samedi 11 mai 2019

Les Mythes

PHILOSOPHIE DES MYTHES

Essais philosophiques de Fernand Reymond

Les Mythes sont définis comme récits de fiction plus ou moins légendaire, ayant trait aux origines ou à un avenir spéculatif.

La philosophie du VI et IVème siècle AV JC en Grèce, s’est instituée comme alternative à la pensée mythologique dont les maîtres furent Homère et Hésiode, pour lui substituer une pensée réflexive s’appuyant non plus sur la poésie imaginaire mais sur la raison rationnelle.

Homère (1812), par Philippe-Laurent Roland, musée du Louvre

Platon le chef de file de ce nouveau courant philosophique voulait bannir le mythe et le poète de sa cité idéale, car ils sont sources d’illusions.

Platon, copie du portrait exécuté par Silanion pour l'Académie vers 370 av. J.-C., Centrale Montemartini.

Néanmoins Platon lui-même dans sa philosophie, lorsque la pensée rationnelle abstraite ne suffit à pas préciser un raisonnement inventa lui aussi des mythes connus sous le nom de mythes platoniciens.

Portrait supposé d'Hésiode - Musée du Louvre.

Ce sont par exemple : le mythe des androgynes d’Aristophane dans le Banquet, le mythe de l’attelage ailé du dialogue le Phèdre, le mythe de la conception d’Eros du Banquet et le fameux mythe de la caverne dans la République, le mythe d’Er le Pamphilien sur le devenir des âmes en enfer etc…

La Grotte de Platon, attribué à Michiel Coxcie, milieu du xvie siècle. Huile sur bois de peuplier. Musée de la Chartreuse, Douai.

Les Présocratiques grecs avaient une philosophie poétique et mythologique, Thalès de Milet, Anaximène, Xénophane par exemple considéraient qu’à l’origine il y avait un principe fondamental source de tout le reste.

Portrait de Thalès, dans une édition de 1761 de l'ouvrage de Diogène Laërce : Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres.  User:Flappiefh

Pour Thalès c’étaient les eaux primordiales, pour Anaximène l’air, pour Xénophane la terre.
Mais ces interprétations abstraites du monde n’étaient que l’abstraction élémentaire des mythes antérieurs qui faisaient de Zeus le maître du feu et du monde, Hadès le maître de l’air ou Poséidon le maître de l’eau et Gaïa la maîtresse de la terre et la mère originelle.

L'eau est selon Thalès le principe explicatif de toute chose. Sven Hoppe

Pour le philosophes la Physis soit la Nature était dominée par Nomos, c'est-à-dire par le Loi, les lois de la Physique, comme Zeus dans les mythologies par sa loi de monarque olympien avait vaincu le Chaos

Éon et Tellus (Gaïa) entourée de quatre enfants, peut-être les saisons personnifiées, mosaïque romaine d'une villa de Sentinum, début iiie siècleGlyptothèque de Munich (Inv. W504) . User:Bibi Saint-Pol

Les stoïciens le grec Epictète et le latin Marc Aurèle considéraient mythologiquement le monde avec quatre éléments fondamentaux, la terre, l’air, le feu et l’eau qui étaient animés par un souffle divin appelé le pneuma.

Epicteti Enchiridion Latinis versibus adumbratum (Oxford 1715) frontispiece

Puis les philosophes durant des siècles se désintéressèrent des mythes qu’ils rangèrent au rayon de la superstition.

Carte de la Grèce homérique, telle que décrite principalement dans le Catalogue des vaisseaux et des Troyens
Photo Patroklis

Kant accordait aux mythologies et aux représentations religieuses le statut d’illusions transcendantales.

Kant  Johann Gottlieb Becker (1720-1782)

Car pour lui la connaissance humaine ne pouvait avoir accès qu’aux phénomènes, c’est dire à ce qui nous apparaissait, reléguant les noumènes, c’est dire la chose en soi inaccessible à l’expérience, dans le domaine du religieux, du sacré inexplicable seulement représentable par des symboles et des mythes qui ne peuvent pas être vérifiés par la raison et qui ne peuvent pas accéder au statut de concept rationnel.

Relief représentant Marc Aurèle et les membres de la famille impériale procédant à un sacrifice devant le temple de Jupiter, Palazzo dei Conservatori (Musei Capitolini).

Ce n’est qu’au XIX ième siècle que les philosophes se penchèrent de nouveau sur la mythologie.

Schopenhauer dans son « Monde comme volonté et représentation » créa un nouveau mythe pour expliquer la philosophie du monde, c’est la Volonté, soit le vouloir vivre unissant tous les règnes minéral, végétal et animal ainsi que l’homme.

Portrait (1852)

Pour Schopenhauer le monde n’existe pas en dehors de la représentation que les vivants s’en font. Donc le monde réel n’est pas si étranger au monde mythique puisque ce monde mythique est une interprétation, une représentation du monde réel.

Nietzsche dans «  La naissance de la tragédie » définit deux dieux grecs comme instigateurs de l’art, l’affrontement entre Dionysos le dieu de l’instinct, de l’ivresse et de l’extase et Apollon le dieu de la mesure, de la loi, de l’harmonie. C’est de la synthèse entre les forces de ces deux dieux que naît l’art qui rend compte de la tragédie humaine.

Friedrich Nietzsche

Freud fonda une nouvelle mythologie celle des pulsions sexuelles qui déterminent la psyché humaine, Il institua le mythe d’Œdipe comme le mythe fondamental structurant de la personnalité des névrosés et subsidiairement le mythe de Narcisse comme le fondement de la personnalité archaïque des psychotiques, puis dans « Au-delà du principe de plaisir » il affirma que l’Inconscient est sous la tutelle de deux types de pulsions contradictoires, les pulsions de vie et les pulsions de mort, ce que les anciens grecs définissaient déjà dans la lutte entre Eros et Thanatos.

Photographic portrait of Sigmund Freud, signed by the sitter ("Prof. Sigmund Freud") - Max Halberstadt

Bachelard au XX ème siècle influencé par la psychanalyse, établit une philosophie d’inspiration mythologique dont il rend compte dans :

« L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière » en1942

« L’air et les songes, essai sur l’imagination du mouvement » en 1943

« La terre et les rêveries de la volonté, essai sur l’imagination des forces » 1948

« La terre et les rêveries du repos, essai sur les images de l’intimité » en 1948

Claude Lévy Strauss anthropologue fait des mythologies une analyse structuraliste, c’est avec «  Les structures élémentaires de la parenté » qu’il théorise les mythes à partir de l’interdit de l’inceste et des lois sociales du mariage exogamique, c'est-à-dire du mariage en dehors de la famille, pour lui les mythes structurent les formes de la société entre le nombre deux des oppositions de la différence entre le masculin et le féminin et le nombre trois de la triangulation père,mère et fils ou fille.

 Sa conception du totémisme est en relation avec la filiation directe entre l’animal et l’homme, le totem étant l’ancêtre du clan, l’esprit du clan avec l’interdit de le manger et le devoir de le vénérer.

Mais étant bien entendu que cette filiation avec le totem est une filiation symbolique et non réelle, les individus et les tribus se différenciant les uns des autres comme les espèces animales figurant les totems se différencient les unes des autres ; il s’agit plus d’une taxinomie symbolique que d’une réelle filiation généalogique entre le totem et l’individu.

Mircea Eliade réhabilite les mythes et les rites qui vont avec, pour un retour aux origines dans le tout Un, l’harmonie avec le cosmos, la divinité.

Dans notre monde contemporain scientiste et profane, il affirme comme Carl Gustav Jung que notre inconscient individuel et collectif a besoin de renouer avec ces symboles, mythes et rites sacrés, car le spirituel est au fondement de notre psyché, sinon nous n’échappons pas aux désordres pathologiques de la psyché.

