EPA), c'est un produit utile et efficace (avec une certaine persistance d'effet) en formulation de triclosan à 1% « pour une utilisation dans le lavage des mains à haute fréquence à haut risque », mais cette efficacité est mise en question en tant que biocide par les études indépendantes, car il semble même faciliter l'apparition de microbes lui résistant et d'antibiorésistance, salmonelles notamment.

Il pose aussi des problèmes environnementaux en tant que perturbateur hormonal et en freinant les processus naturels de biodégradation (en particulier dans les stations d'épuration).

En 2010 (avril), la US Food and Drug Administration (FDA) a annoncé entamer un réexamen scientifique et réglementaire du triclosan dans les produits relevant de son autorité, en lien avec l'EPA pour ce qui concerne l'étude d'éventuels effets perturbant le système endocrinien.

En 2016 (02 septembre) la FDA a annoncé l'interdiction d'utilisation des blocs de savons et savons liquides qui contiennent un ou plusieurs de 19 ingrédients actifs « antibactériens » dont le triclosan, le plus couramment utilisé, présent dans au moins 93 % des produits labellisés « antibactériens », soit au moins 2.000 produits différents, selon la FDA.

Les entreprises ont un an pour retirer les ingrédients incriminés de leurs produits aux États-Unis.
« Utiliser ces savons spéciaux n'est pas plus efficace qu'utiliser des savons classiques, et rien ne dit qu'ils soient sans danger sur le long terme », justifie l'autorité sanitaire.

Seuls quelques scientifiques ont effectivement été en mesure de nommer un gène.

En raison de l'œuvre du Docteur Prisca Tiassé Yoder chercheuse Franco-Américaine pour découvrir d'abord le gène responsable d'une résistance antibactérienne particulière, Prisca a fait exactement cela.

Ses études ont conduit la Food and Drug Administration des États-Unis à interdire l'utilisation de l'agent antibactérien domestique triclosan utilisé dans les produits de comptoir allant du dentifrice au savon à main.

En tant que PDG et Directeur de la recherche du laboratoire communautaire, son travail a un impact sur l'industrie de la biotechnologie et sur l'industrie de l'assainissement des déchets radioactifs grâce à des études liées à la croissance des micro-organismes dans les bioréacteurs et à l'élaboration d'un système qui sera significativement décontaminé les déchets radioactifs dans le sol.











vendredi 2 août 2019

ANRU

Logements
Par Michel Aubouin -31/07/2019

Auteur de Quarante ans dans les cités (presse de la cité), l’ancien préfet Michel Aubouin  s’interroge sur le mécanisme financier qui consiste à priver sept millions de locataires d’une partie des services attendus pour investir à fonds perdus dans des quartiers dont la situation ne fera que se dégrader, dès lors que le problème de la sécurité n’est pas réglé.


L’Etat va ponctionner la trésorerie d’Action Logement pour financer l’ANRU *(Agence nationale de la rénovation urbaine).
L’information, donnée pendant l’été, n’a pas suscité de réaction.

 Immeuble HLM à Calais. Photo ©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Pour le citoyen peu au fait des arcanes du logement social, ce mouvement financier est sans doute sans importance, puisqu’il s’agit de transférer des fonds publics d’un organisme à un autre.

Mais si l’on veut bien prendre le temps de comprendre les enjeux du transfert, dès lors qu’il s’agit d’opérations à plusieurs milliards d’euros, la question mérite d’être soulevée, à l’heure où la France creuse un peu plus chaque année son déficit budgétaire.
  
La politique de rénovation urbaine a échoué à endiguer la violence.


L’ANRU a été créée en 2003 pour financer la rénovation des immeubles situés dans les quartiers d’habitat social qui posent le plus de problèmes.
Ces quartiers sont au nombre de 490, soit le tiers des 1 500 quartiers considérés par la politique de la ville comme les plus difficiles.

Ils accueillent près de 4 millions d’habitants.
On y trouve, sans surprise, la plupart des quartiers qui se distinguent à date régulière par les manifestations du désordre : trafic de drogue, émeutes urbaines, dégradation de bâtiments publics, prostitution… Evidemment, les auteurs de ces faits ne constituent qu’une petite part de leurs quatre millions d’habitants, mais il est évident que sans leur violence, les quartiers où ils habitent seraient traités à l’égal des autres.
La plupart de ces quartiers se situent dans les mêmes agglomérations ou dans les mêmes départements.

Si, quinze ans après sa mise en œuvre, la politique de rénovation urbaine avait fait diminuer le niveau des violences, endigué le communautarisme et fermé la porte à l’intégrisme religieux, personne n’aurait regretté les dizaines de milliards d'euros qu’elle aurait consommées.
Evidemment, tel n’a pas été le résultat obtenu.

Loin d’être résolues, les tensions y sont de plus en plus vives.
Les premières victimes directes de ces agissements sont les familles honnêtes qui vivent dans ces quartiers et sont les proies des comportements violents.

 Mais il existe une autre catégorie de victimes indirectes qui sont les sept millions de locataires du secteur HLM qui n’ont pas la chance de vivre dans un tel quartier et qui ne bénéficieront donc pas de la manne financière générée par l’ANRU.

Sans compter les centaines de milliers de familles qui vivent dans des conditions très précaires, sans possibilité d’accéder au logement social, y compris toutes celles qui résident dans un milieu rural où l’offre reste limitée.

Le logement public occupe une place exorbitante en France.

Action Logement, appelée à financer ce dispositif, est l’héritière du 1% logement, un dispositif créé en 1943 pour aider les salariés à se loger.
Son conseil d’administration est paritaire : il rassemble des représentants du patronat et des syndicats.
Son président est issu du Medef.
Il collecte 0,45% de la masse salariale dans les entreprises de plus de cinquante salariés, soit plus d’1,5 milliards d’euros par an.

On peut se demander si ce dispositif, qui pèse sur les entreprises et, de fait, sur les salaires, est encore d’actualité, mais la question se pose dans le cadre d’une réflexion plus globale sur la place désormais exorbitante du logement public en France.
Les 7,7 milliards d’euros de trésorerie de l’organisme ne manquent d’ailleurs pas de surprendre, dès lors que sa vocation affichée demeure sociale.

Au-delà, on doit surtout s’interroger sur le mécanisme financier qui consiste à priver sept millions de locataires d’une partie des services attendus pour investir à fonds perdus dans des quartiers dont la situation ne fera que se dégrader, dès lors qu’on ne résout pas la question première des populations, qui est celle de la sécurité.

Pour le dire plus simplement : au nom de quelle morale, une famille impliquée dans le trafic de drogue, qui possède des résidences à l’étranger et dont les enfants rendent la vie impossible aux habitants du quartier serait-elle une fois de plus prioritaire pour qu’on lui attribue un logement neuf ou rénové et qu’on lui offre des services auxquels une famille vivant dans un village ou dans un quartier urbain non répertorié n’aura jamais accès ?
Aucune !

