samedi 27 avril 2019

Sainte-Chapelle

Paris – La Sainte-Chapelle

La Sainte-Chapelle, dite aussi Sainte-Chapelle du Palais, est une chapelle palatine édifiée sur l’île de la Cité, à Paris, à la demande de saint Louis afin d’abriter la Sainte Couronne d’épines, un morceau de la Vraie Croix, ainsi que diverses autres reliques de la Passion qu’il avait acquises à partir de 1239. 

 Cliquez sur l'image pour voir le diaporama

Sainte Chapelle - Upper Chapel, Paris, France - Didier B (Sam67fr)

Elle est la première construite des Saintes chapelles, conçue comme une vaste châsse presque entièrement vitrée, et se distingue par l'élégance et la hardiesse de son architecture, qui se manifeste dans une élévation importante et la suppression quasi totale des murs au niveau des fenêtres de la chapelle haute.

Saint-Louis recevant la Sainte-Couronne, la Sainte-Croix, la Sainte-Lance et d'autres reliques, enluminure du xive siècle.

Bien qu'édifiée dans un bref délai ne dépassant pas sept ans, l'on n'a pas relevé de défauts de construction, et la décoration n'a pas été négligée.

Elle fait notamment appel à la sculpture, la peinture et l'art du vitrail : ce sont ses immenses vitraux historiés d'origine qui font aujourd'hui la richesse de la Sainte-Chapelle, car elle a été privée de ses reliques à la Révolution française, et perdu ainsi sa principale raison d'être.

Représentation du palais royal dans les Très Riches Heures du duc de Berry, où l'on aperçoit la façade de la Sainte-Chapelle avec sa rosace d'origine.

Desservie par un collège de chanoines jusqu'en 1787, la Sainte-Chapelle a été fermée au culte vers 1790, puis vidée de tout son contenu et détournée en siège du Club de la Sainte-Chapelle.

Charte de fondation de la Sainte-Chapelle par Louis IX.

En 1797, elle est transformée en dépôt d'archives du palais de justice, et l'expansion de celui-ci menace son existence même.

Son sauvetage est décidé en 1836 sous la pression de l'opinion publique, et sa restauration est lancée un an plus tard et dure vingt-six ans.
En tant qu'édifice emblématique du style gothique rayonnant, la Sainte-Chapelle est classée monument historique par liste de 1862, un an avant l'achèvement de sa restauration, qui est l'une des plus réussies de son temps.

Le chevet de la Sainte-Chapelle, intégrée dans l'actuel Palais de justice de Paris, pris depuis le Boulevard du Palais - Parsifall

Avec la Conciergerie, la Sainte-Chapelle constitue l'un des vestiges du palais de la Cité, qui s’étendait sur le site couvrant l’actuel palais de justice.
Elle est gérée par le Centre des monuments nationaux, auquel elle a été attribuée à titre de dotation par un arrêté du 2 avril 2008.

Desservi par la station de métro Cité, le monument a accueilli en 2013 plus d'un million de visiteurs, en faisant le troisième monument géré par le Centre des monuments nationaux le plus visité après le Mont Saint-Michel et l'Arc de triomphe de l'Étoile.

Dessin de la Sainte-Chapelle, dans BnF Manuscrit français 9152 : « Recherches de plusieurs singularités, par Françoys Merlin, controlleur général de la maison de feu madame Marie-Élizabeth, fille unique de feu roy Charles dernier,... portraictes et escrites par Jacques Cellier, demourant à Reims. » (1583-1587)

Cet édifice est référencé à l'Observatoire du Patrimoine Religieux Français sous la référence OPR150966

Histoire

L'acquisition des Saintes Reliques

Lors du siège de Constantinople en 1204, Baudouin VI de Hainaut accapare tout ce qu'il peut trouver dans le palais de Boucoléon, dont la Vraie Croix et la Sainte Couronne.
Ces insignes reliques ne sont pas vendues dans un premier temps, mais demeurent au domicile de l'empereur latin et se transmettent à ses successeurs.

La Chambre des Comptes et l'élévation sud de la Sainte-Chapelle au xviie siècle.
Israël Silvestre

En 1237, le dernier empereur latin de Constantinople Baudouin II de Courtenay arrive en France dans le cadre d'un voyage européen ayant pour but de trouver des alliés pour l'aider à affronter les Bulgares qui assiègent Constantinople.
Afin de financer la dépense de son empire, Baudouin met en gage la Sainte Couronne en septembre 1238, à Nicolo Quirino, un marchand vénitien proche du doge de Venise.
Il est prévu que le marchand devienne propriétaire de la relique si le gage n'est pas remboursé dans les quatre mois.

Donation faite par le roi de France Philippe IV Le Bel aux chapelains et marguilliers de la Sainte-Chapelle du palais à Paris. Paris, février 1286. Archives nationales de France.

Peu enclin à l'envoi d'une aide militaire à Baudouin, Saint Louis se montre en revanche intéressé par l'achat de la Sainte Couronne.

Après une série de pourparlers afin de vérifier l'authenticité de la relique, il acquiert la Sainte Couronne pour 135 000 livres tournois, plus de la moitié du revenu annuel du domaine royal, qui, selon de Wailly, pour les seuls revenus ordinaires, s'élevait en 1238 à 235 285 livres parisis.

