Par Bernadette Arnaud - 02.05.2018
– Sciences et Avenir.
Les restes de 140 enfants
sacrifiés au XVe siècle lors d’un rituel de masse ont été exhumés en Amérique,
dans une région où était présente la civilisation précolombienne des Chimu.
CIVILISATION
PRÉCOLOMBIENNE.
Certains corps
affleuraient, d'autres avaient le crâne maculé de cinabre leur donnant un
aspect rouge sang… 140 enfants et adolescents ainsi que 200 jeunes lamas ont
été immolés il y a 550 ans sur les bords du Pacifique, au cœur de l'empire
Chimu, une importante civilisation précolombienne (1000 – 1470) antérieure aux
Incas.
Une cérémonie d'une
ampleur jamais décrite jusque-là.
“J'ai étudié de nombreux
cas de sacrifices de prisonniers de guerre, ou encore de serviteurs exécutés
avec leurs maîtres, mais je n'avais jamais rien vu de tel !”, assure John
Verano, anthropologue à l'université de Tulane (États-Unis), joint par Sciences
et Avenir.
Le 26 avril 2018, la revue
National Geographic a pourtant rapporté la découverte de ce qui est présenté
comme le plus grand cas identifié de sacrifices d'enfants.
Les analyses radiocarbones
datent le massacre entre 1400 et 1450
Baptisé Huanchaquito-Las
Llamas, le site où les petites victimes sont en fait régulièrement exhumées
depuis 2011 se trouve localisé à proximité d’une route, au milieu d’une zone
urbaine, sur une hauteur, à environ 300 m au-dessus du niveau de la mer, dans
le nord du Pérou.
Là, dans la province de
Trujillo, les datations radiocarbones de ces restes humains ont permis de
situer l’hécatombe entre 1400 et 1450.
Avec son lot de détails
macabres. “Les squelettes humains autant qu’animaux portaient des traces
d’entailles au niveau du sternum… indiquant l’ouverture de la poitrine de ces
enfants pour en extraire le cœur ”, précise John Verano.
Car c’est bien un rituel
de sacrifice humain avec cardiectomie — ablation du cœur de la cage thoracique
— qui a été pratiqué à Huanchaquito au XVe siècle sur ces enfants âgés de 5 à
14 ans.
Jamais autant de jeunes
n'avaient été sacrifiés en une seule fois
Dès les premières
découvertes de 2011, ces recherches entreprises avec la participation
d’archéologues français et péruviens avaient déjà attiré l’attention. “La
quantité de corps d’enfants et de lamas exhumés était complétement inédite”,
déclare Nicolas Gopfeart, archéologue français du CNRS, qui étudie actuellement
un autre gisement du même type.
“Les camélidés ont sans
doute été tués pour « accompagner » les enfants dans l’au-delà.”
Certains portaient encore
autour du cou les cordes qui avaient servi à les conduire.
“Ces pratiques étaient
connues chez les Incas, successeurs des Chimus, ou encore les Mayas et les
Aztèques, mais jamais autant de jeunes n’avaient été sacrifiés en une seule
fois et à une telle échelle”, déclare John Verano.
À son apogée, l’empire
Chimu, dont la capitale Chan Chan se trouve à 1,5 km du site de Huanchaquito,
contrôlait un territoire de près de mille kilomètres le long de la côté
Pacifique.
Or qu’a-t-il pu se
produire pour amener ces populations à accomplir un tel geste ?
Une importante coulée de
boue dégagée lors des fouilles pourrait fournir un indice : des pluies
torrentielles et d’importantes inondations sur le littoral habituellement aride
sont peut-être à mettre au crédit d’un événement climatique El Nino particulièrement
violent.
(En 1982-1983, un pareil
épisode a produit des effets dramatiques dans le nord du Pérou, où plus de 250
cm de pluie sont tombées en quelques mois, détruisant tout).
Événement climatique et
colère divine
Au XVe siècle, ce type de
calamités a pu être à l’origine de ravages dans la pêche côtière autant que
dans les cultures Chimu, poussant les habitants de la région à ces extrémités.
“Au sein des populations
précolombiennes, la religion imprégnait tout le système de pensée.
Il n’y avait aucune
différence entre phénomènes naturels et surnaturels.
Pour la plupart de ces
hommes, la nature pouvait être terrifiante, et les catastrophes climatiques
synonymes de destruction et de mort.
Tant par leurs ravages
immédiats que par les famines qui
suivaient dans ces régions désertiques littorales”, explique l’archéologue
Claude Chauchat (CNRS), spécialiste du peuplement ancien de la côte nord du
Pérou.
Devant la terreur
qu’inspiraient les colères divines, les populations du littoral Pacifique ont
pu avoir recourt aux sacrifices humains pour tenter d’apaiser les dieux, et
dans le cas de Huanchaquito, face à l’échec possible d’autres sacrifices, leurs
offrir ce qu’ils chérissaient le plus : leurs propres enfants.
"Ce rituel semble
proche de ceux de Capacocha, également pratiqués par les Incas plus tard.
Liés aux précipitations et
manifestations naturelles exceptionnelles, ces rites impliquaient aussi des
sacrifices d'enfants (en général les plus beaux ou ceux appartenant à des
caciques), autant que de lamas de couleurs spécifiques comme ceux marrons,
blancs, ou noirs, associés à différents aspects de la divinité créatrice:
Wiracocha ou son équivalent chimu et côtier", a précisé Patrice Lecoq,
maître de conférences en archéologie andine, à l'université Paris-I.
De nouvelles recherches
sont actuellement menées sous la direction d’Oscar Gabriel Prieto, de
l’Université nationale de Trujillo (Pérou).
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