Redécouvert en 1978 par François Furet, Augustin Cochin
avait décrypté le mécanisme qui avait permis aux petits cercles des sociétés de
pensée imbues des Lumières d’imposer leurs aspirations en les faisant passer
pour la volonté du grand nombre.
Son oeuvre est heureusement rééditée.
Ancien membre du parti communiste, l’auteur y exprimait
le vœu de rompre avec la version officielle de la Révolution dès lors que
celle-ci ne pouvait plus être un moteur politique, le socialisme réel ayant
montré son vrai visage, celui du goulag.
« La Révolution française est terminée », écrivait Furet,
estimant que les historiens avaient désormais à penser la Révolution non plus
en termes idéologiques mais en termes scientifiques, notamment pour comprendre
comment les aspirations libérales de 1789 avait débouché sur la Terreur de
1793.
Furet expliquait encore comment deux historiens, « les
seuls à proposer une conceptualisation rigoureuse de la Révolution française »,
avaient contribué à sa réflexion : Alexis de Tocqueville, qui aide à comprendre
la part de continuité de la Révolution dans l’histoire de France, et Augustin
Cochin, pour sa théorie du jacobinisme.
Augustin Cochin en 1916.
Ce dernier, mort héroïquement pendant la Première Guerre
mondiale, édité à titre posthume dans les années 1920, était tombé dans l’oubli
jusqu’à ce que François Furet fasse connaître son nom.
Cette redécouverte avait permis quelques rééditions, notamment
une anthologie publiée aux PUF, en 1979, sous le titre L’esprit du jacobinisme,
avec une préface du sociologue Jean Baechler.
Suivraient de nouveau quarante années d’oubli,
l’Université ne faisant rien pour sortir de l’anonymat un historien hors catégories.
Mais voici, aux éditions Tallandier, sous l’intitulé La
Machine révolutionnaire, un recueil quasiment exhaustif des textes d’Augustin
Cochin, préfacé par Patrice Gueniffey qui souligne le courage dont fit preuve
Furet en passant au-dessus des préjugés à l’encontre de Cochin.
L’ouvrage est également précédé d’une éclairante
introduction à l’œuvre de celui-ci par Denis Sureau.
Né à Paris le 22 décembre 1876, Augustin Cochin est issu
d’une vieille famille de la bourgeoisie parisienne anoblie au XVIIIe siècle.
L’hôpital qui porte son nom a été fondé par un de ses
aïeux, et son père, le baron Denys Cochin (1851-1922), fut député de Paris,
défenseur de l’Eglise lors de l’examen des lois Combes et de la loi de
séparation des Eglises et de l’Etat, et brièvement ministre pendant la Première
Guerre mondiale.
A l’exemple de son père, Augustin Cochin est un
catholique fervent, acceptant la République plus par raison que par sentiment.
Après des études au collège Stanislas, trois fois lauréat
du concours général, il est licencié ès-lettres et en philosophie.
A vingt ans, il effectue volontairement une période
militaire d’un an dont il sort officier de réserve.
Reçu premier au concours de l’Ecole des Chartes, il en
sort premier également avec un mémoire sur Le Conseil et les réformés de 1652 à
1658.
A partir de 1903, la fortune familiale le dispensant de
solliciter un poste d’enseignant ou de chercheur, il devient historien
indépendant, mais sans jamais renoncer aux exigences méthodologiques apprises à
l’Ecole des Chartes.
C’est donc dans les archives qu’il s’adonne à ce qui va
être l’œuvre de sa vie : l’étude de la Révolution de 1789.
En 1904, il commence par se pencher sur la campagne
électorale pour les Etats généraux de 1789 en Bourgogne.
De 1905 à 1909, il effectue le même travail en Bretagne.
De 1908 jusqu’à sa mort, il étudie le gouvernement
révolutionnaire, ayant le projet de publier en trois volumes les Actes du
gouvernement révolutionnaire (1793-1794) dont il n’aura le temps d’achever que
le premier tome.
A long terme, il projetait une histoire générale de la
Terreur.
Quand éclate la Grande Guerre, Augustin Cochin s’engage
avant même d’avoir reçu son ordre de mobilisation. Portant le grade de
capitaine, cinq fois blessé et décoré de la Légion d’honneur, il est tué à la
tête de sa compagnie, au calvaire d’Hardicourt, sur le front de la Somme, le 8
juillet 1916, à l’âge de trente-neuf ans.
A sa mort, il avait encore peu publié : trois études sur
le calvinisme, deux conférences sur la Révolution et, en 1909, la crise de
l’histoire révolutionnaire : Taine et M. Aulard.
