jeudi 11 avril 2019

Caraïbes

La Chine monte en puissance dans les Caraïbes
Par Gordon G. Chang – 11/04/2019
Traduction du texte original: China Rising in the Caribbean

Sur l'île de Grand Bahama située à environ 55 miles (85 kilomètres) à l'est de Palm Beach, en Floride, une entreprise de Hong Kong investit environ 3 milliards de dollars pour aménager le Freeport Container Port, un port en eau profonde adapté aux navires porte-conteneurs.

Grand Bahama - Photo credit: cvconnell

L'inquiétude monte sur le risque de surendettement, comme à Hambantota au Sri Lanka. Il est à craindre que le port de Hambantota devienne une base navale chinoise.
Le Pentagone va-t-il devoir faire face à des navires de guerre chinois à Freeport ?

Carte de Cuba - Original téléversé par Sting

L'armée chinoise est déjà présente dans les Caraïbes, notamment à Cuba, ou elle a installé un système d'écoutes électroniques des Etats-Unis.

Che Guevara et Fidel Castro, photographiés par Alberto Korda en 1961.

Washington dépense beaucoup d'argent au Moyen-Orient, mais les responsables américains devraient se préoccuper en urgence de certaines situations à proximité de leur territoire.

Les rencontre du président des États-Unis, Donald Trump, avec plusieurs dirigeants des Caraïbes avaient pour but de bien marquer l'engagement de Washington dans cette région. Mais les projets américains mériteraient d'être mieux financés car ils ne sont pas à la hauteur des défis que pose la Chine. Dans les Caraïbes, le commerce et les investissements ont donné à Pékin une réelle puissance. Photo : le président Trump et Mélania Trump accueillent les dirigeants des Caraïbes à Mar-a-Lago à Palm Beach, en Floride, le 22 mars 2019. (Photo officielle de la Maison Blanche par Tia Dufour)

Un avis de « Tempête Rouge » (du nom d'un roman à succès de Tom Clancy) a surgi à quelques kilomètres des côtes américaines.
 « En fait, tout l'hémisphère est en feu », a affirmé Lou Dobbs, le 4 avril, sur le plateau de son émission très regardée sur Fox Business Network.

« La Chine et la Russie nous posent un problème presque chaque trimestre dans cet hémisphère.
La Russie et la Chine au Venezuela, mais la Chine dans la totalité de l'hémisphère et dans les Caraïbes ».


Carte de localisation des Caraïbes dans une acception minimaliste excluant golfe du Mexique et péninsule du Yucatan.

De fait, l'influence de la Chine grandit rapidement dans tout l'espace Caraïbes.

Par le commerce et les investissements Pékin s'érige en nouveau pouvoir.
Les motivations chinoises n'ont rien d'anodin et ne se bornent pas au commerce.

L'île de New Providence, aux Bahamas est une bonne illustration du phénomène.

En 2011, la Banque d'import-export de Chine a accordé un prêt de 2,45 milliards de dollars (2,1 milliards d'euros) pour la construction d'une station balnéaire à Baha Mar, près de Nassau, la capitale.
Le projet qui cumule les problèmes depuis le début, est le plus grand et le plus coûteux de toutes les Caraïbes.
La taille du projet surprend et l'immense intérêt économique que la Chine porte à la région Caraïbe a de quoi intriguer.

Comme le souligne Evan Ellis du collège de guerre de l'armée américaine, l'investissement de la Chine dans les Caraïbes est plus important par habitant que dans le reste de l'Amérique latine.
La région Caraïbe a peu de ressources naturelles et le marché pour les produits chinois est minuscule.
Ainsi que Ellis l'a déclaré à Roll Call, « Au regard des montants investis, il est clair que ce n'est pas vraiment le marché ou les ressources qui les intéressent. »

Quelle peut bien être la motivation de la Chine ?

 Un autre investissement important aux Bahamas apporte un indice.

À environ 55 miles à l'est de Palm Beach, sur l'île de Grand Bahama, une entreprise de Hong Kong est en train d'investir près de 3 milliards de dollars dans l'aménagement d'un port en eau profonde capable d'accueillir des porte-conteneurs, le Freeport Container Port.


Freeport passe pour être en mesure de tirer parti du trafic accru que devrait générer l'élargissement du canal de Panama.
Il est toutefois à craindre que le projet ne succombe au surendettement comme à Hambantota au Sri Lanka.

Une maison d'Hambatota après le tsunami de 2004

En décembre 2017, le port de Hambantota s'est retrouvé incapable de régler les intérêts des crédits importants et à taux élevés que le gouvernement avait contracté auprès d'établissements financiers chinois.


Résultat, la Chine est aujourd'hui propriétaire à 70% de Hambantota, contrôle assorti d'un bail de 99 ans.
La prise de contrôle était inévitable tant le projet a été mal conçu au départ.

Hambantota finira-t-il en base navale chinoise ?

Les amiraux chinois considèrent depuis longtemps le Sri Lanka comme un emplacement stratégique.
En septembre et en octobre 2014, le gouvernement sri-lankais a déjà autorisé un sous-marin chinois à accoster au Port international de porte- conteneurs de Colombo lui aussi financé par la Chine.

Le Pentagone devra-t-il faire face à des navires de guerre chinois à Freeport ?

L'armée chinoise est déjà présente dans les Caraïbes, à Cuba.
Selon un rapport d'octobre 2018 de la Commission chargée des questions liées au commerce et à la sécurité entre la Chine et les Etats-Unis, du personnel chinois occupe à Lourdes, Bejucal et Santiago de Cuba d'anciennes installations de renseignements datant de l'époque soviétique.
Tout comme les Russes à l'époque, les Chinois mènent une mission permanente d'information sur les États-Unis.


La présence chinoise à Bejucal, au sud de La Havane, apparait particulièrement préoccupante.
Les images satellites montrent qu'un nouveau radôme (dôme en plastique) a été installé pour protéger le radar, et cet équipement pourrait bien être d'origine chinoise.
La détection d'une présence chinoise à Bejucal n'est pas récente.
En 2016, Marco Rubio, sénateur républicain de Floride, a évoqué publiquement « la station d'écoute chinoise de Bejucal ».

Evan Ellis, dans un podcast avec Bonnie Glaser du Centre d'études stratégiques et internationales (CESI), a déclaré que Beijing accordait à la mer des Caraïbes la même importance stratégique qu'à la mer de Chine méridionale.
Ce qui expliquerait l'intérêt à priori surprenant de la Chine envers les 13 États insulaires et les 17 « territoires dépendants » - autrefois appelés « colonies » - de la région.

Cet intérêt des Chinois pour les Caraïbes éclaire la déclaration publique acerbe du chargé d'affaires chinois aux Bahamas, Haigang Yin, le mois dernier.
Quelques jours avant que le président américain, Donald Trump, ne se réunisse le 22 mars à Mar-a Lago, avec cinq dirigeants de la zone Caraïbes, y compris les Bahamas, Yin a accusé les États-Unis de « torpiller les liens de solidarité et de coopération qui existent entre la Chine et les pays en développement ».

L'arrogance chinoise coupe aujourd'hui le souffle.
Contre la volonté de Beijing, Trump a rencontré les dirigeants des Caraïbes.

Washington porte un intérêt accru au dossier, mais son investissement dans la région n'est pas à la hauteur des défis de la Chine.
Trish Regan, présentatrice de Fox Business, a déclaré lors de son émission en prime-time le 5 avril :
« Il faut remonter à la crise des missiles de Cuba en 1962, pour se retrouver avec un tel ennemi dans notre propre hémisphère. »

Jusqu'à présent, l'Amérique avait quasiment abandonné la zone Caraïbes. Selon l'expression convenue, les Caraïbes étaient tout à la fois « trop ​​démocratiques et pas assez pauvres » pour attirer l'attention des États-Unis.
Mais au plan stratégique, cette zone est toujours considérée comme la « troisième frontière » et le « ventre mou » des Etats Unis.

Un ventre mou qui est en passe d'être restructuré par la manne des capitaux chinois.
Ainsi, cinq pays de la région - Trinité-et-Tobago, la Grenade, la Dominique, Antigua-et-Barbuda et la République dominicaine - ont adhéré à l'ambitieuse initiative de Beijing « Belt and Road », un plan d'infrastructure destiné à mieux connecter entre elles les routes commerciales mondiales de la Chine.

Mais plus Beijing lance d'initiatives dans la région, plus les craintes grandissent de voir ces pays « piégés par la dette », comme au Sri Lanka.

L'administrateur de l'USAID, Mark Green, a raison de qualifier les crédits de Beijing de « financements prédateurs ».
Mais les mises en garde américaines risquent d'avoir peu d'écho si les États-Unis n'offrent pas d'alternatives, a souligné Margaret Myers de l'Inter-Américan Dialogue à Roll Call.