Pierre-Denis Martin, Louis XV sortant du lit de justice tenu au parlement en septembre 1715.

Sous la conduite des prêcheurs dominicains Jacques et André de Longjumeau, la relique prend la route de la France en 1239.
Le 10 août 1239, elle fait une entrée solennelle à Villeneuve-l'Archevêque (Champagne), puis le cortège s'arrête à Sens le jour suivant.

Le roi, son frère Robert Ier d'Artois, évêque du Puy, leur mère Blanche de Castille et l'archevêque de Sens, Guillaume Cornut, vont à la rencontre du cortège et vérifient les sceaux, qui garantissent l'authenticité de la relique.
Le roi dépose le sien.
Ensuite le voyage se poursuit par voie fluviale.

À partir de 1524, l'Eucharistie est célébrée sur ce maître-autel en bois doré (aujourd'hui au château d'Écouen). P.poschadel

Le 18 août, la Sainte-Couronne entre à Paris, en la présence d'une grande foule de spectateurs et l'ensemble du clergé de la capitale.
Lors d'une grande cérémonie qui se tient le lendemain, la relique est déposée en la chapelle Saint-Nicolas du palais de la Cité.

Deux ans plus tard, en 1241, le roi poursuit son ambition en se portant acquéreur d'un large morceau de la Sainte Croix et de sept autres reliques de la Passion du Christ, notamment le Saint Sang et la Pierre du Sépulcre.

L'orgue de 1762, racheté par la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois.
GFreihalter

L'année suivante, ce sont des morceaux de la Sainte Lance et de la Sainte Éponge qui sont ajoutés à la Sainte Collection.

Construction de la Sainte-Chapelle

Fort de l'acquisition de cette collection de reliques, saint Louis décide de l'édification d'une chapelle conçue comme une véritable châsse pour la vénération des reliques.
Il n'a toutefois pas l'intention d'en faire un sanctuaire national ou un lieu de pèlerinage de premier ordre, ce qui est exprimé par l'absence d'accès extérieur à la chapelle haute, lieu d'exposition de la grande châsse.

Le nouvel édifice prend place dans le Palais de la Cité, principal lieu de résidence de saint Louis avec Vincennes, et remplace l'ancienne chapelle Saint-Nicolas qui est alors détruite.

Vue après l'incendie de 1630, qui détruisit la flèche de 1460, qui a été restituée approximativement en 1853. Étienne Martellange (1569-1641)

Le choix d'une implantation au sein du Palais n'est pas anodin : il affirme le lien sacré entre les reliques et la couronne royale, comme le faisaient les empereurs byzantins et germaniques, avec respectivement les chapelles des palais de Boucoléon et d'Aix-la-Chapelle.

Cette proximité a également un rôle judiciaire, car c'est sur les reliques que l'on prête serment dans les procédures entre seigneurs et vassaux.

La grande châsse.
Ransonnette. — Sauveur-Jérôme Morand, Histoire de la Ste-Chapelle royale du Palais enrichie de planches, Paris

La chapelle doit répondre à une quadruple vocation :
- écrin pour la conservation des reliques permettant également leur vénération ; - chapelle palatine ;
- siège d'un collège de chanoines ;
-et lieu de culte pour le personnel du château.

Situation de la Sainte-Chapelle en 1754 (à gauche, au milieu).

Toutes les chapelles liées à une résidence royale ou épiscopale ne réunissent pas nécessairement toutes ces fonctions.
L'exemple le plus ancien est certes la Cámara Santa d'Oviedo, qui date du milieu du IXe siècle.
C'est déjà une chapelle double.

La Sainte-Chapelle à la veille de sa restauration.
Thomas Shotter Boys (England, London, 1803-1874) — Image:

En France, la forme de la Sainte-Chapelle se cristallise avec les chapelles épiscopales de Laon, de Paris et de Noyon, et surtout celle de l'archevêché de Reims.
Elle n'est pas la mieux adaptée pour faire face à l'afflux de foules de pèlerins : l'absence de déambulatoire ne permet pas un défilement devant les reliques, et les visiteurs doivent emprunter l'un des deux escaliers à vis de la façade occidentale.

Félix Duban, architecte ayant dirigé la restauration du monument (1798 - 1870).

L'on pense que c'est la volonté de Louis IX de disposer d'un lieu de prière tranquille qui motive ce parti, et non le désir du roi de réserver les reliques à la famille royale et son entourage, ce qui cadre moins bien avec la personnalité de saint Louis.

Aussi, la chapelle ne dispose-t-elle pas d'une tribune royale, car les jours ordinaires, seulement le clergé, la famille royale et ses invités ont accès à la chapelle.

Polychromie des chapiteaux. Chapelle basse, chapiteaux au revers de la façade.
Photo Pierre Poschadel.

Elle est reliée au palais par la galerie des Merciers, qui délimite à l'ouest la cour de Mai et dessert les appartements privés du roi.

Dans la chapelle, le roi dispose d'un oratoire qui est juste une niche ménagée dans le mur de la quatrième travée, au sud.
La chapelle ne contient initialement pas de stalles : l'assistance, y compris les chanoines, prennent place sur les bancs de pierre qui courent tout autour.
Un jubé n'est installé que postérieurement, un peu à l'est de la limite entre la seconde et la troisième travée.

