samedi 8 juin 2019

Algérie

« L’heure est venue de réconcilier tous les enfants de l’Algérie »
Par Karim Amellal – 04/06/2019

Pour l’écrivain Karim Amellal, le tournant que vit le pays est l’occasion de définir un nouveau projet de société « respectueux de toutes les cultures, de toutes les mémoires et de toutes les religions ».

Des étudiants manifestent à Alger, le 7 mai. RYAD KRAMDI / AFP

En Algérie, depuis le 22 février, la mobilisation populaire ne faiblit pas.
Les millions de citoyens qui ont défilé pacifiquement dans les rues ne réclament pas seulement le changement du régime et une véritable transition, ils veulent aussi que leur avenir commun se transforme.

Manifestation à Alger, le 17 mai 2019, contre le pouvoir en place. Ramzi Boudina / REUTERS

Dans cette période de rupture, inédite depuis l’indépendance, beaucoup s’interrogent sur les valeurs qui pourront, demain, constituer le socle d’un nouveau pacte national.

 
Lors d’une manifestation à Alger, le 31 mai 2019. RYAD KRAMDI / AFP

Les réponses sont aussi multiples que les aspirations, souvent contradictoires, qui traversent le pays. Si l’on discute laïcité et droits des femmes à Alger ou à Oran, il n’en va pas de même dans le pays profond.

Le 21 mai à Alger./ AFP / - - / AFP

A l’Algérie conservatrice et religieuse du centre du pays ou des faubourgs des grandes villes répond, pour l’écrire vite, un libéralisme affirmé des élites du littoral et d’une petite partie de la jeunesse éduquée.
Les deux convergent aujourd’hui dans les rues à travers un mot d’ordre politique – le changement de régime – qui prime pour l’instant sur la définition d’un nouveau projet de société, mais pour combien de temps ?

Des manifestants algériens, à Alger, le 31 mai 2019. Fateh Guidoum / AP

Depuis le début, avec des fortunes diverses, les divers courants qui traversent la société algérienne et structurent les opinions se révèlent.

Des étudiants brandissent une pancarte dénonçant la mort du militant Kamel Eddine Fekhar, à Alger, le 28 mai 2019. RYAD KRAMDI / AFP

Les islamistes, dont les efforts pour prendre la main sur le mouvement ont jusque-là été vains, ne réclament plus, comme dans les années 1990, l’instauration d’un Etat islamique.

Ils veulent s’asseoir à la table de la transition démocratique, comme en Tunisie, pour faire prévaloir en temps utile leurs options religieuses sur les grands sujets de société. Les « laïcs » ou les « démocrates », comme on les nomme souvent, tentent d’imposer leurs voix à un moment où celles-ci, après de longues années d’hiver, résonnent dans les rues.

Vidéo
Algérie : pourquoi la « décennie noire » de guerre civile est encore taboue

Dans le tumulte du hirak se mêlent ainsi des projets de société profondément différents qui posent tous la question de ce qui « fait » la nation algérienne. Autrement dit, de son identité, conçue ici non dans un sens immuable, dangereux, mais au contraire dynamique, à la fois par rapport à ce qui la constitue et ce qui l’environne.

Or l’identité de l’Algérie est fondamentalement plurielle.

Berbère, arabe, africaine, méditerranéenne

Le récit national algérien a le plus souvent été conçu, au cours des dernières décennies, sur un mode restrictif, voire exclusif.

Construit dans la douleur, par la déchirure nécessaire avec le corps du colonisateur, il s’est rapidement articulé, en les essentialisant souvent, autour de l’arabité et de la religion.

Le paradigme identitaire qui s’est hélas répandu dans les manuels scolaires en biberonnant des générations d’Algériens fut celui d’une Algérie arabe et musulmane, arabe parce que musulmane, musulmane parce qu’arabe.

Il faut comprendre, au sortir de la guerre d’indépendance, la genèse de cette histoire et la nécessité, après les affres de la colonisation, d’inventer une identité nationale solide, a fortiori dans un contexte puissamment influencé par le nationalisme arabe.
De même, l’arabité et l’islam sont des constituants majeurs, à bien des égards structurants, de l’imaginaire algérien, du précipité culturel national.

Mais il n’y a pas que cela.

L’Algérie est berbère, arabe, africaine, méditerranéenne.

L’Algérie est la terre nourricière de musulmans qui forment une majorité, mais aussi d’athées, de juifs, de chrétiens, dont certains, il ne faut pas l’oublier, ont versé leur sang pour la faire vivre ou pour la libérer.

J’aime penser que l’Algérie est la mère de tous ceux-là, par-delà les turpitudes de l’histoire.

Par-delà les constructions rigides, politiques, idéologiques, qui ont été façonnées après la guerre.

Par-delà aussi les influences religieuses, dogmatiques, qui viennent du Golfe et ont largement contribué, ces dernières années, à la bigoterie ambiante.

Refonder le récit national algérien implique aussi, me semble-t-il, d’y inclure tous ceux qui, de gré ou de force, ont quitté l’Algérie mais, par-delà leurs enracinements particuliers, leur attachement à leur pays d’adoption, conservent un lien indéfectible, d’imaginaire et de sens, avec le pays d’origine.

Tout ce qui, par-delà les mers, nous unit à travers une mémoire commune et un destin partagé.

Les « Franco-Algériens » participent de cette histoire.

Mais qui sont-ils ?
S’agit-il des seuls binationaux, c’est-à-dire ceux qui possèdent, strictement, la double nationalité française et algérienne ?

J’aime à penser que tous ceux qui aiment l’Algérie pourraient se reconnaître dans une définition bien plus large qui dépasse le seul droit ou le seul sang.

Les « immigrés », leurs enfants ou petits-enfants, mais aussi les enfants de couples mixtes, les pieds-noirs, pourquoi pas aussi ceux qu’on appelait les « coopérants », dont beaucoup ont passé de nombreuses années en Algérie et en gardent un souvenir impérissable, sont les héritiers et les acteurs de cette histoire partagée.

La « diaspora algérienne » est dans une large mesure française autant qu’algérienne.

Elle est constituée de toutes celles et tous ceux qui entretiennent, par-delà les sinuosités de leurs vies, un lien affectif, vivant, positif avec l’Algérie, même en n’y vivant pas, ou plus.
Hélas, elle a souvent été reléguée à l’extérieur, comptée pour quantité négligeable, parfois méprisée.

Un pays démocratique, ouvert et accueillant

Sans préjuger du destin que, un jour prochain, les Algériens se donneront, je crois que l’heure est venue de parvenir à réconcilier tous les enfants de l’Algérie, tous ceux qui partagent cette culture ancienne, composite, non réductible à une religion ou à une composante ethnique – quelle absurdité !

