vendredi 8 février 2019

La Banque de France et son stock d'or

La France est-elle en train d’hypothéquer son stock d’or ?

A l’heure où la plupart des grandes banques centrales accumulent de l’or pour se prémunir contre une nouvelle crise financière, la Banque de France a monté un dispositif visant à échanger et à prêter les réserves détenues à Paris.

Une entreprise inédite qui interroge et inquiète.


C’est ce qu’on appelle une annonce en catimini.

En octobre dernier, dans une petite revue anglaise spécialisée (The Alchemist), le tout nouveau sous-gouverneur de la Banque de France – Sylvie Goulard – annonçait l’utilisation prochaine du stock d’or gardé dans les coffres de l’institution, jusqu’ici soigneusement tenu à l’écart du marché.

Sylvie-Anne Goulard, née Grassi2 le 6 décembre 1964 à Marseille, est une femme politique française, députée européenne de 2009 à 2017 et auteur de plusieurs ouvrages sur la construction et le fonctionnement de l'Union européenne.
Ancienne conseillère de Romano Prodi en sa qualité de président de la Commission européenne, Sylvie Goulard est élue députée européenne dans la circonscription Ouest de la France lors des élections européennes de 2009 puis réélue en 2014 dans la circonscription Sud-Est. Elle siège dans le groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe jusqu'en mai 2017.
Elle soutient Emmanuel Macron, candidat du parti En marche, pour l'élection présidentielle de 201716. Elle contribue à organiser la rencontre entre le candidat à la présidentielle et la chancelière allemande Angela Merkel.
Elle est ministre des Armées le 17 mai 2017 dans le premier gouvernement Édouard Philippe. Citée dans l’affaire des assistants parlementaires du Mouvement démocrate au Parlement européen, elle renonce à ce poste dans le gouvernement du 20 juin 2017.
En janvier 2018, elle est nommée second sous-gouverneur de la Banque de France. (Wikipédia)

Dans ce document, elle expliquait avoir passé un partenariat « avec une grande banque commerciale active dans le marché de l’or ».

Quelques semaines plus tard, l’agence Reuters précisait que la banque en question était l’organisme américain JP Morgan, l’un des principaux spéculateurs sur le marché des matières premières et des monnaies.

Peu diserte sur le sujet, Sylvie Goulard faisait néanmoins mention de prêts d’or à des établissements financiers et d’échanges or-devises avec d’autres institutions. Elle se félicitait également sur tout un paragraphe de la rénovation des coffres parisiens de la Banque, qui permet désormais d’utiliser des chariots élévateurs puissants et qui facilite les manipulations et le transport des lingots…

Entrée de l'hôtel de Toulouse, siège de la Banque de France, dans la rue Croix-des-Petits-Champs.

Pas de communiqués officiels

Le but ?

Officiellement, il consiste à refaire de Paris « une place de marché clef pour l’or ».
Et puis ?
De gagner un (tout) petit peu d’argent en utilisant le métal précieux détenu dans les coffres.
Pour des informations plus précises, et des communiqués officiels, le quidam attendra.

Médaille du centenaire de la Banque de France par Oscar Roty.

Christian Eugène, ancien responsable du service de l’endettement international à la Banque de France déclare :

Je suis un peu étonné car l’essentiel du stock d’or appartient tout de même à l’Etat. Utiliser ce patrimoine ne me parait pas une bonne idée, surtout dans un contexte financier rempli de risques.

La Banque de France de Paris à l'origine : gravure de Miss Byrne, 1829

Mais Sylvie Goulard veut aller vite, très vite.

En interne, elle s’est constituée un cabinet afin de ne pas se retrouver dépendante des services opérationnels.
« C’est nouveau, personne n’avait jamais fait ça avant » souligne un connaisseur de l’institution.

En cas de nomination de l’actuel premier gouverneur à la tête de la BCE, certains la voient déjà devenir chef de la plus puissante institution financière du pays.

50 francs
Monnaie de Paris (banknote), Banque de France (photograph) — Banque de France (banknote)

Aussi peu connue soit-elle du grand public, celle qui a été propulsée sous-gouverneur en janvier 2018 par décret du président de la République a un passé politique déjà très rempli.

En mai 2017, dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron, elle était nommée ministre des Armées ; aussitôt, elle ne cachait pas sa volonté de remanier l’armée française dans le seul but de construire une défense européenne intégrée.

Elle démissionnera quatre semaines plus tard.

Entretemps, son passé de ‘consultante’ aux revenus mirobolants de l’Institut Berggruen – un lobby américain visant à accélérer « l’intégration européenne » – était sorti dans la presse, tandis que son nom était cité dans une présomption d’emplois fictifs du Modem au Parlement européen.