Après la réunion de Trump et des dirigeants des Caraïbes à Mar-a-Lago, les États-Unis ont promis d'envoyer une délégation dans la région.
Par ailleurs, le département d'État a concocté son propre plan, intitulé « Caraïbes 2020 ».
Mais les noms ont beau être accrocheurs, les programmes américains n'auront pas d'existence sans beaucoup d'argent.

Aujourd'hui, Washington dépense beaucoup au Moyen-Orient, mais les responsables politiques américains devraient de toute urgence se préoccuper des besoins de certaines zones stratégiques situées à leurs portes.

Gordon G. Chang est l'auteur de The Coming Collapse of China et Distinguished Fellow du Gatestone Institute.
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Grand Bahama est la quatrième île des Bahamas par sa taille. L'île mesure 154 km de long pour une largeur maximale de 27 km.
Elle se situe à 88 km à l'est de la Floride.

Cuba, en forme longue la république de Cuba (en espagnol : República de Cuba), est un État insulaire des Caraïbes formé de l'île de Cuba (la plus grande île des Antilles), de l'île de la Jeunesse (appelée île aux Pins jusqu'en 1976) et de 4 095 cayes et ilots. Il est situé à l'ouest des grandes Antilles, à la confluence de la mer des Caraïbes, du golfe du Mexique et de l'océan Atlantique ; au nord-est des Îles Caïmans ; au nord-nord-ouest de la Jamaïque ; à l'est du Mexique (Yucatán) ; au sud-sud-est de la péninsule de Floride ; au sud-ouest des Bahamas ; à l'ouest d'Haïti et des îles Turques-et-Caïques.

Les Caraïbes (également nommées la Caraïbe, l'espace caraïbe, ou encore l'espace des Caraïbes) sont une région du globe correspondant au bassin versant de la mer des Caraïbes.
On les qualifie parfois de « Méditerranée du Nouveau Monde », les Caraïbes sont un sous-ensemble du continent américain.
Par abus de langage, les Caraïbes sont souvent confondues avec les Antilles.

Hambantota est une ville du Sri Lanka située sur la côte sud de l'île (province du Sud, district d'Hambantota).
Elle accueillit pendant la Seconde Guerre des Boers un camp de concentration de l'Empire britannique.

Depuis 2007, la Chine y construit un port en eaux profondes, afin de permettre à ses pétroliers d'y faire escale sur la route stratégique depuis le golfe Persique.

La ville est aussi connue pour la présence d'éléphants sauvages. La population, de 300 à 400 individus, représenterait 10 % du nombre d'éléphants du Sri-Lanka.









mercredi 10 avril 2019

Laïcité

« Pour les islamistes, la France est vouée à devenir musulmane »
Entretien avec la philosophe et politologue, Renée Frégosi
Par Gil Mihaely - 27 mars 2019

Renée Frégosi, novembre 2018. ©BALTEL/SIPA / 00884429_000049

Dans Français encore un effort… pour être laïques !, la philosophe et politologue, Renée Fregosi, livre une lecture de la laïcité à la française.
Elle s’interroge sur la place des religions dans la cité, et notamment sur celle de l’islam par rapport aux principes républicains.

-  Dans votre dernier livre, Français encore un effort… pour être laïques !, vous proposez une lecture historique

et culturelle de la laïcité à la française, et donc de la place de la religion dans la cité.
C’est cette longue évolution des idées, des mœurs et des normes qui a abouti à des lois, notamment celle de 1905.

Pour vous, cette loi est-elle insuffisante aujourd’hui ? A-t-elle perdu son esprit ?

- Renée Fregosi : En effet, le corpus juridique constitué par le bloc des lois « laïques » votées entre 1880 et 1905 (expulsion des congrégations, lois scolaires portant sur la gratuité, l’obligation, la laïcisation des enseignants et enfin « séparation de l’Eglise et de l’Etat ») est la concrétisation d’une conception philosophique et d’une lutte idéologique fondant l’autonomisation de l’individu et son émancipation vis-à-vis de ce qui s’oppose à sa liberté de conscience et à la libre disposition de son corps.

De ce point de vue, ce bloc juridique qui garantit « la liberté de conscience » n’a rien perdu de sa pertinence.

Par ailleurs, en stipulant dans son article 2 que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », la loi de 1905 concerne toutes les religions, y compris l’islam.

De ce point de vue également,  la loi n’a rien perdu de sa pertinence et se suffit à elle-même.
Tout ajout de type concordataire (co-construction avec l’Etat d’un islam de France par exemple) viendrait en pervertir l’esprit et en saper la cohérence.

Enfin, les lois laïques, qui formalisent la primauté du droit national sur la loi religieuse n’ont rien perdu de leur pertinence, si tant est qu’elles soient appliquées ; preuve en est faite a contrario par la polémique que suscite aujourd’hui la question laïque face à l’expansion de la religion musulmane en Europe et notamment en France, et à l’offensive islamiste.

Les islamistes revendiquent pour tous les musulmans vivant en France le droit de vivre selon le particularisme communautaire religieux, et en quelque sorte, pour les Français musulmans, leur appartenance à la nationalité française « dans le statut de l’indigénat » de l’Algérie coloniale.

Sans toucher donc à la loi de 1905, il conviendrait en revanche de répondre à l’offensive islamiste actuelle par une refonte de la loi de 2004 qui rate sa cible en assimilant le voile à un signe religieux comme un autre et en en limitant l’interdiction dans l’enseignement primaire et secondaire.

Il s’agit plutôt de s’opposer explicitement à la tentative d’imposition d’éléments de la charia dans la République : port du voile, reconnaissance du blasphème, séparatisme communautaire (menus spécifiques, aménagements horaires, lieux de prières autres que les mosquées, etc.).

- La laïcité en France a longtemps été façonnée par rapport à la place de l’Eglise et la religion catholique.
En quoi l’interruption de l’islam à partir des années 1980 a-t-elle changé la donne ?

Pour certains la soumission de l’Eglise catholique a été aussi difficile et conflictuelle…

D’abord un rappel : si en 1905 l’islam n’est guère présent en France métropolitaine, au moment de sa promulgation, la loi devait concerner tout autant les colonies, notamment l’Algérie.

Le code de l’indigénat est en effet en débat depuis 1887 avec les propositions de lois visant à la naturalisation collective des « indigènes » (qui devraient pour acquérir la pleine nationalité française, non pas renier leur religion musulmane mais respecter le Code civil français, c’est-à-dire ne plus pratiquer les coutumes qui lui sont incompatibles, notamment la polygamie, le droit du père à marier son enfant, le droit de rompre le lien conjugal à la discrétion du mari ou le privilège des mâles en matière de succession).

Mais la naturalisation collective de toutes les populations algériennes s’est heurté tout autant à la minorité des prédateurs coloniaux et aux anti-assimilationnistes de droite, qu’aux autorités musulmanes traditionnelles qui craignaient de perdre leur emprise.

- Mais en quoi l’opposition de l’islam à l’esprit et aux lois concernant la laïcité diffère-t-elle de l’affrontement entre l’Eglise catholique et l’Etat au tournant des XIXe-XXe siècles en France ?

Il existe deux différences principales.

Tout d’abord, à partir de l’indépendance de l’Algérie et surtout à partir des années 1970, la religion musulmane est une religion importée en France à travers une immigration principalement maghrébine et ensuite subsaharienne.

L’islam de ces populations immigrées puis descendantes d’immigrés vient contester la construction historique de la laïcité française à la fois de l’extérieur en quelque sorte, et postérieurement à l’édification de la France laïque. L’islam se heurte donc à des lois et à des mœurs élaborées en dehors de lui, de ses références et de son histoire.

C’est pourquoi la contestation de la laïcité en France par certains musulmans peut apparaître comme illégitime à des Français qui se sont construits avec et parfois contre mais finalement en accommodement avec la laïcité qui fait maintenant partie du patrimoine commun à tout un chacun, quelles que soient ses options métaphysiques

D’autre part, outre la dimension géographique et historique, l’islam se distingue plus généralement de la religion catholique par son degré de sécularisation, c’est-à-dire son niveau d’acceptation de la primauté du droit positif des Etats sur la loi religieuse et son acclimatation à l’époque et à la culture ambiante (occidentale, européenne, française).

En Occident, la sécularisation s’est réalisée sur le temps long et repose sur deux mouvements historiques : le christianisme a mis d’abord plusieurs siècles à devenir religion d’Etat (en 380), puis de nombreux autres à renoncer à l’être, cet abandon prenant des rythmes et des formes différentes selon les pays.

On a ainsi assisté à un double processus: laïcisation des Etats, c’est-à-dire prise d’autonomie de la politique par rapport aux religions, et soumission de l’ordre religieux à l’ordre politique.