Article de journal sur la nouvelle flèche. In 1854, the steeple of the Saint-Chapelle Cathedral was resurrected to replace the previous one destroyed in 1792

La date exacte du début de la construction reste inconnue.
Les travaux commencent entre l'automne 1241, date de l'arrivée des reliques à Paris, et mai 1244, date à laquelle une bulle pontificale évoque pour la première fois les travaux.

Dès 1246, Saint-Louis fonde un collège de cinq maîtres-chapelains chargé de garder les reliques, entretenir les vitraux et luminaires, et célébrer le culte dans la chapelle.

Première messe de l'institution de la magistrature en 1849.
Philippe Benoist (1813-1905), lithographe, d'après un dessin d'Adolphe Jean Baptiste Bayot, (1810-18..).

L'édifice est officiellement consacré le 26 avril 1248, le légat du pape Eudes de Châteauroux consacrant la chapelle haute dédiée à la Sainte-Croix, et l'archevêque de Bourges Philippe Berruyer consacrant la chapelle basse dédiée à la Vierge le même jour.

La durée des travaux est donc comprise entre quatre et six ans, pour un coût total de 40 000 livres tournois.

La rapidité avec laquelle est menée le chantier illustre la santé financière du royaume, dont le trésor peut réunir de grosses sommes en très peu de temps.

Élévation sud. Mathae

Saint Louis est un roi bâtisseur, qui fait édifier des édifices militaires, tels que les remparts d'Aigues-Mortes et de Jaffa ;
- des bâtiments civils tels que le château de Tours,
- l'hospice des Quinze-Vingts et les
- hôtels-Dieu de Compiègne et de Pontoise ;
- et surtout de nombreux établissements religieux, tels que l'abbaye de Maubuisson fondée par sa mère en 1236, et l'abbaye de Royaumont, dont il est lui-même le fondateur.

Élévation nord.

Il pousse aussi l'abbé Eudes Clément à reconstruire la basilique Saint-Denis de Suger.
L'on sait qu'il visite personnellement les chantiers pour contrôler leur déroulement, prend une part active dans l'ordonnancement des édifices et aide parfois les ouvriers.

Façade occidentale. Tiraden

Ainsi, il est à peu près certain qu'il conçoit la Sainte-Chapelle en étroite collaboration avec le maître d'œuvre.
L'architecte chargé de la construction reste inconnu.
La tradition orale, remontant au XVIe siècle, évoque Pierre de Montreuil, architecte de la chapelle de la Vierge de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés et du bras sud du transept de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Or, seul le style de la sculpture montre un lien de parenté avec la Sainte-Chapelle.

Portail supérieur.  Wilwarin

Différentes hypothèses ont été avancées sur l'architecte principal, qui a une conception plus conservatrice de l'architecture que Pierre de Montreuil : Robert Branner évoque Thomas de Cormont, maître-maçon de la cathédrale d'Amiens, tandis que Dieter Kimpel et Robert Suckale évoquent son prédécesseur, Robert de Luzarches.
Ces hypothèses reposent notamment sur la parenté architecturale relevée entre la Sainte-Chapelle et la chapelle de la Vierge de la cathédrale d'Amiens

Vierge à l'enfant au trumeau du portail inférieur. Ibex73

Rien de précis n'est connu sur le déroulement du chantier.
Le programme architectural s'accompagne d'un programme symbolique qui se manifeste à la fois dans le contenu du reliquaire et la décoration de la chapelle haute. Les reliques provenant de l'Empire byzantin, ce que les contemporains savent parfaitement, la monarchie capétienne s'affiche ainsi comme véritable héritière de l'idée impériale, et dans le prolongement de cette idée, le pape Boniface VIII qualifie Louis IX d'empereur dans sa bulle de canonisation de 1297.

Plafond de la chapelle basse. Benh LIEU SONG

Il s'agit aussi de répondre à la translation des reliques de la Vierge de la chapelle du palais d'Aix-la-Chapelle dans une nouvelle châsse en 1238 / 1239, qui est au début d'un nouveau pèlerinage et place le Saint-Empire pour un moment au centre du monde chrétien.

À l'époque des Croisades, les Capétiens cherchent aussi à s'approprier la légitimité de la monarchie d'Israël, ce qui est facilité par la possession de la verge de Moïse, qui se trouve parmi les reliques arrivées de Byzance au début des années 1240 et est conservée dans la grande châsse des reliques de la Passion.

Vue à la fin du xixe siècle.

Louis IX a une prédilection particulière pour le culte de la Passion, et veut sans doute véhiculer une certaine image qui montre qu'il marche dans les traces du Christ, raison pour laquelle il procède au Lavement des pieds des pauvres chaque Jeudi saint.
Mais contrairement à la vision sombre du XIVe siècle, la Passion est perçue comme indissociable de la Résurrection du Christ, représentée sur une face de la grande châsse.

