dans le
texte : Achille, Patrocle, Hector, Ulysse et les autres...
Par Isabelle Grégor –
herodote net.
L’œuvre d’Homère est immense, non seulement en quantité,
mais par la place qu’elle occupe dans la littérature mondiale.
Les 27.000 vers
qui nous sont parvenus ne représentent qu'une fraction de l'ensemble de son oeuvre : L’Iliade et
L’Odyssée.
Cliquez sur l'image pour voir le diaporame :
Franz Matsch – 1882 – Le Triomphe d’Achille -
Ils sont disposés dans les deux textes en 24 parties ou
«chants» qui devaient former des histoires indépendantes pouvant être racontées
en une seule fois.
Homère et son guide, par William Bouguereau (1874)
Ces épopées racontent d'une part le siège de Troie, enjeu
impitoyable entre les héros et les dieux de la Grèce, d'autre le retour
interminable de l'un de ces héros, Odysseus (en latin Ulysse) dans son île
natale.
L’Iliade en quelques
mots
Achille boude. Agamemnon, chef des armées grecques, lui a
reprit son esclave préférée, Briséis.
Il refuse donc obstinément de retourner combattre sous
les murs de Troie.
Gianbattista Tiepolo – 1770 – Le Cheval de Troie
Depuis près de 10 ans, les armées des Grecs (ou Achéens)
en font le siège pour rependre la belle Hélène, enlevée par Pâris, prince
troyen. S’il ne se décide pas vite à repartir au combat, c’est la défaite
assurée !
Pour sauver la
Grèce, son meilleur ami, Patrocle, se fait passer pour le héros et parvient à
faire reculer les Troyens.
Mais c’est sans compter sur Hector, leur meilleur
guerrier, qui parvient à tuer Patrocle.
Pinturicchio – 1509 – Le Retour d’Ulysse.
Fou de douleur,
Achille jure de se venger.
Hector succombe sous ses coups, et son corps est traîné
derrière le char de son vainqueur.
Priam, roi de Troie, vient supplier Achille de lui rendre
le corps de son fils : des funérailles solennelles vont pouvoir avoir lieu.
Ingres, L'Apothéose d'Homère, 1827, musée du Louvre
(Inv. 5417)
La mort de
Patrocle (chant XVI)
Et dès que Hector eut vu le magnanime Patrocle se
retirer, blessé par l'airain aigu, il se jeta sur lui et le frappa dans le côté
d'un coup de lance qui le traversa. Et le fils de Menoetios tomba avec bruit,
et la douleur saisit le peuple des Achéens.
Carte de la Grèce homérique, telle que décrite
principalement dans le Catalogue des vaisseaux et des Troyens - Patroklis
De même un lion dompte dans le combat un robuste
sanglier, car ils combattaient ardemment sur le faîte des montagnes, pour un
peu d'eau qu'ils voulaient boire tous deux; mais le lion dompte avec violence
le sanglier haletant.
Ainsi Hector, le fils de Priam, arracha l'âme du brave
fils de Menoetios, et, plein d'orgueil, il l'insulta par ces paroles ailées :
Masque d'Agamemnon » en feuille d'or martelé, trouvé à
Mycènes, aujourd'hui au Musée national archéologique d'Athènes - DieBuche
- Patrocle, tu espérais sans doute saccager notre ville
et emmener, captives sur tes nefs, nos femmes, dans ta chère terre natale ? Ô
insensé ! c'est pour les protéger que les rapides chevaux d’Hector l'ont mené
au combat, car je l'emporte par ma lance sur tous les Troyens belliqueux, et
j'éloigne leur dernier jour.
Mais toi, les oiseaux carnassiers te mangeront.
Ah ! Malheureux ! Le brave Achille ne t'a point sauvé »
[…].
Et le cavalier Patrocle, respirant à peine, lui répondit
:
- Hector, maintenant tu te glorifies, car Zeus, le fils
de Chronos, et Apollon t'ont donné la victoire.
Ils m'ont aisément dompté, en m'enlevant mes armes des
épaules […]
Je te le dis, garde mes paroles dans ton esprit :
Tu ne vivras point longtemps, et ta mort est proche.
La Moire [le Destin] violente va te dompter par les mains
d’Achille […] ».
Il parla ainsi et mourut, et son âme abandonna son corps
et descendit chez Hadès, en pleurant sa destinée, sa force et sa jeunesse.