Ce mouvement a procédé à la fois par une lente évolution des mœurs et par des phases de grande tension voire de violence extrême entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux.
Ainsi, les lois laïques en France ont-elles en effet été imposées à l’Eglise catholique sans ménagement.

Enfin, ce lent processus a été accompagné d’une transformation interne aux dogmes religieux tant dans le christianisme que dans le judaïsme.

La pratique religieuse s’est peu à peu cantonnée à la sphère privée : les croyants ont considéré que l’adhésion religieuse procédait d’avantage de la foi personnelle qu’elle ne relevait de l’appartenance à une « communauté » de naissance, à une nature ou à une culture spécifique.

L’appartenance religieuse n’étant donc plus considérée comme indéfectible, le pluralisme des religions, comme l’apostasie et l’athéisme, peuvent être acceptés par tous.

Or, pour ce qui concerne l’islam, le monde musulman a abordé cette question de la sécularisation des sociétés à la fois tardivement et de façon biaisée : la sécularisation intellectuelle et politique s’est inscrite dans un cadre conflictuel, à travers la colonisation occidentale, la défaite et la chute de l’Empire ottoman et la décolonisation, souvent par la lutte armée.

Aussi, aujourd’hui, de l’Algérie des généraux du FLN à l’Égypte post-nassérienne, en passant par les partis Baas syrien et irakien décomposés, ou l’Autorité palestinienne, la laïcisation des pays arabes, naissante dans les années 1950, ou de façade dans les années 1960-70, comme celle plus profonde mais autoritaire en Turquie, a-t-elle cédé sous l’assaut des différents mouvements islamistes et l’on y assiste depuis les années 1980 à une ré-islamisation.

- La France avec son modèle laïque est-elle un champ de bataille dans une guerre globale de l’islamisme radical contre l’Occident ?

- Oui et non. D’une part, le principe laïque est bien né en Occident, mais l’Occident a aussi produit cette notion étrange d’universalisme. Autrement dit, si la laïcité est à l’origine occidentale, son principe d’émancipation individuelle, lui, concerne tous les humains et dépasse largement les limites géographiques de l’Occident.
Et cela d’autant plus dans un monde globalisé comme il l’est désormais.

Au demeurant, les tenants de l’islam politique s’évertuent à persuader les musulmans que la laïcité est strictement occidentale et qu’elle doit, à ce titre, être combattue comme un héritage colonial.

Mais c’est bien à une vision globale humaniste et démocratique que s’opposent les islamistes.

D’ailleurs, les Occidentaux ne sont pas les seuls ennemis des islamistes : tout musulman qui ne se conforme pas à l’orthopraxie islamiste est à convertir à la « vraie foi » ou à anéantir au même titre que les « mécréants » chrétiens, juifs et athées.
Et face à cette offensive islamiste, une solidarité se constitue entre tous les résistants à l’islamisme quelle que soit leur origine, en Occident et ailleurs.

Ainsi, la France est bien en première ligne dans la guerre que livre l’islamisme à tous ses ennemis, parce que la défense du principe laïque y est plus forte et argumentée qu’ailleurs, et parce que le nombre de musulmans y étant en croissance régulière depuis les années 70, les islamistes considèrent le pays comme étant « al islam », c’est-à-dire voué à devenir musulman à titre plein.

L’offensive islamiste y prend donc toutes les formes : violentes ou non, politiques, sociales, idéologiques.

Elle vise les corps à travers les attentats terroristes, mais aussi la démographie, la sexualité en général, la séparation des sexes et des communautés, l’endogamie à l’intérieur des communautés.

Cette islamisation travaille aussi les esprits à travers une lutte pour la reconnaissance du blasphème, la remise en cause de l’esprit scientifique, la perversion de la posture critique, l’utilisation du droit à la différence et de la cause multiculturaliste pour minimiser, voire annihiler, la culture occidentale et les notions universelles d’émancipation individuelle, de libre pensée et de libre disposition de son corps.
                                                                                                  
- Pour vous le corps de la femme est devenu un enjeu majeur de la laïcité contemporaine. Est-ce une nouveauté liée à l’islam ? 

Comme la laïcité ou encore la démocratie, le féminisme historique égalitariste (des Suffragettes au Mouvement de Libération des Femmes des années 1970) est aujourd’hui accusé par certains d’être d’essence occidentale et partant colonialiste, dominateur et donc à rejeter.
Il est vrai que la lutte pour la libération des femmes a commencé en Occident et que l’égalité des sexes y a considérablement progressé même si le combat n’est pas achevé.

Au demeurant, le corps des femmes en tant qu’objet sexuel et instrument de procréation a toujours constitué un enjeu de pouvoir dans à peu près toutes les civilisations, l’Occident ne faisant pas exception.

Et le mouvement féministe s’est heurté tout autant aux religions dans leur ensemble qu’au pouvoir politique non religieux.

La laïcité en France s’est d’ailleurs instaurée dans un paradoxe historique : au motif que l’Eglise catholique était réputée avoir une forte emprise sur les femmes, nombre de Radicaux promoteurs des lois laïques, étaient par ailleurs opposés au droit de vote des femmes.

L’émancipation des femmes n’était pas conçue comme partie intégrante de l’émancipation des individus pourtant objet du principe laïque universel.

Il n’en reste pas moins que l’esprit de la lutte féministe de « libération », d’émancipation, d’autonomisation, relève pleinement du principe laïque de libre pensée et de libre disposition de son corps pour tout individu.

Ce n’est pas un hasard si au début des années 60, le mouvement du Planning familial a inscrit dans ses statuts le principe de laïcité comme consubstantiel à son combat.

Et ce n’est pas un hasard  non plus si depuis quelques mois, une lutte « intersectionnelle » regroupant « décoloniaux », « féministes islamiques », multiculturalistes et islamo-gauchistes, s’organise pour réclamer la suppression de cette clause de laïcité dans les statuts de l’organisation.

Car oui, évidemment, la domination des femmes est aujourd’hui un élément essentiel de l’offensive islamiste.

Et il est ainsi piquant d’entendre certains politiciens qui ne se sont guère illustrés dans la défense des droits des femmes par le passé, les revendiquer aujourd’hui haut et fort pour des raisons purement tactiques dans leur opposition aux islamistes.

Quoi qu’il en soit, la charia institue objectivement la domination des femmes par les hommes à travers nombre de ses préceptes, le plus visible étant le voilement, d’autant que les islamistes en ont fait l’étendard de leur offensive.

Chacun sait pourtant que toutes les religions monothéistes, dans leur acception rigoriste originelle, imposent le voile aux femmes comme le dit l’apôtre Paul (1ère épître aux Corinthiens V.11) en double signe d’impureté et de soumission aux hommes.
Mais en s’appropriant en quelque sorte ce signe universel, les islamistes rappellent en outre que leurs femmes leur appartiennent et sont destinées aux hommes musulmans exclusivement.

- Vous consacrez plusieurs pages aux défis auxquels fait face la démocratie libérale aujourd’hui. En quoi cette problématique est-elle liée à la laïcité ? 

La démocratie est une construction proprement humaine qui parie sur la capacité des humains à supporter l’incertitude, c’est-à-dire à être libres, à donner sens à leur vie par leurs seules actions.

Elle se réalise au jour le jour, se construit non pas en référence à un absolu fantasmé mais à une relation du plus au moins satisfaisant.

Pas de parousie à l’horizon de l’humanité, pas de projection eschatologique illuminée, mais des avancées et des reculs et toujours la nécessité d’innover, d’inventer des méthodes prosaïques pour répondre au mieux, c’est-à-dire le moins mal possible, aux nouveaux défis de l’époque et aux nouvelles demandes sociales.

La démocratie « libérale », c’est cette « démocratie des Modernes » qui se fonde sur la fiction de l’individu libre.
Le choix est donné à chacun en supposant qu’il s’exprimera librement, mais la liberté de pensée de chacun est conçue également comme étant perfectible et s’accroissant au fur et à mesure que les conditions matérielles et morales de cette expression du libre choix s’améliorent (notamment grâce à une éducation émancipatrice)… ou à l’inverse régressent dans d’autres types de contextes.

Car la démocratie n’est jamais acquise définitivement et l’individualisme est une réalité ambivalente.

Il existe un individualisme « négatif » (égoïste, consumériste, jaloux, « identitaire », revanchard et du ressentiment) qui peut choisir la servitude volontaire, se soumettre à des communautés et à des modes qui finalement tendent à défaire la démocratie.

En revanche, l’individualisme émancipateur, de l’autonomie et de la libre conscience, de l’esprit logique et critique, permet de lutter contre les conformismes oppressifs et les séparatismes communautaires religieux ou autres, et renforce la démocratie.

