Covid-19 : “Sur les
tests, tout le monde ment, on ne pourra pas en faire 700 000”, affirme le Pr
Froguel
Par Emmanuel Magdelaine - 01/05/2020
À l’institut de recherches sur le diabète (EGID) du CHU de
Lille, le professeur Philippe Froguel a rapidement décidé de transformer son
activité pour participer à la lutte contre le coronavirus Covid-19.
Il a notamment lancé
un programme permettant de réaliser 1000 tests par jour.
Généticien et endocrinologue, Philippe Froguel est un
acteur-observateur engagé de cette crise. Il aime bousculer la
"bureaucratie" de la santé et entend bien faire entendre sa voix,
quitte à déplaire.
Ce jeudi soir, vous avez écrit sur Twitter que trop de
choses fausses « officielles » sont dites au cours de cette crise par le
gouvernement : lesquelles ?
Pour le Professeur Philippe Froguel, la France n'est
pas prête à réaliser 700 000 tests par semaine / © FRANCE 3
Beaucoup de choses me désespèrent.
Exemple récent : la carte avec les départements en rouge ou
en vert.
Le gouvernement a parlé de trois critères.
Finalement, il y en a un qui a sauté.
Et sur le premier (la circulation du virus), les données
nous manquent forcément puisqu'on n'a pas fait assez de tests.
Seul le critère sur la situation des services de réanimation
est fiable.
Par ailleurs, l'étude de l'Institut Pasteur nous dit que 4
millions de personnes ont été infectées. Mais en réalité, on ne sait pas.
On n'a pas fait assez de tests.
Cette modélisation
n'est pas fiable.
Dans cette crise, on a manqué de science.
On n'a pas fait assez de statistiques.
Pourquoi, selon vous, le gouvernement a évité de parler des
tests ?
Dans l'histoire des tests, tout le monde ment.
Des directeurs d'hôpitaux à Emmanuel Macron en passant par
la Direction générale de la Santé ou Olivier Véran.
On nous dit qu'on fait actuellement 250 000 tests par
semaine alors qu'on sait que c'est plutôt 120 à 140 000.
On nous dit qu'on va en faire 700 000 à partir du 11 mai
alors que c'est impossible.
Au CHU de Lille, la communication nous dit par exemple
qu'ils devaient faire 2800 tests par jour.
En fait, ils n'en font que 400.
En ce moment, le nombre de tests effectués a même tendance à
baisser par exemple dans les Hauts-de-France.
Peut-être grâce au confinement mais ce qui est sûr, c'est
que les prélèvements dans les Ehpad ne sont pas suffisamment faits.
On n'est pas organisés.
On a d'abord dit à l'hôpital public de tout faire et bloqué
toutes les autres initiatives. Et maintenant, on dit au privé de prendre tout
en charge. C'est la désorganisation totale.
Sur quels éléments vous fondez-vous pour dire qu'on
n'arrivera pas à 700 000 tests ?
D'abord, la France a commandé 21 robots à la Chine pour les
tests. Selon mes informations, pour l'instant, aucun ne fonctionne.
Un robot, ça pèse 500 kilos, il faut l'isoler. Les choses,
techniquement, ne sont pas simples.
On n'a pas le personnel formé pour bien les faire
fonctionner.
Les protocoles sont arrivés au compte-gouttes.
Il y a une telle désorganisation qu'on se repose maintenant
sur le privé.
Nous, avec mon équipe, on a monté une chaîne mais on nous a
mis des bâtons dans les roues.
Et aujourd'hui, on fonctionne à un tiers de nos capacités.
On devait traiter les tests des Ehpad mais comme l'Etat n'a
rien organisé, on ne teste pas assez.
Le CHU de Lille n'est
pas plein aujourd'hui.
Le personnel pourrait aller dans les Ehpad.
En ce moment, avant le déconfinement, on devrait vraiment
essayer de savoir qui sont les gens qui sont contaminés, s'ils viennent en
majorité des Ehpad.
Je crains qu'on ne le fasse pas uniquement pour des raisons
logistiques.
J'ai écrit au Préfet et au directeur de l'ARS à ce sujet.
Beaucoup de gens dans l'administration de la Santé ne savent
pas bosser : ils ne sont pas ingénieurs, ne sont pas chercheurs, n'ont aucun
sens pratique.
Autre souci : les commandes de réactifs.
La France n'a jamais centralisé les demandes.
Les labos doivent chacun de leur côté se débrouiller pour
avoir ces réactifs.
Du coup, la France n'est jamais prioritaire.
A noter qu'il y a aussi un problème pour se fournir en
écouvillons.
Notre équipe essaie d'ailleurs de mettre en place des tests
par la bouche.
Quelle solution prônez-vous pour éviter une 2ème vague après
le déconfinement ?
D'abord les masques. Une chose incontestable : ils ne
serviront que si tout le monde les met.
Si c'est le cas, à 90%, cela empêchera la transmission du
virus.
Sur ce sujet, au départ, les médecins ont été serviles. Ils
auraient dû contredire le gouvernement qui affirmait que les masques étaient
inutiles.
On nous dit qu'on on a menti pour la bonne cause, je ne suis
pas d'accord.
Il y a aussi une autre chose à faire : détecter les
asymptomatiques.
La différence, elle se fera là.
Les vrais clusters,
ce seront les entreprises.
Il faut prendre la température à l'entrée, isoler les cas.
On va trouver des gens qui, sans s'en rendre compte, ont 38
ou 38,5°C. Je ne pense qu'il y ait tant que ça de vrais asymptomatiques.
Quant aux brigades qu'on nous promet après le 11 mai,
seront-elles vraiment mises en place ?
Ce n'est pas un boulot simple.
Les gens vont devoir appeler au téléphone, convaincre.
De ce que je vois, il y a une panique par rapport à ça.
Elles ne seront pas prêtes.
Y aura-t-il une deuxième vague inévitable selon vous ?
On vit dans la peur mais je ne pense pas qu'il n'y aura une
énorme 2ème vague.
Au Danemark, par exemple, il ne s'est pas passé grand chose
après le déconfinement. Je suis optimiste.
Mais si on ne veut pas de 2ème vague, il faut des tests pour
repérer et isoler les nouveaux cas.
A ce sujet, il faut aussi redire à tous les médecins
généralistes qu'il faut maintenant envoyer tous les patients qui ont des
symptômes faire des tests.