Portrait d'Homère du « type d'Épiménide », d'après une
copie romaine d'un original grec du Ve siècle av. J.-C. conservé à la
Glyptothèque de Munich (Inv. 273). Bibi Saint-Pol
Le bouclier d’Achille (chant XVIII)
Thétis donne à Achille les armes forgées par
Héphaïstos
Hydrie attique à figures noires - Diamètre 26,5 cm - 575–550
av.JC - Musée du Louvre
Et il [Héphaïstos] jeta dans le feu le dur airain et
l'étain, et l'or précieux et l'argent.
Il posa sur un tronc une vaste enclume, et il saisit
d'une main le lourd marteau et de l'autre la tenaille.
Et il fit d'abord un bouclier grand et solide, aux
ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache
d'argent.
Et il mit cinq plaques au bouclier, et il y traça, dans
son intelligence, une multitude d'images.
Il y représenta la terre et l'Ouranos [le Ciel], et la
mer […].
Héphaïstos remet à Thétis les armes d'Achille,
médaillon d'un kylix du Peintre de la Fonderie, 490-480 av. J.-C., Altes Museum
de Berlin.
Peintre de la Fonderie (vase éponyme) — User:Bibi
Saint-Pol
Et il fit deux belles cités des hommes. Dans l'une on
voyait des noces et des festins solennels.
[…] Puis, deux armées, éclatantes d'airain, entouraient
l'autre cité.
Et les ennemis offraient aux citoyens ou de détruire la
ville, ou de la partager, elle et tout ce qu'elle renfermait.
Et ceux-ci n'y consentaient pas, et ils s'armaient
secrètement pour une embuscade, et, sur les murailles, veillaient les femmes,
les enfants et les vieillards.
Thétis apportant son armure à Achille - Benjamin West
(1738-1820)
Peinture à l'huile sur toile - H: 68,6 x l: 50,8
cm – 1804 - Los Angeles County Museum of Arts
Mais les hommes marchaient, conduits par Arès et par
Athéna, tous deux en or, vêtus d'or, beaux et grands sous leurs armes, comme il
était convenable pour des dieux; car les hommes étaient plus petits.
Et, parvenus au lieu commode pour l'embuscade, sur les
bords du fleuve où boivent les troupeaux, ils s'y cachaient, couverts de
l'airain brillant.
Thétis apportant son armure à Achille _ Benjamin West
(1738-1820)
Peinture à l'huile sur toile - H: 50,8 x l: 68,6
cm – 1806 - New Britain Museum of American Art
Deux sentinelles, placées plus loin, guettaient les
brebis et les bœufs aux cornes recourbées.
Et les animaux s'avançaient, suivis de deux bergers qui
se charmaient en jouant de la flûte, sans se douter de l'embûche.
Ce bouclier précieux, de près d'un mètre de diamètre,
témoigne de la fascination des milieux cultivés pour la culture néo-classique,
remise au goût du jour à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.
Il a été fondu à partir d'un dessin préparé par John Flaxman,
lui-même inspiré par le texte de l'Iliade dans lequel Homère, au chant XVIII,
fait une description précise du fameux bouclier d'Héphaïstos.
Le bouclier d'Achille - Philip Rundell (1746-1827) - d'après
un prototype de John Flaxman (1755-1826) - Sculpture
en vermeil (argent doré) - 90.5 x 90.5 x
18.0 cm - 1817-1821 - Royal collection trust
Et les hommes cachés accouraient; et ils tuaient les
bœufs et les beaux troupeaux de blanches brebis, et les bergers eux-mêmes.
Puis, ceux qui veillaient devant les tentes, entendant ce
tumulte parmi les bœufs, et montant sur leurs chars rapides, arrivaient
aussitôt et combattaient sur les bords du fleuve.
Et ils se frappaient avec les lances d'airain.
La Discorde et le Tumulte et la Ker [la Mort] fatale s’y
mêlaient.
Et celle-ci blessait un guerrier, ou saisissait cet autre
sans blessure, ou traînait celui-là par les pieds, à travers le carnage, et ses
vêtements dégouttaient de sang.
Et ces divinités semblaient des hommes vivants qui
combattaient et qui entraînaient de part et d'autre les cadavres.
Héphaïstos, d'un coup de hache, fait jaillir Athéna du
crâne de Zeus, exaleiptron du peintre C, v. 570-560 av. J.-C., musée du Louvre
Peintre C — User:Bibi Saint-Pol
Achille tue Hector
(chant XXIII)
Et Achille, emplissant son cœur d'une rage féroce, se rua
aussi sur le fils de Priam.