Les responsables des décisions prises sur un fondement aussi incertain feraient bien de s’interroger avant de poursuivre dans une voie qui, jusque-là, a montré ses limites.
Il est sans doute urgent de suspendre ces politiques inégalitaires et de prendre le temps d’une indispensable réflexion.
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Au mois de juillet ont été validés les projets de 20 quartiers mobilisant près de 820 millions d’euros de concours financiers de l’Anru *.

Le comité d’engagement national de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) a validé les projets de renouvellement urbain des communes ou agglomérations suivantes : Gennevilliers, Stains et La Courneuve au sein de Plaine Commune ; Paris 20e ; Nice ; Mulhouse ; Bonneuil-sur-Marne ; Dunkerque - Grande-Synthe ; Lyon (la Duchère) - Vénissieux ; Villiers-le-Bel.

Depuis le lancement de la phase opérationnelle du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), l’Anru a ainsi validé les projets de 290 quartiers.
Pour engager les chantiers de transformation de ces territoires, elle a mis 7,3 milliards d’euros à disposition des collectivités et des bailleurs.

Ces concours financiers déjà validés vont permettre la réalisation de projets estimés à plus de 25,6 milliards d’euros tous financeurs confondus. Concrètement, cet investissement va permettre de réaliser : 59 000 démolitions de logements sociaux ;  46 000 reconstructions de logements sociaux ; 81 000 réhabilitations de logements sociaux ;  plus de 560 équipements, dont 165 écoles.

* L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) est un établissement public à caractère industriel et commercial créé par l’article 10 de la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003, afin d'assurer la mise en œuvre et le financement du programme national de rénovation urbaine (PNRU).

Elle est placée sous la tutelle du ministre chargé de la politique de la ville qui fixe les orientations générales de son action.

Le 13 février 2014, après le Sénat, l’Assemblée nationale a adopté définitivement la loi de « programmation pour la ville et la cohésion urbaine » présentée par François Lamy, ministre délégué à la Ville.





jeudi 1 août 2019

Mohamed Harbi

Algérie : «Les archives de la guerre de Libération sont explosives»
Mohamed Harbi  - 26/05/2011

L’éminent historien Mohamed Harbi revient, dans cet entretien, sur les récentes controverses suscitées par les déclarations polémiques d’acteurs du mouvement national et livre quelques vérités cinglantes.

Cliquez sur la photo pour voir le diaporama

D’après lui, l’attaque de la poste d’Oran est l’œuvre d’Aït Ahmed, Boudiaf a réussi l’organisation du 1er Novembre, et l’attitude de Yacef Saâdi à l’égard de Louisette Ighilahriz «n’est ni sérieuse ni noble.» Harbi affirme que Boussouf n’endosse pas seul l’assassinat de Abane Ramdane, et qu’on a exagéré son rôle ainsi que celui du MALG.

Mohammed Harbi à gauche et le président algérien Ben Bella, au siège du FLN à Alger en mars-avril 1964.

Il révèle, par ailleurs, que «Krim a projeté d’assassiner Bentobal» en prévenant que les archives de 2012 «sont terribles et explosives.»




Alors qu’il évalue les harkis et goumiers à environ 100 000 hommes, l’historien estime à quelque 50 000, les victimes algériennes des bavures du FLN/ALN, dont nombre de militants nationalistes authentiques.

Une photo rare du révolutionaire Krim Belkacem prise en 1969.

Pour Mohamed Harbi, « la société algérienne est une société de surveillance mutuelle ».

Il considère que les tabous, liés aux juifs d’Algérie, aux harkis et aux pieds-noirs, en se gardant de les traiter, ont fait le lit de l’islamisme.

Préconisant une déconstruction de la pensée nationaliste, il estime que la question identitaire et celle de l’autoritarisme sont deux problèmes majeurs qu’il est impératif de dépasser pour aller vers une Algérie nouvelle et apaisée.

Six chefs du FLN avant le déclenchement de la «Revolution du 1er novembre 1954 ».
Debouts, de gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohammed Boudiaf.
Assis : Krim Belkacem à gauche, et Larbi Ben M'Hidi à droite.

– Si vous le permettez, M. Harbi, nous aimerions articuler cette interview autour de quelques «noms-clés» en rapport avec l’histoire du Mouvement national.
Et le premier qui nous vient à l’esprit, en l’occurrence, est Ahmed Ben Bella qui a défrayé la chronique ces derniers jours suite à ses récentes déclarations à Jeune Afrique.
D’abord, comment l’avez-vous rencontré ?

Rabah Bitat, né le 19 décembre 1925 à Aïn Kerma (actuelle Messaoud Boudjriou, wilaya de Constantine) et mort le 10 avril 2000 à Paris, est un militant nationaliste et homme d'État algérien, un des fondateurs du Front de libération nationale en 1954, et, après l'indépendance, plusieurs fois ministre. Il a aussi été chef de l'État par intérim durant 45 jours en 1978, à la suite du décès de Houari Boumédiène.

Je l’ai rencontré pour la première fois au moment de la discussion du programme de Tripoli.
A ce moment-là, j’ai pu, plus ou moins, voir ce qu’était l’homme dans ses idées.

Didouche Mourad (en arabe: ديدوش مراد, en berbère: Diduc Muṛad), dit Si Abdelkader, né le 13 juillet 1927 à Alger et mort le 18 janvier 1955 à Condé-Smendou (actuelle Zighoud Youcef, wilaya de Constantine), est un militant nationaliste algérien, un des six fondateurs du Front de libération nationale en 1954 et un combattant de la guerre d'indépendance (1954-1962).

Il faut noter qu’avant cela, il était en prison depuis 1956.
Et dans ses idées, il y avait incontestablement chez lui un véritable amour du monde rural.
En même temps, il y avait chez lui un aspect qui relève de l’éducation politique de toute une génération, à savoir l’attachement à un nationalisme de type autoritaire.

Mohamed Larbi Ben M'hidi (en arabe : العربي بن مهيدي, en berbère: Lɛrbi U Mhidi, en tifinagh: ⵍⵄⴻⵔⴱⵉ ⵎⵀⵉⴷⵉ), né en 1923 à Aïn M'lila dans l'actuelle wilaya d'Oum El Bouaghi et mort assassiné en 1957 à Alger, est un militant nationaliste algérien, membre du PPA, puis du MTLD2, un des fondateurs du FLN en 1954, puis combattant pendant la guerre d'Algérie (1954-1962). Arrêté en février 1957, il est torturé, puis exécuté sans jugement par l'armée française durant la bataille d’Alger.

Il est considéré comme un héros de la révolution en Algérie2 et son nom a été attribué à plusieurs lieux et édifices institutionnels.

Conseil d'administration de l'Association des Oulémas en Algérie, fin des années 1950. De gauche à droite, assis : Naïm Naïmi, Cheikh Abbas Bencheikh el Hocine, Ahmed Taoufik El Madani, Larbi Tebessi, Mohamed Bachir El Ibrahimi, Mohamed Khireddine, Abdellatif Soultani, Ahmed Bouchmel. Debout : inconnu, inconnu, Baaziz Benomar, Ahmed Hammani, Aboubakr Laghouati, Djilali El Farissi, Abdelkader El Maghribi, Ahmed Sahnoune, Hamza Boukoucha, inconnu.

