Par La France pittoresque –
(D’après « Études sur
l’histoire de l’humanité. La féodalité et l’Église » (par François Laurent)
édition de 1865, « Cours d’économie politique ou Exposition des principes qui
déterminent la prospérité
des nations » (par
Jean-Baptiste Say) Tome 3 paru en 1823, « Précis chronologique, généalogique et
anecdotique de l’Histoire de France » (par Gabriel Peignot) paru en 1815, «
Coup d’oeil historique
sur la monarchie française
et la liberté nationale » (par Charles de Montaigu) paru en 1844 et « Époques
remarquables de l’Histoire de France, ou Morceaux extraits des historiens anciens
et modernes » (par Masson, fils aîné) Tome 4 paru en 1822)
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Louis X le Hutin (frère aîné de Philippe V)
affranchissant les serfs en 1314.
Lithographie extraite d’une série sur les rois de
France de 1890
Le même intérêt qui avait engagé les rois de France à
favoriser la liberté des villes, les excita à seconder de tout leur pouvoir
l’affranchissement : celui de réduire la puissance des barons féodaux,
grands propriétaires tenant celle-ci de leur nombre de serfs.
Lorsque le pape Grégoire le Grand,
vers la fin du VIe siècle, accorda la liberté à quelques-uns de ses esclaves,
il en donna cette raison :
Le pape Grégoire Ier Saint de l'Église catholique
Grégoire Ier, dit le Grand, auteur des Dialogues (né
vers 540, mort le 12 mars 604), devient le 64e pape en 590. Docteur de
l'Église, il est l'un des quatre Pères de l'Église d'Occident, avec saint
Ambroise, saint Augustin et saint Jérôme. Son influence durant le Moyen Âge fut
considérable.
« Puisque notre
Sauveur a bien voulu prendre la forme humaine, pour rompre, par sa grâce
divine, les chaînes qui nous tenaient captifs, afin que nous fussions rendus à
notre liberté primitive, c’est un œuvre salutaire de rendre, par la
manumission, à des hommes que la nature a créés libres et qui ne se trouvent
dans le joug de l’esclavage que par les lois des peuples, cette liberté dans
laquelle ils étaient nés. »
C’est par une suite des mêmes idées, que plusieurs
chartes d’affranchissement, antérieures au règne de Louis X — qui régna de 1314
à 1316 —, furent accordées « pour l’amour de Dieu et le salut de l’âme. »
Afin d'apaiser les nobles normands turbulents, Louis X
leur confère plusieurs privilèges dans la Charte aux Normands, octroyée le 19
mars 1315. Miniature du xive siècle.
Louis X, dit « le Hutin » (c'est-à-dire « l'entêté »),
né le 4 octobre 1289 à Paris, mort le 5 juin 1316 à Vincennes, est roi de
Navarre de 1305 à 1316 (sous le nom de Louis Ier) et roi de France de 1314 à
1316, douzième de la dynastie dite des Capétiens directs. Il est le fils aîné
du roi de France Philippe IV le Bel et de la reine Jeanne Ire de Navarre.
La cérémonie de la manumission se faisait dans l’église,
comme un acte solennel de religion.
La personne à qui on rendait la liberté était conduite
autour du grand autel, tenant une torche ardente ; elle s’arrêtait ensuite à un
des coins de l’autel, et là on prononçait les paroles solennelles qui
conféraient la liberté.
L’affranchissement s’accordait fréquemment au lit de la
mort, ou par testament. Comme les esprits des hommes sont dans ce moment plus
disposés à des sentiments de piété et d’humanité, ces actes étaient le fruit de
motifs religieux, et se faisaient pour le salut de l’âme.
L’esprit du système féodal
n’était pas favorable à l’affranchissement.
Jean II adoubant des chevaliers, enluminure des xive /
xve siècle, BnF.
La féodalité est un système politique, ayant notamment
existé en Europe entre le xe siècle et le XIIe siècle, dans lequel l'autorité
centrale s'associe avec les seigneurs locaux et ceux-ci avec leur population,
selon un système complet d'obligations et de services.