Abside de la chapelle basse. Chatsam

En dépit de la représentation de scènes de martyres sous les arcatures plaquées des soubassements des fenêtres, le programme symbolique de la chapelle haute et toute son architecture expriment l'optimisme, qui émane de l'élévation vertigineuse de l'espace, de la haute flèche, de la dématérialisation de l'espace où le verre le remporte sur les murs, et de l'harmonie des couleurs.

La flèche est une nouvelle tour de Babel, qui, fondée sur le Christianisme, ne s'écroule pas.
Les piliers entre les travées sont munis des statues des Douze Apôtres, qui par leur prédication ont formé les colonnes sur lesquelles repose l'église.
Les vitraux illustrent l'histoire du peuple de Dieu, et mettent en scène les précurseurs, à savoir les Prophètes et saint Jean le Baptiste.

Faux bas-côté sud. Pierre Poschadel

Dans son ensemble, le programme symbolique de la Sainte-Chapelle et la signification de son architecture sont compris et appréciés par les contemporains.

La Sainte-Chapelle constitue aussi la matérialisation réussie d'un rêve, celui d'un édifice aux murs de lumière ou d'une image du Jérusalem céleste.
C'est aussi la fusion de tous les arts du XIIIe siècle : architecture, sculpture, peinture, art du vitrail, orfèvrerie (pour les châsses), enluminure (pour les missels et évangéliaires) et musique (pour le chant des chanoines et leurs diacres).

3e travée, côté sud. Pierre Poschadel

Le service de la Sainte-Chapelle

Grâce à un privilège attaché à la couronne de France, le clergé de la Sainte-Chapelle ne dépend pas de l'évêque, ni de la paroisse sur le périmètre de laquelle le Palais de la Cité se trouve, celle de Saint-Barthélémy.
Pour que cette exemption ne soit pas contestée par l'évêque de Paris, celui-ci n'est pas invité à la cérémonie de consécration, qui est présidée par le légat apostolique et l'archevêque de Reims.

En 1273, le pape rattache officiellement le clergé de la Sainte-Chapelle au Saint-Siège.
Le clergé est installé en janvier 1246 par un acte de Louis IX appelée la « Première Fondation », et se compose de membres de trois rangs : cinq maîtres-chapelains appelés plus tard chanoines, et pour chacun parmi eux, un sous-chapelain et un diacre ou sous-diacre.

Fenêtre de l'abside. Pierre Poschadel

Le temporel est administré par deux marguilliers, dont les postes sont toutefois supprimés sous Philippe le Hardi.
Par contre, son petit-fils Philippe V de France double le clergé.
S'y ajoutent des sous-chapelains ou chapelains perpétuels de fondation, qui sont attachés à l'un des autels secondaires, et ont comme attribution de lire des messes pour les défunts de la famille royale.

Ces chapelains perpétuels ne font pas partie du collège des chanoines, qui par ailleurs n'est jamais érigé en chapitre, et la Sainte-Chapelle ne devient pas une collégiale, afin de ne pas conférer au collège les droits supplémentaires qui en auraient découlé.

Chapelle basse, abside, côté sud. Pierre Poschadel

Le chef des maître-chapelains est le trésorier, car sa principale responsabilité est la garde du trésor. Il est en même temps curé de la Sainte-Chapelle, et veille sur les âmes de son clergé, de son personnel laïque et de certains officiers du palais, dont le concierge.

Le second personnage le plus important de la Sainte-Chapelle est le chantre, qui doit être présent à l'ensemble des offices et diriger le chœur à toutes les fêtes, ce qui représente de telles contraintes qu'il s'avère souvent difficile de trouver une personne qui accepte d'être nommé chantre.

Chapelle basse, médaillon au revers de la façade. Pierre Poschadel

Tout le clergé de la Sainte-Chapelle est astreint à résidence au palais. Il gagne des salaires confortables, et les maîtres-chapelains roulent en carrosse et ont une écurie de quatre chevaux, mais les logements de service sont exigus et insalubres.

Ce sont les grandes cérémonies qui ponctuent la vie de la Sainte-Chapelle tout au long de l'année.
Il convient de distinguer celles se rapportant aux reliques de la Passion, qui sont au nombre de trois et ont été instituées par saint Louis, et celles se rapportant au culte de Saint-Louis lui-même, instaurées après sa canonisation en 1297, et qui sont au nombre de deux.
Le roi assiste bien sûr à ces cérémonies, mais sa présence lors des autres messes est plutôt exceptionnelle.

Médaillon côté ouest. Pierre Poschadel

Pour des hôtes ou des personnages de marque, le roi fait parfois célébrer des offices extraordinaires afin de faire profiter ses invités des vertus des reliques.

D'autres cérémonies sont celles découlant de privilèges accordés à de nombreux ordres religieux ; ils peuvent venir tel ou tel jour de l'année et célébrer une messe avec leur propre clergé.

La nuit du jeudi au Vendredi saint, la Vraie Croix est exposée à l'intention des malades, notamment celles atteintes d'épilepsie, ce qui se finit souvent par des crises d'hystérie de masse.

La Chapelle haute. Didier B (Sam67fr)

Des messes sont célébrées quotidiennement dans la chapelle haute et dans la chapelle basse, les unes destinées à la cour, l'autre destinée au personnel du palais et de la Sainte-Chapelle.