Cette double notion de responsabilité et de liberté individuelle qui fonde la démocratie moderne est une source commune au principe laïque qui lutte contre les emprises sur les esprits et les corps.

Si Dieu s’est retiré du monde sans en achever la création, comme le pensent les juifs, et que les hommes sont maîtres de leur destin et responsables de l’amélioration du monde, la foi ne relève que du privé et croyants et incroyants peuvent œuvrer ensemble à l’amélioration de la société et à l’émancipation individuelle de chacun.

Laïcité et démocratie sont donc sœurs jumelles de la modernité.

Alors, pour entrer dans ce cadre démocratique et laïque, l’islam doit se réformer comme a dû le faire le catholicisme en son temps.

C’est ce que le totalitarisme islamiste cherche à empêcher à toute force, représentant aujourd’hui l’ennemi principal et de la démocratie et de la laïcité.

A lire aussi:






mardi 9 avril 2019

Où va la France ?

 NAISSANCE D’UNE NATION MULTIPLE ET DIVISÉE.

- Où va la France ?

 Jérôme Fourquet, directeur du pôle Opinion Ifop répond dans un livre vivant, - L’ARCHIPEL FRANÇAIS - 07/03/2019  - original et fortement documenté.

En quelques décennies, tout a changé.

La France, à l’heure des gilets jaunes,


n’a plus rien à voir avec cette patrie rebelle qui affichait avec fierté ses divisions droite/gauche bicentenaires, cette nation soudée par l’attachement de tous aux valeurs républicaines.

La France d’aujourd’hui s’est métamorphosée en profondeur.

Et lorsque l’analyste s’essaie à en dessiner les contours nouveaux, à rendre compte de la dynamique de ces métamorphoses, c’est un archipel d’îles s’ignorant les unes les autres qui surgit.
  
Fourquet constate dans l’Archipel français que le socle de la France d’autrefois, sa matrice catholique, s’est disloqué.

Il en envisage les conséquences culturelles et morales, et remarque notamment que notre relation au corps a changé (le développement de pratiques comme le tatouage et l’incinération en témoigne) ainsi que le rapport entre l’homme et l’animal (cf. le veganisme et les théories antispécistes).

Il explique ensuite comment le glissement tectonique de la France d’autrefois sous la plaque de la France nouvelle a produit un effet d’« archipelisation » de la société : sécession des élites, autonomisation des catégories populaires, instauration d’une société multiculturelle de fait, dislocation des références culturelles communes…

À la lumière de ce bouleversement anthropologique, on comprend mieux la crise de notre système politique : c’est que l’agrégation des intérêts particuliers au sein de coalition larges est devenue impossible.
En témoigne, bien sûr, l’élection présidentielle de 2017.

Où cette nouvelle dynamique nous mène-t-elle ?

L’anticipation que Fourquet laisse entrevoir est à la fois glaçante et terriblement crédible…

L’exposé, très pédagogique, est illustré par de nombreuses cartes, tableaux et graphiques originaux réalisés par Sylvain Manternach.

La démarche d’ensemble est fondée sur la combinaison originale de différents outils (sondages, analyse des prénoms, géographie électorale…), visant à restituer de façon vivante les enseignements spectaculaires de cette exploration inédite de la société française.

L’archipel français – Naissance d’une nation multiple et divisée
En librairie le 7 mars 2019 - 384 pages – 22 €

Pour acheter le livre : leslibraires.fr
Jérôme Fourquet est analyste politique, expert en géographie électorale, directeur du département Opinion à l’IFOP.

Sylvain Manternach est géographe et cartographe, issu de l’Institut français de géopolitique.


dimanche 7 avril 2019

Peuples Gaulois.

Extrait de Wikipédia.

Les Gaulois étaient l'ensemble des peuples protohistoriques habitant la Gaule, telle qu'elle fut définie par Jules César.

À part les Aquitains, qui étaient proto-basques, ils se rattachaient à la civilisation celtique antique jusqu'à ce que les processus d'acculturation, liés au commerce et à la conquête romaine, n'en fassent des gallo-romains.

Cliquez sur l'image pour voir le diaporama
Carte de la Gaule avant la Guerre des Gaules selon Gustav Droysen1 d'après les peuples définis par Jules César : les Belges (en orange), les Aquitains (en rouge), la Gaule celtique (en vert) et la Gaule narbonnaise (en jaune).
Gustav Droysen

Les Gaulois, à proprement parler, se composaient de nombreuses tribus parlant un ensemble de dialectes celtes, et ils pensaient descendre d'une même souche dont ils connaissaient la généalogie.

Guerriers gaulois portant leur habillement caractéristique, celui de gauche équipé en plus d'une cotte de mailles et d'un casque avec des paragnathides articulées. User:Khaerr

À ces liens de filiation, réels ou mythiques, qui leur créaient des obligations de solidarité, s'ajoutaient des alliances, qui mettaient certains d'entre eux dans la clientèle d'un autre pour former des fédérations comme celles des Arvernes et des Éduens.

Enseigne gauloise (sanglier stylisé), musée de Soulac-sur-Mer.- Spiridon Ion Cepleanu

Tous ces peuples étaient divisés en civitates, identifiés par un chef-lieu et un territoire, appelé en latin pertica, qui étaient subdivisés en pagus, qui correspondaient à peu près aux cantons français.

Maquette de la ferme de Verberie (aristocratie gauloise). Cité des Sciences et de l'Industrie (Paris), "Les Gaulois, une expo renversante", 2012. Claude Valette

Les civilisations gauloises sont rattachées, en archéologie, pour l'essentiel, à la civilisation celtique de La Tène (du nom d'un site découvert au bord du lac de Neuchâtel, en Suisse).

Cerclage métallique d'un seau gaulois en bois. Cité des Sciences et de l'Industrie (Paris), "Les Gaulois, une expo renversante", du 19-10-2011 au 2-09-2012.Claude Valette

La civilisation de la Tène s'épanouit sur le continent au Second âge du fer (Tène I) et disparut en Irlande durant le haut Moyen Âge (Tène IV).

Maquette de la ferme de Verberie. Claude Valette — (aristocratie gauloise). Cité des Sciences et de l'Industrie (Paris), "Les Gaulois, une expo renversante", du 19-10-2011 au 2-09-2012.

L'image des Gaulois est encore faussée chez le public et la presse française qui reprennent la plupart des stéréotypes établis dès le Second Empire et la Troisième République, notamment celle d'un peuple ne sachant ni lire ni écrire, de guerriers valeureux mais de brutes sauvages, et de l'expression typique du « roman national » français, « nos ancêtres les Gaulois ».

Maquette de la ferme de Verberie. Claude Valette

Étymologie

Le mot celte est issu du celtique commun *kel-to (« combattant, guerrier ») dérivant lui-même de *kellāko- (« combat, guerre »), tandis que galate et gallus procèdent du celtique commun *galatis (« fort, puissant ») dérivant lui-même de *gal-n (« être capable »).

Buste de Brennos provenant de la figure de proue du cuirassé Brennus, Musée national de la Marine. Med

Les Gaulois se nommaient eux-mêmes « Celtes » (« Celtae » en latin)n 1 en leurs langues ou plus exactement Keltoï écrit en alphabet grec. Pour la Gaule ils disaient Keltiia et peut-être aussi Litaouî « la (terre) large », par opposition à Iouerio « la terre entourée d'eau » qui désignait les îles britanniques.

La coiffure sophistiquée en « double feuille de gui » du prince de Glauberg est loin de l'image stéréotypée du gaulois hirsute. Steschke

Selon Jules César, la Gaule était habitée par trois principaux peuples : Celtae, Belgae et Aquitanin.

Statue monumentale de Vercingétorix par Aimé Millet, Alise-Sainte-Reine, 1865.
Photo: Myrabella

« L’ensemble de la Gaule est divisé en trois parties : l’une est habitée par les Belges, l’autre par les Aquitains, la troisième par le peuple qui, dans sa langue, se nomme Celtes, et, dans la nôtre, Gaulois. »

Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César, peinture de Lionel Royer, 1899. Musée CROZATIER du Puy-en-Velay. —La réprésentation du Gaulois avec les cheveux longs et moustache est remise en cause aujourd'hui. Le cheval est un Percheron, alors qu'à cette époque cette race n'était pas en Gaule. Le bouclier à forme rectangulaire ne correspond pas à la réalité de l'époque ; ils étaient plutôt ovales.
Ce tableau est donc une théâtralisation de la reddition de Vercingétorix.