Pour en venir à des faits précis comme l’attaque de la poste d’Oran en avril 1949, Ben Bella affirme qu’il était l’artisan de cette attaque.
Selon vous, qui d’Aït Ahmed, qui était le successeur de Belouizdad à la tête de l’OS, ou de Ben Bella qui, comme vous le précisez dans vos livres, a pris en main cette organisation à partir de janvier 1949, est le véritable instigateur de cette opération fondatrice ?

Carte de membre de Gaston Revel.

Personnellement, je pense que les éléments concrets ressortaient de l’organisation locale.
Mais les projets (la planification des opérations, ndlr) étaient incontestablement du ressort de la direction centrale, donc d’Aït Ahmed.

Mostefa Ben Boulaïd (en berbère : Musṭfa ou Bulεid), né le 5 février 1917 à Arris et mort le 22 mars 1956 dans le massif des Aurès, est un militant nationaliste algérien, un des fondateurs du Front de libération nationale en 1954, commandant de la zone Aurès au début de la guerre d'Algérie. - colorier par Jalal Aït KARA

Je pense que compte tenu du fonctionnement de l’Organisation, le rôle d’Aït Ahmed a été très important.

– Et quand il dit de Boudiaf qu’il était «zéro sur le plan militaire», vous pensez que c’est une vérité ou bien une méchanceté ?

Mohamed Boudiaf (en arabe : محمد آبو ضياف), né le 23 juin 1919 à M'Sila et mort assassiné le 29 juin 1992 à Annaba, est un homme d'État algérien. Il est président de l'Algérie du 16 janvier 1992 au 29 juin 1992.
Fonctionnaire de profession, membre fondateur du Front de libération nationale (FLN), un des chefs de la guerre d'indépendance algérienne et membre du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), au poste de ministre d'État de 1958 à 1961 puis vice-président jusqu'en 1962, il entre en opposition contre les premiers régimes mis en place à l'indépendance de son pays, et s'exile durant près de 28 ans au Maroc. Rappelé en Algérie, en 1992 en pleine crise politique, la dissolution de l'APN par le président Chadli Bendjedid, la proclamation de l'état d'urgence et la démission celui-ci le 11 janvier 1992. L'établissement d'un Haut Comité d'État de cinq membres. Le conseil le nomme président de la République algérienne démocratique et populaire, du 16 janvier 1992 jusqu'à son assassinat lors d'une conférence des cadres à Annaba le 29 juin 1992.

«Zéro sur le plan militaire», il n’y a pas eu d’expérience de type militaire qui permet d’en juger…
Boudiaf était le responsable de l’OS dans le Constantinois.
C’est un membre de l’Organisation qui était assez conséquent, on l’a bien vu. Même si le 1er Novembre a été organisé dans la précipitation et l’improvisation, il l’a organisé.

Ferhat Abbas

– Quand des acteurs de l’histoire comme dans ce cas précis nous font des révélations de cette nature, vous, en tant qu’historien, comment les prenez-nous : pour argent comptant ? Avec des pincettes ?


Je ne peux pas prendre pour argent comptant le témoignage d’un acteur.
On est obligé de se pencher sur les archives quand on en trouve, ce qui est rare pour une organisation qui a été clandestine.
Sinon, on procède à des recoupements des témoignages des acteurs.

Indépendamment de cela, vous avez des interrogations propres à partir de ces témoignages et aussi de la connaissance des acteurs.
Il faut dire que ces affaires sont remontées à la surface dans des moments de crise où chacun cherchait à imposer son image propre.

Leur avion est intercepté par les autorités françaises et les cinq leaders du FLN sont arrêtés. Ben Bella (1er à gauche sera libzrz à la fin de la guerre d’Algérie, en mars 1962. AFP

Et je crois qu’en Algérie, beaucoup de choses se passent comme ça.
Les gens sont plus préoccupés de soigner leur image que par le souci de la vérité.

– Un autre nom nous vient à l’esprit, celui d’une grande moudjahida : Louisette Ighilahriz, qui a eu à affronter seule ses tortionnaires lors des procès qui l’ont opposée au général Schmitt et consorts, sans le moindre soutien de l’Etat algérien.
 C’est une femme extrêmement courageuse qui a été profondément blessée par des allégations prêtées à Yacef Saâdi qui aurait mis en doute son combat.
Que pouvez-vous nous dire sur cette immense résistante ?

Louisette Ighilahriz est une combattante, il n’y a aucun doute là-dessus, et Yacef Saâdi ne pouvait pas ignorer son rôle puisqu’il était un allié de la famille Ighilahriz. Je suppose qu’il y a autre chose qui l’a guidé.
De toute manière, ce n’est ni sérieux ni noble.

– Du point de vue de l’écriture de l’histoire de la guerre de Libération nationale, pensez-vous que la participation des femmes est suffisamment mise en valeur ?

Non, ce n’est pas le cas. Il y a une chose fondamentale qu’il convient de souligner à ce propos, c’est que les femmes sont venues à la rencontre du FLN, mais quand le FLN est allé à leur rencontre, il ne les voyait que comme infrastructure dans l’organisation.
Il ne les voyait pas dans des rôles politiques et des directions politiques.
Alors que le premier bulletin du FLN s’appelait Résistance, on l’a enlevé pour mettre El Moudjahid.
Ça veut tout dire. Le souci du FLN, c’était d’avoir des troupes.
Or, la sensibilité des troupes était incontestablement machiste et patriarcale.

– Selon vous, ces controverses soulevées par des déclarations polémiques qui sont le fait d’acteurs de la Révolution font-elles avancer l’historiographie de la guerre de Libération nationale ?
Est-ce quelque chose de productif ou de contre-productif pour l’historien ?

C’est de la lave en fusion.
Et à mon avis, c’est quelque chose qui ajoute au désarroi et au manque de repères de la population dans son ensemble.
Qui plus est, cela discrédite la politique, surtout que cela intervient dans une atmosphère d’impasse et d’échec, et donc on a tendance à dévaloriser la révolution.

– M. Harbi, en 2012, on annonce l’ouverture d’une partie des archives françaises liées à la guerre de Libération nationale.
D’aucuns y voient une opportunité pour apporter un éclairage décisif sur certaines zones d’ombre de la guerre d’indépendance.
Comment appréhendez-vous ces archives ?

Il y a certainement des archives qui pourraient s’avérer fort pertinentes.
Il y a par exemple le bulletin de renseignement et de documentation qu’établissait le MALG.

Le MALG, est créé en septembre 1957, sous le nom de ministère des Liaisons générales et des Communications (MLGC), avant de devenir le MALG lorsque, en janvier 1960, Abdelhafid Boussouf — jusque-là responsable du redoutable « Service de renseignement et de liaison » de l'ALN — en prend le commandement. Il en fait une puissante machine policière qui étend sa surveillance à l'ensemble du FLN-ALN à l'extérieur. Hormis les wilayas du centre (le Constantinois, l'Algérois et la Kabylie), plus rien n'échappe désormais à son contrôle.

