Par la France Pittoresque - (D’après « Gazette nationale ou Le Moniteur
universel » du 6 brumaire an 7 (27 octobre 1798)).
En 1798, Le Moniteur universel, journal de propagande
révolutionnaire fondé en 1789, relaie, en les fustigeant, les propos tenus dans
un article récemment paru dans la presse anglaise attribuant la paternité de la
Révolution dite française à l’ordre des illuminés de Bavière, fondé en
Allemagne en 1776 par le professeur de droit Adam Weishaupt et bientôt allié à
la franc-maçonnerie pour détruire la monarchie, la religion, et faire vaciller
l’ordre social pour instaurer une liberté de façade.
Supplice de Jacques de Molay
(dernier maître des Templiers) à Paris en 1314.
Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (vers 1410)
Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (vers 1410)
En préambule de cette traduction, Le Moniteur universel
explique que depuis quelques années, plusieurs écrivains « ont gravement débité
qu’ils [les Illuminés de Bavière] sont des espèces d’enragés, dont le projet
est de tuer tous les rois de l’Europe pour venger la mort de Jacques Molay,
grand-maître de l’ordre des Templiers, exécuté à Paris il y a 600 (sic) ans,
sous le règne de Philippe le Bel. »
Dans les idées de ces écrivains, poursuit Le Moniteur, «
les Illuminés qui ne seraient ainsi qu’une filiation de l’ordre des Templiers,
doivent toujours avoir des princes parmi eux, leur promettre le souverain
pouvoir pour les séduire ; leur permettre d’en approcher très près, mais ne pas
souffrir qu’ils s’en emparent »
Adam Weishaupt (1748-1830). Gravure de 1799 de C. K.
Mansinger
Selon Le Moniteur, si l’on demandait à l’auteur qui a
rédigé l’article dont il donne plus loin la traduction, son opinion sur ce que
veulent et peuvent faire les sociétés secrètes, il répondrait que, « la guerre,
qu’on peut regarder comme presque inévitable, servira encore les projets des
sociétés secrètes, en occupant la majeure partie des forces militaires des
souverains ; et les rigueurs de toute espèce, les vexations, les charges que ce
fléau entraîne après lui exalteront le mécontentement des peuples, ce dont les
Illuminés ne manqueront pas de profiter.
Si l’on veut se convaincre de la puissance de ces sortes
d’associations, qu’on lise le rapport fait dans la chambre des communes du
parlement d’Irlande sur l’insurrection des Irlandais-Nus ; on verra qu’il
existait dans cette contré un véritable gouvernement secret, qui faisait lever
à volonté les habitants de l’île ; imposait des contributions, traitait avec
les puissances étrangères ; en un mot, rivalisait de pouvoir avec le
gouvernement apparent. »
Louis Spach, Frédéric de Dietrich, premier maire de
Strasbourg, Strasbourg, 1857 (dessin et gravure de Christophe Guérin).
Le Moniteur universel rapporte que l’on a inséré il y a
quelque temps, dans une feuille anglaise, The Kentish gazette, un morceau sur
les Illuminés : le journaliste dit l’avoir en sa possession depuis plus de deux
ans, et qu’il a été envoyé en Angleterre par un illustre personnage qu’il ne
nomme pas, mais qu’il prétend être devenu un objet de persécution et de
proscription.
Et Le Moniteur de livrer ensuite la traduction littérale
de cette étrange pièce :
« Dans le printemps de l’année 1776, il se forma à
Ingolstadt, ville de Bavière célèbre par son université, une société qui dans
ses commencements n’était composée que de quelques professeurs de collège et
d’étudiants, et semblait être une imitation de l’ordre des francs-maçons, dont
il y a plusieurs associations dans d’autres académies d’Allemagne.
Insigne de la société secrète
des Illuminés de Bavière,
à l’effigie de la chouette de Minerve
à l’effigie de la chouette de Minerve
Le fondateur de la société ci-dessus mentionnée, était un
nommé Adam Weishaupt, professeur à Ingolstadt, et ses membres furent appelés
Illuminés.