Et il portait son beau bouclier devant sa poitrine, et il
secouait son casque éclatant aux quatre cônes et aux splendides crinières d'or
mouvantes qu’Héphaïstos avait fixées au sommet.
Comme Hespéros, la plus belle des étoiles qui se tiennent
dans le ciel, se lève au milieu des astres de la nuit, ainsi resplendissait
l'éclair de la pointe d'airain que le fils de Pelée brandissait, pour la perte
d’Hector, cherchant sur son beau corps la place où il frapperait.
Thétis et les Néréides pleurant la mort d'Achille,
hydrie corinthienne à figures noires, 560-550 av. J.-C., musée du Louvre. Damon
Painter — User:Bibi Saint-Pol
Les belles armes d'airain que le fils de Priam avait
arrachées au cadavre de Patrocle le couvraient en entier, sauf à la jointure du
cou et de l'épaule, là où la fuite de l'âme est la plus prompte.
C'est là que le divin Achille enfonça sa lance, dont la
pointe traversa le cou d’Hector; mais la lourde lance d'airain ne trancha point
le gosier, et il pouvait encore parler.
Il tomba dans la poussière, et le divin Achille se
glorifia ainsi :
- Hector, tu pensais peut-être, après avoir tué Patrocle,
n'avoir plus rien à craindre ?
Tu ne songeais point à moi qui étais absent.
Insensé ! […] Va ! Les chiens et les oiseaux te
déchireront honteusement, et les Achéens enseveliront Patrocle ! »
Ajax portant le corps d'Achille, lécythe attique à
figures noires, v. 510 av. J.-C., Staatliche Antikensammlungen de Munich. User:Bibi
Saint-Pol,
Et Hector au casque mouvant lui répondit en s’exprimant
avec difficulté :
- Je te supplie par ton âme, par tes genoux, par tes
parents, ne laisse pas les chiens me déchirer auprès des nefs achéennes.
Accepte l'or et l'airain que te donneront mon père et ma
mère vénérables. Renvoie mon corps dans mes demeures, afin que les Troyens et
les Troyennes me déposent avec honneur sur le bûcher.
Achille pansant Patrocle, kylix d'Étrurie à figures
rouges du peintre de Sôsias, v. Années 500 av. J.-C., Staatliche Museen de
Berlin.
Et Achille, aux pieds rapides, le regardant d'un œil
sombre, lui dit :
- Chien ! Ne me supplie ni par mes genoux, ni par mes
parents.
Plût aux Dieux que j'eusse la force de manger ta chair
crue, pour le mal que tu m'as fait !
Priam suppliant Achille de lui rendre le corps
d'Hector (Alexandre Ivanov)
Alexandre Ivanov
Rien ne sauvera ta tête des chiens, même si on
m'apporterait dix et vingt fois ton prix, et nuls autres présents; même si
Priam, le fils de Dardanos, voulait te racheter ton poids d'or !
Jamais la mère vénérable qui t'a enfanté ne te pleurera
couché sur un lit funèbre.
Les chiens et les oiseaux te déchireront tout entier. »
Priam supplie
Achille de lui rendre le corps de son fils (chant XXIV)
Priam tué par Néoptolème, fils d'Achille, amphore
attique à figures noires de la classe de Cambridge 49, v. 520-510 av. J.-C.,
musée du Louvre — Jastrow
- Souviens-toi de ton père, ô Achille égal aux Dieux !
Il est de mon âge et sur le seuil fatal de la vieillesse.
Ses voisins l'oppriment peut-être en ton absence, et il
n'a personne qui écarte loin de lui l'outrage et le malheur; mais, au moins, il
sait que tu es vivant, et il s'en réjouit dans son cœur, et il espère tous les
jours qu'il verra son fils bien-aimé de retour d'Ilios.
Mais, moi, malheureux ! qui ai engendré des fils
irréprochables dans la grande Troie, je ne sais s'il m'en reste un seul.
J'en avais cinquante quand les Achéens arrivèrent […].
Un seul défendait ma ville et mes peuples, Hector, que tu
viens de tuer tandis qu'il combattait pour sa patrie.
Et c'est pour lui que je viens aux nefs des Achéens; et
je t'apporte, afin de le racheter, des présents infinis.