Suivant une maxime généralement établie, il n’était pas
permis à un vassal de diminuer la valeur d’un fief, au préjudice du seigneur de
qui il l’avait reçu.
En conséquence, on ne regarda pas comme valide les
affranchissements accordés par l’autorité du maître immédiat.
Il était donc nécessaire de remonter par toutes les
gradations de la tenance féodale, jusqu’au roi.
Expansion de l'empire carolingien sous Charlemagne.
Une forme de procédure si longue et si embarrassée ne
pouvait manquer de décourager la pratique des affranchissements.
Les esclaves domestiques durent souvent leur liberté à
l’humanité ou à la bienfaisance des maîtres ; mais la condition des esclaves ou
serfs attachés à la glèbe était beaucoup plus difficile à changer.
Nonobstant toutes les difficultés, le peuple des
campagnes vint à recouvrer insensiblement sa liberté.
L’église de Rome réclame l’honneur d’y avoir beaucoup
contribué, et il est constant que, dès le XIIe siècle, le pape Alexandre III
publia une bulle pour l’affranchissement général des esclaves.
Le couronnement d'Alexandre III - épisodes de la vie
du pape Alexandre III (pape).
Rolando Bandinelli, né vers 1105 à Sienne, il fut le
170e pape de l’Église catholique sous le nom d'Alexandre III à partir de 1159.
Il est mort le 30 août 1181 à Civita Castellana.
Il semble cependant que ce fut plutôt une pieuse
exhortation aux fidèles, qu’une loi qui entraîna de leur part une rigoureuse
obéissance.
La servitude n’en subsista pas moins presque partout,
pendant encore plusieurs siècles.
Dans une charte de Louis VII le Jeune
de 1152, on lit « que la bonté divine, en
créant tous les hommes et en leur donnant une origine commune, les a tous doués
d’une certaine liberté naturelle, mais que plusieurs s’étant rendus coupables
ont été privés de leur dignité et réduits en servitude » (Gurérard,
Cartulaire de Notre-Dame).
Le roi Louis VII part en croisade.
Ce premier aveu de liberté, encore un peu timide, va
gagner en force par l’établissement des communes au XIIe et XIIIe siècles.
En effet, le même intérêt qui avait engagé les rois de
France à favoriser la liberté des villes, les excita aussi à seconder de tout
leur pouvoir l’affranchissement des esclaves domestiques et laboureurs.
La puissance des barons féodaux,
dont ils se servaient si souvent pour troubler l’ordre public, se fondait sur
le nombre de leurs esclaves ; d’ailleurs ceux-ci dépendaient entièrement de
leurs maîtres et ne tenaient par aucun lien direct à l’État.
Les trois états : ceux qui prient, ceux qui font la
guerre, ceux qui travaillent la terre.
En conséquence, tout ce qui tendait à accélérer les
progrès de la liberté individuelle tendait aussi à diminuer la puissance
dangereuse des grands propriétaires, et à augmenter le nombre des citoyens et
des défenseurs de l’ordre et de l’autorité royale.
Philippe V le Long
Il n’est donc pas étonnant de voir que tous les
souverains ont embrassé la cause de la liberté personnelle des paysans, et
qu’ils y ont contribué, chacun suivant le degré de puissance dont il jouissait,
tantôt par leur exemple, tantôt par des exhortations, et quelquefois même par
des ordres exprès.