« L’objet de cette institution était le renversement de
la religion chrétienne et des gouvernements existants, ainsi qu’il paraît par
une lettre du professeur Weishaupt, écrite en 1778 à M. Zvvalh, conseiller
aulique, un de ses premiers disciples, dans laquelle il s’exprime ainsi :
Vous verrez renaître et s’établir par degrés un nouveau
système de morale, d’éducation et de religion ; et si nous continuons comme
nous avons commencé, notre pays sera bientôt à nous : le but de notre ordre est
la liberté.
Charles Théodore de Bavière, prince-électeur et duc de
Bavière. Il approuva l'édit ordonnant la dissolution des Illuminés de Bavière.
« Trois ans s’étaient écoulés avant que l’ordre des Illuminés
eût conçu l’idée de s’unir à celui des francs-maçons, ou que celui-ci eût la
moindre connaissance d’une semblable intention ; mais dans le mois de novembre
1778, le conseiller Zwahl rencontra l’abbé Marotti à Augsbourg, et se fit
expliquer tout les secrets de la maçonnerie, jusqu’à ceux qu’on n’apprend que
dans les grades écossais.
Il informa le professeur Weishaupt d’une si importante
acquisition, et lui fit sentir la nécessité de joindre leurs efforts pour
réunir les deux ordres de manière que les premiers grades de la maçonnerie
devinssent comme une école préparatoire, un séminaire de l’ordre des Illuminés
; mais l’exécution de ce plan fut différé par une suite de l’ignorance où ils
étaient des véritables règlements ou de l’institution de l’ordre des
francs-maçons.
« Enfin ils trouvèrent un homme très propre à servir leur
projet.
Cet homme était le baron de Knigge, membre mécontent de
l’ordre des Templiers (lequel ordre est supposé avoir donné la première idée de
celui des Illuminés).
Adolph Freiherr von Knigge (1752-1796) en 1796.
Gravure de Wilhelm Arndt (1750-1813)
Le baron de Knigge, dégoûté des mystères de la
maçonnerie, parce qu’ils ne lui avaient pas procuré des lumières et des
connaissances utiles pour ses recherches et ses expériences en alchimie, et
n’avaient pas répondu à son attente, était très disposé à embrasser tous les
nouveaux plans qu’on pourrait lui proposer ; il était aussi très nécessaire aux
Illuminés de se servir de ses connaissances en maçonnerie, dont l’ignorance et
l’inexpérience de Weishaupt n’avait pu leur donner une véritable idée.
« Les opinions du baron en religion et en morale étaient
déjà connues : à une grande énergie et à beaucoup d’activité, il joignait de
l’éloquence, de la force dans l’expression et le talent de persuader.
Il alla en Bavière en 1781 ; et après avoir bien médité
le plan de la réunion de l’ordre des Illuminés avec celui des francs-maçons dans
le quel il s’était fait remarquer par son zèle, il sentit mieux que tout autre
la grande importance d’une fusion avec un ordre aussi généralement connu,
établi, privilégié et composé du personnel du plus haut rang, comme était celui
des francs-maçons.
« Pendant que Knigge était occupé et entièrement absorbé
par les soins qu’entraînait l’illustration qu’il voulait donner au nouvel
ordre, il éclata contre lui en Bavière, en 1784, une violente persécution.
Sur la découverte qu’on avait fait des abominables
principes de plusieurs membres, tels que Zwach, les comtes Constant, Savioli,
etc. ils furent démis de leurs emplois, et d’autres se virent obligés de
chercher leur sûreté dans la fuite.
Cérémonie d’initiation d’un nouveau membre au sein des
Illuminés de Bavière. Gravure de 1879
Weishaupt lui-même quitta Ingolstadt, et après avoir
parcouru une grande partie de l’Allemagne, il se fixa à Gothq.
C’est dans ce lieu où, au milieu du XVIe siècle, avait
déjà paru un certain Grumbach qui avait cherché les moyens de renverser la
constitution de l’Empire Germanique, que Weishaupt trouva un asile ; il y obtint
le respectable titre de conseiller aulique et une bonne pension, et y jouit en
outre de la faveur du prince.