Bien sûr, il glorifie le FLN mais il fournit une foule d’indications sur l’état d’esprit de la population, et ce bulletin ne laisse aucune impression d’unanimisme des Algériens.

– Quel genre de renseignements livraient ces bulletins ?

Par exemple des renseignements sur la conduite des populations, leur rapport au FLN, leur rapport à la France.
Je dis bien c’est le bulletin du FLN, donc tout est à la gloire du FLN.

Toujours est-il qu’à travers ces descriptions, si un historien s’empare de ces documents, il va donner une autre idée de l’opinion algérienne face au FLN.

En tout cas, je pense que ces archives sont explosives.
Moi, j’ai été au ministère des Forces armées comme conseiller de Krim
Belkacem, et je peux vous dire que les dossiers sont terribles.

Le rapport à la population n’est pas du tout ce qu’on dit. Ce sont des archives qui donnent une idée tout à fait différente de la révolution.

– Vous-même, en votre qualité d’historien, comptez-vous les exploiter ?

Je ne sais pas.
A 78 ans, je ne sais pas si j’aurai la force de continuer longtemps.
Je pourrais travailler peut-être sur un ou deux sujets, mais je n’ai plus la même force.

– On vous souhaite beaucoup de santé et de vigueur M. Harbi pour mener à bien cette entreprise…

Si je peux aider, pourquoi pas ?
D’ailleurs, c’est ce que je fais maintenant.
J’aide les jeunes chercheurs à travailler sur les archives, notamment en France.

– Quelles sont les précautions méthodologiques que vous préconisez à l’attention des jeunes chercheurs ?

Le vrai problème, aujourd’hui, c’est que les gens s’intéressent beaucoup plus aux forces politiques indépendamment de la société.
Or, si vous n’avez pas une connaissance précise de la société, vous ne pouvez pas étudier sérieusement les forces politiques en présence.

C’est quelque chose de capital.
Le va-et-vient entre les deux est fondamental.
Ça c’est la première chose.
La deuxième, c’est que les chercheurs formés en Algérie, je le vois très bien, n’ont pas une bonne culture historique.
Ils n’ont pas connaissance de tous les débats sur la méthode et tout ce qui à trait à l’analyse des documents, la capacité de maîtriser le matériau et d’en tirer la matière de l’histoire.

– Ne pensez-vous pas, justement, que c’est quelque chose, pour le moins paradoxale de voir d’un côté la grandeur et la complexité de notre Révolution, et de l’autre, l’indigence de l’appareil académique, universitaire, censé en assurer l’étude et la transmission ?

Je vais vous dire franchement mon opinion : le pouvoir qui est là depuis 1962 n’a aucun intérêt à ce que l’histoire devienne la matrice d’une reconstruction du pays.
Je me souviens quand j’étais à Révolution Africaine, j’avais publié un document sur la Fédération de France du FLN.
Il y a eu tout de suite une réaction du ministre de la Défense (Boumediène, ndlr) et des pressions sur Ben Bella pour dire «cette histoire, on n’en parle plus.»

– Est-ce que vous avez foi dans les jeunes historiens formés en Algérie ?

Il y a quelques-uns qui sont remarquables, mais malheureusement, ils restent à l’étranger.
Et ceux qui rentrent ici, je ne donnerai pas de noms, mais…il y en a un ou deux qui sont vraiment remarquables, qui sont capables de faire de grands historiens. Les autres, ils sont en train d’ahaner pour avoir des postes parce qu’il faut faire valider son diplôme universitaire acquis à l’étranger.
C’est une manière d’avoir des historiens destinés à produire une histoire officielle.

– L’un des enjeux des relations algéro-françaises est l’écriture de l’histoire de la guerre d’Algérie.
Or, nous avons l’impression que là-bas il y a une armée d’historiens, de chercheurs pour accomplir cette tâche, tandis que de ce côté-ci, il y a peu de gens de métier, comme vous le soulignez, qui font le poids. Comment parer à ce déséquilibre ?

Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons pas envisager notre rapport avec les historiens français comme une compétition, mais comme un échange pour équilibrer des regards.

– Comment, lorsqu’on est soi-même acteur et témoin de l’histoire, peut-on en être également le fidèle rapporteur ?

Je vais vous dire comment ils ont procédé en France.
Tous les grands acteurs sont passés par des instituts pour livrer leurs témoignages devant des historiens qui ont étudié la période concernée.
Et ces témoignages sont dûment emmagasinés dans des archives.

– Cela nous fait penser aux psychanalystes qui doivent se faire analyser par leurs pairs avant de pouvoir exercer…

Tout à fait !
En France, tous les acteurs militaires ont donné leurs témoignages aux historiens.
Chez nous, cela se passe autrement.
J’ai chez moi plus de 123 ouvrages algériens de témoignages.
Ce n’est pas satisfaisant, parce que les gens ne parlent pas de la réalité culturelle, de la réalité sociale, de la stratégie des acteurs.
Ils parlent de faits, comme ça… Il faut dire que chez les acteurs de la révolution algérienne, la véritable culture était plutôt rare.
Partant de là, ils ne peuvent revoir et vivre d’une autre manière leur expérience qu’à travers le regard de gens du métier.
L’histoire, c’est aussi un métier.

– Les choses sont-elles claires dans votre esprit, entre le Harbi historien et le Harbi acteur de l’histoire ?

Il y a nécessairement un aspect subjectif dans cette affaire.
Mais cet aspect subjectif, ce n’est pas à moi de le découvrir.
Cela incombe aux lecteurs mais aussi à mes collègues historiens.

De toute manière, je travaille avec la méthode historique, et donc je soumets tout ce que je fais à la critique historique.
Je peux affirmer que j’ai au moins un minimum de distance à l’égard de mon expérience propre.
Seulement, je ne suis pas garant de tout.
J’ai mes rapports personnels avec les hommes, j’ai des côtés subjectifs, mais je pense que ce côté subjectif n’a pas réussi à prendre le dessus dans mon travail. En tous les cas, les lecteurs aviseront.

– Je reviens à cet enjeu que certains appellent «guerre des mémoires» ou «guerre des récits», même si le mot guerre est très chargé.
Peut-on imaginer une écriture de l’histoire qui soit apaisée, dépassionnée, froide, voire «à quatre mains» ?

On ne peut pas appeler cela «guerre des mémoires».
Aujourd’hui, le vrai problème, c’est l’histoire.
Il y a guerre des mémoires parce qu’il y a des forces politiques des deux côtés qui instrumentalisent l’histoire pour perpétuer un combat.

Du côté français, les vaincus de la guerre d’indépendance sont encore nombreux.
Ils sont dans des partis, ils ont des comptes à régler.
Et, effectivement, on peut parler à leur sujet plus de mémoire que d’histoire.

Du côté algérien, il y a des mouvements qui connaissent des phases sensibles d’essoufflement, il y a des gens qui n’ont plus rien à dire, et qui pensent que c’est un trésor inépuisable pour essayer de solidifier une nation, qu’ils n’arrivent pas à solidifier autrement.

Si des gens actuellement passent leur temps à ânonner sur le passé, c’est uniquement dans cette perspective.
La mémoire et le présent, c’est un gros problème.