La foule devant la Banque de France lors de la crise monétaire de juillet 1914.
Agence Rol — Bibliothèque nationale de France

L’étonnant parcours du sous-gouverneur

Son militantisme pour la création d’un Etat central sur le continent vient de loin, et elle ne s’en cache pas.

Conseiller politique de Romano Prodi à la Commission européenne entre 2001 et 2004, elle a présidé le Mouvement européen entre 2006 et 2010.

Cette année-là, elle créait avec les députés Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt le groupe Spinelli, une structure qui militait notamment pour la diminution des relations bilatérales entre Etats afin de mieux centraliser le pouvoir à Bruxelles.

Partisane du CETA, un vaste traité commercial avec le Canada, Sylvie Goulard a cosigné en 2012 ‘De la démocratie en Europe’ avec le très fédéraliste Mario Monti, homme politique qui dirigeait alors le gouvernement italien.

La précipitation avec laquelle la sous-gouverneur veut utiliser nos réserves d’or peut interroger.
« Faire des prêts sur l’or ou des swaps [échanges de devises contre de l’or] revient à gager ce stock, à l’hypothéquer.

Il est clair que lancer des opérations sur l’or revient à en perdre la propriété pleine et entière. Nous n’avons plus alors la possession du bien pour qu’il serve de garantie à autre chose », prévient Christian Eugène.

A qui serviront ces prêts et ces échanges ?
A quelles fins ?
Un début de réponse se trouve peut-être du côté de New-York et de Londres. En effet, ces ‘hypothèques’ sur l’or sont menées depuis longtemps par les systèmes bancaires américain et anglais, avec en pointe des établissements comme … JP Morgan.

 Depuis 20 ans, une grande association américaine, le Gold anti-trust action commitee (GATA), se bat pour que la nature exacte des opérations soit rendue publique.

Selon cet organisme, les interventions sur le marché de l’or sont destinées à étouffer le cours du métal précieux, afin que celui-ci ne soit pas perçu comme un concurrent de la première devise du monde, le dollar.

« En faisant cela, le système n’est pas freiné et il peut continuer d’émettre de la monnaie à l’infini.
Cela lui permet de contrôler les marchés » estime Chris Powell, son secrétaire général.

Faire des prêts sur l’or ou des swaps revient à hypothéquer ce stock.

En vendant l’or à découvert, les plus gros établissements financiers s’assureraient que les masses de monnaie qu’ils créent ne se détournent pas vers le métal précieux, mais continuent au contraire de se déverser sur les titres de dette publique et privée.

Pour nourrir la machine ad vitam aeternam…
Côté pile, les Etats-Unis affichent depuis des décennies les mêmes quantités officielles de métal précieux dans leurs coffres.

Côté face, ils utiliseraient ce stock (via des certificats) pour pousser le prix vers le bas, afin que l’ancien étalon monétaire ne supplante pas le dollar dans l’esprit des utilisateurs.
Néanmoins, l’or garanti par les certificats peut être un jour réclamé, prévient le GATA.

Les dizaines de documents et de témoignages réunis par l’association américaine tendent à prouver que l’or demeure un actif essentiel dans le système monétaire actuel.

« Les opérations de prêts ou les swaps sur l’or ne sont pas anodins, ils servent à quelque chose, ajoute Chris Powell.
Mais les banques centrales ne veulent pas que le marché libre connaisse l’ampleur de ces opérations, car ce sont des informations extrêmement sensibles ».

En décembre dernier, à l’occasion d’une procédure judiciaire aux Etats-Unis, un trader de … JP Morgan a avoué avoir manipulé le marché des métaux précieux pendant des années.
Il a affirmé avoir agi avec son équipe, après avoir été formé par des traders plus anciens au sein de la même banque, et au su de sa hiérarchie.

Aux dernières nouvelles, le stock d’or total que la Banque de France conserve officiellement dans ses coffres s’élève à 2436 tonnes.

Servira-t-il à soutenir le dollar ?
L’euro ?
Ou les grandes banques privées, comme l’article du Alchemist le suggérait ?

Dans un passé récent, l’actuel sous-gouverneur a montré une véritable appétence pour les sujets financiers en lien avec la centralisation des pouvoirs à Bruxelles.
Lors de son passage au Parlement européen entre 2009 et 2017, Sylvie Goulard a été rapporteur ou co-rapporteur de plusieurs textes législatifs déterminants, comme celui visant à créer un mécanisme européen de supervision financière, ou cet autre à forte portée sur l’Union bancaire dans la zone euro.

L’or, un actif monétaire très sensible

La sous-gouverneur a même été à l’initiative d’un rapport sur les euro-obligations, ces titres de dette fédérale que la Commission européenne souhaiterait émettre un jour pour trouver des financements de manière indépendante, sans dépendre des transferts d’argent effectués par les Etats nationaux.