— Commentaires sur la Guerre des Gaules, Jules César

Les Grecs nommaient dès le VIIe siècle av. J.-C. (période de la colonisation européenne de Grecs de l'époque archaïque) les Gaulois Κελτοι (orthographe d'Hécatée de Milet ou d'Hérodote, transcrite en Celtæ comme l'écrit Jules César pour faire référence aux habitants de la Gaule centrale) ou encore Κέλται (orthographe d'Aristote ou de Plutarque) puis au IIIe siècle av. J.-C. (période de l'invasion par le chef celte Léonorios de la Thrace) l'ethnonyme Γαλάται, pluriel de Γαλάτης, Galátai / Galátēs, que l'on peut rendre en français par Galates, désignant aussi bien chez les Grecs et Romains les Celtes d’Orient puis l'ensemble des Celtes.

Figures en ronde-bosse gallo-romaines trouvées à Ingelheim am Rhein

La simplification de Galátai en Galli, pluriel de Gallus, habitants de la Gallia « Gaule », a longtemps été donnée pour expliquer l'étymologie du nom Gaulois, hypothèse considérée sans fondement aujourd'hui, sur la base des développements de la philologie et de la linguistique moderne.

Henri-Paul Motte, Vercingétorix se rend à César, 1886

Les Germains appelaient ces Celtes *Walχiskn « étranger » devenu en allemand moderne Welsch, un terme souvent péjoratif par lequel les Allemands désignaient les populations non germaniques, et devenu en slave Valaque pour désigner les non slaves.

Soldat arverne sur une monnaie trouvée en Auvergne

Les Germains (Angles, Saxons et Jutes) arrivés sur le sol britannique au Ve siècle de notre ère ont utilisé ce même terme pour qualifier les Celtes du Pays de Galles : Welsh, et de Wales leur pays.

Reconstitution moderne d'une baliste romaine

De même, le français Gaule et gaulois procède du même terme germanique utilisé par les locuteurs de langue francique : walhisk « roman », dérivé de walha « les Romans » faisant référence aux tribus ne parlant pas le francique, cependant il y a eu métathèse de [l], d'où Wahla > *Gwaula > Gaule.

Plaque gravée après le passage de Napoléon III à Gergovie. Nimbus08

Le nom latin de Gallus « Gaulois » a été associé à la Renaissance à son homophone gallus « coq » (ancien français jal, jau « coq »), devenu ainsi l'animal emblématique de la France.

Monnaie en bronze (à gauche, provenant d'Alésia) et statère d'or (à droite, découverte à Pionsat) de Vercingétorix, frappées avec le même coin monétaire.
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Archéologie nationale) / Thierry Le Mage

Histoire

Les origines d'après les sources écrites

Les mentions écrites des auteurs gréco-latins décrivant l'arrivée des peuplades gauloises dans l'histoire sont relativement tardives par rapport aux époques auxquelles elles se réfèrent, ce qui incite à interpréter ces textes avec précaution.

Armes gauloises découvertes à Alésia

Une corrélation est toutefois à établir entre les Ligures et les Gaulois puisqu'Hésiode (cité par Strabon) spécifie bien que les Ligures faisaient partie des grandes nations du monde connu entre les Éthiopiens et les Scythes, alors que quelques siècles plus tard Éphore de Cumes remplaçait les Ligures par les Celtes aux côtés des Éthiopiens, des Scythes et des Indiens.

Armes gauloises découvertes à Alésia . Jean Schormans

Les auteurs antiques parlent d'invasions celtiques, terme repris par les historiens postérieurs. Il semble que Tite-Live, historien latin et Trogue Pompée, premier historien gallo-romain, aient été largement influencés par les migrations en masse des peuples nordiques, les Cimbres et les Teutons.

Armes de trait et d'hast en fer découvertes à Alésia. Hervé Lewandowski

De même, les archéologues qui parlent, les premiers, des invasions celtiques ne font que reproduire, plus ou moins consciemment, le modèle des invasions germaniques du ve siècle.
En réalité, les évolutions que connaissent les peuples celtes aux viiie et viie siècles av. J.-C. ont probablement pour origine deux mouvements importants venus de l'extérieur (colonisation grecque et phénicienne en Méditerranée, campagnes assyriennes dévastant les cités de Palestine et syro-phéniciennes).

Ensemble de boulets de baliste, traits de catapulte, tribuli, stimuli, balles de frondes, découverts à Alésia . Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Archéologie nationale) / Thierry Le Mage

Ces troubles provoqués à l'est, ainsi que l'installation de colonies grecques sur les littoraux occidentaux de la Méditerranée, tout comme le développement de l'Étrurie padane, transforment les routes commerciales européennes, au profit des peuples occidentaux.



Cette nouvelle donne engendre les mutations sociales du ve siècle av. J.-C., la formation de la civilisation laténienne.

Ensemble d'épées gauloises, lances, et casque en fer découverts à Alésia
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Archéologie nationale) / Thierry Le Mage

Selon Tite-Live, des Celtes qui peuplaient les territoires correspondant à la Gaule auraient commencé à migrer vers l'Est au cours du vie siècle av. J.-C..

Ambigatos roi des Bituriges, aurait ainsi envoyé deux de ses neveux chercher de nouvelles terres.
Le premier, Segovesos, se serait rendu en forêt Hercynienne tandis que le second, Bellovesos aurait commencé la migration et les raids gaulois en Italie.

Photographie d'une planche d'armes découvertes à Alésia (archives du Musée d'Archéologie Nationale). Tony Querrec

Pour Strabon (VII 1, 2), les Germains sont identiques aux Gaulois par leur aspect physique et leur mode de vie, tout en étant plus sauvages, plus grands et aussi plus blonds.

Photographie d'une planche d'armes découvertes à Alésia (archives du Musée d'Archéologie Nationale) Tony Querrec

Cette blondeur des Gaulois pourrait provenir d'une teinture à l'argile ou à l'eau de chaux qui éclaircissait les « cheveux chaulés » des Gaulois même bruns, ou d'une teinture, le sapo – savon utilisé comme onguent – à base d'un mélange de graisse de chèvre, de bois de hêtre et de suc de plantes qui donnait une chevelure blonde tirant vers le roux.

Archéodrome de Beaune, reconstitution du siège d'Alésia avec en avant-plan les stimuli, puis les lilia et les cippi. Christophe.Finot

Cet auteur croit que les Romains eux-mêmes ont donné ce nom aux Germains pour signifier qu'ils étaient les Gaulois authentiques, « germanus » ayant ce sens en latin. On trouve d'ailleurs des calembours à ce sujet dans Cicéron (Phil. XI, ), Velleius Paterculus (II) et Sénèque (Apoc. VI).

Photo aérienne de la fouille de la porte orientale du Camp C à Alise-Sainte-Reine - prise par René Goguey. René Goguey

Ainsi, il est possible que les Gaulois soient en fait des peuples ligures ou vénètes celtisés (germanisés).
Les Celtes, n'utilisant pas l'écrit communément, apparaissent donc pendant la période dite protohistorique, à l’âge du bronze.

Centre d’interprétation des assiégeants » du MuséoParc Alésia.  Prosopee

Les débuts de l'époque gauloise sont difficiles à dater et varient selon les régions considérées. Pour Henri Hubert, le processus aurait duré plusieurs siècles pendant lesquels plusieurs peuples auraient coexisté.

Chaudron de Gundestrup.

Il ne se serait fait ni soudainement par une sorte de guerre d'invasion générale, ni en masse par la migration d'une multitude d'individus isolés, mais par l'arrivée de groupes organisés en clans, numériquement plus ou moins importants (voir la Civilisation de Vix), au milieu des autres peuples qui leur auraient accordé l'hospitalité, des droits définis par des traités et un territoire.

Porte du Rebout, oppidum de Bibracte. Urban

Il est communément admis que la civilisation celtique s'épanouit en Gaule avec La Tène, c'est-à-dire au deuxième âge du fer, à partir du Ve siècle av. J.-C..
La ville de Marseille, colonie de la cité grecque de Phocée, est fondée vers 600 av. J.-C. sur le territoire des Ségobriges, peuple ligure (sego, « victoire », « force » et briga, « colline », « mont », « forteresse »).

Stèle celtique de Galicie, IIe siècle :  “APANA·AMBO(-) / LLI·F(ilia)·CELTICA / SUPERTAM(arica) / (castello) MAIOBRI / AN(norum)·XXV· H(ic)·S(ita)·E(st) / APANUS·FR(ater)· F(aciendum)·C(uravit)”. Alexandre Gal

Dans les sources grecques, en particulier de l'époque macédonienne, de nombreuses mentions de Celtes — appelés Galates et formant des contingents mercenaires — apparaissent : il est surtout fait référence à leur courage et à leur valeur guerrière. Cela correspond à la période de la plus grande expansion celtique (IVe siècle av. J.-C. et IIIe siècle av. J.-C.).

