Patrick Wilcken - 6
février 2019.
Une enquête menée à partir d’informations disponibles en
libre accès, rendue publique par Amnesty
International mercredi 6 février, met en évidence un danger croissant dans
le conflit au Yémen du fait que les Émirats arabes unis équipent des milices
avec du matériel de guerre sophistiqué sans se soucier des conséquences.
Des militants houthis à Hodeida, le 10 décembre 2018.
REUTERS/Abduljabbar Zeyad
Cette enquête,
intitulée - Quand des armes s'égarent - : la nouvelle menace mortelle des
détournements d'armes vers des milices au Yémen, montre que les Émirats arabes unis sont devenus un
fournisseur majeur de véhicules blindés, de mortiers, de fusils, de pistolets
et de mitrailleuses qui sont vendus illégalement à des milices agissant en
dehors de tout contrôle et accusées de crimes de guerre et d’autres graves
exactions.
ArabieSaoudite Amnesty Yemen
Des milices au Yémen armées indirectement par les
Occidentaux, selon Amnesty international
« Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et d’autres
États européens ont été critiqués, à raison, parce qu’ils fournissent des armes
aux forces de la coalition et l’Iran envoie des armes aux houthis.
Cependant, une nouvelle menace se fait jour. Le Yémen est en train de devenir un repaire
pour les milices soutenues par les Émirats arabes unis, qui ne sont
généralement pas soumises à l’obligation de rendre des comptes, a déclaré
Patrick Wilcken, chercheur sur le contrôle des armes et les droits humains à
Amnesty International.
Un combattant avec une mitrailleuse légère Minimi
conçue par la FN Herstal
Les forces armées
émiriennes reçoivent des milliards de dollars d’armes provenant de pays
occidentaux et d’autres sources, qu’elles ne font que détourner vers des
milices au Yémen qui ne sont pas contrôlées et sont connues pour commettre des
crimes de guerre.
Patrick Wilcken, chercheur sur le contrôle des armes et
les droits humains à Amnesty International
« Les forces armées émiriennes reçoivent des milliards de
dollars d’armes provenant de pays occidentaux et d’autres sources, qu’elles ne
font que détourner vers des milices au Yémen qui ne sont pas contrôlées et sont
connues pour commettre des crimes de
guerre.
« La prolifération de ces parties belligérantes est le
meilleur moyen de provoquer une catastrophe pour les civils yéménites, dont
plusieurs milliers ont déjà été tués tandis que des millions d’autres sont au
bord de la famine en conséquence directe de la guerre. »
Les groupes armés qui bénéficient de ces ventes d’armes
douteuses – les « Brigades des Géants »,
la Brigade al Hizam (Forces de la ceinture de sécurité) et les Forces d’élite –
sont entraînés et financés par les Émirats arabes unis, mais ne sont placés
sous le contrôle d’aucun gouvernement.
Certains d’entre eux sont accusés d’avoir commis des
crimes de guerre, notamment pendant la récente offensive contre la ville
portuaire d’Hodeida et dans le réseau de prisons secrètes soutenu par les
Émirats arabes unis dans le sud du Yémen.
Les États qui
fournissent des armes aux Émirats arabes unis
Selon les données publiques, depuis le début du conflit
au Yémen en mars 2015, les États
occidentaux ont vendu pour au moins 3,5 milliards de dollars américains
d’armes aux Émirats arabes unis.
Il s’agit notamment d’armes classiques lourdes – comme
des avions et des navires –, d’armes de petit calibre, d’armes légères, de
pièces détachées et de munitions.
Malgré les graves atteintes aux droits humains attribuées
aux Émirats arabes unis et aux milices qu’ils soutiennent, les pays suivants
ont récemment fourni des armes aux Émiriens : l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Australie, la Belgique, le Brésil, la
Bulgarie, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la
Tchéquie et la Turquie, entre autres.
Amnesty International a analysé les éléments disponibles
en libre accès au sujet de la bataille d’Hodeida et constaté que les véhicules
militaires et les armes vendus aux Émirats arabes unis sont aujourd’hui
largement utilisés par les milices sur le terrain.
Une grande variété de véhicules blindés d’origine américaine équipés de mitrailleuses lourdes,
tels que les modèles M-ATV, Caiman et MaxxPro, ont été observés entre les
mains de milices soutenues par les Émirats arabes unis : la Brigade al Hizam,
les Forces d’élite de Shabwa et les « Brigades des Géants ».
Des mitrailleuses
légères Minimi, de fabrication belge, également probablement vendues aux
Émirats arabes unis, sont actuellement utilisées par les « Brigades des Géants
».
Parmi les autres armes utilisées par les milices alliées
aux Émirats arabes unis dans la bataille d’Hodeida figurent les mitrailleuses serbes Zastava MO2 Coyote et
le mortier singapourien Agrab de 120 millimètres monté sur un véhicule
blindé – les Émirats arabes unis sont le seul pays connu pour acheter ce
système d’armement combiné.
Ailleurs au Yémen, les Émirats arabes unis ont
directement entraîné et financé la Brigade al Hizam et les Forces d’élite, qui gèrent un réseau nébuleux de prisons secrètes
appelées « sites noirs ».
Amnesty International et d’autres organisations ont déjà
rassemblé des informations sur le rôle de ces groupes dans des disparitions
forcées et d’autres atteintes aux droits humains commises dans ces structures,
où des détenus ont notamment été menacés avec des armes à feu, torturés à
l’aide de décharges électriques et soumis à des simulacres de noyade («
waterboarding »), à des humiliations sexuelles, à une détention prolongée à
l’isolement, à des conditions sordides et à des quantités insuffisantes de nourriture
et d’eau.
Les milices soutenues par les Émirats arabes unis qui
gèrent ces sites noirs manient des
fusils bulgares et conduisent des véhicules blindés américains.
Violations du Traité sur le commerce des armes
Beaucoup d’États qui continuent de fournir des armes aux
Émirats arabes unis sont parties au Traité sur le commerce des armes.
Certains ont d’autres obligations légales, en tant que
membres de l’Union européenne ou au regard de leur législation nationale, qui
leur interdisent de transférer des armes utilisées pour commettre des crimes de
guerre.
En persistant à
fournir des armes aux Émirats arabes unis, malgré les nombreux éléments
prouvant que celles-ci sont utilisées dans des crimes de guerre et d’autres
graves exactions au Yémen, ils font fi de ces obligations.
Amnesty International appelle tous les États à cesser de
fournir des armes aux parties au conflit yéménite, sans exception, tant qu’il
subsistera un risque non négligeable que ce matériel serve à commettre ou à
faciliter de graves violations du droit international humanitaire et relatif
aux droits humains.
Le Danemark, la
Finlande, les Pays-Bas et la Norvège ont récemment annoncé la suspension de
leurs transferts d’armes vers les Émirats arabes unis.
« À l’approche des prochains pourparlers de paix
concernant le conflit au Yémen, les États fournisseurs d’armes doivent
réfléchir attentivement à la manière dont leurs transferts d’armes continuent
d’alimenter directement et indirectement des crimes de guerre et d’autres
graves exactions.
La prolifération des milices soutenues par les Émirats
arabes unis qui ne sont soumises à aucun contrôle aggrave la crise humanitaire
et menace de plus en plus la population civile, a déclaré Patrick Wilcken.
« Seuls quelques
rares pays ont pris la bonne décision en cessant de convoyer des armes vers le
conflit dévastateur que traverse le Yémen.
Les autres doivent suivre leur exemple, ou bien ils
partageront la responsabilité des ravages que ces milliards de dollars de
transferts d’armes causent pour les civils au Yémen. »
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