La qualité de la musique chantée atteint un haut niveau, et parmi les maîtres de musique, une autre charge qui existe à la Sainte-Chapelle, l'on trouve des musiciens et compositeurs reconnus tels que Marc-Antoine Charpentier (1698-1704) et Nicolas Bernier (1704-1726).
Un orgue est attesté dès le début ; il est remplacé en 1493, 1550 et 1762.

Abside. Pierre Poschadel

Un vicaire désigné parmi les chanoines est responsable de la chapelle basse, assisté par l'un des chapelains.
Tout le reste du clergé n'intervient que dans la chapelle haute, sauf bien sûr les nombreux chapelains perpétuels qui disent les messes de fondation devant les autels latéraux, qui sont répartis sur les deux chapelles.

Les messes de fondation ne sont pas à confondre avec les célébrations eucharistiques s'adressant au cercle de fidèles qui ont accès à la chapelle ; elles se déroulent en silence et souvent sans assistance.

Tribune des reliques. Pierre Poschadel

La Liturgie des Heures est instaurée par Charles VI en 1401, mais il s'avère que ces offices sont peu fréquentés par le clergé lui-même.
Il paraît que les obligations et devoirs des chanoines soient si nombreux qu'ils finissent par ne plus être observés ; aussi, des réformes doivent-elles être menées à trois reprises, en 1475, 1521 et 1681, chaque fois, à l'initiative du roi.

Si le Palais de la Cité est abandonné comme résidence royale par Charles V, la Sainte-Chapelle est honorée par toutes les dynasties qui se succèdent, et même quand Paris est gouverné par le duc de Bedford après la Bataille d'Azincourt en 1415, celui-ci tient à respecter les usages.

Polychromie architecturale. Joe deSousa

Cependant, des mariages royaux et sacres ne sont plus célébrés dans la Sainte-Chapelle depuis la fin du XIVe siècle.
Jusque-là, on peut notamment citer le sacre et couronnement de la princesse Marie de Brabant lors de ses noces avec Philippe le Hardi, le 24 juin 1275 ;
- le mariage du futur empereur Henri VII du Saint-Empire avec Marguerite de Brabant le 9 juin 1292 ;
- le sacre et couronnement de la princesse Marie de Luxembourg lors de son mariage avec Charles IV le 15 mai 1323 ;
- le couronnement de Jeanne d'Évreux le 11 mai 1326 ;
- et le couronnement d'Isabeau de Bavière en 1389.

Vue vers le sud-est. Joe deSousa

Puis la Sainte-Chapelle n'est plus retenue que pour les services funéraires, notamment celui de Philippe le Long, fêté en grande pompe chaque année jusqu'à l'époque de Louis XIV.

Après la mort de Louis XV en 1774, un différend à propos du droit de choisir l'orateur funèbre et de dresser la liste des invités, éclate entre la Chambre des Comptes et le collège des chanoines.
La conséquence est un ordre du roi Louis XVI, interdisant pour l'avenir tout service funéraire dans la Sainte-Chapelle.

L'un des Apôtres. Didier B (Sam67fr)

Des querelles et procédures judiciaires intentées par des membres de son clergé à d'autres instances officielles ponctuent par ailleurs l'histoire de la Sainte-Chapelle.

Vers l'extérieur, les chanoines donnent souvent une image d'âpreté au gain et de mesquinerie ; ils sont suspicieux et défendent jalousement leurs nombreux privilèges.
Au détriment du règlement, ils cumulent parfois les fonctions et négligent leurs missions principales.

Décor au revers de la façade. Conxa Roda

Au XVIIIe siècle, la philosophies des Lumières contribue à une mise en doute de l'authenticité des reliques et discrédite leur vénération.
Le 11 mars 1787, le Conseil du roi de France décide une rationalisation administrative et financière des différentes Saintes-Chapelles du royaume.

Les biens et droits du collège de chanoines sont mis sous séquestre, et les nominations aux postes vacants sont interdites.
Ainsi, la Sainte-Chapelle tombe dans une léthargie deux ans avant la Révolution française.

Baldaquin de la tribune. Joe deSousa

En 1790, la chapelle basse de la Sainte-Chapelle est cependant encore le siège de l'une des 52 paroisses urbaines du diocèse de Paris.

Elle est ouverte aux habitants du palais de Justice et de ses dépendances.
Son curé depuis 1784, l'abbé Jean-François Roussineau, prête le serment constitutionnel avec les treize autres prêtres qui composent le clergé de cette paroisse.

Détail de la tribune. Ciptur

En février 1791, par une suite de décrets de l'Assemblée Constituante pris sur une proposition de la mairie de Paris, la Basse-Sainte-Chapelle, comme les neuf autres églises de l'ile de la Cité, perd son statut de siège de paroisse au bénéfice de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Le reliquaire et son évolution

Les reliques les plus insignes sont conservées dans la grande châsse qui trône dans l'abside de la chapelle haute, d'abord sur une plate-forme accessible par une chapelle, puis à partir de 1254 environ sur l'édicule voûté que l'on voit actuellement, accessible par deux escaliers à vis en bois, et abrité symboliquement par un dais.