Cela doit se faire en affrontant l’histoire, en n’oubliant rien de la colonisation et de ses odieux crimes, bien sûr, mais en ne s’enfermant pas dans le passé et encore moins dans une vision mythifiée de celui-ci.

Nous assistons d’ailleurs à un tournant dans le pays : ceux qui tiennent les rues aujourd’hui sont jeunes pour l’essentiel, tournés vers l’avenir.
Ils ne se reconnaissent pas dans la génération des Bouteflika, Bensalah ou Gaïd Salah, qui appartiennent au passé.

Je crois que ces millions d’Algériens qui conduisent avec courage et fierté cette révolution pacifique rêvent d’un pays qui soit non seulement démocratique, mais aussi libre, ouvert, accueillant, respectueux de toutes les cultures, de toutes les mémoires, de toutes les religions mais aussi de ceux qui n’en ont pas, un pays qui ne soit pas arc-bouté sur son passé, aussi glorieux fut-il, mais qui entre de plain-pied dans le monde tel qu’il est.

- Karim Amellal est écrivain, enseignant à Sciences Po et directeur de Civic Fab. Dernier livre paru : Dernières heures avant l’aurore (L’Aube, 2019).
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En Algérie, il est plus difficile de ne pas jeûner que de faire le ramadan.
Par Ali Ezhar  - 26/05/2019.

Ils sont jeunes et refusent de se plier au mois de carême, dont ils pensent qu’il est plus dicté par l’habitude que par des motivations religieuses.

Le front de mer à Alger, où les habitants préparent le repas de rupture du jeûne de ramadan. RYAD KRAMDI / AFP

D’abord, Anis avait donné rendez-vous au siège d’un parti politique sur les hauteurs d’Alger.
Là-bas, à l’heure du déjeuner, sympathisants et militants ont l’habitude de se retrouver dans une pièce aux fenêtres opaques pour partager gueuleton et cigarettes.
Même en cette période de ramadan.

Abdel sert ses clients en pâtisseries orientales au Havre (Seine-Maritime), le 18 mai 2018. CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Finalement, ce parti progressiste a refusé d’accueillir le groupe d’amis le temps d’une interview : les responsables auraient été prévenus trop tard.

Après avoir marché quelques kilomètres vers le centre-ville sous un soleil hostile, la bande de copains se pose dans un recoin du parc de la Liberté, à l’abri des regards et des oreilles, pour évoquer les raisons qui les ont poussés à ne plus suivre le rituel du ramadan pourtant sacré chez les musulmans.

« J’aurais aimé vous inviter à boire un café pour échanger sur le sujet », se confond en excuses le jeune homme de 20 ans. Mais, en ce mois de carême, restaurants et bars de la capitale sont fermés toute la journée.

« Hors la foi »

Perfecto sur les épaules, pendentif en forme de marteau de Thor autour du cou, cet étudiant en informatique, qui se dit athée, ne jeûne pas.

« Même mes parents ne savent pas pourquoi ils font ramadan : ils jeûnent par habitude.
Ah, si, ma mère le fait pour maigrir. » Rire général.

Ce fan du groupe de metal néerlandais Carach Angren vit dans une cité HLM de Dely Brahim, dans la banlieue ouest d’Alger, où désormais le voisinage sait qu’il est « hors la foi ».
« Au début, j’ai eu des problèmes, j’ai dû mentir, prétexter que j’étais malade. J’aurais tellement préféré leur dire :
“Je vous emmerde, et je fais ce que je veux” », lance-t-il.

Anis ne supporte plus le poids des traditions et la pression sociale qui étouffent une partie des Algériens.

« J’ai découvert que la majorité des jeunes de mon quartier ne faisait pas ramadan.
Mais ils ne le montrent pas », assure-t-il.
Dans son monde, les non-jeûneurs se cachent pour manger : voiture, toilettes, hall d’immeuble…
Jamais dans la rue en public.
« Cela vaut mieux ainsi, parce que c’est dangereux », souffle-t-il en rappelant que le 11 mai des étudiants ont été violemment agressés dans l’enceinte du campus de Bouzareah, au nord-ouest d’Alger, après avoir été surpris en train de casser la croûte.

« Moi aussi j’en suis venu plusieurs fois aux mains », raconte posément Nazim, 22 ans, étudiant en informatique qui habite dans une cité de Bordj Al-Kiffan, à l’est de la capitale.
« Mais moi, je ne me cache pas, assure le garçon aux cheveux longs, dégaine de geek.
Je sens la frustration des autres jeunes, leur manque de liberté.
 Ils sont musulmans par héritage sans avoir la possibilité d’interroger les bases de leurs convictions. »

 « C’est de l’hypocrisie », enchaîne Mehdi, la gorge sèche.
Le trentenaire rêve de siffler sa bouteille d’eau d’une traite.
Ouvrier en bâtiment sans travail depuis plusieurs jours, il est anarchiste jusqu’au bout des poils de sa barbe taillée façon hipster.
« Je suis pour la liberté », affirme-t-il sobrement.

Alors, jeûner ou pas est un problème qui, à ses yeux, ne devrait même pas se poser, estime-t-il en regrettant que « la spiritualité soit devenue une pratique mécanique ».
« Ainsi, si je ne jeûne pas, on dit que je suis une mauvaise personne.
Que je combats l’islam.
Si on me voit boire, les gens vont avoir peur de moi, penser que je suis différent, que c’est une provocation, que je vais ruiner la société.
C’est un problème psychologique », s’emporte-t-il.

Pour ce groupe de copains, le ramadan n’a donc rien de « sacré ».
« On voit des gens se soûler, fumer du shit, trafiquer, mais ils osent dire :
“Pas touche au ramadan, c’est sacré” », ironise Mehdi.
« Tu as raison, en réalité, il y a plus de choses à raconter sur les jeûneurs que sur les non-jeûneurs.

Ils voudraient être libres comme nous, mais ils subissent », observe Anis qui tient tendrement la main de Zora.
« Je ne jeûne plus car je n’y crois plus, c’est aussi simple que cela », raconte la jeune commerciale de 26 ans qui a « quitté » l’islam depuis un moment déjà, même si son visage poupin reste enveloppé d’un voile noir.
« Je le porte depuis longtemps et ne peux pas l’enlever, les gens ne comprendraient pas, explique-t-elle d’une douce voix. ²
C’est ça, la pression sociale. »

Zora s’est éloignée de la religion quand elle s’est aperçue qu’elle n’obtenait pas de réponses à certaines de ses interrogations sur l’évolution et les origines de l’homme.