Freud, déjà, attribuait aux mythes la fonction de soudure sociale, dans « Totem et tabou » il invente un mythe celui du meurtre du père de la horde primitive.

Le père de la horde primitive tué par ses fils car il concentrait tous les pouvoirs et il possédait exclusivement toutes les femmes au dépend de ses fils.

Ce meurtre du père de la horde primitive est initiateur de la culpabilité inhérente à tous les hommes, il est fondateur de la hiérarchie sociale, de la loi.

Jacques Lacan va plus loin en instituant «  le nom du père » comme signifiant primordial nécessaire à l’accession à l’ordre symbolique du langage et de la parole, signifiant du nom du père qu’il définit comme moteur de la castration symbolique indispensable à l’acquisition de la parole et du langage.

La castration symbolique étant le fait que pour accéder à la parole et au langage, l’instinct, la pulsion doivent renoncer à l’être, au principe de plaisir pour se soumettre à la loi de l’interdit de l’inceste et au principe de réalité qui nous condamne au paraître à défaut d’être réellement.

La castration symbolique signifiant que l’homme parlant contrairement à l’animal, a ses instincts domestiqués dans la conscience et refoulés dans l’inconscient.

Michel Boccara chercheur au CNRS et anthropologue dans son ouvrage «  La part animale de l’homme » reproche au structuralisme de ne considérer les mythes que comme des récits signifiants.

Pour lui les mythes sont indissociables de l’action car les mythes sont actualisés dans des rites et des affects qui eux sont liés aux angoisses de mort et de résurrection.

Le problème du mythe est indissociable du problème de la mort et de la résurrection. Le mythe a dans sa genèse une origine le chant animal qu’imitaient les hommes pour communiquer avec le monde animal qu’ils considéraient comme leur ancêtre leur totem, celui dont ils étaient issus, celui qui les initierait au devenir après la mort.

Pour lui dans le mythe, la mort n’est pas figurée comme un néant mais comme un autre monde, s’approprier les mythes dans l’action du rite et l’affect, c’est domestiquer la mort.
Pour lui le chaman c’est l’initié qui fait régulièrement l’aller retour de la vie à la mort et retour à la vie, par un voyage initiatique.

Le sacré et le mythe sont liés, les mythes sont les fondements de l’inconscient, ils sont émanations de notre interprétation de l’en deçà des origines et de l’au-delà de la mort.
Les mythes touchent au numineux, c'est-à-dire au sacré, à ce qui nous transcende.

La science moderne crée elle aussi des mythes comme le « Big bang » par exemple.

La mécanique quantique a aussi développé un mythe celui des quantas pour résoudre l’incompatibilité de la mécanique classique et de la mécanique ondulatoire, en synthétisant la mécanique corpusculaire et la mécanique ondulatoire.

Les mythes sont une interprétation du réel conforme à nos espérances plus qu’à notre raison.
Les mythes sont des formules métissées entre poésie et science.

Ce sont des représentations mentales conformes aux phantasmes inconscients.

Pour la psychanalyse les mythes sont le devenir conscient des phantasmes inconscients, ils spéculent tous sur nos origines et sur notre devenir eschatologique.

Les mythes sont les interprétations religieuses ou profanes de l’être et du non être.

Ils ont à voir avec le Désir inconscient, ils sont le fruit d’une imagination qui tente de réduire les impasses, les apories de la dialectique et du raisonnement scientifique, ils sont la création de poètes inspirés par les muses.

Les muses étant les allégories de nos pulsions, de nos instincts qui forcent notre volonté à souder les fractures les antinomies vie/mort par l’imagination qui crée des solutions satisfaisant notre âme plus que notre intellect.

Les mythes sont des allégories concrètes, qui sont codées, qui demandent interprétation, une exégèse.

Les mythes sont des formules concrètes pour illustrer ce que l’abstrait conceptuel ne peut exprimer.

LES MYTHES ET LA PHILOSOPHIE POLITIQUE

Mythes : dans le sens de récits fabuleux ou légendaires, mais surtout dans le sens qui nous intéresse ici, de représentations idéalisées de l'état de l'humanité dans un passé ou un avenir fictif.

Les mythes sont des allégories imaginaires qui par leur valeur de symboles emportent l'adhésion des esprits.

Les mythes servent de modèles à la psyché des individus, se sont des paradigmes d'identification, pour régler les conduites et les mœurs selon des règles morales collectives pour s'identifier aux héros fabuleux ou légendaires sous la bannière desquels s'unissent les individualités sociales pour rejoindre leurs idéaux collectifs.

La Politique étant entendue comme le gouvernement de la vie de la cité (polis = cité), de la nation.

Les philosophes grecs s'efforcèrent de sortir l'humanité de la pensée mythique des temps archaïques pour la faire accéder à la pensée rationnelle, au logos et certain comme Platon se proposait de chasser le poète de la cité car il était tel Homère le maître de la pensée mythique imaginaire fruit de toutes les illusions et vecteur de l'irrationnel.

Platon a écrit "La République " son chef d'œuvre de la philosophie politique, mais pour mieux fixer ses idées abstraites sur la différence entre le monde du sensible donc de l'illusion avec le monde de l'intelligible ou de la raison dialectique, il n'a pu faire l'économie de la création d'un nouveau mythe : le mythe de la Caverne.

Et il semble que depuis des siècles depuis la fondation de la démocratie athénienne, les politiques n'ont pu se dispenser de créer de nouveaux mythes pour cimenter la pluralité des sujets des royaumes ou des citoyens des Républiques.

La politique depuis les temps immémoriaux jusqu'à nos jours a toujours étayé son action sur une théorie qui dans les temps anciens s'appuyait sur la notion du sacré qui fondait le droit et organisait la justice.

Que ce soit la notion de sujets dans les royaumes ou les empires et leur sujétion au Roi de droit divin dans les monarchie absolues qui s'appuyait sur le mythe que le Roi était descendant du Dieu; ou son intercesseur sur terre entre les fidèles et la divinité; ou que ce soit la notion de citoyen dans les Républiques grecques ou romaines qui s'appuyait sur la notion sacré de liens du sang unissant les protagonistes d'une même cité Athènes ou Rome descendant de Romulus et Remus les fondateurs de la cité .

Toutes ces notions,fondement, de l'unité politique, s'étayaient sur un mythe des origines avec leurs cortèges de héros acteurs de grandes œuvres épiques .

La Politique moderne n'échappe pas à cette création imaginaire de théories sacrées qui transcendent le profane, le trivial de la vie communautaire et institutionnelle.

La révolution française a créé ses mythes comme la Bastille, la nation une et indivisible, tout comme sa devise "Liberté, égalité, fraternité" qui débouche sur des textes sacrés comme "La déclaration des droits de l'homme et du citoyen" qui depuis ont largement dépassé la république pour devenir déclaration universelle des droits de l'homme de l'organisation des nations unis.

Mais ces textes même restent des mythes, des idéaux imaginaires auxquels doivent tendre les politiques mises en œuvre dans les différents états qui naviguent entre l'idéal à atteindre et la réalité autrement plus subjective et plus profane que le texte sacré.

Le communisme a sa bible sacré lui aussi c'est "Le Capital " de Karl Marx et les régimes totalitaires de l'Est ont usé du Mythe utopique du communisme, jusqu' au Goulag et aux grands procès staliniens.

Maintenant un nouveau mythe structure la pensée unique de la mondialisation capitaliste sauvage c'est "la loi du Marché" sans aucune régulation.

L'impérialisme américain s'appuie sur un mythe, celui des pionniers de l' Ouest et de leur dogme " la libre entreprise", la ruée vers l'or du Nouveau Monde dont l'iconographie du cinéma Western est l'emblématique représentation du sacré chez les américains qui n'ont pas d'histoire et qui la résume en un raccourci saisissant .

Donc la politique ne peut pas se passer de Mythes, car s'en passer ce serait se passer d'Idéal, donc de But pour permettre la quête dont les mythes sont le moteur qui mobilise les individus.