Le casque Waterloo, daté de vers -150 à -50. Ealdgyth

Dans les sources latines postérieures, les Gaulois des IIe siècle av. J.-C. et Ier siècle av. J.-C. sont clairement distingués des Cimbres, des Teutons et des Bretons.

Reconstruction de la tenue et de l'équipement d'un guerrier celte de l'âge de fer, Biebertal, en Allemagne. Gorinin

La recherche actuelle montre ainsi que les Gaulois sont un peuple indigène, mais qu'ils étendent leur territoire à l'est en établissant des colonies (notamment en Galatie).
Les cités décident d'y envoyer une partie de leur jeunesse, peut-être une génération entière, fonder un nouveau territoire, cette colonisation étant loin de l'image des invasions gauloises forgée par les Romains.

Le verso d'un miroir de bronze britannique, avec des motifs de spirale et de trompette, typiques de l'art celtique, La Tène, en Grande-Bretagne. Photo by Fuzzypeg

Avant Rome

La Gaule, à la veille de la conquête romaine, est un pays d'alternances de forêts, de plaines cultivées, de bocages et de cités fortifiées, sillonnés de routes, pour certaines empierrées, donc d'un espace densément mis en valeur, loin des clichés légués par les historiens du passé.

Reconstitution d'une maison de l'âge du fer en Europe. WyrdLight.com

L'archéologie, en particulier aérienne, a démontré que des milliers de fermes gauloises (nombreuses petites fermes « indigènes » mais aussi certaines villas gauloises aussi étendues que les futures villae gallo-romaines) quadrillaient le territoire aux IIe siècle av. J.-C., et les fouilles réalisées dans les oppida, par exemple à Bibracte, ont mis en valeur une structure urbaine complexe et élaborée.

Détail d'un panneau intérieur du chaudron de Gundestrup, Musée national du Danemark, Copenhague.

Les résultats archéologiques et archéométriques viennent ainsi graduellement gommer l'image mythique de la grande forêt gauloise centrale, épaisse et impénétrable, au fond de laquelle vivent dans des cabanes ou des huttes rondes des guerriers hirsutes et paillards.

Rasoir en bronze, Premier âge du fer, Acy-Romance. Vassil

Les Gaulois sont des paysans pratiquant une gestion forestière avec choix de bois de chauffe et de construction, ainsi que des défrichements pour une mise en culture des sols, si bien que la forêt n'a plus le loisir de reconquérir les terres défrichées.
Ce sont également des commerçants, des négociants, des artisans, des techniciens qui habitent des maisons convenables, dans des fermes, des villages, voire des villes.

Urne d'une tombe à incinération (Allemagne). SP2011

Dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, César sous-estime le nombre d'habitants, tout en exagérant le nombre de guerriers.
Suivant ses écrits, les érudits du passé ont estimé à cinq ou six millions le nombre d'habitants d'une Gaule qui faisait près de 100 000 km2 de plus que la France actuelle.

Représentation supposée d'un Galate, sur un disque en or trouvé dans un des deux tumulus de Bolu (Turquie), iiie siècle av. J.-C.

Certains spécialistes pensent que la Celtica Gallica était peuplée de dix millions d'âmes environ (à peu près autant que sous le règne de Louis XIV), mais Ferdinand Lot en prenant pour base l'espace mis en culture et en faisant des comparaisons avec les chiffres obtenus au Moyen Âge, avance le nombre de vingt millions d'habitants.

Mouvements des groupes celtes de la Grande Expédition. User:Filos96

La Gaule fut le lieu, bien avant la conquête, d'une urbanisation en plein essor, comme le montrent, par exemple, les fouilles des oppida de Corent, ou de Bibracte et d'un commerce à grande échelle, comme le révèlent les nombreux dépôts d'amphores vinaires italiques découvertes en contexte de sanctuaires.

Vidéo



Enfin, la société gauloise, dont la structure a varié dans le temps, semble très complexe et hiérarchisée à la veille de la conquête, et laisse apparaître une tripartition fonctionnelle qui peut être interprétée comme un héritage indo-européen.
Les institutions sont proches de celles des Grecs et des Romains : une assemblée du peuple, un sénat et des magistrats placés sous l'autorité d'un vergobret.

Statue de barde datant de La Tène, découverte lors de fouilles de la forteresse de Paule. Pymouss

D'une manière générale, les femmes occupent une place plus grande que leurs correspondantes dans le monde méditerranéen. En effet, elles pouvaient participer à des jugements, délibérer dans des affaires d’État et étaient instruites dans l'art de soigner.

Le Héros celtique de Bohème ou Tête de Mšecké Žehrovice. CeStu

La fin de l'indépendance

La Gaule fut incorporée militairement à la république romaine en deux étapes : la Gaule méridionale au-delà des Alpes (Gallia bracata en latin, c'est-à-dire Gaule en braies) fut conquise dès la fin du IIe siècle av. J.-C. et « romanisée », semble-t-il, en moins d'un siècle.
Elle devint la première province romaine hors d'Italie : la Narbonnaise, et compta la première cité de droit romain hors d'Italie (Narbonne).

œnochoés étrusques découverts dans des tombes du nord de la Gaule. Emile Gastebois

La Gaule septentrionale (nommée Gallia comata, c'est-à-dire Gaule chevelue, par Jules César) fut soumise entre -58 et -51 par les légions de ce dernier.
Cette « Guerre des Gaules » culmina avec la défaite d'une coalition gauloise menée par l'Arverne Vercingétorix, à Alésia, en -52.

Poignée de dague de l'ère de Hallstatt, Musée du château de Linz. Wolfgang Saube

L'historiographie romaine ne situe toutefois la fin de la pacification qu'en -51, à la suite d'une ultime victoire sur les restes des coalisés rassemblés sous les ordres du chef Lucterios.
                 
Mur de l’oppidum sur le plateau de Gergovie. Romary

La présence de très nombreux lieux-dits « camps de César » en France ne doit pas tromper : la plupart d'entre eux sont des sites postérieurs, datant parfois du Moyen Âge.

Frappé en 48 av. J.-C. à Rome, ce denier pourrait représenter Vercingétorix qui y était alors captif, ou bien une figure allégorique de la victoire remportée sur les Gaulois.

Cependant, il est probable que la pacification fut plus longue que ce que l'on a longtemps cru et dura au moins jusqu'après l'imperium d'Auguste.
En effet les dernières révoltes ont eu lieu en pays Séquane en 70 et 71.

Statue équestre de Vercingétorix, par Bartholdi, place de Jaude à Clermont-Ferrand. Fabien1309

Vercingétorix, né aux environs de -80 sur le territoire des Arvernes (actuelle Auvergnenote ), et mort à l'automne -46 à Rome, est un chef et roi des Arvernes.
Il fédère une partie des peuples gaulois dans le cadre d'une révolte contre les forces romaines au cours de la dernière phase de la guerre des Gaules de Jules César.

Statère d'or de -52, issu du trésor de Pionsat, Puy-de-Dôme, au nom de Vercingétorix, ce dernier peut y être représenté sous les traits du dieu Apollon - musée d'archéologie nationale. Siren-Com

Fils de Celtillos, noble et probable chef arverne, Vercingétorix arrive au pouvoir après sa désignation officielle comme chef des Arvernes en -52.
Il établit immédiatement une alliance avec d'autres tribus gauloises, prend la tête du commandement, combine toutes les forces, et les conduit dans la plus importante révolte des Gaulois contre le pouvoir romain.

Une édition de 1783 des Commentarii de Bello Gallico de César.

Il remporte la bataille de Gergovie face à Jules César dans laquelle de nombreux Romains et alliés sont tués.
En conséquence, les légions romaines de César se retirent d'Arvénie (actuelle Auvergne).

Guerrier galate blessé, statue de l’agora des Italiens à Délos, vers 100 av. J.-C., musée national archéologique d’Athènes. Marsyas.
Statue d'un guerrier gaulois, en marbre parien, trouvée dans l'Agora des Italiens à Délos. Le guerrier, blessé à la cuisse, est tombé à terre sur son genou droit et tente de se défendre avec son bras gauche. Sur le sol repose à côté de lui un casque galate. Exemple typique de la sculpture hellénistique tardive, caractéristique de l'école pergaménienne. Vers 100 a. C.

Cependant, César parvient à exploiter les divisions internes entre les peuples gaulois pour facilement subjuguer leurs territoires, et la tentative de Vercingétorix d'unir les Gaulois contre l'invasion romaine arrive tardivement.

À la bataille d'Alésia, les Romains assiègent et défont ses forces.

Afin de sauver autant de ses hommes que possible, il se livre aux Romains.
Il est retenu prisonnier pendant cinq ans.
En -46, dans le cadre du triomphe de César, Vercingétorix est exhibé dans les rues de Rome, au sein du défilé triomphal, puis exécuté par étranglement sur ordre de César.
Il est principalement connu grâce au Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César.

