jeudi 3 janvier 2019

Les Illuminés de Bavière

Révolution dite française : fille des Illuminés de Bavière et de la franc-maçonnerie ?

Par la France Pittoresque  - (D’après « Gazette nationale ou Le Moniteur universel » du 6 brumaire an 7 (27 octobre 1798)).

En 1798, Le Moniteur universel, journal de propagande révolutionnaire fondé en 1789, relaie, en les fustigeant, les propos tenus dans un article récemment paru dans la presse anglaise attribuant la paternité de la Révolution dite française à l’ordre des illuminés de Bavière, fondé en Allemagne en 1776 par le professeur de droit Adam Weishaupt et bientôt allié à la franc-maçonnerie pour détruire la monarchie, la religion, et faire vaciller l’ordre social pour instaurer une liberté de façade.


Supplice de Jacques de Molay (dernier maître des Templiers) à Paris en 1314.
Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (vers 1410)

En préambule de cette traduction, Le Moniteur universel explique que depuis quelques années, plusieurs écrivains « ont gravement débité qu’ils [les Illuminés de Bavière] sont des espèces d’enragés, dont le projet est de tuer tous les rois de l’Europe pour venger la mort de Jacques Molay, grand-maître de l’ordre des Templiers, exécuté à Paris il y a 600 (sic) ans, sous le règne de Philippe le Bel. »

Dans les idées de ces écrivains, poursuit Le Moniteur, « les Illuminés qui ne seraient ainsi qu’une filiation de l’ordre des Templiers, doivent toujours avoir des princes parmi eux, leur promettre le souverain pouvoir pour les séduire ; leur permettre d’en approcher très près, mais ne pas souffrir qu’ils s’en emparent »

Adam Weishaupt (1748-1830). Gravure de 1799 de C. K. Mansinger

Selon Le Moniteur, si l’on demandait à l’auteur qui a rédigé l’article dont il donne plus loin la traduction, son opinion sur ce que veulent et peuvent faire les sociétés secrètes, il répondrait que, « la guerre, qu’on peut regarder comme presque inévitable, servira encore les projets des sociétés secrètes, en occupant la majeure partie des forces militaires des souverains ; et les rigueurs de toute espèce, les vexations, les charges que ce fléau entraîne après lui exalteront le mécontentement des peuples, ce dont les Illuminés ne manqueront pas de profiter.

Si l’on veut se convaincre de la puissance de ces sortes d’associations, qu’on lise le rapport fait dans la chambre des communes du parlement d’Irlande sur l’insurrection des Irlandais-Nus ; on verra qu’il existait dans cette contré un véritable gouvernement secret, qui faisait lever à volonté les habitants de l’île ; imposait des contributions, traitait avec les puissances étrangères ; en un mot, rivalisait de pouvoir avec le gouvernement apparent. »

Louis Spach, Frédéric de Dietrich, premier maire de Strasbourg, Strasbourg, 1857 (dessin et gravure de Christophe Guérin).

Le Moniteur universel rapporte que l’on a inséré il y a quelque temps, dans une feuille anglaise, The Kentish gazette, un morceau sur les Illuminés : le journaliste dit l’avoir en sa possession depuis plus de deux ans, et qu’il a été envoyé en Angleterre par un illustre personnage qu’il ne nomme pas, mais qu’il prétend être devenu un objet de persécution et de proscription.

Et Le Moniteur de livrer ensuite la traduction littérale de cette étrange pièce :

« Dans le printemps de l’année 1776, il se forma à Ingolstadt, ville de Bavière célèbre par son université, une société qui dans ses commencements n’était composée que de quelques professeurs de collège et d’étudiants, et semblait être une imitation de l’ordre des francs-maçons, dont il y a plusieurs associations dans d’autres académies d’Allemagne.

Insigne de la société secrète des Illuminés de Bavière,
à l’effigie de la chouette de Minerve

Le fondateur de la société ci-dessus mentionnée, était un nommé Adam Weishaupt, professeur à Ingolstadt, et ses membres furent appelés Illuminés.