« J’ai eu les mêmes doutes, mais on m’a interdit de poser des questions sur ces sujets scientifiques », renchérit Aymen.
Timide, dans son jogging blanc, le garçon fait son premier « non jeûne » et mesure là qu’il est « plus difficile de ne pas faire ramadan que de le faire…

Mais, pour moi, c’est une victoire », ajoute-t-il du haut de ses 24 ans.
« Je me sens enfin libre. »

Plus jeune, l’étudiant en journalisme issu d’une famille conservatrice était très croyant.
Jusqu’à lire le Coran des heures durant.
Alors, aujourd’hui, pour ne « pas faire de peine » à ses parents, il leur cache qu’il ne fait pas ramadan.
Comme Zora et Mehdi. « Je ne veux pas leur faire du mal », renchérit la jeune fille.
« Mon père est imam, si je lui dis, il sera triste, je ne veux pas le perdre, je l’aime », se désole Mehdi.

« Arme idéologique »

A l’heure des grandes manifestations pour exiger le départ du « pouvoir » en place et une nouvelle République, ces jeunes-là espèrent que l’Algérie optera pour la laïcité et que l’islam ne sera plus la religion d’Etat.
« On sent une intolérance envers nous. On n’est pas obligés de croire de la même manière, chacun a son mode de vie », ajoute Zora.

Si la Constitution algérienne garantit la liberté de culte, de conscience et d’opinion et n’a pas prévu d’envoyer les citoyens en prison pour celui qui ne « respecte » pas le jeûne, pourtant, un article du Code pénal – le 144 bis 2 – est utilisé « comme arme idéologique », selon des avocats, car il prévoit des peines d’emprisonnement pour « quiconque offense le Prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen ».

« Voilà pourquoi il faut se cacher, on peut utiliser cet article contre les non jeûneurs », assure Anis.

Rachid Fodil, 29 ans, connaît bien cette loi qui punit le blasphème : il a passé une année en prison, en 2017, pour avoir consacré une page Facebook à « l’islam avec le dialecte algérien ».

« Je traduisais le Coran avec l’accent algérien et ça n’a pas plu, raconte-t-il en mâchouillant son chewing-gum.
En première instance, j’avais été condamné à cinq ans de prison, en appel ma peine a été réduite. »
A l’ombre, il s’est tenu à carreau ; pour faire bonne impression et pour être tranquille, il a dû faire la prière devant les matons, histoire de leur montrer – et de prouver – qu’il n’avait rien d’un hérétique.

Il a passé son bac en cellule et étudie aujourd’hui à l’université de Bouzareah pour devenir archiviste.
La prison ne l’a pas changé, bien au contraire.
« Après ce que j’ai vécu, je devrais jeûner ? Ça n’a pas de sens, je suis athée », argue le trentenaire.

C’est l’heure de se quitter.
Certains iront faire des courses dans les boulangeries et les épiceries qui restent ouvertes.
L’un d’eux s’apprête à commander une pâtisserie : le commerçant, qui semble avoir compris, lui lance dans un sourire : « A consommer tout de suite ? »

Ali Ezhar (Alger, correspondance)









vendredi 7 juin 2019

Tir flottant

En vidéo : la Chine fait décoller une fusée sur la mer. Une première !
Par Rémy Decourt - 07/06/2019

La Chine a mis en orbite sept satellites. Une information anodine mais qui a tout de même fait les gros titres de la presse spécialisée car le lanceur a décollé depuis une plateforme stationnée en mer.


Une performance technique indéniable mais à l'avenir commercial très incertain, comme le montre la société Sea Launch, aujourd'hui à l'arrêt, qui opère le lanceur Zenith depuis une plateforme de lancement.

Pour la Chine, l'utilisation d'un pas de tir flottant répond à un certain nombre de besoins de sorte que, même si la rentabilité financière n'est pas au rendez-vous, ce système de lancement complètera la gamme des lanceurs chinois.

Pour la première fois, la Chine a lancé une fusée depuis une plateforme maritime.

Mercredi 5 juin, un lanceur Long March 11 a décollé en pleine mer Jaune avec 7 satellites à bord.
Selon la Casc (China Aerospace Science and Technology Corporation), le vol a été un succès et les 7 satellites ont tous été placés en orbite.

Avec ce nouveau système de plateforme maritime, la Chine renforce son autonomie de l'accès à l'espace et abaisse ses coûts au décollage. En s'éloignant des terres, ce dispositif contribue aussi à renforcer la sécurité autour de ses lancements.
En effet, il faut savoir que les bases de lancement terrestres de la Chine ont pour principal inconvénient de faire voler ses lanceurs au-dessus de zones habitées. Il est assez courant que des morceaux de fusée retombent dans les périmètres d'habitation avec tous les risques que cela comporte.

Un effet de fronde pour améliorer les performances des lanceurs

L'utilisation d'un pas de tir flottant a cela d'intéressant qu'il est possible de se rapprocher de l'équateur ; cela permet de bénéficier au mieux de l'effet la rotation de la Terre qui agit un peu comme une fronde. Cette force centrifuge, dont l'énergie est fournie par la vitesse de rotation de la terre autour de l'axe des pôles, aide au lancement en donnant un effet de catapulte au décollage, non négligeable pour réaliser des économies de carburant.

Cela dit, ce système de lancement ne va évidemment pas remplacer tous les autres lanceurs en service.
En effet, cette fusée à quatre étages est seulement capable de 700 kg de charge utile en orbite basse et 350 kg en orbite héliosynchrone.
Des performances très faibles si on les compare avec celles de Vega, le lanceur le plus petit de la gamme d'Arianespace. Ce dernier est capable de lancer 2,3 tonnes en orbite basse à 450 kilomètres et 1,5 tonnes en orbite polaire à quelque 700 kilomètres.

Parmi les 14 autres sites étudiés, la proximité de l’équateur et la faible densité de la population sont deux des principales raisons qui expliquent le choix français, en 1965, d’installer une base de lancement en Guyane, à Kourou.

Ainsi, cette proximité de l'équateur (5,3° de latitude Nord) permet de bénéficier au maximum de l'effet de fronde.
Cet effet procure au lanceur un complément de vitesse de l'ordre de 460 m/s.





Ouvres d'art prêtées

Scandale d'État : 50 000 œuvres d'art prêtées aux musées et aux administrations ont disparu
Par Delphine Tanguy--04 juin 2019.


Les diplomates français “ne savent pas où ils ont mis” 60% des oeuvres d’art qui leur sont confiées…

Réserve du musée de Sedan

Tableaux, sculptures, vaisselle : plus de 500 000 pièces uniques sont prêtées en France. Un gigantesque inventaire vient de révéler que 10% restent manquantes

Ils sont 28 enquêteurs chevronnés - policiers et gendarmes - réunis dans le même bâtiment de Nanterre. Créé en 1975, l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), réputé internationalement, traque les faussaires.

Chaque musée (ici, Arlaten, à Arles) doit tenir le registre précis de ses possessions. État, sous-dépôt, localisation précise... Les grands musées déposants sont tenus à un récolement tous les cinq ou dix ans.PHOTO ARCHIVES FRÉDÉRIC SPEICH

Stupeur au conseil municipal de Nice.