Le trésor de Broighter, exposé au Musée national d'Irlande, est un amas d'objets en or datant de l'époque de La Tène. Il a été découvert en 1896 à Broighter (irlandais: Brú Íochtair, qui signifie « fort inférieur » ou « en contrebas ») près de Limavady, dans le nord de l'Irlande. Ardfern

L'empire des Gaules

Au cours du iiie siècle, l'empire romain connaît une grave crise, appelée par la tradition anarchie militaire.
Aux invasions barbares s'ajoutent dans de nombreuses provinces une crise économique .
De la mort de Sévère Alexandre en 235 à l'avènement de Dioclétien en 285, 64 empereurs ou usurpateurs se succèdent ou luttent les uns contre les autres.

Parmi eux se trouvent quelques généraux qui prennent le contrôle des Gaules pendant une quinzaine d'années, assurent la défense du limes du Rhin et établissent un empire des Gaules qui dure de 260 à 274.

Les Gaulois de l'empire romain

Denier d'argent. cgb

Les historiens parlent de la « romanisation » des Gaulois.

Les termes « Gaulois » et « Gaule », ainsi que l'essentiel des noms de peuples et de tribus de la Gaule protohistorique restèrent en usage pour désigner peuples et territoires (cités). Par la suite, ces circonscriptions et leurs noms se fixèrent dans les diocèses pour parvenir jusqu'à nous : Périgueux, cité des Pétrocores, Vannes, cité des Vénètes, etc.

En archéologie et en histoire, les Gaulois romanisés sont appelés Gallo-romains, quoique ce terme n'ait jamais été employé dans les sources.

Culture

Contrairement à une idée reçue tenace, les Gaulois ne vivaient pas dans les forêts (le paysage était ouvert, moins boisé qu'aujourd'hui), ils vivaient en ville (oppidum) ou à la campagne (maillage de grandes fermes abritant des aristocrates).

Avant même la conquête de la Gaule par l'armée romaine, les Gaulois entretenaient des relations commerciales denses avec les marchands romains.

On trouve à Bibracte, à 500 km de la côte, des centaines de tonnes de fragments d'amphores de vin produit en Italie centrale, importées par les Gaulois au Ier siècle av. J.-C. ; ces témoignages archéologiques renforcent la thèse d'un développement important du commerce en Gaule.

La monnaie gauloise était conçue de manière à pouvoir être échangée avec du numéraire romain.

Cratère et maquette de char contenu dans la tombe de Vix, Musée du Pays Châtillonnais. Jochen Jahnke

Les Gaulois n'étaient nullement isolés.
Aux échanges économiques s'ajoute la circulation des hommes engagés dans les armées impériales.
Christian Goudineau rappelle que les armées des grands empires de l'époque hellénistique ont recruté des Gaulois, qui ainsi, ont vu Athènes, Alexandrie, Antioche ; ces mouvements ont introduit au moins une amorce d'acculturation.

Artisanat

L'artisanat prospère notamment dans l'art de la guerre.

L'armement (casques, épées, pointes de lances et de flèches) témoigne de l'adresse des forgerons et des armuriers gaulois qui inventent la cotte de mailles (sans doute le modèle utilisé par les Romains, son usage se répandant en Europe au haut Moyen Âge) et les chaînes de ceintures à l'articulation complexe.

L'outillage des métiers du fer (bêches, faux, araires) bénéficie de cet art de la guerre.
« Bien des outils ont acquis dès ce moment la forme que nous leur connaissons aujourd'hui : le marteau, l'enclume, les tenailles, la hache, le ciseau, l'herminette, la plane ».
La vaisselle (en céramique, mais aussi en bronze voire des objets en or et en argent liés à une marque de prestige), les parures (bagues, bracelets, fibule, pendentif, torques) sont également des témoignages de la maîtrise de cet art.

Les Gaulois sont des artisans réputés dans le travail du bois : le tonneau cerclé de métal, notamment, serait une invention gauloise ; des ateliers de tabletiers (faisant appel aux techniques de l'ébéniste, du marqueteur ou du tourneur) sont souvent situés à proximités des forges ou d'autres artisanats.

La cuisine gauloise est riche et diversifiée : viandes (essentiellement d'animaux domestiques : bœufs, porcs, moutons, chevaux et chiens ; les animaux chassés et mangés ne représentent qu'un centième des mammifères consommés, et le sanglier, mammifère moins fréquent que le lièvre ou les cervidés, est rarement chassé ), poissons, fruits, légumineuses et légumes.
Ils ont l'habitude de rehausser le goût des aliments avec des condiments, sauces et épices divers, tels que le garum ou le cumin.

L'habileté des artisans gaulois leur permet de produire des tissus et des vêtements (de lin à la saison chaude, de laine épaisse en hiver) avec un tissage qui dessine des rayures, des carreaux, interprète des fleurs.
Leur qualité et confort sont tels qu'ils peuvent même être exportés

L'habillement caractéristique comprend chez l'homme les braies, pantalons retenus par une ceinture.
Le Gaulois est torse nu ou porte une tunique, blouse à manche serrée à la taille, et la saie, manteau en forme de cape agrafé à la poitrine par une fibule.

Le guerrier gaulois peut être en plus équipé d'un manteau, le bardocuculle, sorte de pèlerine avec capuchon (baptisé cucullus), d'une cotte de mailles et d'un casque avec des paragnathides articulées.

La femme porte sous sa tunique une robe qui tombe jusqu'aux chevilles.
Au pied, les deux sexes se chaussent notamment de brogues, des chaussures en cuir souple à semelle de bois avec laçage (mocassins reprise par les Romains qui les nomment caligae, corruption de *gallicae).
Les membres des classes privilégiées peuvent revêtir des habits en soie ou brodés de fil d'or ou d'argent.

Architecture

Les édifices gaulois sont en bois et en terre, non en pierre, raison pour laquelle il n'en reste pas de vestiges visibles aujourd'hui.

L'archéologie a mis en évidence en Auvergne la présence de sanctuaires gaulois de 50 mètres de côté, de 7 à 8 mètres de hauteur, avec des dizaines de colonnades, grâce aux traces laissées par les trous des poteaux et les parois ; ces monuments sont tout aussi imposants que ceux construits à la même époque en Grèce et à Rome, selon Matthieu Poux.
Vincent Guichard rapproche cette architecture en bois de celle qui était à l'œuvre en Italie au temps des Étrusques.

Langue

La langue gauloise est mal connue, cependant le corpus des inscriptions gauloises s'est considérablement enrichi ces dernières années, grâce aux progrès de l'archéologie, ainsi que la capacité linguistique à déchiffrer cette langue.

Il est établi depuis longtemps que le gaulois est une langue celtique, parfois classée comme langue celtique continentale, alors que d'autres sources n'hésitent pas à souligner sa parenté étroite avec le groupe des langues celtiques brittoniques.

Le français a certaines caractéristiques qui sont d'origine gauloise (mais la liste exacte est controversée).
150 mots sont considérés comme gaulois (si l'on exclut les termes dialectaux).

La langue française est de toutes les langues romanes celle qui est la plus imprégnée de « celticismes ».

Ainsi de nombreux noms d'arbres (if, chêne, érable, verne, etc.), de plantes (droue, beloce, fourdraine, etc.), de poissons (vandoise, limande, loche, etc.), de techniques (ardoise, gouge, quai, chai, etc.) sont propres au latin de Gaule, ainsi que des calques comme aveugle (bas latin aboculis « sans yeux » < gaulois eksops, même sens), quelques influences phonétiques sûres comme caisse de *caxsa au lieu de capsa ou chétif (anciennement chaitif) de *caxtivu- au lieu de captivu.

 Histoire de la langue française.

Les Gaulois utilisaient peut-être (mais les témoignages ne sont pas directs et peu sûrs) le système de numération vicésimal (en base 20) ; la présence résiduelle en français de ce système (80 se disant quatre-vingts et non octante comme en latin ; l'hôpital des Quinze-Vingts, héritier d'un hospice fondé vers 1260 par Saint Louis pour 300 aveugles…) est peut-être due à cet héritage.

Certains Gaulois utilisaient l'alphabet grec et comme monnaie des divisions du statère grec.

Dans la Turquie actuelle, la Galatie est un lointain témoignage de la présence de Gaulois Volques (Galates) qui servirent Alexandre le Grand comme mercenaires avant de s'établir dans cette région d'Asie Mineure, où ils firent d'Ankara (Ancyre) leur capitale.

Le quartier d'Istanbul nommé Galatasaray, « palais des Galates », pourrait provenir du fait de la résidence des mercenaires engagés par le pouvoir byzantin.

À en croire saint Jérôme, dans son commentaire de l’Épître aux Galates, ces derniers parlaient encore au IVe siècle la même langue que les Trévires (Trèves).