Pour lutter contre le mythe du marché, qui structure la pensée unique et la mondialisation, qui survient, après la mort de Dieu au siècle dernier en Occident, et après la mort des idéologies avec l'effondrement du communisme, le problème est de créer de nouveaux mythes afin de structurer l'avenir politique.










jeudi 9 mai 2019

État de droit

Et si, avant de prôner l’État sécuritaire, on remettait l’État de droit à l’endroit ?
Une analyse toujours actuelle de Vincent Bénard.

Cet article a été publié une première fois en 2015. Il garde malheureusement toute son actualité aujourd’hui.

Cliquez sur l'image pour voir le diaporama

Crédit image : reseauinternational.net


Dans la foulée des attentats contre Charlie Hebdo et des meurtres d’Amédy Coulibaly, nombreux sont ceux qui réclament un renforcement des pouvoirs sécuritaires de l’État, et ce même au détriment de nos libertés individuelles.

Journalistes, secouristes et policiers dans la rue Nicolas-Appert quelques heures après l'attentat contre Charlie Hebdo. Thierry Caro

À gauche, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve sont les porte-parole de cette tendance et veulent clairement criminaliser « tout propos de haine » sur les réseaux sociaux, ce qui, évidemment, rendra difficile toute critique virulente de quoi que ce soit.

Le magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes, le lendemain de la prise d'otages, le 9 janvier 2015. JJ Georges

À droite, de Valérie Pécresse à Éric Ciotti en passant par Claude Guéant et même Rachida Dati, et j’en oublie, les appels à de nouvelles lois sécuritaires, allant jusqu’au « renoncement à certaines libertés », l’expression est de Guéant, se multiplient.

J’ignore évidemment quelle forme textuelle prendra le résultat de cette bouillie intellectuelle de politicien démagogue habitué à surfer sur la vague des peurs populaires, mais je n’en attends rien de bon.

Dans le cortège de la manifestation à Paris le 11 janvier. Poulpy

Toutefois, on peut se demander si, avant d’instaurer de nouvelles lois émotionnelles d’exception, plaçant doucement la France sur la voie de la tyrannie de fait, il ne serait pas plus productif d’examiner d’autres alternatives.

À commencer par une interrogation sur le fonctionnement de notre État de droit.

San Francisco, aux États-Unis, le 7 janvier 2015. Eloquence

Considérons le parcours judiciaire d’Amédy Coulibaly, qui avait 32 ans au moment des faits, né en février 1982. Avertissement : je précise que l’ensemble des éléments qui suivent proviennent de la fiche Wikipedia d’A. Coulibaly ou du premier article du journal Le Monde qui a relaté son parcours judiciaire.

J’ai vérifié dans les liens fournis par la fiche WP qu’il n’y avait pas d’erreur de report, mais si ces media ont commis des erreurs, je ne suis pas à l’abri de les avoir répercutées.
N’hésitez pas à faire part de toute correction à la rédaction de Contrepoints.

Ambassade de France à Moscou, en Russie. Ilya Schurov from Moscow, Russia

Nous pouvons lire dans Le Monde ceci : « Le 17 septembre 2000, alors qu’il mène un cursus scolaire moyen en 1ère bac pro, il participe au braquage d’un garage de la résidence de la Closerie à Combs-la-Ville, en Seine-et-Marne.
Son complice et meilleur ami, Ali Rezgui, 19 ans, meurt sur le coup, d’une balle de la police.
Deux semaines plus tard, l’affaire est classée ».

Photographie officielle de la Maison-Blanche montrant Barack Obama signant devant Gérard Araud le registre de condoléances à l'ambassade de France aux États-Unis. White House

Première stupéfaction du simple citoyen que je suis : contrairement à ce qu’on lit souvent, Coulibaly est déjà majeur, participe à un braquage, et l’affaire est « classée », pour des raisons que le non juriste ne peut comprendre.

Comment un braquage effectué par un délinquant majeur peut-il être classé, surtout quand on sait qu’il avait déjà des antécédents en tant que mineur, et que le braquage s’est soldé par une mort d’homme, fut-ce un des braqueurs ?

Dès le 7 janvier au soir le logo est utilisé dans les manifestations de soutien, ici à Strasbourg. Claude Truong-Ngoc

Après plusieurs autres braquages, il est condamné en 2004 pour braquage d’une BNP à six ans de prison.
 Le braquage a eu lieu le 7 septembre 2002, Coulibaly a alors 20 ans.
Or, il comparait devant… la Cour d’assises des mineurs.

Je n’ai pas trouvé d’explication logique à cette comparution qui apparaît curieuse vue d’un non spécialiste du droit.
Il semble qu’un des participants au braquage était mineur, mais si cela justifie la comparution de toute la bande devant une justice pour mineurs, voilà qui va inciter les délinquants majeurs à embringuer des mineurs dans leurs aventures !

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan faisant le signe R4bia. R4BIA.com

La condamnation à six ans mentionne « Trafic de stup, recel et braquage ». Il sort en 2006, je ne sais pas à quelle date, on peut donc supposer qu’en comptant la préventive, il a purgé entre trois et quatre ans sur six.

Logo des frères musulmans

S’agissant d’une première condamnation en tant que majeur (l’affaire précédente, classée, ne peut être retenue contre lui), admettons que cette remise de peine puisse ne pas être anormale.

Mais la même année, Coulibaly est condamné à dix-huit mois pour trafic de stups.


À la suite de violents affrontements avec l'armée égyptienne sur le square Rabia al Adawiyya au Caire, le signe R4bia (4 en arabe) est devenu le symbole de ralliement des Frères musulmans. R4BIA.com

Nouvelle incompréhension :

- comment un récidiviste ayant bénéficié d’une remise de peine peut-il bénéficier d’une condamnation plus faible que sa première remise de peine, pour des faits commis pendant sa remise de peine ?
- Une remise de peine ne devrait-elle pas systématiquement avoir valeur probatoire ?
Et être annulée en cas de récidive pendant cette période ?

D’autre part, s’agissant d’un récidiviste, les peines ne devraient-elles pas se rapprocher du plafond légal de condamnation ?

Mohammed Badie, le leader actuel. Mohamedhph

M. Coulibaly semble à sa sortie entrer dans un projet de réinsertion.
Certains articles mentionnent que cette réinsertion aurait été liée à ses remises de peine, autrement dit que sa mauvaise exécution aurait pu annuler les remises de peine qui avaient été obtenues de ce fait.
Mais je n’ai pas suffisamment de recoupements de sources pour être sûr de ce point.

Mais pendant cette « réinsertion », M. Coulibaly est arrêté en 2010 pour préparation de tentative d’évasion d’un terroriste dangereux, impliquant des armes.
La peine maximale prévue par le Code pénal dans ces circonstances est de sept ans, et Coulibaly est condamné à cinq.

La détention ayant commencé le 23 mai 2010, Coulibaly bénéficie de plusieurs remises de peine pour bonne conduite en prison, et sa peine prend fin le 15 mai 2014, soit au bout de quatre ans.

Notons que ses deux derniers mois de peine sont purgés sous bracelet électronique. L’emprisonnement effectif a donc été de trois ans et dix mois.

Nous apprenons également, par le Canard Enchaîné, que des photos à caractère pédopornographiques ont été retrouvées sur l’ordinateur de Coulibaly en 2010, ajoutant à la répugnance qu’inspire le personnage.

Or, ce volet de l’affaire aurait été classé par le parquet de Nanterre, pour des raisons que je n’ai pas retrouvées. Je soupçonne un banal problème de surcharge, mais c’est purement spéculatif.

La lecture de la fin de ce parcours chargé pose tout de même quelques questions graves :

Un criminel multi-récidiviste ayant prouvé qu’il n’était visiblement pas ré-insérable, ne devrait-il pas pouvoir de ce fait voir ses plafonds de condamnation potentielle aggravés ?