Vitraux de la 4e travée et de l'abside. Oldmanisold

La grande châsse est un coffre-fort d'orfèvrerie de 2,70 m de large, avec deux vantaux extérieurs s'ouvrant à l'arrière, et deux vantaux intérieurs en treillis comme seconde protection.
Le roi porte les dix clés sur lui-même en permanence, et ne les confie à des personnes de confiance que contre signature de lettres de créance.

Rosace occidentale : l'Apocalypse. Didier B (Sam67fr)

L'intérieur renferme plusieurs reliquaires sous la forme de croix, vases, bustes et tableaux.
Ils contiennent :
- la Sainte Couronne ; du Sang du Christ ;
- une grande partie du bois de la lance ;
- des morceaux du fer de la lance, du manteau de pourpre, du roseau, de l'éponge, du Saint-Suaire ;
- du linge dont le Seigneur s'était servi au lavement des pieds ;
-  les menottes ;
-un morceau de la pierre du Saint-Sépulcre ;
- une Sainte-Face ;
- la Croix de la Victoire ;
- des drapeaux de l'Enfance ;
- du lait de la Vierge ;
- des cheveux de la Vierge ;
- des morceaux de son voile ;
- du sang miraculeux sorti d'une image du Christ frappé par un infidèle ;
- le haut de chef de saint Jean-Baptiste ;
- la verge de Moïse.

Sainte-Chapelle de l'abbaye Saint-Germer-de-Fly. Chatsam

Afin de faciliter l'exposition aux fidèles, un mécanisme de pivotement permet de retourner la grande châsse sur son axe.
Son décor était architecturé, et comportait des bas-reliefs sur trois côtés : la Crucifixion à l'ouest, la Flagellation du Christ au nord, et la Résurrection du Christ au sud. —
La Sainte-Chapelle possède bien sûr une grande quantité d'autres reliques, dont la plupart sont conservées dans deux grandes armoires dans la sacristie, en réunion avec de petits objets précieux.

Vingt-sept ans après sa mort, Louis IX est canonisé par le pape Boniface VIII, comme avant lui les souverains Clovis et Charlemagne.
Cette formalité est importante pour la royauté française, car elle honore toute la dynastie Capétienne et assoit plus solidement le pouvoir royal.

L'église espère pour sa part des faveurs de la part du roi de France, et plus particulièrement la protection de la monarchie pontificale.

Le corps de saint Louis est levé dans le cadre d'une grande cérémonie en la basilique Saint-Denis, le 25 août 1298.
Puis la nouvelle châsse d'argent est portée en procession à la Sainte-Chapelle.

Philippe le Bel veut bien qu'elle y reste pour toujours, mais les religieux de l'abbaye Saint-Denis s'y opposent, et en février 1300, la châsse rejoint la nécropole royale de la basilique de Saint-Denis.

Au bout de six ans de négociations avec le pape et les moines de Saint-Denis, le roi obtient finalement de pouvoir retirer la tête de son ancêtre, sauf la mâchoire inférieure, et la place dans un reliquaire d'or le 17 mai 1306.
Celui-ci est transporté à la Sainte-Chapelle, près de laquelle le Parlement de Paris a désormais son siège définitif : la présence de la relique, symbole d'un roi qui incarnait l'équité et la justesse, doit rappeler aux juges qu'ils doivent maintenir les lois, protéger les gens de bien et rendre justice à tous.

Ainsi, la Sainte-Chapelle devient en quelque sorte le chef du royaume.

La valeur inestimable des reliques de la Passion n'empêche pas les souverains successifs d'en prélever des parcelles afin de les offrir à des communautés monastiques et des évêques en France et à l'étranger, car le partage des reliques ne diminue pas leur sainteté.

Louis IX lui-même instaure cette pratique dès 1248, quand il offre des parcelles à l'évêque de Tolède.
Ainsi les reliques se multiplient, et pour ne prendre que l'exemple de la Vraie Croix, huit reliquaires en ont été créés en province.

Tant que les bénéficiaires sont des établissements religieux, ces générosités sont honorables, mais quand Charles VI offre des ossements de saint Louis aux ducs de Berry et de Bourgogne en 1492, les moines de Saint-Denis décident de ne plus ouvrir la châsse.
Il s'agit en l'occurrence d'un usage des reliques à des fins purement personnelles.

En 1672 encore, la reine Marie-Thérèse d'Autriche abuse des reliques dans le même sens, et fait prélever un morceau de la Vraie Croix destiné à son fils, Louis-François de France, afin de le préserver d'accidents.

Même des vols diminuent le reliquaire : des morceaux de la Vraie Croix enfermés dans des reliquaires séparés sont subtilisés en 1534 et 1555 et ne seront jamais retrouvés.
Puisque le cercle de personnes y ayant accès est restreint, on soupçonne en 1555 Henri III et sa mère Catherine de Médicis d'avoir porté en gage l'objet en Italie.

Pour calmer les rumeurs, le roi prélève un autre morceau de la Vraie Croix et le place dans un reliquaire identique à celui qui vient d'être volé.
Mais, il retire aussi cinq gros rubis de la Sainte Couronne, estimés à 250 000 écus, afin de les mettre en gage.

En 1562, Charles IX retire des ornements à plusieurs reliquaires et les envoie à la Monnaie pour y être fondus.