Ce jour de 2017, les élus découvrent accablés le résultat d’un inventaire mené durant dix ans - le précédent datait de 1919 ! - au musée Masséna : un quart de ses collections, soit 2 466 pièces manquent à l’appel !
Ont-elles été volées ?
Sont-elles éparpillées quelque part dans les caves et greniers des musées locaux ?
Au bout de longs mois passés à soulever, fébriles, les toiles d’araignées, les services municipaux en retrouveront... 366, soit à peine 13%.

Le vol d’au moins 61 objets d’art était, l’an passé, bel et bien établi.

Les musées de Marseille se sont dotés d’une réserve mutualisée. Elle permet une meilleure traçabilité et conservation pour plus de 100 000 objets.PHOTO SERGE GUÉROULT

Comment en est-on arrivé là ?

Nice n’est hélas pas un cas à part.
La Cour des comptes avait dénoncé, en 1997, dans un rapport cinglant, le manque de traçabilité des dépôts d’œuvre d’art effectués depuis le XIXe siècle.

Début 2019, la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (CRDOA), créée à l’occasion de ce texte, a elle-même publié la synthèse nationale de vingt ans d’opérations d’inventaire menées par les dépositaires (Centre des monuments nationaux, Centre national des arts plastiques, manufacture nationale de Sèvres, Mobilier national, Service des musées de France, musée de l’Armée et musée national de la Marine) auprès des structures à qui ils ont confié des œuvres.

Les enquêteurs de l’OCBC traquent dans la gigantesque base de données Treima les œuvres volées en France. 100 000 objets y sont répertoriés. Certains ne réapparaîtront jamais sur leurs radars..PHOTO ARCHIVES SERGE MERCIER

Des milliers de mairies, ambassades, musées de province, préfectures, universités...
Qui ont eu toutes les peines du monde à retrouver ce qui leur avait parfois été prêté cinquante ou cent ans plus tôt !

Résultat ?

Ces investigations ont confirmé que des milliers d’œuvres d’art ont bel et bien disparu.

Selon le résultat de ces dernières opérations de récolement, sur près de 500 000 objets déposés, 10% au moins sont introuvables, soit tout de même entre 50 000 et 60 000 pièces.
À lui seul, l’Élysée a "égaré" un bon millier de meubles, céramiques ou tableaux et les facs, près de 40% des œuvres qui leur auraient été confiées.

Mais la palme revient au réseau diplomatique français, incapable de localiser 60% des 110 000 œuvres dont il avait la garde.

Ce Degas avait été dérobé sans effraction en 2009 au musée Cantini, à Marseille.PHOTO DR

 Brisées, volées ou tout simplement impossibles à localiser, ces œuvres perdues sont une partie du trésor commun de la République qui fout le camp.

 Car mal inventoriées, des œuvres peuvent disparaître sans que personne ne s’en aperçoive, et même finir sur des sites de vente aux enchères : ce fut le cas en 2017, pour de la vaisselle du ministère de l’Intérieur.

En 2011, l’ancienne préfète de Lozère avait aussi été condamnée à un an de prison ferme par le tribunal correctionnel de Mende pour avoir subtilisé meubles et tableaux de son logement de fonction.

Le travail de récolement n’est pas terminé en France.

La synthèse des départements du Vaucluse ou des Alpes-Maritimes, notamment, est attendue pour 2020 ; dans les Bouches-du-Rhône, seules 2 873 des 9 601 œuvres d’art déposées ont été récolées (soit 29,92%).

Il reste notamment au musée de l’Armée à remonter la piste des 6 472 œuvres déposées au musée de l’Empéri, à Salon-de-Provence. La chasse au trésor continue.

Dans les Bouches-du-Rhône, près de 9% des biens manquent toujours à l'appel

Pour commencer, voici une bonne nouvelle : c’est presque une surprise, mais nous ne sommes pas les cancres de la France !

Selon la Commission du récolement des dépôts des biens culturels de l’État (CRDOA), qui s’assure depuis 1996 que les opérations de localisation et d’inventaire des œuvres sont bien réalisées, le taux de disparition n’est "que" de 8,70% dans les Bouches-du-Rhône.
C’est "significativement moins" que la moyenne des départements français (21,25%), salue même Sylvain Leclerc, secrétaire général de la commission.

Cependant, si le Centre des monuments nationaux a réussi à localiser ses 37 biens dispersés dans le département, la Manufacture de Sèvres, elle, est sans nouvelles de plus d’une pièce sur deux.

"Ce taux de disparition s’explique par la petite taille des pièces, qui se perdent et se volent plus facilement.
Beaucoup peuvent aussi être simplement brisées", constate Sylvain Leclerc.

Plus critique, la CRDOA constate néanmoins que l’obligation légale faite aux dépositaires de fournir chaque année un état des dépôts dont ils bénéficient, "n’est pas respectée".
Les raisons ?
 "L’éloignement est une première explication, comme le manque de moyens humains des déposants concernés et des services de la Drac", évoque la commission.

Certains dépositaires, ainsi, "déplacent les biens qu’ils ont reçus" sans l’autorisation du déposant.
"Par exemple 125 œuvres ont été initialement déposées au musée des beaux-arts de Marseille" mais 24 ont été déplacées sur d’autres sites sans accord, tandis que 53 pièces, qui avaient été confiées à des musées différents, se sont retrouvées dans ses réserves !
Une chatte n’y retrouverait pas ses petits...

Parfois, des œuvres que l’on croyait perdues ressurgissent inopinément : c’est le cas du Vieux-Port par temps gris, une huile sur toile d’Eugène Giraud, retrouvée dans les réserves du musée Cantini, à Marseille encore ; d’un paysage d’Antoine Gianelli, prêté au musée des Beaux-Arts, qui s’est retrouvé à la mairie du 9e arrondissement ; ou d’une sculpture de Henri-Paul Rey dénichée finalement dans les réserves du musée Réattu à Arles...

Cependant, quand les récolements se révèlent infructueux, le déposant est vivement incité à déposer plainte contre X : une procédure effectuée pour 106 cas dans les Bouches-du-Rhône.

Le Centre national des arts plastiques recherche ainsi deux portraits impériaux déposés à la sous-préfecture d’Arles ou La Vierge et l’enfant Jésus, d’Emile Charles Joseph Loubon, une huile sur toile confiée à la maison d’arrêt des Baumettes.

Il s’apprête à porter plainte au sujet d’une décoration picturale introuvable à la fac de médecine du Pharo, d’un buste de Louis Adolphe Thiers, signé Claude Vignon et déposé au musée Cantini, d’une huile de Jacques Thévenet, Boodle’s Club, prêtée au même musée.

Au musée des Beaux-Arts, il recherche encore Les Oliviers à Cassis, une toile de Maurice Crozet ainsi que Prométhée enchaîné, un tableau d’Emile Jean-Baptiste Bin.