Sans aller jusqu’aux excès de certains États US, une troisième condamnation pour faits graves ne devrait-elle pas ajouter, au plafond légal associé à son acte, un « forfait pour double récidive » ?

Un criminel multirécidiviste avec tous les antécédents que nous venons de découvrir ne doit-il pas se voir supprimer toute possibilité de remise de peine ?

Lorsqu’un criminel multirécidiviste encourt jusqu’à sept ans de prison, et que l’affaire pour laquelle il est jugé concerne la tentative d’évasion d’un terroriste condamné pour des faits d’homicide, la justice peut-elle décemment ne prononcer « que » cinq ans sans que la question de son laxisme ne soit posée ?

La question des photos n’aurait-elle pas dû faire l’objet d’une instruction obligatoire, compte tenu du caractère criminel récidiviste de l’intéressé ?
Et conjointe avec les faits d’évasion, ce qui aurait permis un cumul au moins partiel de peines ?

Et il est possible que l’étude approfondie de son dossier mette à jour d’autres questions interrogeant la qualité du fonctionnement de l’institution judiciaire en France.

Bref, en tant que citoyen, je me demande s’il était normal que quelqu’un comme Coulibaly soit dehors à la date des faits, cela aurait-il été possible si les lois étaient soit mieux écrites, soit mieux appliquées ?

Une troisième condamnation à seulement cinq ans, convertie en trois ans et dix mois de peine effective, était-elle suffisante pour un tel individu avec un tel parcours ?

Sachant que de nombreux apprentis djihadistes ont un passé de délinquant récidiviste, ne serait-il pas déjà intéressant de réduire le vivier de djihadistes potentiellement très dangereux en renforçant les peines et les règles d’application effectives de ces peines de tous les criminels violents récidivistes ?

Si la police avait moins d’individus dangereux comme Coulibaly en liberté à surveiller, ne serait-elle pas plus efficace pour détecter les agissements de gangs intégristes tels que celui des Kouachi ?

Bref, et si au lieu de voter des lois et règles d’exception prises sous le coup de l’émotion, qui rendront périlleuses la libre expression des honnêtes gens et renforceront leur insécurité juridique, on remettait l’État régalien en position de mettre réellement hors d’état de nuire pour de longues périodes des criminels ayant largement prouvé qu’ils étaient irrécupérables ?

 Si on commençait par faire fonctionner l’État de droit normal au lieu de rêver d’une police politique et des opinions omniprésentes ?
……………….

Amedy Coulibaly, né le 27 février 1982 à Juvisy-sur-Orge dans l'Essonne et mort le 9 janvier 2015 à Paris, est un délinquant multirécidiviste français, passé au terrorisme islamiste.
Il est l'un des auteurs des attentats de janvier 2015 en France.

Amedy Coulibaly passe de la petite délinquance à la grande criminalité puis se convertit à l'islam radical.

Il devient, avec Chérif Kouachi, l'un des deux principaux disciples de Djamel Beghal, selon les rapports de la sous-direction anti-terroriste.
Il est incarcéré en 2010 avec Beghal pour son implication dans une tentative d'évasion du terroriste islamiste Smaïn Aït Ali Belkacem.

Le 8 janvier 2015, au lendemain de l'attentat contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo commis par les frères Kouachi, il tue Clarissa Jean-Philippe, une policière de 26 ans à Montrouge et blesse grièvement un agent de voirie.

Le jour suivant, il commet une prise d'otages dans une supérette casher située porte de Vincennes à Paris, en se revendiquant de l'État islamique, assassinant quatre personnes de confession juive, dont trois clients et un employé.

Il est finalement tué à 17 h 12 lors de l'assaut donné par le RAID et la BRI.

Né en France dans une famille originaire du Mali, Amedy Coulibaly est le septième enfant, et seul garçon, d’une fratrie de dix.
Il passe sa jeunesse dans le quartier de la Grande-Borne à Grigny.
Ses proches parlent d'une « enfance heureuse et d'une scolarité moyenne ».

Alors qu'il est lycéen en classe de première « bac pro », Coulibaly devient
coutumier du braquage (vol de garage, de commerce).

 Ses proches expliquent son attitude par ses mauvaises fréquentations.

Sa haine de la police pourrait provenir (ou être aggravée) par un sentiment d'injustice à la suite du décès de son complice et meilleur ami Ali Rezgui tué par un policier au cours d'un vol.
Le fait se produit le 17 septembre 2000 à Combs-la-Ville alors qu'il s'enfuit à bord d'une camionnette chargée de motos volées et se dirige à vive allure vers un véhicule de police.

Un policier stagiaire tire sur le camion, crève un pneu, puis tire vers l'intérieur du camion, tue le chauffeur et blesse Amedy Coulibaly.
Le policier qui a tiré n'a pas été poursuivi par le parquet (non-lieu pour légitime défense).

Il est plusieurs fois jugé et emprisonné pour vols aggravés à partir de 2001.

Un vol à main armée dans une agence BNP Paribas d'Orléans le 7 septembre 2002, le mène devant la cour d'assises des mineurs du Loiret, où il est condamné, le 15 décembre 2004, à six ans de prison pour trafic de stupéfiants, recel, et pour le braquage de la banque.

 Alors qu'il est interpellé le lendemain à la suite du braquage de deux discothèques parisiennes vers 5 h du matin, Amedy Coulibaly est retrouvé porteur de billets de 5 € provenant d'une liasse piégée, volée durant le braquage de la banque.

C'est en 2005, durant son incarcération à la prison de Fleury-Mérogis, qu'il fait la connaissance de Chérif Kouachi, emprisonné pour sa participation à la filière djihadiste des Buttes-Chaumont et de Djamel Beghal, qui est devenu en prison le « mentor » de ce dernier.

Amedy Coulibaly se lie d'amitié avec Djamel Beghal qui se trouve pourtant à l'isolement, mais dans la cellule juste au-dessus de la sienne avec laquelle il communique.

Après sa sortie, Coulibaly devient dealer, ce qui lui vaut une nouvelle peine de prison d'un an et demi en 2006.

En 2008, pendant son incarcération, il organise et participe au tournage clandestin d'un documentaire dénonçant les conditions de vie dans la prison de Fleury-Mérogis, documentaire dont il signe la dédicace sous son pseudonyme de « Hugo la masse » : « à ceux qui feront tout pour ne jamais aller en prison et ceux qui feront tout pour ne jamais y retourner ».

 Après sa remise en liberté, des extraits de ce documentaire font l'objet d'un reportage de l’émission Envoyé spécial en 2009 où il est interviewé.

Un livre inspiré de ce documentaire intitulé « Reality Taule, au-delà des barreaux » (éditions Grignywood / icetream) met en vedette Amedy Coulibaly avec sa photo de dos en couverture.

Mariage religieux

À sa sortie de prison, la religion a éloigné Amedy Coulibaly de sa famille, ces « kouffars » (« mécréants » en arabe), comme il dit.

Il se marie religieusement mais pas civilement le 5 juillet 2009, avec la femme qu'il connaît depuis deux ans, Hayat Boumeddiene.
À partir de 2010, le couple vit à Bagneux.

En 2014, ils résident à Fontenay-aux-Roses.
Le couple avait l'intention de déménager prochainement, rapporte un témoin, qui les avait vus « sortir des cartons, des caisses, des livres ».

La compagne Hayat Boumeddiene

Hayat Boumeddiene est issue d'une fratrie de six enfants de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne).
Elle grandit ballotée entre foyers et familles d'accueil après la mort de sa mère en 1994, alors qu'elle est âgée de 6 ans.

Elle rompt durant des années avec son père, avant de renouer peu avant un voyage à La Mecque à l'automne 2014.

