vendredi 23 novembre 2018

Arnaques à l’abonnement caché

Arnaques à l’abonnement caché : itinéraire d’un escroc gâté
Par Jean-Baptiste · 29/09/2018.

Vous vous demandez comment font les escrocs pour monter les arnaques à l’abonnement caché que nous dénonçons ici depuis des années ?

C’est ce que nous allons voir dans cet article en retraçant l’itinéraire d’un spécialiste du genre : Julien Foussard.


Côté pile, c’est un start-upper à qui tout semble avoir réussi : parti de rien, son groupe dégage plusieurs dizaines de millions de chiffre d’affaires, il signe régulièrement des éditos dans la presse spécialisée, et reçoit même un prix de la part d’LVMH pour son dernier projet.

Côté face, c’est un homme plusieurs fois condamné pour escroquerie qui a monté une terrible organisation de vente d’abonnement caché pompant les comptes de l’internaute moyen depuis plusieurs années.

Petit escroc deviendra grand

La valeur n’attend pas le nombre des années !

En effet, sa première société montée en 2006 passe devant les tribunaux dès l’année suivante : elle est condamnée à des dommages et intérêts pour avoir utilisé le logo de la marque Royal Canin sans son accord.

En 2010, c’est après avoir aspiré le contenu de la base de données de Deezer, s’être fait saisir ses serveurs puis avoir tenté de monnayer la faille de sécurité qu’il avait utilisée, qu’il repasse avec deux compères devant les tribunaux.
Il sera relaxé.
En 2012, c’est pour un site d’enchère inversé lancé en 2009 qu’il est condamné.

« Pas très doué le bougre » serait-on tenté d’en conclure ?
En fait, il ne fait qu’apprendre le métier… et bien loin l’idée de lui en dissuader : la très grande clémence de la justice a plutôt eu tendance à lui faire pousser le bouchon plus loin.

En effet, Foussard n’a pas froid aux yeux et son audace lui a permis entre 2 passages aux tribunaux de déceler un des filons favoris des arnaqueurs à l’abonnement caché : les démarches administratives.

Foussard passe à la vitesse supérieure

Nous en avons parlé à de multiples reprises, l’arnaque à la démarche administrative consiste à vous faire payer pour obtenir des documents gratuits prenant pour prétexte de vous « assister » dans votre demande.

Julien Foussard commence à perfectionner sa technique pour en tirer le maximum.
Il met en place des sites qui ressemblent à quelque chose d’officiel, une ergonomie qui montre bien où il faut cliquer pour passer une commande à petit prix tout en cachant bien sa véritable intention : il vous engage à payer chaque mois un abonnement sans que vous ne vous en rendiez compte.

Pour maximiser ses chances, il achète des publicités chez Google pour apparaître sur les recherches des gens souhaitant faire ces démarches administratives : ses propres sites apparaissent donc au dessus des sites gouvernementaux !

Malgré tout, le tribunal de Paris, dans des attendus que l’on pourra qualifier de « surprenants », prononcera en 2012 une relaxe pour l’accusation de pratique commerciale trompeuse qui lui était faite dans ce dossier (il sera malgré tout condamné pour faux et escroquerie cette même année).

Mais rien n’arrête l’inébranlable Foussard qui perfectionne toujours sa technique : il abaisse les demandes de paiement initiales à 1 euro pour maximiser le nombre d’abonnés malgré eux qui tombent chaque jour dans ses filets et continue à multiplier les sites.
Nouvelle condamnation en 2017, cette fois avec de la prison.

L’arnaque en mode industriel

L’équipe de Signal Arnaques l’a remarqué à plusieurs reprises, certaines parties du monde semblent se spécialiser dans des types d’arnaque bien particuliers :

- les arnaques d’avance de frais en Afrique de l’Ouest, le piratage en Europe de l’Est, la contrefaçon en Chine,
- l’arnaque financière en Israel, la vente forcée au Danemark… et, sans que nous ne parvenions à l’expliquer pendant longtemps,
- les abonnements cachés en Angleterre.

La trajectoire de Julien Foussard nous donne une réponse à cette question : il émigre en 2014 à Londres pour y monter « Iron Group » ainsi qu’une myriade de sociétés qui vont lui servir à passer à la vitesse supérieure.