La Révolution française signifie la fin du reliquaire de la Sainte-Chapelle. Contrairement à ce qui s'observe ailleurs, les reliques elles-mêmes ne sont pas profanées, car du fait de leur antiquité, elles imposent le respect même aux révolutionnaires non croyants.

Alors que la grande châsse est fondue en 1791, et les reliquaires en 1791 et 1793 surtout, toujours dans le but de récupérer les métaux précieux, les reliques sont confiées à Jean-Baptiste Gobel, évêque constitutionnel.

Elles sont transportées à Saint-Denis, et c'est là que beaucoup parmi elles disparaissent dans des conditions pas encore élucidées.
La Sainte-Couronne est déposée dans le cabinet des Antiques en 1793, et remise au cardinal Jean-Baptiste de Belloy en 1804.
Elle est conservée aujourd'hui au trésor de Notre-Dame de Paris.

Le camée du Triomphe de Germanicus et le buste de Constantin sont envoyés au cabinet des Médailles, et le missel et trois évangéliaires avec des plats de reliure en or au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.

Le reliquaire de « la pierre du sépulcre » et la Vierge d'ivoire sont conservées au département des Objets d'art du musée du Louvre ; et le reliquaire de saint Maxien, saint Lucien et saint Junien au musée de Cluny

Lire la suite sur Wikipédia


vendredi 26 avril 2019

Pollution

Plus de 3 milliards de tonnes de bombes chimiques présentes dans la mer du Nord et la mer Baltique.

Selon l’Institut océanographique de Moscou, il suffirait qu’1/6ème de ces substances s’échappent dans la Baltique pour éradiquer toute forme de vie sous-marine pendant un siècle.

15 avril 2019 - Laurie Debove

On connaît la pollution plastique qui ravage nos mers et océans, mais il en existe une autre, bien plus pernicieuse.

Après les deux Guerres Mondiales, les Alliés ont jeté des centaines de milliers d’armes chimiques et conventionnelles au fond de la mer du Nord et la mer Baltique.
Aujourd’hui, l’érosion des fuselages menace d’éradiquer la vie sous-marine.

Vidéo

Cent ans après la Première Guerre mondiale, les armes créés pour les deux conflits qui ont ravagé l’Europe menacent toujours l’humain et son environnement.

Caisses de munitions japonaises jetées par des prisonniers de guerre (japonais) en mer au large de Singapour. Ces munitions avaient été trouvées dans l'île par les Britanniques lors de la réoccupation de Singapour par le Royaume-Uni lors de la Seconde Guerre mondiale (photo d'archive ; collections de l'Imperial War Museums).

Au total, près de trois milliards de tonnes d’armes, chimiques et conventionnelles, auraient été coulées en mer du Nord et en Baltique pour s’en débarrasser à la fin des guerres.

Dans son documentaire « Menaces en mers du Nord », Jacques Lœuille nous prévient des conséquences terribles qui pourraient advenir.

Le Congre recherche instinctivement des vides tubulaires horizontaux. Il risque donc plus que d'autres espèces de pénétrer des douilles corrodées (de torpilles, bombes ou d'obus à demi vidées de leur contenu).. ou de s'introduire dans les interstices de piles de munitions. Là il peut être en contact avec des toxiques fuyant de munitions corrodées. Une étude récente (2012) a montré que des Congres européens vivant près d'un dépôt de munitions immergées contenaient plus de mercure et d'arsenic qu'ailleurs et qu'ils présentaient parfois de graves lésions cutanées

Au début du XXème siècle, la mer du Nord a été la scène de guerre des pays industriels, avec le développement de nouvelles armes : sous-marin, avions, tanks, armes chimiques…

Femmes fabriquant des obus dans une usine de munition. Chaque obus et douille contiennent respectivement un gramme de mercure toxique. Environ un milliard d'obus a été produit entre 1914 et fin 1918

Une fois les conflits terminés, les militaires se sont débarrassés des armes restantes en les immergeant dans des étendues d’eau.
Près de la ville de Knokke, en Belgique, 35 000 tonnes d’armes chimiques ont ainsi été jetées en mer, certaines reposant à moins d’un mètre de profondeur.

A l’époque, les autorités répondent au Maire, qui s’inquiète d’une pollution environnementale ou de l’explosion des armes, par « c’est la solution la plus rapide, et les dangers évoqués ne se présenteront pas. »

La frégate italienne Granatiere (115 m et 180 marins64). En 2010, sous le commandement de l'OTAN, elle soutient une opération de déminage et d'assainissement des fonds sous-marins sur l'espace maritime du futur Parc naturel marin des trois estuaires, devant la Baie de Somme - Javier Bueno Iturbe

Une arme chimique est d’abord un agent toxique, une substance capable d’avoir un effet toxique sur sa cible, couplé avec un système de dissémination (bombe, aérosol, grenade).

Le gaz moutarde est en fait un liquide à l’aspect sirupeux, et peut se répandre dans la Mer une fois sa carcasse métallique érodée… avec des conséquences dramatiques.

Timbre alertant sur les conséquences des immersions de munitions et de déchets pour les Îles Féroé qui dépendent beaucoup de la pêche, et où les enfants sont victimes d'une nourriture polluée par le mercure.