Elle pratique le port du voile intégral depuis mai 2009, ce qui l'oblige à abandonner son emploi de caissière.

Elle porte un temps la burqa, mais y renonce car la loi française l'interdit dans l'espace public puis se couvre du niqab.

Six mois avant les attentats, elle a cessé de posséder un téléphone portable.
Fin décembre 2014, elle vide ses comptes en banque.

Réinsertion professionnelle

Une fois sa peine purgée, il est embauché en contrat de professionnalisation par Coca-Cola à Grigny.
Il semble avoir tiré un trait sur son passé de délinquant; en réalité, il s'est converti en prison à l'islam radical.
Il continue de fréquenter Kouachi et Beghal.

Par deux fois, Hayat Boumeddienne accompagne son mari à Murat dans le Cantal où Beghal est assigné à résidence et où ils manient les armes et s'entraînent au tir.

En juillet 2009, il est reçu avec neuf autres personnes, comme lui en formation en alternance, au palais de l'Élysée par Nicolas Sarkozy.

Le président de la République souhaitait rencontrer des jeunes choisis par leurs employeurs, parce que les entreprises sont engagées en faveur de la formation en alternance.
Il joue au poker sur Internet et voyage avec son épouse en Crète, en République dominicaine et en Malaisie.

Coach sportif

Une ancienne cliente l'atteste, elle côtoie Amedy Coulibaly en 2009, alors qu'elle fréquente une salle de fitness de Grigny, près de la cité de la Grande Borne.

 Il est alors coach sportif, et son physique de body-builder ne lui inspire alors aucune crainte.
C'est un homme « tchatcheur et volontiers séducteur ».
Il n'a jamais abordé de sujets en lien avec la religion, encore moins sur le djihad ou ses passages en prison.

Nouvelle incarcération

Il est arrêté le 18 mai 2010, mis en examen et placé en détention provisoire quatre jours plus tard.
Il est en effet soupçonné par les services antiterroristes d'avoir participé à la tentative d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, l'un des principaux auteurs de la vague d'attentats commis en France en 1995, alors emprisonné à la maison centrale de Clairvaux.

La fouille de son domicile permet de découvrir 240 munitions 7,62 de kalachnikov.
Pour ces faits, il est condamné à 5 ans de prison ferme le 20 décembre 2013.

 En détention, il affiche à nouveau sa volonté de se réinsérer en suivant des formations de vendeur et de secouriste.

En raison des quatre ans de détention provisoire qu'il accomplit (du 22 mai 2010 au 4 mars 2014) et d'une remise de peine d'un an, Amedy Coulibaly, qui selon la chancellerie manifeste une conduite « quasi exemplaire » durant sa détention, sort de prison le 4 mars 2014 avec un bracelet électronique.
Il le garde jusqu'au 15 mai 2014, date de la fin de sa peine.

Durant l'interpellation préalable à sa condamnation, il se décrit ainsi aux policiers : « J'essaie de pratiquer le minimum obligatoire comme la prière, le ramadan, etc. J'essaie d'avancer avec la religion mais je vais doucement ».

Il peut s'agir d'une pratique de la dissimulation, la taqiya, comme le prône le mouvement radical takfir, enseigné par Djamel Beghal.

Pourtant, depuis sa cellule, avant la tentative d'évasion, Smaïn Aït Ali Belkacem passe un appel téléphonique.
Et alors qu'il ignore qu'il est placé sur écoute, il décrit Amedy Coulibaly comme  « fiable, déterminé » et « en possession de tout ce dont ils [ont] besoin » pour perpétrer le projet.

Après la sortie de prison, le couple réalise un pèlerinage à La Mecque en octobre 2014.

Contrôlé à Montrouge en août 2014

Le 30 août 2014, il est contrôlé par une patrouille de police à Montrouge en présence des frères Belhoucine et d'un quatrième homme.
Rien d'anormal, même si Amedy Coulibaly et Mohamed Belhoucine sont fichés à l'anti-terrorisme.
Ils repartent peu après.

Mohamed Belhoucine est connu des services de renseignement français, pour appartenance à une filière qui envoie des djihadistes dans la zone pakistano-afghane au milieu des années 2000.

Il sera particulièrement présent près du tueur durant les semaines de préparation des attentats des 7 et 9 janvier.

Les enquêteurs s'interrogent après les attentats sur le rôle des deux frères dans la préparation des actes terroristes.

Contrôlé à Paris en décembre 2014

Le 30 décembre 2014, Hayat Boumeddiene loue une Seat Ibiza. Le même jour vers midi, le véhicule est arrêté par deux motards de la direction de l'ordre public et de la circulation, pour un contrôle de routine dans le 19e arrondissement de Paris.

Amedy Coulibaly conduit le véhicule avec Hayat Boumeddiene à ses côtés.
Il vient d'avoir son permis de conduire le 10 décembre ; il présente ses papiers aux policiers, dont une attestation de réussite à l'examen.
Les papiers du véhicule et du conducteur sont en règle.

Les policiers respectent la procédure à la lettre et consultent le fichier des personnes recherchées (FPR).
Ladite fiche d'Amedy Coulibaly est bien signée du service demandeur « AT » pour « Anti-terrorisme » avec la mention « PJ02 ».

La mention précise que l'individu est considéré comme dangereux et appartient à la mouvance islamiste.
Le policier doit alors récolter le maximum d'informations sans éveiller les soupçons : la marque de la voiture, la plaque d'immatriculation, l'identité des passagers.

Les policiers auraient informé leur hiérarchie et les services antiterroristes.
Sans réaction de leur part, « la consigne était de ne pas l'interpeller » précise Le Canard enchaîné, selon qui « les motards n'ont donc commis aucune faute ».

Amedy Coulibaly repart de nouveau sans être interrogé, bien que le plan Vigipirate soit déjà renforcé.
Après les événements du 7 au 9 janvier 2015, Vigipirate est relevé au niveau « attentat ».

Aux États-Unis, il est référencé sur la liste Terrorist Identities Datamart Environment (TIDE) qui enregistre tout « terroriste » soupçonné ou connu.

Déplacement à Madrid

Amedy Coulibaly utilise la Seat pour se rendre à Madrid.
Il y conduit sa compagne Hayat Boumeddiene.
Dans la nuit du 1er au 2 janvier 2015, le couple traverse la frontière espagnole en voiture.

Les frères Belhoucine, Mehdi Sabry et Mohamed, la femme et le fils de ce dernier, regagnent Madrid dans deux bus Eurolines différents le même jour.

Tous à l'exception d'Amedy Coulibaly prennent l'avion de l'aéroport de Madrid Barajas pour la Turquie le lendemain, 2 janvier 2015.

Amedy Coulibaly rentre rapidement vers Paris le jour même, à tel point qu'il est flashé à trois reprises sur la route. Il restitue le véhicule le 6 janvier 2015.

De retour en France, rencontre avec Chérif Kouachi

Le 5 janvier 2015, il donne une rapide visite à sa famille à Grigny.

Il se rend en Belgique dans la nuit du 5 au 6 janvier 2015, pour récupérer l'argent de la vente du Mini Cooper d'Hayat Boumeddiene auprès du trafiquant d'armes Metim K44. Puis il revient en région parisienne pour croiser Chérif Kouachi.
Vingt-quatre heures avant le début des tueries, Amedy Coulibaly et les frères Kouachi activent une ligne téléphonique qui leur permet d'échanger discrètement.
Au total, ils échangent six SMS sur la ligne.

Dans la soirée du 6 janvier, la veille de l'attentat de Charlie Hebdo, Chérif Kouachi s'éclipse de chez lui à Gennevilliers entre minuit et 1 h du matin.
Il rencontre Amedy Coulibaly.
Les enquêteurs pensent que c'est pour synchroniser les derniers détails des attaques.