Des euro-obligations qui, en l’absence d’impôts européens, pourraient par exemple avoir besoin d’un stock d’or pour asseoir leur légitimité.

« Mais le marché de l’or est très opaque. Il est difficile de savoir d’où partent les transactions et chez qui elles arrivent » précise un trader en matières premières.

Une chose est sûre : l’idée de mobiliser le stock d’or français va à l’encontre de ce que font les autres grandes banques centrales de la planète (Etats-Unis mis à part).

Depuis la crise financière de 2008, qui avait vu des montagnes de titres de dette perdre toute valeur, les banques centrales sont devenues acheteuses de métal précieux, et elles le conservent précieusement.

La Russie a ainsi multiplié son stock d’or par 4 en dix ans, tandis que des rumeurs persistantes prêtent à la Chine une stratégie visant à dépasser les réserves officiellement détenues par les Etats-Unis.

D’autres nations – la Turquie, l’Inde, l’Indonésie, la Pologne, etc. – se sont mises à racheter de l’or ces dernières années après avoir longtemps été absentes du marché.

Mieux : des gouvernements possédant de l’or stocké à l’étranger ont demandé le rapatriement de leurs lingots afin d’en avoir la pleine propriété.

C’est ainsi que l’Allemagne a obtenu (difficilement et progressivement) le retour de son or entreposé aux Etats-Unis.

La France dépourvue de ses réserves au pire moment ?

Le mouvement s’est accéléré ces dernières années, car les signaux annonçant une nouvelle crise de la dette s’accumulent.
Pour Antoine Brunet, ancien chef économiste de HSBC France et ex économiste-conseil de la Banque de France :

Quel intérêt y aurait-il à prêter son or par les temps qui courent ? Quand Nicolas Sarkozy avait vendu 20% des réserves au début des années 2000, j’avais dit que c’était une très mauvaise idée.
Aujourd’hui, des puissances essayent de se débarrasser du dollar et pourraient éventuellement utiliser l’or à la place.
Si les opérations de prêt ou de swaps sur le stock d’or manifestent une volonté de s’en séparer, ce serait complètement stupide.

Longtemps, l’or a été utilisé comme monnaie à part entière, notamment dans le cadre des transactions internationales (achats de pétrole, de minerais, de marchandises).

Aujourd’hui, le précieux métal est souvent considéré comme un gage implicite des monnaies que nous utilisons.

 « L’or est le gage ultime. Prenons un exemple : admettons que l’euro ne tienne pas, pour des raisons politiques ou économiques.
Nous serions alors bien contents d’avoir une réserve d’or pour relancer une monnaie nationale qui inspire confiance, souligne Christian Eugène.

Mais si nous avons adossé notre stock à d’autres opérations, il sera difficile de le faire.
Une garantie peut toujours jouer, et on ne peut alors plus utiliser l’actif en question ».
La conséquence est redoutable : en cas de nouvelle crise financière, la France pourrait se retrouver nue dans la tempête.

Par Edouard Fréval
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Le JT de France 2 fait un reportage mensonger sur l'or de la Banque de France, Par Philippe Herlin, économiste – 15/02/2019.

Finalement mes trois articles sur la fin de la sanctuarisation de l'or de la Banque de France n'auront pas été inutiles : le JT du 20h de France 2 du 14 février y consacre un sujet (de 15'40 à 18'30) !

Mais il ne s'agit pas d'un travail journalistique, plutôt d'un morceau de propagande pour étouffer une affaire naissante.

Le journaliste ne parle pas de mes articles, bien sûr, ils sont trop argumentés et sourcés, il préfère s'appuyer sur celui du site Insolatiae de Charles Sannat, au ton souvent complotiste, qui affirme que JP Morgan a fait "main basse" sur l'or de la Banque de France.

C'est bien sûr faux et je n'ai jamais rien dit de tel, soyons sérieux.
Il fait aussi les poubelles du Net pour trouver un tweet débile affirmant avoir photographié des fourgons emportant l'or de la France...

Il ne manque pas non plus l'interview de l'expert de service qui ne connaît rien au sujet, Christian Chavagneux, de toute façon un économiste keynésien qui ne serait pas malheureux de vendre cet or pour "relancer la consommation".
Ces procédés sont pitoyables.

La Banque de France et JP Morgan mettent en place des swaps et des prêts sur l'or, ce qui engage le stock d'or physique, ce que le "journaliste" de France 2 n'explique pas.

Il dit ensuite que seul l'or des banques centrales étrangères stocké dans le sous-sol de la Banque de France est concerné, mais que l'or français ne "devrait" pas être mobilisé "selon un article des Echos".

C'est justement la question que je pose !
Ce conditionnel devrait pousser le journaliste, s'il faisait son travail, à aller plus loin, mais non, il s'arrête là !

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