« L’objet de cette institution était le renversement de la religion chrétienne et des gouvernements existants, ainsi qu’il paraît par une lettre du professeur Weishaupt, écrite en 1778 à M. Zvvalh, conseiller aulique, un de ses premiers disciples, dans laquelle il s’exprime ainsi :

Vous verrez renaître et s’établir par degrés un nouveau système de morale, d’éducation et de religion ; et si nous continuons comme nous avons commencé, notre pays sera bientôt à nous : le but de notre ordre est la liberté.

Charles Théodore de Bavière, prince-électeur et duc de Bavière. Il approuva l'édit ordonnant la dissolution des Illuminés de Bavière.

« Trois ans s’étaient écoulés avant que l’ordre des Illuminés eût conçu l’idée de s’unir à celui des francs-maçons, ou que celui-ci eût la moindre connaissance d’une semblable intention ; mais dans le mois de novembre 1778, le conseiller Zwahl rencontra l’abbé Marotti à Augsbourg, et se fit expliquer tout les secrets de la maçonnerie, jusqu’à ceux qu’on n’apprend que dans les grades écossais.

Il informa le professeur Weishaupt d’une si importante acquisition, et lui fit sentir la nécessité de joindre leurs efforts pour réunir les deux ordres de manière que les premiers grades de la maçonnerie devinssent comme une école préparatoire, un séminaire de l’ordre des Illuminés ; mais l’exécution de ce plan fut différé par une suite de l’ignorance où ils étaient des véritables règlements ou de l’institution de l’ordre des francs-maçons.

« Enfin ils trouvèrent un homme très propre à servir leur projet.

Cet homme était le baron de Knigge, membre mécontent de l’ordre des Templiers (lequel ordre est supposé avoir donné la première idée de celui des Illuminés).

Adolph Freiherr von Knigge (1752-1796) en 1796. Gravure de Wilhelm Arndt (1750-1813)

Le baron de Knigge, dégoûté des mystères de la maçonnerie, parce qu’ils ne lui avaient pas procuré des lumières et des connaissances utiles pour ses recherches et ses expériences en alchimie, et n’avaient pas répondu à son attente, était très disposé à embrasser tous les nouveaux plans qu’on pourrait lui proposer ; il était aussi très nécessaire aux Illuminés de se servir de ses connaissances en maçonnerie, dont l’ignorance et l’inexpérience de Weishaupt n’avait pu leur donner une véritable idée.

« Les opinions du baron en religion et en morale étaient déjà connues : à une grande énergie et à beaucoup d’activité, il joignait de l’éloquence, de la force dans l’expression et le talent de persuader.

Il alla en Bavière en 1781 ; et après avoir bien médité le plan de la réunion de l’ordre des Illuminés avec celui des francs-maçons dans le quel il s’était fait remarquer par son zèle, il sentit mieux que tout autre la grande importance d’une fusion avec un ordre aussi généralement connu, établi, privilégié et composé du personnel du plus haut rang, comme était celui des francs-maçons.

« Pendant que Knigge était occupé et entièrement absorbé par les soins qu’entraînait l’illustration qu’il voulait donner au nouvel ordre, il éclata contre lui en Bavière, en 1784, une violente persécution.

Sur la découverte qu’on avait fait des abominables principes de plusieurs membres, tels que Zwach, les comtes Constant, Savioli, etc. ils furent démis de leurs emplois, et d’autres se virent obligés de chercher leur sûreté dans la fuite.

Cérémonie d’initiation d’un nouveau membre au sein des Illuminés de Bavière. Gravure de 1879

Weishaupt lui-même quitta Ingolstadt, et après avoir parcouru une grande partie de l’Allemagne, il se fixa à Gothq.
C’est dans ce lieu où, au milieu du XVIe siècle, avait déjà paru un certain Grumbach qui avait cherché les moyens de renverser la constitution de l’Empire Germanique, que Weishaupt trouva un asile ; il y obtint le respectable titre de conseiller aulique et une bonne pension, et y jouit en outre de la faveur du prince.