« En 1788, Bode et un autre membre nouvellement initié
entreprirent de faire un voyage apostolique à Paris ; et dans la société ou
loge du Contrat-Social, fondée par l’incrédule de Leutre et par le grand-maître
de toutes les loges de France, le duc d’Orléans, ils prêchèrent l’évangile des
Illuminés, dont l’objet était la destruction de la religion chrétienne et de
tous les rangs existants dans la société.
Il n’y a aucun doute que cette doctrine n’ait fait la
plus grande impression sur les membres de la loge sus-mentionnée, enthousiastes
de la liberté, comme Lafayette, d’Esprémenil, Condorcet, Mirabeau, Fauchet,
etc. ; car ils formèrent immédiatement dans cette loge un comité politique,
lequel en engendra d’autres dans les loges de Paris, et celles des villes de
province.
« La semence de cette doctrine ne pouvait manquer de
prendre racine et de fleurir au point où nous l’avons vue en 1789 chez un peuple
porté à se croire opprimé, et d’ailleurs assez corrompu pour adopter avec
facilité les principes de l’irréligion, et la fausse politique des philosophes.
L’effet de ces principes, si semblables à ceux des
Illuminés, a été la destruction de toute religion, et de tous les rangs en
France ; en un mot, le renversement du trône et de l’autel qui a suivi
immédiatement.
Symbole des Illuminés de Bavière, 1776, avec la
chouette de Minerve
« Au moyen de cette association et de cette intimité
fraternelle, il était naturel d’attendre que les jacobins de France
trouveraient de nombreux adhérents parmi leurs frères d’Allemagne, et
malheureusement ils étaient trop fondés à le croire.
Bohmen, Forster, Wadekind, Dorsch, Blau, Matternich,
Hoffmann, Stam et un grand nombre d’autre clubistes de Mayence, et membres e
cette convention nationale qui a été formée dans cette ville, étaient tous de
la loge des Illuminés, ainsi que tous les chefs des clubs établis à Spire, Worms,
etc.
« C’était sur l’appui et la coopération de ces frères
d’Allemagne, que ceux de France comptaient surtout.
Lametherie a observé judicieusement que l’Allemagne
renferme dans son sein une secte connue seulement jusqu’à ce jour sous le nom
d’Illuminés, et qu’il y a parmi ses membres ou adhérents des personnes de !a
première distinction et même des princes.
« Les Français ne furent point trompés dans l’attente où
ils étaient des secours de leurs frères d’Allemagne, pour élever avec plus
d’efficacité le temple de l’irréligion et l’anarchie sur les ruines de l’autel
et du trône.
Pour parvenir à cette fin, l’on employa, ainsi qu’il a
été avancé par Dumourier, trente millions de livres, qui furent répandus dans
les clubs étrangers, et qui, distribués par les comités secrets, suffirent pour
se faire des créatures de ceux qui n’auraient pu être entraînés par le
fanatisme.
Ils suffirent encore à nourrir les auteurs affamés dont
on se servit, et à indemniser les libraires des pertes qu’ils éprouvèrent par
suite de la suppression de ces productions séditieuses et des procédures
commencées contre eux.
« D’après cela il est impossible de nier que la vigilance
et l’attention des gouvernements et des magistrats ne soient indispensablement
nécessaires pour surveiller les mouvements de ces associations clandestines.
L’indolence et l’indifférence qu’on a montrées si
longtemps, ont été appelées par les Illuminés, modération, clémence, tolérance
dignes de princes grands et éclairés ; mais ils voulaient amuser ceux qui
étaient assez faibles pour craindre les reproches d’intolérance et de tyrannie.
Combien, hélas ! Ont été abusés par ce sophisme.
« Maintenant, Dieu en soit loué, les princes commencent à
prévoir le danger qui les menace, et à prendre des mesures pour s’en défendre :
jusqu’à présent, celles-ci ont été trop faibles.
On a proposé, il n’y a pas longtemps, à la diète de
Ratisbonne d’abolir toutes les sociétés secrètes ; mais la pluralité des
suffrages a restreint la suppression de l’Ordre des étudiants ; ce qui est une
nouvelle victoire pour celui des Illuminés qui se trouve, par ce moyen,
tacitement toléré.
