mardi 4 décembre 2018

Cartographie des colères françaises

Cartographie des colères françaises avec Emmanuel Todd
Par herodote.net – 03/12/2018.

L’anthropologue et historien Emmanuel Todd s’exprime sur la révolte des Gilets jaunes.
D’emblée, il avoue sa surprise et son bonheur devant cette révolte populaire sortie des profondeurs du pays.



Il s'inquiète toutefois du risque de polarisation et de guerre civile, qu'une dissolution de l'Assemblée ne pourrait suffire à écarter, selon lui.

La solution pourrait venir d'une prise de responsabilité des députés actuels et notamment du parti présidentiel pour qu'ils remettent le président dans le droit chemin et, pour le moins, abolisse les taxes incriminées.

L'historien observe un retour de tous les grands États au protectionnisme et déplore que le président Macron, en retard d'une guerre, tarde à prendre acte du changement d'époque.

Il s'accroche à un unique mantra : résorber les déficits publics et mériter les félicitations de la chancellerie allemande et de la banque centrale européenne (voir Emmanuel Macron : « garder le cap ! » Oui, mais quel cap ?).


Bien au-delà, le problème de fond est que le président de la République française, qui dispose de plus de pouvoir que les rois de l'Ancien Régime, n'en peut rien faire parce que la France a sacrifié sa souveraineté sur l'autel de l'euro.



Abusés par la classe politique, les Français eux-mêmes, dans leur grande majorité, n'ont pas eux-mêmes conscience de ce que la monnaie unique est directement responsable de leurs maux : désindustrialisation accélérée, démantèlement des services publics, endettement public.

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Cartographie des colères françaises avec Emmanuel Todd
Par franceculture.fr - 03/12/2018.

- France culture reçoit Emmanuel Todd, historien et anthropologue, pour décrypter le phénomène des gilets jaunes.

Un sondage Elabe pour BFMTV publié la semaine dernière montre que 75% des Français approuvent le mouvement des gilets jaunes.

Le mouvement semble dès lors parti pour durer, d’autant que Les propositions formulées mardi dernier par Emmanuel Macron pour répondre aux revendications des gilets jaunes n’ont pas convaincu, et que la rencontre avec le Premier ministre qui devait avoir lieu vendredi a été largement boycottée par leurs représentants.

Après la nouvelle manifestation de samedi dernier, nous nous penchons sur la complexité et la diversité sociale de ce mouvement. Peut-on savoir qui sont les gilets jaunes ?

Pour en discuter, nous recevons Emmanuel Todd, historien et anthropologue, auteur de Après la démocratie (Gallimard, 2012) et Où en sommes-nous ?
Une esquisse de l'histoire humaine (Seuil, 2017).

- Cartographie des gilets jaunes :

La carte de la révolte des gilets jaunes ne correspond plus aux vieilles régions anthropologiques et religieuses…
On a vraiment l’impression que la carte de ces mouvements de gilets jaunes est plutôt homogène sur le territoire national.

- La position du gouvernement :

On peut imaginer que, dans une situation de chaos et d’inquiétude, cette sympathie générale de la population pour le mouvement cède devant la peur du désordre.
Et je pense que le gouvernement cherche le chaos pour créer cette rupture.

Je considère que Macron est à l‘offensive dans cette stratégie du chaos… la priorité d’un gouvernement républicain responsable dans cette ambiance de chaos qui est en train de s’installer, c’est d’abolir ces taxes sur les carburants.

- Macron n’a aucun pouvoir à cause de l’Euro.

Il n’a le pouvoir que de contracter les dépenses… les Français ne s’en rendent pas compte….
La zone euro est devenue une zone de guerre commerciale maximale…
On vit dans une société où le mot d’ordre est la compression de tout.

- L'éducation :

Si vous regardez les stratifications du vote en termes de niveau d’éducation, les sondeurs se rendent compte que le meilleur prédictif du vote, ça va être le niveau éducatif atteint.

- Climat social :

Au stade actuel, on est dans un moment que les gens décrivent comme insurrectionnel, ce qui est exagéré.
Mais il y a une certaine urgence à apaiser le climat social…

Je pense que le risque majeur pour la France, ça n’est pas la révolution maintenant, c’est plutôt le coup d’Etat.

Emmanuel Todd.


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Emmanuel Macron : « garder le cap ! » Oui, mais quel cap ?
Le blog de Joseph Savès

Le président français, comme ses deux prédécesseurs, n'a d'yeux que pour les comptes publics.
Il ramène toute sa politique à l'objectif obsessionnel de réduire à la fois l'endettement de l'État et la charge fiscale.

C'est à cela et uniquement à cela qu'il pense quand il proclame sa volonté de « garder le cap ».
L'ennui est que cet objectif est inatteignable dans le cadre de la monnaie unique, avec un déficit commercial structurel...

En fait de cap, le président Macron, son entourage et la plus grande partie de la classe politique parisienne visent à rien d'autre que de satisfaire la Commission européenne, la Banque européenne et la chancellerie allemande.

Avec les représentants de ces institutions, ils n'ont d'autre rêve que d'aligner la France (et les autres États européens) sur le « modèle » allemand.