« En 1788, Bode et un autre membre nouvellement initié entreprirent de faire un voyage apostolique à Paris ; et dans la société ou loge du Contrat-Social, fondée par l’incrédule de Leutre et par le grand-maître de toutes les loges de France, le duc d’Orléans, ils prêchèrent l’évangile des Illuminés, dont l’objet était la destruction de la religion chrétienne et de tous les rangs existants dans la société.

Il n’y a aucun doute que cette doctrine n’ait fait la plus grande impression sur les membres de la loge sus-mentionnée, enthousiastes de la liberté, comme Lafayette, d’Esprémenil, Condorcet, Mirabeau, Fauchet, etc. ; car ils formèrent immédiatement dans cette loge un comité politique, lequel en engendra d’autres dans les loges de Paris, et celles des villes de province.

« La semence de cette doctrine ne pouvait manquer de prendre racine et de fleurir au point où nous l’avons vue en 1789 chez un peuple porté à se croire opprimé, et d’ailleurs assez corrompu pour adopter avec facilité les principes de l’irréligion, et la fausse politique des philosophes.

L’effet de ces principes, si semblables à ceux des Illuminés, a été la destruction de toute religion, et de tous les rangs en France ; en un mot, le renversement du trône et de l’autel qui a suivi immédiatement.

Symbole des Illuminés de Bavière, 1776, avec la chouette de Minerve

« Au moyen de cette association et de cette intimité fraternelle, il était naturel d’attendre que les jacobins de France trouveraient de nombreux adhérents parmi leurs frères d’Allemagne, et malheureusement ils étaient trop fondés à le croire.
Bohmen, Forster, Wadekind, Dorsch, Blau, Matternich, Hoffmann, Stam et un grand nombre d’autre clubistes de Mayence, et membres e cette convention nationale qui a été formée dans cette ville, étaient tous de la loge des Illuminés, ainsi que tous les chefs des clubs établis à Spire, Worms, etc.

« C’était sur l’appui et la coopération de ces frères d’Allemagne, que ceux de France comptaient surtout.
Lametherie a observé judicieusement que l’Allemagne renferme dans son sein une secte connue seulement jusqu’à ce jour sous le nom d’Illuminés, et qu’il y a parmi ses membres ou adhérents des personnes de !a première distinction et même des princes.

« Les Français ne furent point trompés dans l’attente où ils étaient des secours de leurs frères d’Allemagne, pour élever avec plus d’efficacité le temple de l’irréligion et l’anarchie sur les ruines de l’autel et du trône.

Pour parvenir à cette fin, l’on employa, ainsi qu’il a été avancé par Dumourier, trente millions de livres, qui furent répandus dans les clubs étrangers, et qui, distribués par les comités secrets, suffirent pour se faire des créatures de ceux qui n’auraient pu être entraînés par le fanatisme.

Ils suffirent encore à nourrir les auteurs affamés dont on se servit, et à indemniser les libraires des pertes qu’ils éprouvèrent par suite de la suppression de ces productions séditieuses et des procédures commencées contre eux.

« D’après cela il est impossible de nier que la vigilance et l’attention des gouvernements et des magistrats ne soient indispensablement nécessaires pour surveiller les mouvements de ces associations clandestines.

L’indolence et l’indifférence qu’on a montrées si longtemps, ont été appelées par les Illuminés, modération, clémence, tolérance dignes de princes grands et éclairés ; mais ils voulaient amuser ceux qui étaient assez faibles pour craindre les reproches d’intolérance et de tyrannie.
Combien, hélas ! Ont été abusés par ce sophisme.

« Maintenant, Dieu en soit loué, les princes commencent à prévoir le danger qui les menace, et à prendre des mesures pour s’en défendre : jusqu’à présent, celles-ci ont été trop faibles.