Ainsi, au commencement du XIVe siècle, le comte de
Valois, frère de Philippe
le Bel, affranchit les habitants de son comté, au nom de l’égalité et de la
liberté naturelles :
« Comme créature humaine qui est formée à
l’image de Notre Seigneur, doit généralement être franche par droit naturel, et
en aucun pays cette naturelle liberté ou franchise par le joug de la servitude
qui est tant haineuse, soit effacée ou obscurcie, que les hommes et les femmes
qui habitent ces lieux et pays dessus dits (Valois, Alençon, Chartres et Anjou)
en leur vivant son réputés ainsi comme morts, et à la fin de leur douloureuse
et chétive vie si étroitement liés et démenés, que des biens que Dieu leur a
prêtés en ce siècle, et qu’ils ont accrus par leur propre labour, et accrus et
gardés par leur pourvoyance, ils ne peuvent en leur dernière volonté disposer
ni ordonner, nous, mus de pitié, pour le remède et salut de notre âme, et pour
considération d’humanité et de commun profit (...) Donnons et octroyons, etc. »
Assassinat de Wat Tyler par Walworth sous l'œil de
Richard II, et le même Richard II s'adressant à la foule en lui mentant au
sujet du meurtre. Wat Tyler revendiquait l'abolition du servage lors de la
révolte des paysans, en Grande-Bretagne en 1381. Library Royal MS 18.E.i-ii f.
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Un autre monument remarquable relatif à
l’affranchissement des serfs est la célèbre ordonnance de Louis X le Hutin (1314-1316),
confirmée le 23 janvier 1318 en ces termes par son frère le roi Philippe V :
« Nous considérant
que nostre royaume est dit et nommé le royaume des Francs, et veuillans que la
chose en vérité soit accordante au nom, et que la condition des gens amende de
nous, en la venue de notre nouvel gouvernement (...)
Ordonnons que
généralement par tout nostre royaume, de tout comme il puet [peut] appartenir à
nous et à nos successeurs, teles servitudes soient rémanées à franchise à tous
ceux qui de orine ou ancienneté, ou de nouvel par mariage, ou par résidence des
lieux de la serve condition, sont incheus ou pourroit inchéir en lieu de
servitudes, et diverses conditions, franchises soient données o [à] bonnes et
convenables conditions. »
Ces édits furent exécutés sur-le-champ dans les domaines
de la couronne.
Un grand nombre de nobles excités par l’exemple de leurs
souverains, et surtout par l’appât des sommes considérables qu’ils pouvaient se
procurer par les affranchissements, donnèrent la liberté à leurs esclaves.
Il n’y avait en effet alors que les bourgeois des villes
qui vivaient librement, les habitants de la campagne étant serfs ; et quoiqu’il
leur fût permis d’avoir la possession de quelques terres, et d’autres revenus,
ils ne pouvaient ni s’établir dans un autre lieu, ni se marier sans le
consentement de leurs seigneurs.
Paysans libres du XIVe siècle
dansant autour d’un arbre de mai.
Chromolithographie de 1930 de J.-L. Bezon
Chromolithographie de 1930 de J.-L. Bezon
Mais tous les seigneurs ne furent et ne pouvaient être
aussi généreux que la couronne dans les affranchissements directs, cela se
comprend : l’affranchissement des serfs diminuait la valeur de leur seigneurie
; en achetant leurs domaines ils avaient aussi acheté les serfs, et ces
derniers composaient la plus grande partie du revenu, en raison des servitudes
qu’ils devaient et des droits au paiement desquels ils étaient astreints.
Esclaves et serfs du sixième au douzième siècle :
illustrations recueillies par H. de Vielcastel, de documents originaux
dispersés dans les grandes bibliothèques européennes.
Si beaucoup de seigneurs affranchirent leurs serfs
gratuitement, bon nombre d’autres moins riches se réservèrent, en prononçant
l’affranchissement de leurs serfs, certaines redevances qui prirent le nom de
cens, redevances, dîmes et corvées.
Cependant, longtemps après le règne de Louis X et de
Philippe V, plusieurs nobles de France continuèrent de maintenir leur ancienne
autorité sur leurs esclaves.
Il paraît même, par une ordonnance du fameux Bertrand
Duguesclin, connétable de France, que la coutume d’affranchir les serfs était
regardée comme une innovation pernicieuse.
Lorsque les serfs eurent été déclarés hommes libres, ils
restèrent encore obligés de rendre certains services à leurs maîtres.
On les regardait toujours comme d’une condition
différente de celle des autres sujets ; il ne leur était pas permis d’acheter
des terres, ni de devenir membres d’une communauté située dans le territoire du
manoir auquel ils avaient appartenu.
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