Quatre plaintes concernent enfin la... Préfecture des Bouches-du-Rhône, incapable de remettre la main sur une aquarelle de Gilbert Galland et plusieurs huiles (Georges Pomerat, Étienne Ronjat, Joseph Sivel).

Le Service des musées de France a pour sa part déposé 94 plaintes dans les Bouches-du-Rhône, pour une marine de Raoul Dufy, recherchée au musée Cantini, deux peintures déposées par le musée du Louvre au musée des Beaux-Arts (Le départ de Léonidas d’Auguste Couder et Nymphes à la fontaine, de Charles Le Brun).

Pas moins de 90 plaintes ont été déposées pour des envois Campana (1) dont on ne retrouve pas la trace au musée d’archéologie méditerranéenne, à l’étage de la Vieille-Charité, toujours à Marseille.
(1) La collection du marquis éponyme avait été acquise par décret impérial en 1861 et répartie entre le Louvre et les musées de France

Le Cnap "doit encore déterminer les suites à réserver à six œuvres recherchées au musée Granet, à Aix-en-Provence" et localiser 14 œuvres recensées à la mairie de Marseille.

Le dépôt de plainte est crucial : il permet une intégration des objets disparus dans la base Treima de l’OCBC. "
C’est une question d’intérêt général, de la préservation de notre patrimoine commun", incite Sylvain Leclerc à la CRDOA.
"Une mauvaise gestion peut effectivement amener à des vols."

Cette possibilité, Xavier Rey, directeur des musées de Marseille depuis deux ans et demi, ne peut donc pas l’exclure, d’autant que la cité phocéenne a connu plusieurs affaires retentissantes ces dernières années.

"Le risque zéro n’existe pas", soupire-t-il.
Mais depuis quinze ans, la cité phocéenne a entrepris le recensement numérique de ses pièces et s’est dotée d’une réserve mutualisée à l’ensemble de ses musées.

Quelque 100 000 pièces y attendent une restauration ou une exposition.
"La traçabilité a été considérablement améliorée, comme le niveau de sécurité", assure Xavier Rey.

De fait, certaines œuvres jugées disparues ont refait surface : c’est le cas du fameux buste de Thiers par Claude Vignon.
"Il avait en fait été sous-déposé au lycée Thiers", précise le directeur des musées.
Onze œuvres du dépôt Campana ont aussi été identifiées.
"On sait ce qu’elles sont même si on ne les a pas encore localisées, mais on a bon espoir d’arriver un jour au bout de nos recherches.
C’est un dossier qui traîne depuis cent ans !"

D’autres tableaux, en revanche, sont bien jugés définitivement perdus, après un sous-dépôt ancien.

Les limiers de l'OCBC traquent voleurs et faussaires

Ils sont 28 enquêteurs chevronnés - policiers et gendarmes - réunis dans le même bâtiment de Nanterre.
Créé en 1975, l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), réputé internationalement, traque les faussaires, revendeurs véreux et autres voleurs spécialisés : le trafic d'oeuvres d'art est le troisième plus important au monde, (très loin) après celui des armes et de la contrefaçon.

Selon les estimations, il représenterait 3 à 8 milliards d'euros par an.

"Aujourd'hui, les trois quarts de notre activité sont liés à la délinquance économique et financière en lien direct avec le monde de l'art : faux, tromperie sur la marchandise, escroquerie, blanchiment d'argent", décrit Didier Berger.

Colonel de gendarmerie, le directeur de l'OCBC pilote trois groupes de cinq enquêteurs chacun : le premier est entièrement dédié au suivi de la base de données Treima (pour "Thesaurus de recherche électronique et d'imagerie en matière artistique"), qui publie les photographies de 100 000 biens culturels volés en France, ainsi que d'autres, dérobés à l'étranger, quand leur disparition est signalée par le canal d'Interpol, via 193 pays.

"Le groupe fait de la veille sur Internet, il compulse les catalogues des ventes aux enchères françaises", mais fouille aussi les entrailles d'eBay ou Le Bon Coin.
Les deux derniers groupes de l'Office sont chargés d'enquêter sur le terrain, soit sur saisie des magistrats soit de leur propre initiative, en lien avec les services régionaux de police et gendarmerie.

Infiltrer le milieu, organiser des fausses transactions, mener des écoutes, garder serré un réseau de "tontons" : les hommes de l'OCBC sont rompus à toutes les stratégies.

Dans le monde de l'art, l'activité criminelle s'est recomposée au cours des dix dernières années :
"Le vol ne représente plus que 25 % de nos affaires", reprend le colonel Didier Berger.
Dans les musées français, on ne relève plus qu'une quarantaine de larcins par an.

Châteaux et églises, littéralement pillés jusqu'au début des années 2010, ont il est vrai amélioré leur niveau de protection ; la demande des acheteurs a également évolué.

Enfin, "un certain nombre de grosses équipes ont aussi été arrêtées", explique le directeur de l'OCBC.
Près de nous, des pays comme l'Italie, qui voyaient se faire dépouiller leurs magnifiques sites archéologiques, ont développé une véritable task force : doté de 200 agents, il est une référence dans le monde entier.

"Les Italiens ont fait de la lutte contre le trafic de l'art une véritable priorité", salue, en expert, Didier Berger.

Le marché de la contrefaçon, lui, a explosé en France comme partout dans le monde.
 "L'escroquerie basée sur la vente de faux constitue l'activité principale de notre office, confirme Didier Berger.

Ces oeuvres, tableaux comme sculptures ou même antiquités, sont souvent réalisées à l'étranger - pays de l'Est, Moyen-Orient - et revendues, via Internet, sur le marché français.

" Atterrés, les enquêteurs de l'OCBC constatent régulièrement la "grande crédulité" des acheteurs qui "croient faire une belle affaire en achetant un dessin de Picasso à quelques centaines d'euros" !

La qualité du travail des faussaires, cela dit, "trompe aussi les experts". Dernièrement, le musée d'Elne (Pyrénées-Orientales) en a fait la douloureuse expérience : 60 % de sa collection s'est révélée contrefaite.

Pour l'OCBC, si le récolement mené depuis plusieurs années par les grands musées français est essentiel, les opérations de recherches liées à des plaintes sont excessivement ardues.
"Il n'y a pas toujours de photo de l'oeuvre disparue, et il est aussi très souvent difficile de dire quand se sont produits les faits !" soupire le directeur du service. "Il est donc fondamental que les institutions nous alertent le plus tôt possible après la découverte de la disparition d'un objet.

Nous ne sommes qu'un maillon de la chaîne : notre efficacité dépendra de la précision de l'inventaire réalisé."

On estime que de 5 à 10 % seulement des oeuvres volées seront finalement retrouvées.