Le présent n’est pas un présent d’affirmation du respect de l’individu, et la mémoire, elle, rappelle un passé de non-respect de l’individu.
Alors, si on veut vraiment convoquer l’histoire pour créer un esprit civique, il faut commencer par respecter l’individu en faisant en sorte que la mémoire d’avant serve de catalyseur, sinon, ce n’est pas la peine.

– Lors du colloque organisé récemment en hommage à Claudine Chaulet, vous avez rapporté ce fait révélateur, à savoir que sous le PPA la notion d’individu n’existait pas, et qu’il était par exemple inimaginable de se représenter un Algérien boire une bière dans la conception identitaire du PPA…

Publiquement non, comme dans toutes les sociétés musulmanes qui vivent sous le signe de la schizophrénie.

Vous pouvez tout faire si on ne vous voit pas.
Mais, officiellement, un militant nationaliste ne buvait pas, était censé ne pas boire, et les mœurs des gens étaient sous surveillance.

Ce sont des choses qu’on ne veut pas voir de près.
Nous sommes des sociétés de surveillance mutuelle.
Avant, la surveillance était une institution, c’était la «hissba».

Le problème, c’est qu’avec la colonisation cette institution a disparu.
Du coup, la surveillance est devenue l’affaire de chacun, et elle est beaucoup plus pernicieuse que s’il y avait une institution comme telle.

– Vous avez souvent souligné la prépondérance du religieux comme référent identitaire dominant au détriment de la diversité raciale, religieuse et culturelle, qui caractérisait notre pays.
Pensez-vous que cela constitue un facteur bloquant qui nous empêche d’aller vers la modernité culturelle et politique ?

Tout à fait !
Si le FIS a été ce qu’il a été, il ne le doit pas à la capacité de ses chefs mais précisément à cet élément.

Il faut s’avouer que nous sommes une société fermée.

Nous avons un système éducatif de type conservateur et patriarcal.
D’ailleurs, je suis effrayé par la haine que les gens ont pour les femmes.
C’est incroyable !

Ce n’est pas simplement de la haine, c’est de la peur.
Je vois pas mal de femmes, des chercheuses surtout, qui sont tout à fait exceptionnelles, et dès le mariage, elles ont des problèmes.
Elles sont confrontées à un dilemme : soit, c’est le sacrifice du métier, soit c’est la rupture.
Et si vous faites une recherche statistique, vous verrez que pas mal d’universitaires de haut niveau sont des femmes seules.

– A votre avis, un travail de déconstruction de la pensée nationaliste telle qu’elle a prévalu jusqu’à aujourd’hui est-il nécessaire pour ériger une Algérie nouvelle ?

Actuellement, l’Algérie est confrontée à deux problèmes : d’abord, la déconstruction de cette pensée à partir de l’idée d’une société multiculturelle et multiethnique, parce que la question de l’ethnicité est un vrai problème.
On a beau le cacher, c’est un vrai problème.

La deuxième question, c’est le problème de l’autoritarisme.
L’Algérie transpire l’autoritarisme par tous ses pores.
On parle du pouvoir, mais si vous voyez la vie des partis, elle n’est pas fondamentalement différente.
Il faut revenir aux fondements de l’autoritarisme, et quand vous analysez ces fondements, force est de constater la nature des rapports familiaux et le poids du patriarcat.
Ce n’est pas un hasard si ce modèle-là, vous le retrouvez dans le système éducatif d’une façon très forte.
C’est tout cela qui fait que notre société soit très conservatrice.

– Vous avez cité un mot-clé : «surveillance».
Vous avez parlé de cette fiche mystérieuse du MALG qui épie la population, et tout cela me renvoie à un autre «nom-clé» : Abdelhafidh Boussouf.
D’aucuns ont fini par le mystifier tellement il cultivait le mystère.
On le dépeint généralement comme un personnage intrigant qui était derrière tous les coups tordus.
Est-ce que vous l’avez connu personnellement ?

Je le connaissais très bien puisqu’il était dans la daïra de Skikda.
Mais il était originaire de Mila.
C’était un cadre de qualité.
Je dis d’ailleurs dans mes mémoires que c’est lui qui m’avait recommandé le Que faire ? de Lénine quand j’étais au lycée.
C’était un bon organisateur.
Mais il était très suspicieux, il était aussi répressif.

Néanmoins, je pense qu’on a exagéré les choses à son sujet.
Il faut savoir que tous les accords portant sur le renseignement, conclus avec d’autres pays, étaient traités par le GPRA.
C’est le gouvernement qui décidait.
 Il avait une puissance au sein du gouvernement, certes, mais il ne faisait pas ce qu’il voulait.

– Quand on le présente comme «l’ancêtre de la police politique et du DRS», vous pensez que c’est exagéré ?

Il se trouve que les instruments qu’il a forgés sont passés, par la suite, au ministère de la Défense.
Mais, avant, ce n’étaient pas eux qui contrôlaient (les cadres du ministère des Forces armées, ndlr).
Ils ne contrôlaient rien. C’était un peu comme dans le système français : les grands commis de l’Etat, on veut bien s’assurer qu’ils n’ont pas d’antenne avec l’étranger, des trucs comme ça, ce n’était pas plus.

– Pourtant, il y a ce fait gravissime qu’on lui impute, celui d’avoir assassiné Abane Ramdane à Tétouan et d’avoir pris tout seul la responsabilité de le liquider…

Tout seul, je ne dirais pas cela.
Qu’il ait une part de responsabilité dans cette affaire, c’est sûr.
Seulement, il y a un point d’interrogation sur cette question.

Quand ils ont examiné le cas Abane, Ouamrane, Krim, Mahmoud Chérif et Boussouf étaient pour son exécution.

– Et Bentobal était contre…

Bentobal était effectivement contre.
Or, il fallait un consensus.
Ils ont opté alors pour son emprisonnement, mais pas en Tunisie parce que là-bas, c’était dangereux.
Donc, ils l’ont emmené au Maroc sous prétexte qu’il y avait des différends qu’il fallait régler avec le sultan Mohamed V.

Abane était accompagné de Krim Belkacem et Mahmoud Chérif.
Une fois au Maroc, il a été assassiné.
Moi, je ne peux pas répondre aussi affirmativement à la question.
 Krim dit «ce n’est pas moi, c’est Boussouf.»
Mahmoud Chérif dit «ce n’est pas moi, c’est Boussouf.»
Moi, je ne peux pas le dire, je n’étais pas là, il n’y a pas de preuves.

– Dans le livre de Khalfa Mammeri, Abane Ramdane – le faux procès, l’auteur fait mention d’un procès-verbal (qui aurait été puisé dans les archives personnelles de Boussouf déposées en Suisse, ndlr), et où ce dernier aurait imposé aux autres membres du CCE d’endosser a posteriori l’assassinat de Abane pour faire croire à une décision collégiale…

Sur ce document, point d’interrogation.
Par contre, qu’il l’ait assassiné, ça ne fait pas de doute.
Mais sur la responsabilité individuelle, je me pose des questions. Je n’ai pas de réponse.

