Par Sciences et Avenir avec AFP – 05/12/2018.
La ville de Iakoutsk, en Sibérie, est bâtie sur le
permafrost.
Un immeuble fragilisé par
la fonte du permafrost et fissuré à Lakoutsk, en Sibérie. MLADEN ANTONOV / AFP
Sa fonte provoque déjà l'effondrement des bâtiments et la
dégradation des infrastructures.
Les habitants luttent pour obtenir des lois nationales de
protection de ces terres gelées.
Édouard Romanov enjambe des câbles électriques, l'index
pointé vers un immeuble de neuf étages : un des pilotis soutenant le bâtiment
s'est déplacé et commence à se fissurer, dans cette région de Sibérie où la
fonte du permafrost sous l'effet du réchauffement climatique met en danger la
société entière.
"L'immeuble a penché d'environ 42 centimètres"
en deux ans, explique cet ouvrier du bâtiment et activiste de Iakoutsk,
capitale de la Iakoutie, région de Sibérie réputée la plus froide de la
planète.
"Il risque de s'incliner encore davantage",
ajoute-t-il, tandis qu'autour de lui, des ouvriers s'activent par -35°C pour
effectuer des travaux d'urgence sur le bâtiment.
Pergélisol en français, permafrost en
anglais, ces sols gelés toute l'année recouvrent 25% des terres émergées de
l'hémisphère nord, notamment en Russie, au Canada et en Alaska AFP/ARCHIVES - MLADEN ANTONOV
De nombreuses habitations de cette ville de 300.000
habitants sont comme celle-ci, constituées de panneaux de béton reposant sur
des pilotis qui assurent la ventilation du dessous du bâtiment afin qu'il ne
réchauffe pas le permafrost.
Ces sols gelés recouvrent environ 65% de toute la Russie
et la quasi-totalité de la Iakoutie, qui borde l'océan Arctique et dont le
territoire est environ cinq fois plus grand que la France.
Le permafrost, une couche minérale cimentée par la glace,
ne reste stable que si l'eau est gelée.
Si la température augmente trop, la glace peut fondre et
provoquer un affaissement du permafrost et de tout ce qu'il porte : les routes
et habitations, mais aussi les lacs et les fertiles terres agricoles noires.
Les infrastructures ne sont pas adaptées
Les habitants de Iakoutsk, la plus grande ville du monde
construite sur du permafrost, craignent donc tout particulièrement les dangers
provoqués par la fonte des glaces.
La plupart des bâtiments soviétiques à plusieurs étages
de la ville n'ont pas été construits pour résister au réchauffement climatique.
Dans les années 1960, la norme consistait à planter des
poutres à six mètres de profondeur dans le permafrost solide, ce qui n'est plus
suffisant aujourd'hui, explique Edouard Romanov.
Certaines habitations ont ainsi dû être démolies,
devenues trop dangereuses. D'autres sont pleines de crevasses et les habitants
tentent de calfeutrer les ouvertures pour se protéger du froid.
"Tout Iakoutsk est en danger : les propriétaires risquent
de perdre leurs biens ; et personne n'est prêt à ça", regrette M. Romanov.
"Ces problèmes vont se multiplier à l'avenir, nous
devons commencer à nous en occuper aujourd'hui", poursuit-il.
D'autant que selon des estimations, la Russie se
réchauffe environ 2,5 fois plus vite que le reste du monde.
Les habitants de Iakoutsk racontent qu'il y a vingt ans,
l'école pouvait être annulée pendant des semaines quand les températures
descendaient en dessous de -55 degrés.
Les enfants jouaient alors au hockey. De telles
températures sont désormais rares et le thermomètre a affiché en moyenne 2,5
degrés supplémentaires au cours de la dernière décennie, affirme Mikhaïl
Grigoriev, vice-directeur de l'Institut russe du permafrost de Iakoutsk, le
seul institut au monde dédié à ce phénomène.
La fonte du permafrost libère des polluants
Le ministère de l'Environnement russe a reconnu dans son
dernier rapport annuel que la dégradation du permafrost posait de nombreux
risques pour les populations et la nature, les infrastructures menacées
comprenant des canalisations d'eau et des égouts, des oléoducs et des
structures de stockage de déchets chimiques, biologiques et radioactifs.
La fonte du permafrost risque en outre d'accélérer la
propagation des polluants, selon ce rapport.
À Iakoutsk, le réchauffement n'est "pas
critique", indique M. Grigoriev, mais il pourrait mettre la ville en péril
au cours des prochaines décennies, notamment si les vieilles canalisations
fuyantes des bâtisses soviétiques accélèrent la fonte.
Mais M. Grigoriev s'inquiète surtout pour le permafrost
situé plus au sud, celui qui traverse notamment la Sibérie occidentale riche en
pétrole.
Le sol y est moins froid, uniforme et épais, et le
réchauffement peut y "entraîner des déformations des bâtiments, des
catastrophes".
"Nous devons nous préparer au pire" et réduire
les risques au minimum, avertit-il.
Dans le laboratoire souterrain de l'institut, un réseau
de tunnels et de salles a été creusé dans le permafrost.
Des scientifiques et ingénieurs y développent des
techniques de construction améliorées et des moyens de maintenir le sol gelé
lorsque l'atmosphère se réchauffe.
Une méthode déjà disponible consiste à placer des tubes
verticaux réfrigérants autour des bâtiments pour maintenir le sol froid.
Des lois nationales sont nécessaires
Bien que des techniques existent pour protéger le
permafrost, elles sont coûteuses.
Et leur utilisation dans la construction de nouveaux
bâtiments n'est pas imposée par la loi, qui ne s'est pas adaptée au
réchauffement climatique, déplore Vladimir Prokopiev, député régional de
Iakoutie.
Les effets sont pourtant visibles : la dégradation du
permafrost accélère l'érosion de la côte arctique russe et la Iakoutie perd
environ deux mètres de côte par an, souligne ce député.
Cette année, la région est devenue la première à voter
une loi pour la protection du permafrost.
Celle-ci définit les besoins en matière de surveillance
et de prévention des dommages irréversibles du permafrost.
Le sujet est crucial, notamment à l'heure où la Russie
veut développer la région arctique.
Mais en dépit du lobbying effectué par la Iakoutie,
Moscou traîne des pieds et aucune mesure n'est prise au niveau national.
"Il nous faut une loi nationale si nous voulons
conserver le permafrost et éviter de graves dommages environnementaux",
martèle le député Prokopiev.
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