Respecte les dieux, Achille, et, te souvenant de ton
père, aie pitié de moi car je suis plus malheureux que lui, car j'ai pu, ce
qu'aucun homme n'a encore fait sur la terre, approcher de ma bouche les mains
de celui qui a tué mes enfants ! »
Polyphème jetant des rochers sur le navire d'Ulysse,
toile d'Arnold Böcklin, 1896.
Il parla ainsi, et il remplit Achille du regret de son
père.
Et le fils de Pelée, prenant le vieillard par la main, le
repoussa doucement.
Et ils se souvenaient tous deux; et Priam, prosterné aux
pieds d'Achille, pleurait de toutes ses larmes Hector, le tueur d'hommes; et
Achille pleurait son père et Patrocle, et leurs gémissements retentissaient
sous la tente.
Puis, le divin Achille, s'étant rassasié de larmes,
sentit sa douleur s'apaiser dans sa poitrine, et il se leva de son siège; et
plein de pitié pour cette tête et cette barbe blanche, il releva le vieillard
de sa main.
L’Odyssée en
quelques mots
Ulysse et ses compagnons aveuglant Polyphème, amphore
funéraire proto-attique, Éleusis, v. 650 av. J.C.
Les Dieux ont enfin décidé de laisser Ulysse rentrer chez
lui.
Retenu chez Calypso, le héros grec a hâte de revoir son
île Ithaque, où l’attend sa femme Pénélope.
Mais le chemin du retour ne peut qu’être pavé d’épreuves
: pendant que son fils Télémaque, parti à sa recherche, écoute ses anciens
compagnons d’armes lui expliquer la chute de Troie, Ulysse doit lutter contre
la tempête qui le fait naufrager sur les terres du roi Alkinoos.
Circé offrant une coupe à Ulysse, v. 490-480 av.
J.-C., Musée national archéologique d'Athènes. Marsyas
C’est l’occasion pour lui de raconter à son hôte une
partie de ses aventures : sa confrontation avec le Cyclope Polyphème, sa
rencontre avec la redoutable magicienne Circé, sa descente au Royaume des
morts. Puis voici les cruelles Sirènes, les pièges tendus par Charybde et
Scylla et enfin l’arrivée chez la douce Calypso.
Angelica Kauffmann, Circé faisant des avances à Ulysse
(1786)
Finalement, Ulysse quitte Alcinoos et retrouve Ithaque où
les prétendants tentent de s’emparer du pouvoir. Déguisé en mendiant, il
réussit à vaincre ses adversaires à l’épreuve de l’arc avant de les massacrer,
avec l’aide de Télémaque.
« Je suis Ulysse, le fils de Laërte… »
Ulysse et le Cyclope (chant IX)
Ulysse et ses compagnons aveuglant Polyphème, amphore
proto-attique, v. 650 av. J.-C., musée d'Éleusis. Napoleon Vier
Ulysse raconte à Alkinoos ses aventures chez le Cyclope
Polyphème qui le retient prisonnier avec ses marins.
Il lui a fait croire qu’il s’appelait « Personne »
Mes gens se tenaient près de moi ; le ciel décuplait
notre audace.
Soulevant le pieu d’olivier à la pointe acérée, ils
l’enfoncèrent dans son œil ; moi, je pesais d’en haut et je tournais. […]
Ainsi, tenant dans l’œil le pieu affûté à la flamme, nous
tournions, et le sang coulait autour du bois brûlant.
Partout, sur la paupière et le sourcil, grillait l’ardeur
de la prunelle en feu, et ses racines grésillaient. […]
Il poussa d’affreux hurlements ; la roche en retentit ;
mais nous, pris de frayeur, nous nous étions déjà sauvés.
Alors il s’arracha de l’œil le pieu souillé de sang et le
rejeta loin de lui d’une main forcenée.
Puis d’appeler à grands cris les Cyclopes qui vivaient
dans les grottes des environs, sur les sommets venteux.
En entendant ses cris, ils accoururent de partout ;
plantés devant la grotte, ils voulaient connaître ses peines :
« Polyphème, pourquoi jeter ces cris d’accablement ?
Pourquoi nous réveiller au milieu de la nuit divine ?
Serait-ce qu’un mortel emmène malgré toi tes bêtes ?
Serait-ce toi qu’on veut tuer, ou par ruse ou par force ?