– Avez-vous des éléments de réponse à propos de ce qu’on reprochait exactement à Abane Ramdane ?
Est-ce qu’on était jaloux de lui parce qu’il était brillant ?
Est-ce qu’il a payé le Congrès de la Soummam ?
Etait-ce une affaire d’ego ?

Il y avait beaucoup de cela.
Pour tout dire, Abane ne pensait pas que cette catégorie d’hommes pouvait diriger l’Algérie.
Il faut savoir que le premier incident est survenu le 5 juin au sujet d’une conférence de presse qui devait être donnée au Caire.

Krim voulait la tenir alors que c’est Abane qui devait l’animer.
Ce dernier s’est adressé à Krim en le traitant d’aghyoul (bourricot).

Finalement, il a été dévolu à Saâd Dahlab qui était un personnage de second ordre de l’animer.
Les deux membres les plus puissants du CCE étaient ainsi aux prises l’un avec l’autre.
Et je pense que Krim avait des visées sur le pouvoir depuis toujours, surtout après la Bataille d’Alger.

– Donc, vous maintenez que ça n’a pas été une décision exclusive de Boussouf d’éliminer physiquement Abane ?

Non, parce qu’ils étaient trois et ils imputent cela à Boussouf.

Or, je sais, d’après Bentobal, que Krim avait projeté d’assassiner Bentobal après cet épisode.
Donc, si tant est que le témoignage de Bentobal soit véridique, Krim voulait éliminer les gens qui se dressaient sur le chemin de son pouvoir.
Pourquoi Bentobal ?
Parce qu’il supposait qu’étant lui aussi de Mila, Bentobal était un appui pour Boussouf.

– D’après vous, l’assassinat de Abane a-t-il affaibli le CCE ?

Du point de vue politique, c’est sûr.

– Quand on dit qu’il y a un avant et un après-Abane, est-ce une analyse que vous partagez ?

La machine politique a continué à fonctionner.
La machine politique, ce n’était pas seulement Abane.
Il y avait des hommes de grande qualité comme Ferhat Abbas, comme Abdelhamid Mehri, comme Benyoucef Benkhedda…

– Toujours est-il que Boussouf, après l’assassinat de Abane, semble avoir pris un ascendant sur les autres, vous n’êtes pas de cet avis ?
On assure même qu’il terrorisait tout le monde.

Boussouf ne contrôlait que la base du Maroc.
Or, la puissance du FLN était plus en Tunisie qu’au Maroc.

– Dans son livre sur le colonel Amirouche (Une vie, deux morts, un testament) Saïd Sadi affirme que c’est Boussouf qui a donné Amirouche aux Français…

Quand je suis arrivé en Tunisie, j’ai entendu cette version.
Moi, je suis arrivé au mois de mai 1959 (Amirouche est tombé au champ d’honneur le 29 mars 1959, ndlr) et il y avait cette version qui circulait.
Elle a tenu le haut du pavé pendant toute la période de la réunion des colonels.

Une opposition faisait rage entre Krim d’un côté, et Boussouf, Bentobal, et Boumediène de l’autre.
C’était dans le cadre de ces luttes de pouvoir qu’est sortie cette version. Personnellement, je pense que Boussouf était sans doute quelqu’un de particulier, mais pas à ce point.

– Après l’indépendance, il a eu une vie discrète.
Certains récits affirment qu’il s’est converti en armateur ou vendeur de bateaux. Pourquoi Boussouf a-t-il disparu aussi subitement de la vie publique selon vous ? Il n’a pris aucune responsabilité après 1962 ?

Il ne pouvait pas prendre de responsabilité, personne n’aurait voulu de lui.

Même quand Boumediène était devenu le grand chef, Boussouf a fait une offre de service, mais il n’a même pas été reçu par Boumediène.
Vous ne pouvez pas avoir avec vous votre ancien chef qui vous connaît bien.

Après, il s’est lancé dans les affaires, il avait un nom et les Irakiens l’ont beaucoup aidé.
Il a trouvé de l’aide partout dans le monde arabe.

– Est-ce qu’on a donné, selon vous, sa pleine valeur au Congrès de la Soummam qu’accable par exemple Ali Kafi ?

Je pense que c’est une version contemporaine chez Al Kafi.
Je ne lui ai pas connu cette opinion avant.
En réalité, chez Ali Kafi, ce n’est pas le Congrès de la Soummam qui posait problème mais plutôt la personne de Abane.
Il estime que Abane, ce n’était pas l’homme qu’il fallait.
C’est un parti pris, c’est le point de vue d’un clan tout simplement.

– Même les attaques de Ben Bella contre le Congrès de la Soummam ?

C’est la même chose, c’est le point de vue d’un clan.
Avec cette différence que lui en a été exclu.

A mon avis, cette histoire selon laquelle il ne pouvait pas venir n’est pas crédible.
S’il avait participé au Congrès, peut-être que les choses auraient pris une autre tournure.
Les clans n’auraient pas eu les mêmes contours.
Il faut souligner que la majorité était derrière Krim beaucoup plus qu’elle ne l’était derrière Abane.
C’est l’intelligentsia qui était derrière Abane, ainsi que l’ancienne classe politique qu’il a récupérée.

– On approche à grand pas du cinquantenaire de l’Indépendance qui coïncide, à quelque chose près, avec cet éveil des sociétés civiles arabes et maghrébines pour exiger le changement.

La Révolution de 1954 n’a pas tenu toutes ses promesses, il y a une grande déception de la part des Algériens qui ont le sentiment que le combat libérateur est resté inachevé.
Y a-t-il de la place, d’après vous, pour une nouvelle révolution afin de réaliser les promesses de l’Indépendance ?

Ne parlons plus de révolution, elle est terminée.

Les espérances des Algériens ne trouvent pas écho dans le système auquel a donné naissance la Révolution.
Les gens qui pensent qu’il faut achever cette révolution devraient réfléchir autrement maintenant.

Il faut tout recommencer.

C’est un autre peuple, c’est une autre société.
Je ne pense pas que les sociétés puissent se construire durablement indépendamment d’un mouvement d’idées et d’un projet, et c’est ça le problème des Algériens.

– Quand on dit que c’est la même équipe qui gouverne depuis 1962 en termes de filiation en soulignant la structure fondamentalement militaire du pouvoir, Bouteflika qui est issu du groupe de Oujda, vous êtes d’accord avec cela ?

Non, non, il y a eu des recompositions.
Il me semble qu’au niveau des dirigeants, ils sont tous pour le changement, mais ils ne savent pas par où commencer parce que le point par lequel on commence décidera de qui va en profiter.
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Mellouza, la bleuite et autres massacres entre frères :

50 000 Algériens victimes des bavures du FLN
Concernant d’autres zones d’ombre de la Révolution, des épisodes sombres comme l’affaire Mellouza, comme la Bleuite et d’autres du même acabit, est-ce que tout a été dit sur ces affaires, selon vous, M. Harbi ?