D'incroyables chasses au trésor - Un indice qui valait dix millions

Les enquêteurs qui mettront la main dessus auront l’impression d’avoir trouvé le Graal : La Nativité avec saint François et saint Laurent, est un tableau signé le Caravage, volé dans l’oratoire de San Lorenzo, à Palerme, en Sicile, en octobre 1969. Toutes les polices du monde sont à sa recherche depuis 50 ans.

Autre toile volée mythique, Le Pigeon aux petits pois, un Picasso cubiste, a disparu du musée d’art moderne de Paris dans la nuit du 19 au 20 mai 2010, avec cinq autres œuvres majeures du maître espagnol, mais aussi de Modigliani, Léger, Matisse et Braque.
Un butin estimé à 100M. Le voleur, arrêté, prétendra qu’il a détruit l’ensemble des toiles : mais faut-il le croire ?
Elles ne sont en tout cas jamais reparues.

Le Christ dans la tempête sur la mer de Galilée, un flamboyant Rembrandt, fait aussi partie des "stars" dérobées.
Les faits se sont déroulés en 1990 au musée Isabella Stewart Gardner de Boston. Malgré près de 30 ans de recherches dans le monde entier, le FBI a fait chou blanc.
Depuis deux ans, le musée offre 10 millions de dollars pour tout indice permettant de retrouver ce chef-d’œuvre, volé avec 11 autres toiles majeures. Enfin, on est toujours sans nouvelles de Chemin de Sèvres, un petit Corot volé en plein jour au musée du Louvre en 1998.

Un drôle d'Indiana Jones

Il s'appelle Arthur Brand et ce détective privé néerlandais est désormais une star dans le monde de l'art : il aurait résolu une trentaine d'affaires pour une valeur estimée à près de 200 M€.
Parmi les oeuvres retrouvées ?
Le fameux Buste de femme (Dora Maar) de Picasso, dérobé en 1999 sur le yacht d'un cheikh saoudien dans le port d'Antibes (Alpes-Maritimes).
Son agence, Artiaz, piste également les oeuvres volées aux familles juives pendant la guerre.

On a revolé les Peupliers !

L'Allée des peupliers aux environs de Moret-sur-Loing, un tableau de Sisley, est un feuilleton à lui tout seul : il a été volé 3 fois en 40 ans !

La première, c'était en 1978, à Marseille.
Prêtée par le Louvre, la toile est retrouvée quelques jours plus tard... dans les égouts de la ville !

Rebelote en 1998. Le directeur du musée des Beaux-Arts de Nice, où est alors exposé le Sisley, simule une prise d'otage et s'empare du tableau.
Qui sera retrouvé à Saint-Laurent-du-Var.

Enfin, en 2007, un spectaculaire braquage, bien réel cette fois, a lieu au musée niçois : quatre tableaux, dont la fameuse Allée aux peupliers, sont dérobés. L'OCBC les récupère en 2008. Depuis, il faut se rendre au musée d'Orsay pour contempler le Sisley...

De Cantini aux soutes d'un bus

Les Choristes est un délicat pastel de Degas prêté au musée Cantini de Marseille par Orsay.
Le 31 décembre 2009, il disparaît sans effraction.
Scandale à Marseille.
Le 16 février 2018, il est retrouvé par hasard... dans les soutes d'un bus arrêté à la station-service de Ferrières-en-Brie, près de Paris.
L'OCBC poursuit son enquête sur cette affaire mystérieuse qui avait causé un séisme à Marseille : elle avait en effet coïncidé avec la mise au jour d'un système de billetterie frauduleuse à Cantini.

En 2017, les musées marseillais se retrouvent à nouveau en disgrâce, lorsqu'une stèle égyptienne est dérobée, en plein jour, au musée d'archéologie de la Vieille Charité.



lundi 3 juin 2019

Michel Serres

Dans “Pantopie”, Michel Serres revenait sur Petite Poucette et les personnages de son œuvre.

Incarnant les mutations du monde, ils réconcilient science et littérature.
Michel Serres est mort samedi 1er juin 2019, à l’âge de 88 ans.

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Après l'Ecole navale et une licence de mathématiques, Michel Serres, né en 1930, entre à l'Ecole normale supérieure et obtient l'agrégation de philosophie.


 Membre de l'Académie française depuis 1990, il est l'auteur d'une soixantaine d'essais, dans lesquels il aborde des thèmes aussi différents que la communication, les révolutions scientifiques et les crises économiques, l'éducation ou l'écologie.

Le philosophe Michel Serres au 19ème Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges - Ji-Elle

Il n'a qu'un credo : penser, c'est inventer du nouveau, c'est anticiper.
Dans son œuvre, ce sont les personnages plus que les concepts abstraits qui ont le mieux incarné ces grandes transformations.
Il fait pour nous le portrait de cinq d'entre eux, à l'occasion de la parution d'un livre d'entretiens « pantopique ».

Pantope


« Vous vous souvenez du Tour du monde en 80 jours, de Jules Verne ?
Le héros, Phileas Fogg, a un valet auquel je m'identifiais beaucoup, Passepartout.
Il résout tous les problèmes ; c'est lui qui, à la fin du roman, se rend compte que son patron a gagné son pari au lieu de le perdre, à cause du décalage horaire !

Pantope (pan “tous”, topos “lieu”), ça veut dire Passepartout.
Ce personnage imaginaire dresse le portrait-robot du philosophe : un philosophe doit avoir parcouru le monde, les cinq continents, les océans, le désert, la banquise.
Il doit expérimenter tout le savoir, maîtriser l'encyclopédie, les mathématiques, la physique, etc.
Et avoir fait le tour des hommes, en connaissant aussi bien les ambassadeurs que les SDF.
Sans cet idéal, il n'y a pas de philosophie.

“A l'inverse du spécialiste, le philosophe est partout chez lui.”

Le philosophe est donc, pour moi, l'inverse d'un spécialiste : il n'a pas de spécialité, mais est partout chez lui.
J'ai été mathématicien et marin au début de ma vie, et j'ai très tôt eu envie de raconter ce que j'appelle le Grand Récit, qui remonte aux origines, au big bang, à l'arrivée du vivant, de l'homme.

Pour le raconter, il faut mêler les sciences, se faire astrophysicien, cosmologue, biologiste, darwinien.

Cette vision pantopique de la philosophie était une réponse à mes collègues qui, à l'heure postmoderne, annonçaient, eux, la fin des grands récits.

Penser, c'est inventer, trouver du nouveau.

J'ai eu la chance d'assister dans ma vie à au moins quatre immenses révolutions scientifiques : les nouvelles mathématiques, la mécanique quantique, la théorie de l'information.
Et j'étais copain avec Jacques Monod et François Jacob quand ils ont découvert l'ADN ! »

Tiers-Instruit


« J'ai toujours déploré le fait que les philosophes ne sachent pas de science, que les savoirs ne communiquent pas.
Toutes les universités sont organisées sur la séparation entre les sciences et les lettres.
Pour y remédier, j'ai inventé un personnage, le Tiers-Instruit, capable de faire la synthèse entre l'éducation littéraire et scientifique.