Selon l’Institut océanographique de Moscou, il suffirait qu’1/6ème de ces substances s’échappent dans la Baltique pour éradiquer toute forme de vie sous-marine pendant un siècle.

« Ce que l’on sait de l’état de l’eau et des sédiments, c’est que partout où des munitions ont été déversées, on trouve des traces de substances qui s’échappent des munitions corrodées.

Au niveau des sédiments et des eaux profondes, il y a un risque réel de voir les animaux marins métaboliser ces substances : pour nous il s’agit d’une véritable bombe à retardement pour l’écosystème. » Thomas Lang, biologiste Marin

Le plus préoccupant, c’est le manque de suivi sérieux de l’état d’avancement d’érosion des armes.

La dernière vérification officielle a eu lieu en 1972 pour certaines zones, les fuselages peuvent aussi bien être encore intacts que déjà corrodés, répandant leur poison dans l’eau.

En France, ces zones sont classées « secret défense » et l’accès aux archives militaires est interdit, compliquant la tâche aux spécialistes qui voudraient étudier le sujet.



Si certaines zones sont d’ores et déjà recensées, et même interdites à la pêche, d’autres ont donc été oubliées et sont redécouvertes au hasard.

En cherchant des déchets nucléaires au large de Cherbourg, Greenpeace a ainsi trouvé des armes chimiques qui avaient été rejetées.

Parfois, des pêcheurs remontent des bombes dans leurs filets et sont sérieusement blessés comme le pêcheur Danois Walther Thorsen en 2004.
La peau de ses mains a été totalement brûlé après que du gaz moutarde se soit échappé d’un bidon gris qu’il avait pêché.

En 2005, trois pêcheurs ont été tués par l’explosion, sur leur bateau de pêche, d’une bombe datant de la Deuxième Guerre mondiale et prise dans leurs filets dans la partie méridionale de la mer du Nord.

Le Danemark est le seul pays de la Baltique à indemniser les pêcheurs contaminés, ce qui lui permet de recueillir des statistiques sur la quantité d’armes remontées et les zones où elles sont trouvées.

L’Allemagne possède l’un des centres à la pointe de la technique de décontamination en Europe, piloté par la société publique GEKA.
Mais la France ne fait que repousser le problème…

Pour les experts interrogés dans le documentaire, le devenir de ces armes devrait être un sujet public. Ils craignent que la décontamination laissée aux militaires n’avance pas en raison de choix économique :

« Si les autorités militaires ont le choix entre acheter un nouvel appareil de guerre ou dépenser de l’argent pour nettoyer un site, à votre avis que choisiront-elles ? »

Pour le réalisateur du documentaire, le problème des armes chimiques vient s’ajouter à celui du réchauffement climatique et de la pêche industrielle.

La plus grande menace aujourd’hui n’est donc plus militaire, mais environnementale.

Faut-il attendre une catastrophe maritime sans précédent pour se décider à déminer les zones connues ?

15 avril 2019 - Laurie Debove
…………………..

Fuites toxiques avérées

Il faut environ 80 ans pour qu'une munition commence à fuir. La corrosion des munitions est source fuite de produits toxiques « différés dans le temps et l'espace », encore sont mal évaluée, d'abord car la situation est en quelque sorte "nouvelle" dans l'Histoire environnementale, mais aussi parce qu'en Europe le secret a longtemps concerné les décharges marines de munitions.

Ce n'est qu'en 2005, que le public anglais a appris que la Fosse de Beaufort contenait plus d'un million de tonnes de munitions noyées là durant plus de 40 ans.

Et concernant la France qui semble être l'un des pays plus touchés au monde par les immersions de munitions, ce n’est qu’en 2005 qu'une première carte officielle, peu précise et sans données quantitatives, a été publiée (avec cinq ans de retard car ces cartes devaient être publiées avant l'an 2000, en application de la convention de Londres et conformément aux engagements des pays membres de la commission OSPAR).

Les responsables de ces immersions semblent avoir longtemps pensé qu'il y aurait dégradation puis dilution des toxiques chimiques.

Or, au moins dans les eaux froides, la plupart des toxiques des munitions sont restés parfaitement actifs après 80 ans, certains ne sont ni dégradables ni biodégradables (mercure, par exemple) et ils peuvent être rapidement reconcentrés par les organismes filtreurs et par la chaîne alimentaire.

Plusieurs types de risques indirects sont à prendre en compte, pouvant parfois additionner leurs effets sous forme de contaminations de l'écosystème et/ou de matériaux marins (gravières, extraction de sable) susceptibles d'être utilisés.

Fuites chroniques

Des études récentes (en Mer baltique où une soixantaine de site d'immersion étaient repérés en 200912 mais où des décharges de munitions auparavant non documentées ont été récemment découvertes (dans la fosse de Gdansk), Belgique) et de nombreux indices laissent penser que le plomb, le mercure et les gaz ou liquides toxiques ainsi que les explosifs des munitions de 1914 (ou ultérieures), et le nitrate (propulsif) ou le phosphore et les métaux qui constituent les enveloppes, douilles ou chemisages des munitions immergées ont commencé à fuir dans l'environnement et qu'ils pourraient significativement affecter les écosystèmes terrestres et aquatiques, notre alimentation et notre santé.