Le 7 janvier au matin, une des lignes téléphoniques d'Amedy Coulibaly reçoit encore un appel de Chérif Kouachi, depuis son domicile de Gennevilliers.
Le SMS est envoyé à peine une heure avant l'attentat de Charlie Hebdo.

Les enquêteurs ont la certitude que les attentats des frères Kouachi et de Coulibaly sont concertés.

Attentats de janvier 2015 en France

Fusillade à Fontenay-aux-Roses

Il est soupçonné durant quelques jours d'avoir tiré, le 7 janvier 2015 à 20 h 30, sur un joggeur à Fontenay-aux-Roses, Romain D., ville où il réside.
L'agressé est grièvement blessé par cinq coups de feu à l'arme automatique, dont deux tirés alors qu'il est au sol, sans aucun motif apparent.

Gravement blessé, le joggeur décrit un assaillant de type européen, mais il est flou sur la description de son agresseur. « L'exploitation balistique permettait dans la nuit du 10 au 11 janvier 2015 de faire un rapprochement entre les étuis (douilles) percutés découverts à Fontenay-aux-Roses et le pistolet automatique Tokarev découvert sur les lieux de l'hypermarché casher » précise le parquet de Paris ; les tirs de Fontenay-aux-Roses ont lieu le soir de l'attentat à Charlie Hebdo.

Rien ne permet d'attribuer formellement les tirs à Amedy Coulibaly. Le sportif qui chemine sur la coulée verte du sud parisien, ne fait que croiser l'homme armé. Il signale un tireur capuché de type européen avant de devoir être plongé dans un coma artificiel.

L'existence d'un complice est envisageable. Mais de source judiciaire, « il faut rester prudent par rapport à ces déclarations », car le témoignage du joggeur peut être fragile. La tentative de meurtre s'est déroulée à quelques centaines de mètres seulement du domicile du tueur de Montrouge et de Vincennes.
Et Amedy Coulibaly a lui-même l'habitude d'aller courir sur la coulée verte.

Après plusieurs jours d'hospitalisation, le joggeur pense se souvenir que l'homme pouvait avoir la peau noire et porter une doudoune noire avec un col en fourrure.

La PJ parisienne dispose d'un autre témoin, une joggeuse qui le 6 janvier, a elle aussi été menacée par un individu armé.
Elle a pourtant rapporté à la police avoir aperçu un homme suspect, à « la peau claire », la veille de l'attaque.

Selon le procureur de Paris, François Molins : « On peut tout imaginer. Certains enquêteurs ont émis l'hypothèse là-dessus d'un possible tir d'entraînement».

Le joggeur reconnaitra par la suite un autre complice présumé de l'affaire, arrêté en mars 2015 (voir plus loin le chapitre :
« Un cinquième complice présumé »).
En janvier 2016, le joggeur toujours lourdement handicapé répète « Pour moi, ce n'était pas Coulibaly ».

Fusillade à Montrouge

Le 8 janvier 2015 à Montrouge, vers 8 h57, il s'approche de deux policiers et de deux agents de voirie qui interviennent sur un banal accident de la circulation entre Montrouge et Malakoff, avec un fusil d'assaut et une arme de poing.

Vêtu de noir, d'un gilet pare-balles et d'une cagoule, il tue à la Kalachnikov une agent de police municipale (Clarissa Jean-Philippe) de plusieurs balles dans le dos, et blesse grièvement un agent de voirie qui aurait tenté de s'interposer, d'une balle qui lui traverse la joue.

Amedy Coulibaly abandonne sur place sa moto Suzuki de grosse cylindrée, modèle GSX-R et cherche à s'emparer d'un véhicule sans succès, puis il réussit à s'enfuir à bord d'une Clio blanche qu'il laisse à Arcueil, près d'une station de RER.

Une trace ADN, retrouvée sur la cagoule qui lui a été arrachée sur place et analysée dès minuit ce soir-là – soit un délai extrêmement court –, identifie formellement Amedy Coulibaly.

Le conducteur du premier véhicule, que n'a pas réussi à voler le meurtrier, le reconnaît également.
Les enquêteurs, connaissant sa relation avec Chérif Kouachi, puisqu'ils s'étaient rencontrés en prison dès 2005, font le lien entre les deux hommes. Dans la nuit, les forces de l'ordre perquisitionnent son domicile de Fontenay-aux-Roses.

À la suite de cette fusillade, la préfecture de police lance un appel à témoins pour retrouver Coulibaly et sa compagne.

Après la prise d'otages de la porte de Vincennes, son ADN est prélevé et comparé à celui prélevé sur la cagoule abandonnée sur les lieux de la fusillade de Montrouge.
Les analyses correspondent. Amedy Coulibaly est formellement identifié comme le meurtrier de Clarissa Jean-Philippe.

Le procureur de Paris indique que la question de la cible exacte se pose ce jour-là, car l'école juive se situe à proximité quasi immédiate du lieu où il tue Clarissa Jean-Philippe.
Le 9 janvier, lors de la prise d'otages de l'Hyper Casher de Vincennes, certains membres de la communauté juive évoquaient déjà cette hypothèse.

Voiture piégée à Villejuif

Le 8 janvier au soir, il est suspecté d'être l'auteur de l'explosion d'une Renault Kangoo à Villejuif.
Une revendication vidéo publiée sur internet au surlendemain de sa mort semble attester des faits, qui au moment de l'enquête, n'avaient pas été rapprochés à un acte terroriste.

Prise d'otages de la porte de Vincennes

Article détaillé : Prise d'otages du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Le 9 janvier 2015, vers 13 heures, il prend en otage les clients et les employés d'une supérette Hypercacher, porte de Vincennes et tue quatre d'entre eux.
Il affirme au téléphone vers 15 heures à BFM TV s'être « synchronisé » avec les tueurs de Charlie Hebdo, et se réclame de l'État islamique.
Il meurt au cours des échanges de tirs avec les policiers du RAID et de la BRI lorsqu'ils lancent l'assaut. Trois policiers et un otage sont blessés.

Enterrement

À la date du 16 janvier 2015, aucune décision n'a été prise pour la disposition du corps d'Amedy Coulibaly, conservé à la morgue.
Sa famille n'a pas exprimé d'opinion en public, à ce sujet.

Un maire de France peut refuser l'inhumation d'une personne, sauf si elle résidait dans sa commune, si elle y est morte, ou si le caveau familial s'y trouve déjà.
En revanche, il peut requérir que la tombe reste anonyme, notamment pour éviter qu'elle devienne un lieu de pèlerinage pour d'autres fanatiques.

Au 16 janvier, la mairie de Grigny, où réside une partie de la famille d'Amedy Coulibaly n'a pas reçu de demande d'inhumation, ni celle de Viry-Châtillon où il était inscrit sur les listes électorales.

Même chose à Fontenay-aux-Roses, où il résidait.
La mairie de Fontenay-aux-Roses précise par ailleurs que son cimetière ne dispose pas de carré musulman. Ou encore à Paris où il a été abattu.

Reste une dernière possibilité, le Mali, où sont nés les parents de Coulibaly.

Un transfert du corps vers Bamako est programmé pour le 21 janvier.
Mais après « un refus de dernière minute des autorités maliennes », le corps de Coulibaly est de retour à l'institut médico-légal où il était conservé.

Les autorités maliennes ne fournissent pas d'explication.
Cette situation s'apparente à celle qu'a connue Mohammed Merah, avec le refus d'inhumation en Algérie, mais il est fait mention que Coulibaly n'avait pas la citoyenneté malienne.

Le maire de Fontenay-aux-Roses demande une incinération obligatoire des terroristes.
Cette proposition polémique ne prend pas en compte la religion des défunts et de leur famille.
Or l'islam bannit l'incinération de ses rites funéraires.
Selon Mohammed Henniche, secrétaire général de l'union des associations musulmanes de la Seine-Saint-Denis :

« Ce serait répondre à une injustice par une autre injustice qui ne ferait que le glorifier ».
Finalement, le 23 janvier, Amedy Coulibaly est enterré dans la discrétion, à l'aube vers 6 heures du matin, au carré musulman du cimetière parisien de Thiais. Sa tombe est anonyme.