Oui, je pense que tout a été dit.
On a tous les éléments d’information.
Maintenant, le problème, ce sont les victimes.
Par exemple, dans l’ouvrage de Saïd Sadi (sur le colonel Amirouche, ndlr), je ne peux pas comprendre qu’un démocrate se mette au niveau d’un bureaucrate et non pas au niveau des victimes.
Je pense que c’est à partir du point de vue des victimes qu’il faut revenir à Mellouza et à l’affaire de la Bleuite.

Il y a des choses bouleversantes à ce propos.
A titre d’exemple, il y a l’affaire du militant Saïd Akli qui était considérée comme une affaire berbériste.
C’est quelqu’un qui a beaucoup fait pour Krim, pour Ouamrane, et qui s’est trouvé au maquis.
Il a été assassiné d’une façon arbitraire, comme ça…
Pourtant, il était connu partout pour être un militant modèle.
C’était un restaurateur, et il avait sacrifié tous ses biens avant de prendre le maquis.
Eh bien, le jour de l’indépendance, les femmes défilaient à part en Kabylie.
Sa soeur se trouvait dans un défilé, et à un moment donné, les autres femmes sont venues lui dire : « Toi va-t-en, ton frère est un traître ! »
C’est dramatique.

Aujourd’hui, les Algériens devraient se pencher sur cet aspect de la Révolution en s’intéressant au point de vue des victimes parce qu’il n’y avait pas que ces affaires-là.

Il y en a eu beaucoup d’autres.

On évalue à peu près à 50 000 personnes le nombre des victimes de la résistance armée.
Il faut revenir sur cette question si on veut cautériser les plaies parce que ces histoires vont certainement rebondir.
Moi, je connais des familles dans l’émigration issues de la Kabylie qui sont arrivées à savoir qui a tué l’un des leurs. Ce sont des histoires qui courent encore.

Ce sont des victimes de bavures du FLN et de l’ALN ?

C’est ça.
Moi, je connais des gens qui ont été tués par erreur, comme ça, parce que soi-disant ils ne payaient pas, parce que ceci, parce que cela...

On sait que les gens du MNA, les Messalistes, ont été massacrés en grand nombre…

Oui, en grand nombre, Mais eux aussi ont fait la même chose.
La lutte entre eux a été d’une cruauté incroyable parce que ce sont des gens qui se connaissaient.

Juifs d’Algérie, harkis et pieds-noirs :

« Si ces questions avaient été traitées, on n’aurait pas eu l’islamisme »

M. Harbi, il y a trois tabous qui sont peu abordés en évoquant les conséquences de la guerre de Libération nationale.

- Le premier est la question juive,
- le second tabou a trait à la question des harkis,
- et le troisième, à la place des pieds-noirs qui sont partis massivement après 1962.
Vous avancez le chiffre de 10 000 juifs qui se sont retrouvés apatrides au lendemain de l’indépendance, en raison du fait, dites-vous, qu’ils n’étaient pas touchés par le décret Crémieux et aussi parce qu’ils n’ont pas eu droit à la nationalité algérienne après l’indépendance…
Absolument !

Comment imaginez-vous le traitement de ces trois questions ?

Je pense que si ces questions avaient été traitées dès le début, on n’aurait pas eu l’islamisme.

On constate par exemple un antisémitisme primaire au sein de notre société.
Le « houdi » est source de tous les maux…

C’est un phénomène nouveau dans la société algérienne.
L’anti-judaïsme a toujours existé dans notre société, tout comme l’anti-islamisme a existé chez les juifs.

C’est tout à fait normal, ce sont deux religions en compétition.
Mais sous cette forme qui consiste à recueillir les oripeaux des poubelles de l’antisémitisme européen, c’est nouveau.
On le lie généralement à la question palestinienne.

C’est vrai que ça joue, mais indépendamment de cela, il y a autre chose.
On a pu voir après l’indépendance que les juifs qui avaient une responsabilité importante, quand ils sont arrivés à un certain niveau, on les a envoyés paître.

Et qu’en est-il des harkis ?

Les harkis, moi j’ai participé à pas mal d’ouvrages sur cette question.
Il faut profiter de ce 50e anniversaire de l’indépendance pour l’inclure dans les phénomènes de déchirement du peuple algérien. 
Il ne fait pas de doute que le phénomène harki est lié à trois faits sociologiques :

La crise de la paysannerie.

Le rapport autoritaire du FLN envers des communautés rurales qui avaient des systèmes de fonctionnement et des modes de préservation de l’honneur
qui ont été bafoués.

Le déclassement social.

A combien évaluez-vous les supplétifs de l’armée française ?

Entre mokhaznis, harkis et goumiers, ils étaient plus d’une centaine de mille. D’ailleurs, quand on dit on en a tué 150 000, ce n’est même pas leur nombre.
Ce sont des chiffres inventés.

Par exemple, dans la région entre El Harrouch et Oued Zenati, il y avait plein de tribus dont les hommes à 60% ont revêtu l’habit de goumier.
C’est dû à la crise, mais aussi à la pression militaire française qui était terrible.

Il faut souligner que les gens étaient aussi dans des rôles doubles.

Ils n’étaient jamais pour la France ni pour l’Algérie.

Leur obsession, c’était comment survivre.
Il faut tenir compte de ce facteur-là.

Les gens devaient survivre, sinon, ils étaient menacés de disparition.
C’est pour dire que les guerres sont toujours sales, et le tout, c’est de ne pas s’y engager.

Et concernant le départ massif des pieds-noirs, que certains comme le cinéaste Jean-Pierre Lledo décrivent comme une fracture profonde, comment le jugez-vous ?

C’est une fracture énorme, en effet, d’autant plus que l’Algérie, dans son fonctionnement quotidien, était faite pour eux.

Le problème est que la question nationale doit être approchée en fonction de la prépondérance d’une majorité rurale qui n’était pas en contact avec les Français.

 Pour eux, ce n’était pas seulement des étrangers, c’était des ennemis.
Ce n’était pas exactement le cas dans les villes où on les vivait, certes, comme des adversaires à combattre, mais on faisait la différence entre les divers groupes de Français. Il y avait des rapports humains.

Mais à partir du moment où la ruralité s’est mise en marche, ça devenait un vrai problème, parce que la ruralité engageait le combat en termes de substitution pure et simple aux Français.

..........Précisions de Mohammed Harbi…………
A la suite de la publication le 26 mai 2011 dans El Watan de l’interview précédente, Mohammed Harbi a tenu à apporter les précisions et le complément d’informations suivants qui ont été publiés dans l’édition du 28 mai du même journal.

« J’ai pris connaissance de l’interview que je vous ai donnée.
Permettez-moi d’y apporter quelques précisions :

Le choix des titres et des sous-titres a été fait par la rédaction.
Je n’en suis donc pas le responsable.

Je ne pouvais dire que les archives françaises qui seront ouvertes en 2012 ’’sont sensibles et explosives’’.
Elles sont accessibles depuis plusieurs années mais elles ne sont pas toutes libres à la consultation.

La mise en cause d’un dirigeant de premier plan comme Krim par Bentobbal, dont les ’’Mémoires’’ gagneraient à être rendues publiques, doit être contextualisée.