»
Le puissant Polyphème leur cria du fond de l’antre :
« Par ruse, et non par force ! Et qui me tue, amis ?
Personne ! »
Et les Cyclopes de répondre par ces mots ailés :
« Personne ! aucune violence ? et seul comme tu l’es ? T
on mal doit venir du grand Zeus, et nous n’y pouvons
rien. Invoque plutôt Poséidon, notre roi, notre père ! »
Ils s’éloignèrent sur ces mots, et je ris en moi-même :
mon nom et mon habile tour les avaient abusés !
Sous le charme de Circé, la magicienne (chant X)
Ulysse laisse ses compagnons aller visiter des rivages
inconnus…
Ils découvrirent dans un val, en un lieu dégagé, la maison
de Circé avec ses murs de pierres lisses.
Autour se tenaient des lions et des loups de montagne,
que la déesse avait charmés par ses drogues funestes.
Mais loin de sauter sur mes gens, les fauves se levèrent
et vinrent les flatter en agitant leurs longues queues. […]
Circé sortit en hâte, ouvrit la porte scintillante et les
pria d’entrer ; et tous ces grands fous de la suivre ! […]
Elle les conduisit vers les sièges et les fauteuils ;
puis, leur ayant battu fromage, farine et miel vert dans du vin de Pramnos,
elles versa dans ce mélange un philtre [potion magique] qui devait leur faire
oublier la patrie, le leur servit à boire et, les frappant de sa baguette, alla
les enfermer au fond de son étable à porcs.
De ces porcs ils avaient la tête et les voix et les soies
[poils du porc], et le corps, mais gardaient en eux leur esprit d’autrefois.
Ainsi parqués, ils pleurnichaient, cependant que Circé
leur jetait à tous à manger glands, faînes et cornouilles [fruits], qui sont la
pâture ordinaire aux cochons qui se vautrent.
Le retour d’Ulysse à Itaque : Argos, un compagnon fidèle
(chant XVII)
Tandis qu'ils [Ulysse et son serviteur Eumée] se
livraient à cet échange de propos, un chien affalé là dressa la tête et les
oreilles : c'était Argos, le chien que de ses mains le brave Ulysse avait
nourri, mais bien en vain, étant parti trop tôt pour la sainte Ilion [Troie].
Les jeunes l'avaient longtemps pris pour chasser le
lièvre, le cerf et les chèvres sauvages.
Mais depuis le départ du maître, il gisait là sans soins,
sur du fumier de bœuf et de mulet qu’on entassait en avant du portail, afin que
les valets d’Ulysse eussent toujours de quoi fumer son immense domaine.
C’était là qu’était couché Argos, tout couvert de vermine.
Or, à peine avait-il flairé l’approche de son maître,
qu’il agita sa queue et replia ses deux oreilles ; mais il n’eut pas la force
d’aller plus avant ; Ulysse, en le voyant, se détourna, essuyant une larme,
vite, à l’insu d’Eumée ; après quoi il dit ces mots :
« Porcher, l’étrange chien couché ainsi sur le fumier !
De corps il est vraiment très beau, mais je ne puis
savoir si sa vitesse à courre [à la poursuite du gibier] était égale à sa
beauté, ou s’il n’était simplement qu’un de ces chiens de table, que les
maîtres n’entourent de leurs soins que pour la montre [pour le plaisir de le
montrer]. »
À ces mots, tu lui répondis ainsi, porcher Eumée :
« Celui-là c’est le chien d’un homme qui est mort au
loin.
S’il était resté tel, pour les prouesses et l’allure,
qu’Ulysse le laissa au moment de partir pour Troie, sa forme et sa vitesse
auraient tôt fait de t’étonner.
Jamais les bêtes qu’il traquait dans les forêts profondes
ne lui ont échappé ; il connaissait les pistes.
Mais le voilà fort affaibli ; son maître a disparu loin
de chez lui ; les femmes le délaissent, le négligent.
Les serviteurs, dès qu’ils n’ont plus de maître à
respecter, refusent d’accomplir le travail auquel ils se doivent.
Zeus tonnant ôte à l’homme la moitié de sa valeur, dès l’instant
que vient le saisir le jour de l’esclavage. »
À ces mots, il gagna la riche demeure et marcha droit
vers la salle où se trouvaient les nobles prétendants.
Mais Argos n’était plus : la sombre mort l’avait saisi,
au moment de revoir Ulysse après vingt ans d’absence.
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