La mère et les sœurs d'Amedy Coulibaly condamnent les attentats de Paris et Montrouge et présentent leurs « sincères condoléances » aux proches des victimes.

Vidéo de revendication - Diffusion posthume

Dans la soirée du 10 janvier, une vidéo posthume est diffusée sur des forums djihadistes, hébergée sur le site saoudien Gulfup, dans laquelle il dévoile son nom de guerre :
« Abou Bassir Abdallah al-Ifrisi, soldat du califat » et revendique ses actes.
Il les justifie par les diverses attaques de la coalition occidentale contre l'État islamique et, selon lui, l'Islam en général.

Les enquêteurs y voient la confirmation que le terroriste était membre d'un réseau structuré.
Pourtant, si Coulibaly revendique avoir agi au nom de l'État islamique dans sa vidéo, l'organisation elle-même n'a pas revendiqué son acte.

Selon le procureur de Paris, « une partie de sa vidéo de revendication » a selon toute vraisemblance été tournée dans l'appartement de Gentilly (Val-de-Marne).
………………….
Pour Anne-Clémentine Larroque, maître de conférences à Sciences Po en Questions internationales, le djihadisme n'est pas « consubstantiel à la religion ». Bien que le Coran mentionne textuellement le jihad, « le djihadisme est un mouvement contemporain qui puise ses racines dans les thèses de deux grands idéologues » :

 « la pensée de Sayyid Qutb (1906-1966), militant des Frères musulmans qui lutta activement contre l'État de Nasser jugé « mécréant » car ne respectant pas la loi coranique et théorisa dans les années 1960 le retour à un islam politique où le jihad prend une place centrale » et « la pensée de Abul Ala Maududi (1903-1979) théologien fondamentaliste pakistanais qui à la même époque pense et encourage la lutte pour la création d'un État islamique pakistanais.

Ses thèses seront suivies par les Talibans: il prône un retour au jihad global »

Lire la suite sur Wikipédia :






mercredi 8 mai 2019

Libye

La France "réaffirme" son "soutien" à Sarraj et appelle à un cessez-le-feu
AFP – 08/05/2019.

Le président français Emmanuel Macron a “réaffirmé” mercredi le “soutien” de la France au chef du gouvernement libyen d’union nationale (GNA) Fayez al-Sarraj, a fait savoir la présidence après une rencontre entre les deux dirigeants à Paris.

M. Macron a “encouragé” un cessez-le-feu “sans conditions” après l’offensive lancée début avril par le maréchal Haftar, l’homme fort de l’est du pays, en proposant une “délimitation de la ligne de cessez-le-feu, sous supervision internationale, pour en définir le cadre précis”, a indiqué le palais présidentiel dans un communiqué.

Emmanuel Macron — NICOLAS MESSYASZ/SIPA

“Les deux dirigeants sont convenus de l’importance d‘élargir et d’approfondir le dialogue avec l’ensemble des composantes de la nation libyenne, à l’est, au sud et à l’ouest, y compris avec la société civile”, écrit encore l’Elysée.

Le maréchal Khalifa Haftar (au centre) à Benghazi, en Libye le 7 mai 2018.
Fayez al-Sarraj, Premier ministre reconnu par la communauté internationale, a accusé ces derniers jours la France de soutenir le maréchal Haftar.

Le président français Emmanuel Macron rencontre le chef du gouvernement d'union nationale Fayez al-Sarraj, à Paris, le 8 mai 2019 - ©Christophe Ena, AFP

La rencontre, à la mi-journée à l’Elysée, visait notamment à s’expliquer sur ces critiques de Tripoli que Paris juge “inacceptables et infondées” sur ce soutien supposé à l’offensive du maréchal Haftar, selon l’Elysée.

Quant à la proposition de cessez-le-feu, Fayez al-Sarraj et le GNA ont jusque-là rejeté tout accord de ce genre avant le retrait des troupes de Haftar vers les positions qu’elles occupaient avant l’attaque, dans l’est et le sud du pays.

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Crise libyenne : les pro-Haftar disent avoir abattu un avion de leurs rivaux
07/05/2019.

Les troupes loyales au maréchal libyen Khalifa Haftar ont annoncé mardi avoir abattu un avion de chasse des forces du Gouvernement d'union nationale (GNA), au sud de la capitale Tripoli, et arrêté son pilote présenté comme "un mercenaire portugais".

En proie à l'instabilité depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est le théâtre de nouveaux affrontements meurtriers depuis le lancement le 4 avril par le maréchal Haftar, l'homme fort de l'est du pays, d'une offensive sur Tripoli, siège du GNA reconnu par la communauté internationale.

De g. à d.: Ghassan Salame, représentant spécial de l'ONU pour la Libye, Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, Emmanuel Macron, président de la République, Fayez al-Sarraj, Premier ministre libyen, et le général Khalifa Haftar, à La Celle-Saint-Cloud, le 25 juillet 2017. [JACQUES DEMARTHON / AFP/Archives]

Selon une page Facebook officielle de l'Armée nationale libyenne (ANL) auto-proclamée par le maréchal Haftar, un Mirage F1 a été abattu dans la région d'al-Hira, à 70 km au sud de Tripoli.

Mardi matin, Jean-Yves Le Drian a reçu entre autres le Premier ministre du gouvernement d'union nationale reconnu par l'ONU, Fayez al-Sarraj. © LUDOVIC MARIN / AFP - Libye : les quatre principaux acteurs de la crise libyenne réunis par Macron à l'Elysée -  29 mai 2018

Jusqu'ici, les forces du GNA n'ont ni démenti ni confirmé ces informations.

L'ANL a publié des photos du pilote présumé, qui semble être blessé à la tête, affirmant qu'il s'agit d'un "mercenaire portugais".

Sur l'une d'elles, on peut voir le commandant des opérations militaires de l'ANL dans la région ouest, le général Abdessalem al-Hassi, aux côtés d'un homme recevant des soins.

L'Aquarius, affrété par deux ONG, a été prévenu par les gardes-côtes italiens de la présence d'un canot surchargé au large de Tripoli © AFP 06/05/2019 - Dimanche, les gardes-côtes libyens ont empêché un navire humanitaire de s'approcher d'une embarcation en détresse alors que des migrants étaient à l'eau.

D'autres photos et vidéos du pilote présumé, visage et uniforme maculés de sang, ont circulé sur les réseaux sociaux.


Sur l'une des vidéos de quelques secondes, prise à l'arrière d'un pick-up, un des combattants de l'ANL lui demande en anglais s'il est un militaire. "Non je suis un civil", répond-t-il.

Par Abdelali Darif Alaoui (revue de presse : Le1.ma – 10/4/19)*
Jeu hypocrite ou jeu de dupes. La communauté internationale semble victime d’un dédoublement de personnalité. Plusieurs pays adoptent un double jeu dans le dossier libyen en dénonçant du bout des lèvres et en apportant leur appui en douce. Une division qui joue en faveur des forces du Maréchal Haftar qui compte prendre le pouvoir par les armes, appuyé en cela par plusieurs pays.

Dans une autre vidéo publiée par un site internet pro-Haftar, le pilote affirme être originaire "du Portugal" et avoir 29 ans.

Interrogé sur ses activités en Libye, il a répondu: "on m'a demandé de détruire des routes et des ponts", dans le cadre d'un "contrat civil" a-t-il dit en anglais.