C'était un cri d'alarme contre la formation continue de deux populations d'imbéciles : les instruits incultes et les cultivés ignorants, c'est-à-dire les scientifiques qui n'ont que faire de la culture générale et les lettrés qui voient dans l'astrophysique quelque chose de monstrueux.

Le Tiers-Instruit réconcilie les deux cultures, littéraire et scientifique.

C'est un personnage métis car l'apprentissage est toujours un métissage.

Quand vous apprenez l'anglais, vous devenez un peu anglais.
Cela rejoint ce que je disais sur la connaissance entendue comme un tour du monde : découvrir, connaître, c'est métisser.

Quand je suis allé en Allemagne pour la première fois, j'ai découvert que les lits n'étaient pas faits comme en France : ils n'utilisaient pas de draps mais une simple couette. J'ai vite trouvé que c'était une excellente façon de dormir et, depuis, chez moi, je n'utilise plus qu'une couette. Je suis devenu allemand. »

Hermès


« Hermès est le premier personnage qui m'a inspiré.
Il a incarné une révolution dont j'ai eu l'intuition dès la fin des années 1960 : la fin de la société de production et la naissance de la société de communication.

Hermès, le dieu des messagers, a succédé à Prométhée, le dieu de l'industrie, que tous mes collègues, marxistes, célébraient depuis des décennies.

L'histoire m'a donné raison : les cols blancs ont remplacé les cols bleus.
Hermès, c'est aussi le dieu des voyageurs, le gardien des routes : en grec, le mot désignait une borne kilométrique qu'on mettait au carrefour.
Il est devenu le dieu des traducteurs, des commerçants, des messagers.
C'est l'angelos grec, l'ange qui met en relation.

Quand j'étais jeune philosophe, les grands pontes de la Sorbonne m'avaient demandé de faire une conférence en guise de test.
J'ai choisi comme sujet les échangeurs autoroutiers !
“Pour penser Hermès, l'échangeur autoroutier était un formidable sujet.”

Et c'est à ce moment-là que j'ai rompu avec la philosophie traditionnelle.
Ils étaient furieux, scandalisés par ce thème, qu'ils trouvaient non philosophique au possible.
En réalité, pour penser Hermès, l'échangeur était un formidable sujet.

Je l'ai analysé comme un opérateur objectif de communication : un Hermès en béton en quelque sorte !
Il y a un continuum entre les personnages, les objets et les concepts : pour penser la communication, on peut utiliser les concepts de relation ou d'échange, des personnages comme Hermès ou l'ange, ou encore des objets comme l'échangeur autoroutier ou le pont, auquel j'ai aussi consacré un livre.
Inventer, c'est toujours faire un pont entre deux rives disparates. »

Petite Poucette


« Petite Poucette, c'est la fille d'Hermès.
C'est aussi Mme Pantope : avec ses deux pouces, elle a réalisé le rêve pantopique : elle peut avoir accès à tous les lieux du monde par GPS ou Google Earth.

Elle peut appeler n'importe qui depuis son téléphone et trouver toutes les informations qu'elle veut sur Wikipédia.
Quand j'avais 15 ans, j'habitais le sud-ouest de la France, à 700 kilomètres de Paris et, si je voulais un renseignement, il fallait prendre le train, y passer la nuit, aller à la Bibliothèque nationale et attendre.
Aujourd'hui, un jeune trouve tout sur son ordinateur et peut même suivre des cours en ligne, les MOOC.
On ne peut pas être triste d'une affaire pareille ! Petite Poucette m'a fait comprendre le sens du mot “maintenant”, sa devise étant : “Maintenant, tenant en main le monde”.

“Les filles sont toujours de meilleures étudiantes que les garçons.”

Mais à la différence de Pantope, qui parcourait la réalité du monde, Petite Poucette, née avec Internet, incarne la révolution virtuelle.

Les nouvelles technologies transforment de manière décisive nos habitudes et nos conduites et façonnent un nouveau monde, un nouvel humain.
Et c'est essentiel que Petite Poucette, ce nouvel être, soit une femme !

En un demi-siècle, en tant qu'enseignant, j'ai assisté à la victoire des filles, qui sont toujours de meilleures étudiantes que les garçons, mais qui n'accèdent pas aux postes à responsabilité ensuite.

Quand je fais une conférence dans une entreprise, je commence toujours par “Bonjour, messieurs les talibans”.
Les hommes sont interloqués.
Je demande alors aux femmes de se lever.
La dernière fois, elles étaient trente seulement sur huit cents... »

Thanatocrate


« Ce personnage sinistre qui incarne le pouvoir de la mort renvoie dans mon œuvre au problème du Mal.
J'ai quitté l'Ecole navale et interrompu ma carrière scientifique à cause d'Hiroshima.
Avant, on connaissait la mort individuelle, la mort collective (les civilisations aztèque, maya ou égyptienne ont ainsi disparu), mais pas la mort de l'espèce humaine.
La bombe atomique a tout changé.

Tous les problèmes moraux de la science commencent là.

De nombreux physiciens de la génération qui a précédé la mienne sont devenus biologistes pour éviter d'être responsables de cette catastrophe.

Cette prise de conscience n'a pas cessé depuis : les comités d'éthique sont partout.
Ce moment décisif dans la théorie de la connaissance m'a donné l'idée de réinterroger l'histoire : quel est le rôle de la mort dans la question du pouvoir ?

“Les guerres ne pèsent quasiment plus, alors que c'est ce que les médias mettent toujours en une.”

Les thanatocrates sont les maîtres de l'Histoire.
Et, aujourd'hui, les médias détiennent ce pouvoir.
Ils sont devenus mortuaires, je les appelle d'ailleurs les pompes funèbres...

Ils font leur miel des morts, des catastrophes, des guerres.
Tapez sur votre ordinateur “causes de la mortalité dans le monde” : vous verrez apparaître un document signé par l'Organisation mondiale de la santé, dans lequel les maladies cardiaques et infectieuses arrivent en tête, mais où les guerres ne pèsent quasiment plus, alors que c'est ce que les médias mettent toujours en une.
Ils inversent la liste réelle.
Or, le sens, c'est tout à la fois la signification et la direction.
Inverser le sens, la direction, c'est falsifier la réalité. »

À lire :
Pantopie : de Hermès à Petite Poucette, entretiens avec Martin Legros et Sven Ortoli, illustrations d'Olivier Marbœuf, (éd. du Pommier), 392 p., 20 €.

Michel Serres, né le 1er septembre 1930 à Agen et mort le 1er juin 2019 à Vincennes, est un philosophe et historien des sciences français.