Dans cet essai, tout en partageant l’aversion manifestée
à l’égard du personnel révolutionnaire par l’auteur des Origines de la France
contemporaine, Cochin mettait en doute la « méthode psychologique » de Taine,
la Révolution ne s’expliquant pas, selon lui, par une volonté consciente ou une
intention délibérée de ses acteurs, mais par un mécanisme qu’il fallait
décomposer pour le comprendre.
Le jeune historien s’en prenait de même à Alphonse Aulard,
le premier titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à la
Sorbonne, militant républicain qui, attaquant Taine, avait justifié la
nécessité de la Terreur par le poids des circonstances.
Après la Première Guerre mondiale, c’est Charles
Charpentier, ami, collaborateur et compagnon d’armes d’Augustin Cochin, qui
assurera la publication de ses écrits épars :
- en 1921, Les sociétés de pensée et la démocratie
moderne ;
- en 1924, La Révolution
et la libre pensée, qui était conçu comme un discours préliminaire à
l’édition des Actes ;
- en 1925, en deux volumes, Les sociétés de pensée et la
Révolution en Bretagne, 1788-1789.
Selon Cochin, la Révolution n’a jamais été un phénomène
populaire et spontané, mais a été préparée au sein de cercles restreints, ce
qu’il nomme les sociétés de pensée, qui se porteront au pouvoir en lançant une
mécanique possédant sa logique interne, dont la Terreur est l’aboutissement
théorique et historique.
Ces sociétés de pensée sont les multiples académies
littéraires, clubs patriotiques, loges maçonniques, musées, lycées ou sociétés
d’agriculture formées sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, et dont les
membres seront à la fois des partisans enthousiastes du mouvement de 1789 et
des victimes toutes désignées de la guillotine en 1793.
L’originalité de Cochin réside dans la façon dont il
étudie la mise en place de ce qu’il appelle « la Machine révolutionnaire ».
En Bourgogne, explique-t-il, une poignée de médecins et
de robins contrôle la consultation du tiers état pour les Etats généraux ; en
Bretagne, c’est un clan de parlementaires et de nobles.
« On voit, observe-t-il, les mêmes démarches se faire au
même moment dans les provinces que séparent mœurs, intérêts, régime, dialectes
même, sans parler des douanes et des mauvais chemins. (…)
Ainsi, dans cette singulière campagne, tout e passe comme
si la France entière obéissait au mot d’ordre du mieux monté des partis et on
ne voit pas de partis ».
Poussant l’analyse, il remarque qu’en Bourgogne, le Tiers
de Dijon représente un cercle intérieur à la cité de Dijon, les avocats un
cercle au sein du précédent, et un petit groupe d’avocats un cercle à
l’intérieur du barreau de Dijon, cercle qui, d’échelon en échelon, influence
toute la ville.
En Bretagne, le processus est le même.
Ainsi donc, la « Machine » possède une structure
concentrique, le plus petit cercle contrôlant indirectement le plus grand, les
différentes cellules étant en rapport entre elles.
C’est faussement que Cochin est parfois comparé à l’abbé
Barruel, jésuite dont les Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme,
parus en 1798-1799, soutenaient que la Révolution avait été l’œuvre d’un
complot ourdi par les Illuminés de Bavière qui auraient infiltré la
franc-maçonnerie et d’autres sociétés afin de renverser les pouvoirs en place.
Augustin Cochin ne croit nullement que la Révolution a
procédé d’une organisation préméditée, appuyée sur des personnes déterminées :
il démontre simplement qu’il existe un mécanisme des sociétés de pensée, qui
peut se dérouler avec des hommes interchangeables.
« Il ne cherchait pas, observe Patrice Gueniffey, à
écrire une histoire de la Révolution par les intentions de ses acteurs, mais à
élaborer une phénoménologie du phénomène révolutionnaire qui dépassât les
intentions exprimées par ses acteurs. »
Autant historien que sociologue, Augustin Cochin avait
démonté le mécanisme permettant à un petit groupe d’hommes réuni par des
aspirations communes d’élaborer une volonté qui lui soit propre, et de
l’imposer, de cercle en cercle, à toute une collectivité, quitte à ce que ce
mécanisme se retourne un jour comme un boomerang.
Ce schéma n’est évidemment qu’une partie de l’histoire de
la Révolution française.
Mais il pose de légitimes questions sur les origines de
la démocratie moderne.
Jean Sévillia
Augustin Cochin, La Machine révolutionnaire, préface de
Patrice Gueniffey, introduction de Denis Sureau, Tallandier, 686 p., 29,90 €.
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