On a proposé, il n’y a pas longtemps, à la diète de Ratisbonne d’abolir toutes les sociétés secrètes ; mais la pluralité des suffrages a restreint la suppression de l’Ordre des étudiants ; ce qui est une nouvelle victoire pour celui des Illuminés qui se trouve, par ce moyen, tacitement toléré.

Qui ne voit pas dans cela même une profonde et toute puissante influence ?

« Il n’y a que des mesures vigoureuses qui puissent éloigner le danger ; des mesures lentes et insuffisantes indiquent de la faiblesse et encouragent l’ennemi : et jusqu’à ce que ces traîtres envers la religion et l’ordre social, qui se trouvent établis en Europe depuis plusieurs siècles, aient été atteints dans leurs profonds retranchements, et qu’ils en aient été arrachés, nous devons craindre constamment pour notre religion, notre liberté, notre propriété, notre vie, et nous regarder comme dignes du mépris et de la haine de la postérité la plus reculée. »

L’auteur de l’article ajoute la note suivante : « Les principes de cette société ont été recueillis dans la conversation de plusieurs de ses chefs ; ils sont en substance, que l’ordre actuel de la société a été fondé et soutenu par l’erreur et l’imposture ; que nommément la religion chrétienne est un système dont toutes les ressources se trouvent maintenant épuisées, et que le genre humain est parvenu à un degré de lumières qui ne permet pas qu’il soit dupe plus longtemps de cette religion.

Les fondements de l’édifice sont ruinés ; ainsi tout ce qui est élevé dessus doit naturellement tomber bientôt en poudre, et une révolution aura lieu.

Le genre humain reviendra au premier état de nature, état de barbarie ; puis, il passera ensuite à celui de l’adolescence, de la maturité, et enfin à la vieillesse, époque à laquelle nous sommes parvenus.

Enfin ceux-là seront les plus heureux qui, convaincus les premiers de ces principes, voudront se précautionner contre le naufrage général.
…………………..

Texte de : universalis.fr -

Fondé le 1er mai 1776 par Adam Weishaupt (1748-1830), professeur de droit à Ingolstadt en Bavière, l'ordre des illuminés se situe dès son début aux antipodes des différents courants « illuministes » de Martinez Pasqualis, de Saint-Martin, de Swedenborg, de Mesmer, de Cagliostro. Weishaupt, adepte en secret depuis longtemps des philosophes français les plus extrémistes, devenu matérialiste et athée, se trouvait en butte, malgré ses précautions, à la malveillance de ses collègues dans cette université d'Ingolstadt qui était depuis longtemps le bastion principal des Jésuites en Bavière.

Ainsi se comprend son projet : emprunter aux Jésuites leur discipline et cette dissimulation qui, à ses yeux, faisait leur force, pour mieux combattre l'obscurantisme ; enrôler des adeptes en les alléchant par la promesse d'initiations successives à de nombreux grades supérieurs ; faire de chaque initiation l'étape d'une démystification, où l'adepte serait amené à rejeter toujours davantage les croyances religieuses, les préjugés sociaux et les timidités politiques devant la perspective de la grande transformation humaine à laquelle il devait travailler.

Les débuts sont lents et difficiles.
À la fin de 1779, l'ordre ne compte encore que quelques dizaines de membres et n'a pas dépassé les frontières de la Bavière.
Mais, en 1780, l'adhésion du Hanovrien Adolf von Knigge (1752-1796), déiste d'origine protestante et disciple de Rousseau, lui donne un nouvel essor.

Mieux doué que Weishaupt pour élaborer les initiations aux hauts grades et pour mener une propagande, Knigge obtient vite des résultats : à la fin de 1784, l'ordre s'est infiltré dans la franc-maçonnerie, où il dirige ou inspire de nombreuses loges, a largement essaimé hors de Bavière (notamment en Autriche) et compte environ 2 400 membres dont plusieurs personnalités importantes. Le déclin ne va guère tarder pourtant ; Knigge trouve Weishaupt trop sectaire ; Weishaupt juge Knigge encore trop mystique.

À ces discordes s'ajoute la campagne menée contre l'ordre par les rose-croix  [...]







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