Rêve impossible car le succès apparent des entreprises allemandes repose sur leurs exportations massives.
Pour que l'Allemagne puisse réaliser un excédent commercial aussi massif (10% de son PIB !), il faut que ses « partenaires » se résignent à un déficit aussi massif. C'est le cas de la France en particulier.

Les raisons de l'échec

Si l'État français est donc obligé d'imposer massivement les particuliers et les entreprises et s'il doit aussi lourdement s'endetter auprès des banques étrangères, ce n'est pas en raison de prétendus gaspillages (ils existent bien évidemment mais ne sont guère plus importants dans les administrations françaises qu'ailleurs, y compris dans les grandes entreprises privées).

C'est pour une raison majeure que nous avons largement analysée et détaillée par ailleurs (Comment la monnaie unique tue l'Europe).

Rappelons-en les grands principes :

• Quand les monnaies étaient autrefois alignées sur l'or ou l'argent avec un taux de change fixe, les États protégeaient leurs producteurs contre les concurrents étrangers plus ou moins loyaux ou agressifs avec des droits de douane.
Les droits de douane permettaient aussi aux pays arriérés de protéger leurs industries naissantes et de combler ainsi leur retard.

• Quand les Européens ont progressivement supprimé les obstacles douaniers au sein de leur Communauté, les économies nationales les plus fragiles ont pu néanmoins encaisser le choc car les monnaies n'étaient plus depuis 1973 fixées sur le cours de l'or.

Elles se sont mises à fluctuer les unes par rapport aux autres de façon que les balances commerciales restent toujours à l'équilibre exportations=importations) : si un pays importait plus qu'il n'exportait, sa monnaie se dévaluait et les importations, devenues plus chères, diminuaient cependant que les exportations progressaient.

C'est ainsi que le franc a vu sa valeur par rapport au mark allemand divisée par trois entre 1949 et 1989 en permettant à l'industrie française et au niveau de vie des Français de progresser fortement !

• Le garde-fou monétaire a disparu avec l'introduction de la monnaie unique en 1999-2001.

Sans protection douanière ni souveraineté monétaire, les économies les plus fragiles de l'Union européenne, dont la France, ont été aussitôt laminées par le rouleau-compresseur des exportations allemandes.

La raison tient à des choix de société : les patrons allemands ont une économie bipolaire avec d'un côté une industrie vouée à l'exportation (automobile, chimie...) et des ouvriers choyés, de l'autre une industrie et des services dont on comprime les coûts au maximum avec des employés essentiellement immigrés et sous-payés ; les Français ont une vision plus égalitaire des rapports sociaux et ne veulent priver personne des « bienfaits » de la consommation.
Ils tirent même fierté d'acheter des produits allemands plutôt que français !

Dans ces conditions, l'État français se voit obligé de compenser par des aides sociales et des emplois fictifs ou à faible valeur ajoutée (associations, administrations) les revenus perdus du fait de la destruction des emplois industriels et de la fuite des capitaux à l'étranger.

Il est conduit à emprunter aux banques étrangères - et en particulier allemandes - les surplus monétaires qu'elles ont engrangés du fait du déficit commercial de la France !

La mort annoncée de l'Europe

Ces emprunts ne sont que reculer pour mieux plonger !
 À moins d'une remise en cause profonde de la monnaie unique et d'une relance de l'industrie, les Français sont condamnés à s'appauvrir comme c'est déjà le cas des Espagnols, des Grecs ou encore des Portugais.

Les jeunes gens chèrement formés par l'État ne sont pas pour leur part résignés à se sacrifier.
Ils profitent donc des facilités de déplacement offertes par l'Union européenne pour émigrer vers des cieux plus cléments : Canada, Suisse, Royaume-Uni...

Cette « fuite des jeunes cerveaux » est déjà bien engagée en France (plusieurs dizaines de milliers de départs par an « compensés » par l'arrivée de jeunes immigrants africains).

En Grèce comme en Croatie, en Espagne ou au Portugal, l'émigration de la jeunesse éduquée est devenue telle qu'elle a pratiquement annihilé tout espoir de redressement de ces pays, les vouant à une lente descente aux enfers.

Rappelons qu'aucun pays n'a jamais tiré un quelconque bénéfice de la fuite de ses jeunes.

Si en 1953, la Corée du sud, qui connaissait alors une extrême misère conjuguée à la famine et à la guerre, avait laissé fuir sa jeunesse, serait-elle trente ans plus tard devenue l'un des pays les plus prospères de la planète ?

Notons une confusion semblable en ce qui concerne le libre-échange.

Comme tout un chacun, ces personnes observent à juste titre que le commerce international se développe de concert avec l'économie.
Elles croient y voir une relation de cause à effet : faciliter le commerce par le libre-échange va avoir des effets bénéfiques sur la croissance.

Dans les faits, c'est tout le contraire qui s'observe : c'est parce que les différentes économies nationales sont solides et saines, à l'abri des prédateurs et du dumping éventuel derrière des protections raisonnables, qu'elles peuvent générer de la croissance et, partant, s'inclure avec succès dans le commerce international !