 Il faut donc supposer qu’à cette époque le gaulois n’avait pas encore disparu d’Asie mineure, ni d'ailleurs des bords du Rhin, à moins que l'auteur n'ait repris des écrits antérieurs.

Science et art

Il existe une science gauloise équivalente, dans ses concepts, à la science grecque.
Les Gaulois du Ve-IVe siècle av. J.-C. possèdent des connaissances très élaborées de la géométrie, en particulier des propriétés du cercle, et de l'astronomie.
Ils les transcrivent dans des objets, qui sont autant des œuvres d’art que des modèles de science.

Religion

Les Gaulois sont polythéistes.

Le druide était un personnage important aux multiples facettes : il est à la fois ministre du culte, théologien, philosophe, gardien du Savoir et de la Sagesse, historien, juriste et aussi conseiller militaire du roi et de la classe guerrière.

Les ovates secondent les druides en amenant et liant les bêtes lors des sacrifices.
Les Gaulois pratiquent des sacrifices d'animaux pour les Dieux et procèdent ensuite à de la divination avec leurs organes.

 Ils ont pour rituel de détruire volontairement leurs armes et leurs objets de guerre ainsi que des pièces de monnaie par exemple afin de les offrir aux Dieux en leur faisant perdre leur valeur pour les mortels.

Les auteurs antiques ont propagé le stéréotype de « druides s'affairant à des sacrifices innommables au sein de forêts mystérieuses.
Cette image faisait des Gaulois des sortes de sauvages, bons ou mauvais selon les temps et ceux qui les évoquaient, Rousseau ou Voltaire par exemple ».

Structure sociale

Les Gaulois, comme de nombreuses civilisations antiques, tenaient entre eux des rapports fonctionnant sur le principe de la clientèle.
Ce lien social très fort serait apparu pendant l'époque aristocratique (IIIe siècle av. J.-C. et IIe siècle av. J.-C.) et aurait perduré jusqu'à la conquête, lorsque des notables locaux (les « Vergobrets ») se seraient substitués aux nobles.

Reconstitution des fortifications de Heuneburg, datant de 600 av. J.C. Heuneburg Museum. LepoRello

Les clients servaient des patrons, sans doute originellement afin de rembourser d'anciennes dettes, de réparer certaines fautes, ou pour d'autres raisons à caractère social et ce lien se transmettait héréditairement.

L'homme ou le peuple client était libre (le clientélisme antique est différent de l'esclavage) mais il devait rendre des services ou s'acquitter de tributs.
Un patron pouvait avoir plusieurs clients.

Il pouvait, enfin, défaire le lien qui pesait sur sa clientèle ou bien transmettre sa clientèle à un autre.
Des gens, des familles entières, pouvaient ainsi être clientes d'une personne ou d'une famille puis d'une autre.

Sentiment d'appartenance

La question se pose de savoir si les Gaulois avaient conscience d'appartenir à un ensemble de peuples ayant en commun une culture commune au-delà de leur tribu.

Certains éléments relatifs au rôle de la classe sacerdotale attestent que les Gaulois avaient le sentiment d'appartenir à un ensemble cohérent, capable en certaines circonstances de transcender les petites patries tribales, à la manière des Highlanders écossais, cultivant avec passion leurs appartenances à ces clans rivaux mais conscient d'appartenir à une patrie commune.

La classe sacerdotale veillait au maintien de cette unité avec une institution qui était celle de l'Assemblée de la « Forêt des Carnutes », sur les bords de la Loire, dont on sait qu'elle était commune à tous les peuples de la Gaule et à elle-seule ; au cours de celle-ci, se prenaient des décisions importantes pour tous les peuples de la Gaule.

Vaste forêt parsemée d'étangs, la Sologne fut à l'époque gauloise une forêt-frontière d'une grande importance, séparant deux importantes nations celtes, les Carnutes au Nord, les Bituriges Cubes au sud et pourrait correspondre à cette « Forêt des Carnutes », principal Nemeton de la Gaule et témoignerait d'un sentiment d'appartenance gaulois au-delà des différences tribales.

Cette institution imposait une trêve respectée par tous les peuples gaulois et peut être comparée aux Jeux panhelléniques, qui dans une Grèce morcelée en Cités-États en perpétuelle rivalité armée, imposait également une trêve à tous les peuples de la Grèce.
D'autres éléments vont dans ce sens, tel le discours que César prête lors de l'assemblée de Bibracte ou celui qu'il attribue à Critognatos, à Alésia.

Agriculture

La Gaule était principalement un pays agricole.

Sa prospérité provenait d'une agriculture largement excédentaire qui exportait ses surplus chez ses voisins, ce dont témoigne des textes massaliotes, étrusques et romains.

La majeure partie de la population était constituée de paysans, réputés pour l'abondance, la qualité et la diversité de leur production, mais aussi pour leurs inventions technologiques.

La quasi totalité des outils employés dans l'agriculture jusqu'à la Première Guerre mondiale était déjà en usage chez les Gaulois, sans changement important et c'est à eux qu'il convient d'en attribuer l'invention.
Chez les Belges, une moissonneuse a été inventée, attestée en pays rème et trévire.

Urbanisation

Dans le sud de la Gaule, apparurent assez tôt de véritables petites villes fortifiées.

Le cas d'Entremont, capitale de la puissante tribu des Salyens, détruite par les Romains en 123 av. J.-C. en est l'illustration, avec ses puissantes murailles et leurs tours, des maisons et des rues entièrement construites en pierre.

De même, l'habitat celte de Martigue, mis au jour lors de travaux d'urbanisme, atteste lui aussi d'un développement urbain réel.

Depuis que l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) a été créé en 2002, ses chercheurs ont développé les fouilles préventives liées aux développements des constructions urbaines, routières et ferroviaires : il en est résulté une série de découvertes de villes gauloises dont l'existence était jusque-là inconnue car non mentionnée dans les textes antiques.

Centres de pouvoir contrôlant un territoire, reliées par un réseau de voies de communication, ces villes pouvaient servir de marché, de centre d'artisanat, d'entrepôt de stockage, de résidence princière, d'ateliers de monnayage, de lieux de garnison : non assimilables à de simples forteresses, elles étaient souvent des capitales de territoire.

C'est plus à l'archéologie qu'aux textes, que l'on doit de connaître un processus urbain proprement gaulois beaucoup plus important qu'on ne le croyait : si c'est entre la fin du IIe et le début du Ier siècle que ce processus atteint son maximum, des exemples comme celui du Mont-Lassois (Vix) ou de l'Oppidum Saint-Marcel (Le Pègue) attestent que c'est quatre cents ans plus tôt qu'il faut situer les débuts de centres urbains et que leur origine est indigène.

Société gauloise

Organisation

L'organisation de la société gauloise répond globalement aux fonctions tripartites indo-européennes avec la classe sacerdotale représentée par les druides, la classe guerrière représentée par une aristocratie qui gère les affaires militaires et la classe des producteurs (artisans, agriculteurs, éleveurs).

Apparence physique

Le savant Posidonios qui a effectué un voyage dans le sud de la Gaule dans les années 100, décrit les Gaulois ainsi :
« Quelques-uns se rasent la barbe, d'autres la laissent croître modérément ; les nobles gardent leurs joues nues, mais portent les moustaches longues et pendantes au point qu'elles leur couvrent la bouche ».

Cette description nuancée n'a pas empêché une série de stéréotype liée à leur physionomie : tous les Gaulois seraient des hommes robustes, de haute taille, à la peau blanche et les yeux bleus, portant de longues moustaches pendantes et une chevelure claire (blonde ou rousse), longue et hirsute.

Ce portrait caricatural est utilisé « par certains comme un idéal (c'est le cas des idéologues de la Ligue du Nord en Italie, qui revendiquent l'ascendance celte pour se distinguer des populations du sud de la péninsule), par d'autres comme un repoussoir, tels les jeunes issus de l'immigration qualifiant de « Gaulois » leurs camarades de couleur blanche ».

Peuples gaulois

Données génétiques

L’analyse de l’ADN de fossiles, de sépultures et d’individus contemporains européens et français a permis de retracer en grande partie l’histoire des populations peuplant l’Europe et la France depuis la préhistoire jusqu’à nos jours.

Ces études montrent notamment que les invasions du Bas-Empire puis du Haut-Moyen Âge concernaient des populations peu nombreuses, quelques milliers d'individus, et génétiquement très proches, et qu’il n’y a pas eu de variations génétiques importantes en France et en Europe depuis environ 4 000 ans.

C'est donc bien une population essentiellement gauloise qui peuplait au cours du Ier millénaire le territoire correspondant à la France moderne.
  

https://journals.openedition.org/rae/7094?lang=de

https://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie_gauloise