Elle est intervenue après la mini-crise de direction qui a suivi le meurtre d’Abane Ramdane.
Si j’ai évoqué cet épisode, c’est pour mentionner qu’il y a dans la sphère politique des antécédents aux règlements de compte selon des méthodes maffieuses et non pour discréditer un homme à qui l’Algérie doit beaucoup.

De tels épisodes ne doivent pas être occultés si on veut ’’civiliser’’ et réguler le jeu politique.
La réponse à la question sur ’’les trois tabous’’ que vous avez évoqués appelle une clarification.

En occultant une partie de son histoire, l’Algérie s’est condamnée elle-même à l’enfermement.

Prenons par exemple l’histoire de l’Eglise d’Algérie.
Les tentatives d’évangélisation ont laissé chez les Algériens vaincus des souvenirs douloureux.
Est-ce une raison pour taire les efforts de cette église pour s’algérianiser et s’intégrer à la nation, le rôle de ses prêtres et de ses séculiers dans la résistance ?

Ce faisant on a laissé la porte grande ouverte au fanatisme, à l’intolérance et aux assassinats.

C’est en pensant aussi à cela que j’ai répondu à votre question sur les trois tabous.
Le remède aux dérives du fanatisme religieux est complexe.

Il requiert un système éducatif autre, un personnel enseignant gagné aux valeurs humanistes et un aggiornamento de l’islam.

Sur la question des harkis, je me suis souvent exprimé.
Je ne plaide pas, comme pourraient le croire des gens de mauvaise foi, l’innocence.
Mais un historien sérieux et un patriote soucieux de la cohésion nationale ne peuvent pas accepter dans l’examen d’une question coloniale la mise en œuvre d’une grille d’explication privilégiant le couple collaboration-résistance.

Il est grand temps d’arracher le destin de l’Algérie au flot des légendes pieuses et ’’aux brumes des mythologies qui le masquent de toute part’’.

Il ne faut pas oublier qu’au-delà de ce qu’on appelle parfois légitimement la collaboration, l’attitude des Algériens s’est surtout caractérisée par une multitude de tactiques visant à s’y soustraire, tactiques qui expliquent l’échec de l’Etat colonial à parfaire sa domination sur notre société.

Une vision saine de l’attitude des Algériens pendant la guerre de Libération doit inclure toutes les données disponibles.

Je reproduis, ci-joint, un tableau établi par le professeur C.R. Ageron, tableau qui appelle débat, confrontation et éventuellement correction.



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Bio express :

Mohamed Harbi est né en 1933 à El Harrouch, près de Constantine.

Dès 1948, il adhère au PPA-MTLD.
Il part en France en 1953 pour s’inscrire à des études d’histoire à la Sorbonne.

En 1956, il intègre l’UGEMA puis le comité fédéral de la Fédération de France du FLN comme responsable de l’information.

En 1958, il rejoint le GPRA au Caire dès sa création.

Il devient le conseiller de Krim Belkacem au ministère des Forces armées, puis au département des affaires étrangères du GPRA.

Il est nommé ambassadeur en Guinée (1960-1961). Mohamed Harbi prend part aux premiers accords d’Evian.

Après l’indépendance, il est conseiller du président Ben Bella et participe à l’élaboration du Programme de Tripoli (1962).

En 1965, il fait les frais du coup d’Etat de Boumediène et se voit emprisonné pendant cinq ans, puis placé en résidence surveillée.

En 1973, il réussit à s’évader.
Harbi vivra en exil forcé jusqu’en 1991.
Il se consacre dès lors à l’enseignement universitaire et à son métier d’historien.

Parmi ses nombreux ouvrages : Aux origines du FLN, Le populisme révolutionnaire en Algérie (1975).
Le FLN, mirage et réalité (1980), 1954, la guerre commence en Algérie (1984),
L’Algérie et son destin, croyants ou citoyens (1993), Une vie debout, Mémoires (2001), Le FLN, documents et histoire 1954-1962 (2004, avec Gilbert Meynier).

Entretien réalisé par Mustapha Benfodil
Source : El Watan

Glossaire :

- L’OS : L’Organisation spéciale. Bras armé du PPA-MTLD créée en 1947. Son premier chef était Mohamed Belouizdad, avant d’être remplacé par Hocine Aït Ahmed. Elle sera démantelée en 1950 suite à l’arrestation de Ben Bella.

- Le CCE : Comité de coordination et d’exécution, organe créé par le Congrès de la Soummam. C’est l’instance exécutive du CNRA, le Conseil national de la Révolution algérienne.

- Le MALG : Ministère de l’Armement et des Liaisons générales.
Premier appareil de renseignement militaire algérien, le MALG était le service de renseignement attitré de l’ALN.
Il est couramment présenté comme l’ancêtre de la police politique en Algérie.
Il était dirigé par Abdelhafidh Boussouf.

- Le MNA : Mouvement national algérien. Parti créé par Messali Hadj en 1954 avec pour objectif de faire échec au FLN.
Des luttes fratricides feront rage entre les deux factions, notamment au sein de l’émigration.

– L’Affaire Mellouza :
Elle fait référence au massacre, dans la nuit du 28 au 29 mai 1957, de plusieurs affidés du «général Bellounis», chef des troupes du MNA, par des commandos de l’ALN dans les hameaux de Mellouza, Béni Ilmane et Mechta-Casba, dans la wilaya de M’sila, réputés être des fiefs messalistes.
On évoque le chiffre de 300 hommes tués.

– L’Affaire de la « Bleuite » : Par allusion aux «bleus de chauffe», des auxiliaires algériens retournés par l’armée coloniale contre le FLN dans La Casbah durant la Bataille d’Alger.
Elle renvoie à une purge perpétrée à partir de 1958 dans les rangs de l’ALN suite à une grosse opération d’intox et de guerre psychologique menée par les services secrets français visant à faire croire à l’existence de traîtres dans les maquis de la Wilaya III.
Longtemps on a imputé ces purges au colonel Amirouche, une version que réfutent ses compagnons d’armes.

– Décret Crémieux : Il s’agit du décret promulgué le 24 octobre 1870 qui octroie d’office la nationalité française aux israélites indigènes d’Algérie.
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Mohammed Harbi : citoyenneté et histoire, national et universel
Par Gilbert MEYNIER

On peut certes être un citoyen sans être un historien.
En revanche, on ne peut à mon sens être historien sans être citoyen.
En effet, la volonté sans concession de comprendre et d’éclairer le passé se déduit souvent de l’engagement au présent dans la vie de la Cité.

C’est, d’une part, la raison pour laquelle Mohammed Harbi a dû, contraint et forcé, se résigner à devoir vivre dans la froideur de l’exil tant l’expérience lui avait prouvé qu’il lui était difficile de vivre et travailler dans le libre épanouissement dans son pays.

C’est d’autre part, aussi, la raison pour laquelle, dans le champ historien comme dans le champ citoyen, Mohammed Harbi s’est toujours situé du côté de l’analyse et de la réflexion, contre celui de l’instinct et du réflexe.

Son camp est bien celui des vrais intellectuels, lesquels ne peuvent être que de vrais citoyens, aux antipodes des forteresses investies par les croyants irraisonnés.