Poste frontière de Ras Adjair entre la Tunisie et la Libye - Par Aylan B. (revue de presse : observAlgerie – 17/4/19)* « 13 individus de nationalité française, sous couvert diplomatique, ont tenté de franchir les frontières tuniso-libyennes à bord de six voitures tout-terrain et ont refusé de rendre les armes dont ils disposaient », a souligné Abdelkarim Zbidi à la radio Shems FM, qui précise cependant que « les munitions en leur possession ont été récupérées mises en sécurité dans une caserne de Ben Guerdane ».

Interrogée par l'AFP, une porte-parole du ministère de la Défense portugais a indiqué qu'"aucun pilote de l'armée de l'air portugaise n'est porté disparu, que (l'armée de l'air) n'est pas actuellement en mission en Libye et ne possède pas de Mirage F1 au sein de sa flotte".


Mi-avril, les forces du GNA avaient affirmé avoir abattu un avion de chasse de l'ANL au sud de la capitale Tripoli.

Après une progression rapide, les troupes du maréchal Haftar piétinent depuis plus d'un mois aux portes de Tripoli, barrées par les forces loyales au GNA. Des combats se déroulent quotidiennement dans la banlieue sud de la capitale et au sud de la ville.

Photo: Agence Reuters Goran Tomasevic Installations pétrolières à Brega, en Libye.

Les deux camps s'accusent mutuellement de recourir à des mercenaires étrangers et de bénéficier du soutien militaire de puissances étrangères.
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Crise libyenne : Liaisons dangereuses
Par Gilles Munier – 11/04/ 2019

Par Abdelali Darif Alaoui (revue de presse : Le1.ma – 10/4/19)*
Jeu hypocrite ou jeu de dupes. La communauté internationale semble victime d’un dédoublement de personnalité. Plusieurs pays adoptent un double jeu dans le dossier libyen en dénonçant du bout des lèvres et en apportant leur appui en douce. Une division qui joue en faveur des forces du Maréchal Haftar qui compte prendre le pouvoir par les armes, appuyé en cela par plusieurs pays.

L’assaut sur la capitale libyenne est lancé. Après avoir conquis les villes de Sermanne et de Gherienne, toutes proches de Tripoli, les troupes du tout-puissant maréchal Haftar sont prêtes à entrer dans la ville

Le Maréchal Khalifa Haftar peut dormir sur ses deux oreilles et les poings fermés. Il a accompli sa mission : torpiller le processus politique pour imposer un état de fait par les armes. Ce 9 avril, Ghassan Salamé, émissaire de l’ONU en Libye a annoncé le report de la conférence interlibyenne en raison de la bataille de Tripoli, prévue du 14 au 16 avril courant dans le centre-Ouest du pays. «Nous ne pouvons pas demander la participation à la Conférence, au moment où les canons tirent et des raids aériens sont menés», a affirmé Ghassan Salamé, tout en affichant sa détermination à réunir les différentes parties «le plus tôt possible».

47 morts et 181 blessés dans la bataille de Tripoli

Les combats au Sud de la capitale libyenne ont fait jusqu’à maintenant 47 victimes et 181 blessés, rapporte l’Organisation mondiale de la Santé en se basant sur des statistiques des services de secours locaux, sachant que ces derniers ont des difficultés à accéder aux morts et aux blessés. Le 8 avril, Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, par la voix de son porte-parole, a fermement condamné l’escalade de la violence dans et autour de la capitale libyenne Tripoli , y compris l’attaque aérienne par un avion de l’Armée nationale libyenne (ANL) contre l’aéroport de Mitiga, et appelé à « l’arrêt immédiat » des combats.

Concerto pour une seule voix pour l’ONU

Une photo, c'est le seul bilan concret de la  L'Italie veut reprendre le leadership sur le dossier libyen pour amorcer une solution à la crise libyenne. L'homme fort de la Tripolitaine, le Premier ministre Al-Serraj, a rencontré l'homme fort de la Cyrénaïque, le général Haftar. Une poignée de main devant Giuseppe Conte lors d'une réunion informelle.

L’ONU espère donner une seconde chance au processus de négociations en espérant trouver une solution politique, ce qui n’est pas l’avis de certains pays. A commencer par la France, qui même si elle nie du bout des lèvres l’existence d’un agenda secret en Libye, a beaucoup d’intérêts économiques dans ce pays. Comment expliquer les raids aériens contre les rebelles tchadiens au Sud de la Libye concomitamment avec l’opération de nettoyage de l’Armée nationale libyenne, si ce n’est par le fait que l’ANL et la France accordent leurs violons ?

Le 6 avril dernier, dans une interview à la chaîne italienne, Sky TG24, Antonio Tajani, président du Parlement européen s’en est pris à la France et, en particulier, à son ancien Président, Nicolas Sarkozy. «Nous disions depuis toujours que la France avait des intérêts différents de ceux italiens en Libye si bien que Sarkozy était l’un des protagonistes de la chasse à Kadhafi et de son meurtre avec les Américains et les Britanniques», a-t-il déclaré dans une interview accordée le 6 avril à la chaîne Sky TG24.

Les Russes jouent un double jeu

«Il s’agit d’une erreur historique retentissante. La France pensait pouvoir peser plus en Libye mais finalement elle n’a rien pesé», a-t-il ajouté. Lors de la réunion récente à Paris des ministres de l’Intérieur du G7, Matteo Salvini a déclaré :
 « Je voudrais que personne, poussé par ses intérêts économiques et commerciaux, ne promeuve une campagne pour une intervention militaire qui pourrait être dévastatrice ».

Pour l’heure, l’Italie, rivale de la France dans ce dossier, a décidé de maintenir sa mission militaire à Tripoli et à Masrata, a indiqué aujourd’hui le ministère italien de la Défense.

La France n’est pas le seul pays à jouer un double jeu dans le dossier libyen, la Russie soutient en douce le Maréchal Haftar.

Si le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov affirme que son pays « se sert évidemment de toutes les opportunités dont elle dispose pour exhorter les parties en présence à renoncer à toute action susceptible de provoquer des affrontements sanglants ou de tuer des civils », l’on peine à le croire.

Si tel est le cas, pourquoi la Russie a usé de son véto au Conseil de sécurité pour s’opposer à une résolution citant nommément le Maréchal Khalifa Haftar ?

Les rivalités idéologiques à l’origine des manigances des monarchies du Golfe
En outre, plusieurs monarchies du Golfe ont leurs propres agendas en Libye, à commencer par les Emirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite et le Qatar.

 Auxquels, il convient d’ajouter l’Egypte qui ne veut pas d’un foyer de tension à ses portes.

Le jeu d’influence des monarchies du Golfe est une sorte de confrontation par procuration entre d’une part le Qatar qui soutient les frères musulmans et l’Arabie Saoudite et les EAU, qui appuient Haftar.

Si Fayez Al-Sarraj, le Président du gouvernement reconnu par la communauté internationale a rencontré fin février dernier à Abou Dhabi, le général Haftar, pour trouver un terrain d’entente, les bons offices se sont arrêts là.

Haftar se rendra par la suite aux EAU et en Arabie Saoudite et sera même reçu par le Roi Salmane.

Outre les dessous idéologiques de la rivalité entre le Qatar d’un côté, et les EAU et l’Arabie saoudite de l’autre, une autre piste pourrait être le renchérissement du pétrole qui permettrait à ces monarchies de récupérer d’une main ce qu’elles ont donné de l’autre.

Entretemps, le peuple libyen devra encore payer les pots cassés en raison de ses richesses pétrolières dont il ne profite pas. Le drame de l’Afrique en somme.

Abdelali Darif Alaoui est diplômé de l’Institut français de presse (IFP) de Paris et de l’Institut supérieur de journalisme de Rabat.
Après avoir entamé sa carrière dans l’audiovisuel (SNRT), il a changé son fusil d’épaule pour travailler dans la presse écrite hebdomadaire.
Tout au long de son parcours, ce journaliste polyvalent a travaillé dans plusieurs rédactions dont celles de Maroc Hebdo International, Challenge Hebdo et Le Reporter.