Mais pour comprendre l’ampleur de l’arnaque, regardons en peu les rouages.

Pour mettre en place les fameux abonnements qui vont régulièrement tirer de l’argent sur les cartes bleues de vos pigeons, il vous faut un contrat « Vente à Distance » (VAD) avec une banque.
Mais ce n’est pas si simple.

Premier problème : une banque risque fort de ne pas cautionner votre business si elle se rend compte de votre « stratégie ».
Deuxième problème : si vos transactions ont un taux d’opposition supérieur à x % (x ayant généralement une valeur autour de 4), la banque mettra fin à votre contrat VAD.

Afin de faire face à ces problèmes, Iron Group déploie une stratégie machiavélique :

Il se débrouille pour calmer les clients mécontents en leur facilitant de désabonnement via des plate-formes dédiées, voire en faisant un « geste commercial » après leur avoir expliqué que tout était de leur faute.
Du coup, il limite les oppositions.

Il passe par de nombreuses sociétés contractant chacune des contrats VAD afin de limiter le risque lié à la fermeture éventuelle d’un VAD par une banque.

Il crée deux versions de ses sites : une version pour les gens accédant « normalement » au site (c’est à dire en tapant son adresse url) conforme à la loi, une version pour les internautes cliquant sur les fameuses publicités pour les faire tomber dans son piège.

Résultat : tous les gens susceptibles de faire des vérifications sur les sites d’Iron Group (banques pour les VAD, Google pour les publicités, la DGCCRF, les services de police, etc.) seront redirigés vers la « bonne » version du site.

Comme le business marche diablement bien, Iron Group pousse la logique aussi loin qu’il le peut :

Il monte une « usine » à sites web, tous bâtis sur le même modèle pour multiplier les opportunités

Il embauche à la pelle des stagiaires venus de France qui participent à l’arnaque sans forcément tout comprendre : mais ils ne coûtent pas cher et ils repartent avant d’avoir trop d’états d’âme.

A l’occasion, il fait lancer des attaques sur des sites légitimes pour les rendre indisponibles et augmenter les visites sur le sien

Grâce au machine-learning, il identifie des pigeons un peu plus gros que les autres dont il va pomper les comptes quelques mois en dehors de toute autorisation.

Il monte une vitrine de start-up aux méthodes marketing révolutionnaires (tu m’étonnes!) supposées expliquer ses résultats financiers indécents.
Il crée un fond d’investissement par la même occasion.

Il donne à son patron Julien Foussard, une image « French Tech » ultra tendance, faisant des apparitions dans « Les échos » ou « BFM Business ».

Et à la fin, ce sont les gentils qui gagnent ?

Les témoignages d’ex-employés et les enquêtes des autorités ont fini par forcer Iron Group à cesser ses activités… et Julien Foussard à se faire un peu plus discret.
Néanmoins, on est en droit de se demander si la punition sera à la hauteur de l’arnaque.
On parle en effet d’un préjudice total supérieur à 100 millions d’euros !

Un individu qui a accumulé autant d’argent a forcément acquis la panoplie qui va avec :

Des avocats qui sauront faire traîner les procédures suffisamment longtemps

Des conseillers financiers qui auront pu l’aider à placer suffisamment d’avoirs hors d’atteinte en passant par diverses sociétés-écrans et autres prête-noms.

Des points de chute dans différents pays suffisamment opaques qui lui permettraient d’y replier discrètement quelques fonds… voire de s’y réfugier lui-même !

Si on y ajoute l’extraordinaire mansuétude judiciaire dont Julien Foussard a bénéficié jusque-là, on a toutes les raisons de se méfier quant aux suites de cette affaire.
D’autant qu’on peut se demander si tout cela est vraiment fini !

En effet, en visitant l’un des domaines déclarés dans une des filiales du groupe Iron, on arrive à une page étrange…

De clic en clic, on finit par tomber sur une des ces fameuses arnaques à l’abonnement caché incluant un smartphone à 2 euros.

La société derrière cette arnaque est en République Tchèque et n’est pas répertoriée parmi les filiales connues d’Iron Group.

Mais alors pourquoi donc le domaine appartenant à cette filiale mènerait à cette arnaque ?
Nous ne sommes probablement pas au bout de nos surprises…


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