Qui ne voit pas dans cela même une profonde et toute
puissante influence ?
« Il n’y a que des mesures vigoureuses qui puissent
éloigner le danger ; des mesures lentes et insuffisantes indiquent de la
faiblesse et encouragent l’ennemi : et jusqu’à ce que ces traîtres envers la
religion et l’ordre social, qui se trouvent établis en Europe depuis plusieurs
siècles, aient été atteints dans leurs profonds retranchements, et qu’ils en
aient été arrachés, nous devons craindre constamment pour notre religion, notre
liberté, notre propriété, notre vie, et nous regarder comme dignes du mépris et
de la haine de la postérité la plus reculée. »
L’auteur de l’article ajoute la note suivante : « Les
principes de cette société ont été recueillis dans la conversation de plusieurs
de ses chefs ; ils sont en substance, que l’ordre actuel de la société a été
fondé et soutenu par l’erreur et l’imposture ; que nommément la religion
chrétienne est un système dont toutes les ressources se trouvent maintenant
épuisées, et que le genre humain est parvenu à un degré de lumières qui ne
permet pas qu’il soit dupe plus longtemps de cette religion.
Les fondements de l’édifice sont ruinés ; ainsi tout ce
qui est élevé dessus doit naturellement tomber bientôt en poudre, et une
révolution aura lieu.
Le genre humain reviendra au premier état de nature, état
de barbarie ; puis, il passera ensuite à celui de l’adolescence, de la
maturité, et enfin à la vieillesse, époque à laquelle nous sommes parvenus.
Enfin ceux-là seront les plus heureux qui, convaincus les
premiers de ces principes, voudront se précautionner contre le naufrage
général.
…………………..
Texte de : universalis.fr -
Fondé le 1er mai 1776 par Adam Weishaupt (1748-1830),
professeur de droit à Ingolstadt en Bavière, l'ordre des illuminés se situe dès
son début aux antipodes des différents courants « illuministes » de Martinez
Pasqualis, de Saint-Martin, de Swedenborg, de Mesmer, de Cagliostro. Weishaupt,
adepte en secret depuis longtemps des philosophes français les plus
extrémistes, devenu matérialiste et athée, se trouvait en butte, malgré ses
précautions, à la malveillance de ses collègues dans cette université
d'Ingolstadt qui était depuis longtemps le bastion principal des Jésuites en
Bavière.
Ainsi se comprend son projet : emprunter aux Jésuites
leur discipline et cette dissimulation qui, à ses yeux, faisait leur force,
pour mieux combattre l'obscurantisme ; enrôler des adeptes en les alléchant par
la promesse d'initiations successives à de nombreux grades supérieurs ; faire
de chaque initiation l'étape d'une démystification, où l'adepte serait amené à
rejeter toujours davantage les croyances religieuses, les préjugés sociaux et
les timidités politiques devant la perspective de la grande transformation
humaine à laquelle il devait travailler.
Les débuts sont lents et difficiles.
À la fin de 1779, l'ordre ne compte encore que quelques
dizaines de membres et n'a pas dépassé les frontières de la Bavière.
Mais, en 1780, l'adhésion du Hanovrien Adolf von Knigge
(1752-1796), déiste d'origine protestante et disciple de Rousseau, lui donne un
nouvel essor.
Mieux doué que Weishaupt pour élaborer les initiations
aux hauts grades et pour mener une propagande, Knigge obtient vite des
résultats : à la fin de 1784, l'ordre s'est infiltré dans la franc-maçonnerie,
où il dirige ou inspire de nombreuses loges, a largement essaimé hors de
Bavière (notamment en Autriche) et compte environ 2 400 membres dont plusieurs
personnalités importantes. Le déclin ne va guère tarder pourtant ; Knigge
trouve Weishaupt trop sectaire ; Weishaupt juge Knigge encore trop mystique.
À ces discordes s'ajoute la campagne menée contre l'ordre
par les rose-croix [...]
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