En ayant supprimé tous les dispositifs qui protégeaient les plus faibles des plus forts, la zone euro libre-échangiste est devenue la zone d'affrontement économique la plus violente du monde !

L'excédent commercial allemand peut continuer de ravager l'industrie et l'agriculture des autres pays sans que personne ne s'en soucie.
On n'observe rien de comparable dans les rapports entre les nations restées souveraines :
Chine, États-Unis, Japon... peuvent avoir des différents mais finissent par les résoudre autour de gré à gré.

Vingt ans après l'instauration de la monnaie unique, il devient très difficile de sortir de cette impasse qui tue l'Europe à petit feu.

Nous voyons arriver à l'âge adulte une génération qui n'a connu que l'euro et ignore ce que peut signifier la souveraineté monétaire d'un État.

D'autre part, les retraités et les épargnants se sont laissés convaincre que le renoncement à l'euro entraînerait la perte de leur patrimoine !
La classe politique ne se fait pas faute de rabâcher cette ineptie.

Dans l'hypothèse du retour à une monnaie nationale, doublée d'une monnaie commune européenne destinée aux échanges extra-européens (voir Une solution : la monnaie commune), il y aurait bien entendu une dévaluation immédiate et naturelle de la monnaie nationale, pour les raisons susdites (corriger le déficit commercial).

Cette dévaluation serait la voie nécessaire pour une ré-industrialisation du pays, une résorption du chômage et un retour à l'équilibre des comptes publics.

En quoi la dévaluation lèserait-elle les épargnants ?

Si ceux-ci vivent en France et consomment français, la dévaluation sera pour eux transparente, sans effet aucun (comme le furent d'ailleurs les dévaluations des années 1960-1980).
Au contraire, en renforçant l'économie française, la dévaluation garantira le paiement des pensions de retraite dans les décennies à venir.

Un enfant peut comprendre cela mais pas le président de la République ni son entourage d'économistes néolibéraux. 

Le président Macron dans l'impasse

Revenons à notre président Emmanuel Macron.
Plus encore que ses prédécesseurs, il s'est convaincu des bienfaits de la monnaie unique et de la supériorité du néolibéralisme.

Le néolibéralisme est une idéologie apparue dans les années 1980 (voir Le sursaut des années 1980).

Elle place l'entreprise au centre du jeu social et voit l'État comme un empêcheur de tourner en rond et une source de coûts qu'il convient de réduire.

Elle fait aussi de l'actionnaire l'acteur le mieux à même de comprendre l'intérêt de l'entreprise.

Cela peut se vérifier avec les entreprises familiales : une enquête de l'historien Jacques Marseille a montré qu'elles sont indubitablement les mieux gérées sur le long terme.
Mais c'est tout à fait faux dans le cas des entreprises soumises aux jeux de la Bourse.

Les prédateurs n'ont alors qu'un objectif : augmenter au plus vite le cours des actions qu'ils viennent d'acheter afin de les et revendre avec profit.
Pour cela, soit ils compriment les coûts et suppriment en particulier les investissements d'avenir, soit ils dépècent l'entreprise et la vendent « par appartements ».

Les néolibéraux qui ont pris le pouvoir dans les instances européennes prônent donc le renoncement des États à toute forme de politique industrielle qui viserait à favoriser ou aider tel ou tel secteur.
Exit les grands projets intergouvernementaux.

Airbus et Arianespace appartiennent à un passé révolu.
Les néolibéraux prônent aussi la suppression des barrières de toutes natures au nom de la « concurrence libre et non faussée ».

C'est ainsi que les entreprises d'État chinoises et les géants américains de l'internet peuvent faire leur marché en Europe !
Mais il n'y a pas de réciproque et les entreprises européennes sont empêchées de faire pareil en Chine comme aux États-Unis.

À coup d'amendes colossales sous les prétextes les plus éhontés, les juges américains soumettent à leur loi les entreprises européennes trop autonomes.

Qu'importe ces déséquilibres géopolitiques.
Ils ne sauraient remettre en question la foi de la classe politique française et européenne dans la supériorité du néolibéralisme...

Le président Macron croit donc que la santé d'un pays se résume à l'équilibre de ses comptes publics.
Toute son action est orientée dans ce sens.

Pour les raisons indiquées ci-dessus, cet objectif est une illusion et une impasse dans le cadre de la monnaie unique et du néolibéralisme.
On peut diminuer autant que l'on veut telle ou telle dépense, les déficits commerciaux n'en finiront pas pour autant de creuser les déficits publics... et d'appauvrir la France.

Rigide et trop assuré de sa supériorité intellectuelle pour changer son logiciel, le président Macron va très vraisemblablement s'enferrer dans ses certitudes, ce qui le conduira d'échec en échec.

Comme la Constitution lui assure jusqu'au terme normal de son mandat en 2022 plus de pouvoir que Louis XIV, il pourrait être tenté par un coup de force.
Mais comme on imagine mal que la police, l'armée, les fonctionnaires et les élus puissent indéfiniment le suivre dans son entêtement, le pire n'est pas à exclure...

Publié ou mis à jour le : 03/12/2018.


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