Membre de l'Académie française et de l'Académie européenne des sciences et des arts, il a notamment publié en tant qu'enseignant-chercheur des ouvrages faisant autorité en matière d'histoire des sciences, philosophie des sciences et épistémologie.

D’origine gasconne, il est le fils de Jean, dit Valmy Serres, batelier sur la Garonne. Il reçoit une éducation catholique et pratique le scoutisme au sein des Scouts de France qui le totémisent « Renard enthousiaste ».

Il est le père de quatre enfants, dont Jean-François Serres, délégué général de l'association Petits Frères des pauvres.

Il est reçu en 1949 à l’École navale, dont il démissionne peu après, pour préparer dans un lycée parisien le concours de l’École normale supérieure, où il est reçu en 1952.
Il soutient un diplôme d'études supérieures au sujet des structures algébriques et topologiques avec Gaston Bachelard, puis est admis 2e ex aequo à l’agrégation de philosophie en 1955.
De 1956 à 1958, il fait son service militaire comme officier dans la Marine nationale.




dimanche 2 juin 2019

Cellules neurales

Comment le cerveau participe au cancer
16/05/2019 – CEA

Des neurones voient le jour au sein même du microenvironnement tumoral, contribuant au développement du cancer.
Ces cellules nerveuses dérivent de progéniteurs provenant du cerveau et sont acheminés via la circulation sanguine.

Réseau de nerfs adrénergiques (en rouge) dans des tumeurs à haut risque du cancer de la prostate. @Science

Cette découverte étonnante ouvre la voie à tout un nouveau champ de recherche, relatif au rôle du système nerveux dans le développement des cancers et aux interactions entre les systèmes vasculaires, immunitaires et nerveux dans la tumorigenèse.


Schéma d'un neurone mature. Nicolas.Rougier


La production de nouveaux neurones est un événement plutôt rare chez l’adulte, cantonné à deux régions particulières du cerveau : le gyrus denté dans l’hippocampe et la zone sous-ventriculaire.


Schéma de la neurogenèse adulte dans l'hippocampe avec, en bleu, la morphologie des cellules souches neurales adultes de cette zone. Wikitavanti


Mais voilà que l'équipe Inserm Atip-Avenir dirigée par Claire Magnon* à l'Institut de Radiobiologie Cellulaire et Moléculaire, dirigé par Paul-Henri Roméo (CEA, Fontenay-aux-Roses), vient de montrer que ce phénomène se produit également en dehors du système nerveux central : dans les tumeurs !

En 2013, cette chercheuse avait déjà mis en évidence, dans des tumeurs de la prostate, que l’infiltration de fibres nerveuses, issues de prolongements d'axones de neurones préexistants, était associée à la survenue et à la progression de ce cancer.
Depuis, d'autres études ont permis de confirmer le rôle inattendu, mais apparemment important, des fibres nerveuses dans le microenvironnement tumoral de nombreux cancers solides.

Soucieuse de comprendre l’origine du réseau neuronal tumoral, Claire Magnon a une idée surprenante : et si le réseau nerveux impliqué dans le développement des tumeurs provenait de nouveaux neurones se formant sur place ?
Et dans ce cas, comment pourrait être initiée cette neurogenèse tumorale ?


Des cellules neurales souches dans les tumeurs

Pour tester cette hypothèse, Claire Magnon a étudié les tumeurs de 52 patients atteints de cancer de la prostate.

Elle y a découvert des cellules exprimant une protéine, la doublecortine (DCX), connue pour être exprimée par les cellules progénitrices neuronales, lors du développement embryonnaire et chez l’adulte dans les deux zones du cerveau où les neurones se renouvellent.

De plus, dans les tumeurs étudiées, la quantité de cellules DCX+ est parfaitement corrélée à la sévérité du cancer. "Cette découverte étonnante atteste de la présence de progéniteurs neuronaux DCX+ en dehors du cerveau chez l’adulte.
Et nos travaux montrent qu’ils participent bien à la formation de nouveaux neurones dans les tumeurs", clarifie-t-elle.


Une migration du cerveau vers la tumeur

 Pour déterminer l’origine de ces progéniteurs neuronaux, Claire Magon a utilisé des souris transgéniques, porteuses de tumeurs.
Elle a quantifié les cellules DCX+ présentes dans les deux régions du cerveau où elles résident habituellement.
Elle a alors constaté que, lors de l’établissement d’une tumeur, leur quantité est réduite dans l’une d’elles : la zone sous-ventriculaire.
"Il y avait deux explications : soit les cellules DCX+ mourraient dans cette région sans qu’on en connaisse la cause, soit elles quittaient cette zone, ce qui pouvait expliquer leur apparition au niveau de la tumeur".

Différentes expériences ont montré que cette seconde hypothèse était la bonne avec la mise en évidence du passage des cellules DCX+ de la zone sous-ventriculaire du cerveau dans la circulation sanguine et de l’extrême similarité entre les cellules centrales et celles retrouvées dans la tumeur.

"En pratique, nous constatons des anomalies de perméabilité de la barrière hématoencéphalique de la zone sous-ventriculaire chez les souris cancéreuses, favorisant le passage des cellules DCX+ dans le sang.
Rien ne permet pour l'instant de savoir si ce problème de perméabilité précède l’apparition du cancer sous l’effet d’autres facteurs, ou si elle est provoquée par le cancer lui-même, via des signaux issus de la tumeur en formation.

Quoi qu’il en soit, les cellules DCX+ migrent dans le sang jusqu’à la tumeur, y compris dans les nodules métastatiques, où elles s’intègrent au microenvironnement.
Là, elles se différencient en neuroblastes puis en neurones adrénergiques producteurs d’adrénaline.
Or, l’adrénaline régule le système vasculaire et c’est probablement ce mécanisme qui favorise à son tour le développement tumoral.
Mais ces hypothèses restent à vérifier".

Une piste thérapeutique

En attendant, cette recherche ouvre la porte à une nouvelle piste thérapeutique :
De fait, des observations cliniques montrent que les patients atteints de cancer de la prostate qui utilisent des bêtabloquants (qui bloquent les récepteurs adrénergiques) à des fins cardiovasculaires, présentent de meilleurs taux de survie.

"Il serait intéressant de tester ces médicaments en tant qu’anticancéreux" estime la chercheuse.

Deux essais cliniques allant dans ce sens ont récemment ouvert aux Etats-Unis**. De façon plus générale, "l’étude de ce réseau nerveux dans le microenvironnement tumoral pourrait apporter des réponses sur le pourquoi des résistances à certains traitements et favoriser le développement de nouveaux médicaments", conclut-elle.
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Philippe Mauffrey ,Nicolas Tchitchek ,Vilma Barroca ,Alexis Bemelmans ,Virginie Firlej ,Yves Allory ,Paul-Henri Roméo &Claire Magnon