Par Laurent Sacco - 13/12/2018.
Un plasma de quarks-gluons, encore appelé quagma,
existait pendant les premières microsecondes du Big Bang.
On peut le reconstituer sur Terre depuis les années 2000
grâce à des collisions d'ions lourds, et maintenant avec des noyaux plus
légers.
Il se forme alors une sorte de fluide sans viscosité,
capable d'adopter des formes, comme des gouttes de liquide.
Une
présentation du quagma. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle,
cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite.
Les sous-titres en anglais
devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle,
puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez
« Français ». © Fermilab
La théorie des quarks a été proposée indépendamment par
deux physiciens, George Zweig et Murray Gell-Mann, en 1964.
Elle va progressivement s'imposer malgré un scepticisme
initial, dû notamment au fait que ces nouvelles particules ne pouvaient pas
être isolées ni observées séparément comme c'est le cas pour les composants des
atomes, électrons et nucléons.
Les collisions d'hadrons, supposés être formés de quarks,
ne donnaient jamais que des hadrons.
Mais au début des années 1970, alors que les données
expérimentales commençaient à fournir des preuves incontestables de la
structure en quarks des protons et des neutrons en particulier, Gell-Mann et
Harald Fritzsch complètent la théorie.
Ils découvrent, en 1972, les équations de la QCD (la
chromodynamique quantique) qui gouverne les forces nucléaires entre les quarks
en introduisant des cousins du photon, les gluons.
L'année suivante, en 1973, Gross, Politzer et Wilczek
découvrent aussi la liberté asymptotique découlant de ces équations et
impliquant que les forces entre quarks ne font qu'augmenter si l'on essaie de
les séparer, tant est si bien que l'énergie utilisée pour tenter de le faire
provoque la formation de nouveaux quarks qui se lient rapidement en donnant des
hadrons.
Voir les explications ci-dessus pour les collisions entre
noyaux représentées par un artiste (en bas) et vu dans le détecteur de
l'expérience Phenix (en haut). © Javier Orjuela Koop, University of Colorado,
Boulder
Les quarks apparaissaient donc comme confinés dans les
nucléons.
Mais on ne tarda pas à découvrir que dans des conditions
de pression et de température analogues à celles du Big Bang, ou rencontrées
lors de collisions violentes de nucléons, les quarks devaient se déconfiner
pour former un plasma dense et chaud où ils sont libres de se déplacer.
Ce nouvel état de la matière, au départ une simple
prédiction théorique, a été appelé un quagma et plus généralement un plasma de
quarks-gluons.
La première création de ce plasma de quarks et de gluons
par l'Humanité a été annoncée en février 2000 par les chercheurs du Cern.
L'étude de ce plasma s'est poursuivie par la suite
surtout au Laboratoire national de Brookhaven aux États-Unis, en particulier
avec le collisionneur d'ions lourds relativistes (RHIC, Relativistic Heavy Ion
Collider).
On le produit essentiellement en accélérant en sens
inverse deux faisceaux de noyaux lourds, de cuivre ou d'or pour les faire
entrer en collision frontale.
On peut faire de même au LHC avec des noyaux de plomb.
Des expériences similaires concernant le quagma ont ainsi
été réalisées avec le détecteur Alice.
Des bulles de quagma en expansion sans viscosité
Aujourd'hui, les physiciens travaillant avec RHIC, dans
le cadre de l'expérience Phenix, viennent de publier un article dans Nature
Physics.
Un article qui, sans annoncer une percée fondamentale en
physique (on sait par exemple qu'il y a des liens entre la physique du quagma
et la théorie des supercordes dans le cadre de la fameuse correspondance
AdS/CFT), n'en est pas moins intéressant car il valide des prédictions faites
il y a quelques années par des chercheurs, comme le physicien Jamie Nagle, en
se basant sur des expériences au LHC justement.
Une
présentation des recherches sur le quagma avec RHIC. Pour obtenir une
traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à
droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite
sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur " Sous-titres " et enfin
sur " Traduire automatiquement ". Choisissez " Français ".
© BrookhavenLab
Les collisions d'ions lourds font intervenir des
centaines de protons et de neutrons et on s'attendait à ne pouvoir observer le
quagma que de cette façon. Mais les détecteurs CMS et Alice du LHC ont fourni
des indications de l'apparition de ce plasma déjà dans des collisions de
protons.
Il s'agissait de vérifier ce phénomène de production d'un
quagma avec des collisions entre des systèmes contenant un plus petit nombre de
nucléons que des ions d'or ou de plomb.
Les théoriciens s'attendaient à ce que le comportement du
plasma formé reflète la nature des particules en collision.
En effet, le quagma se comporte en fait comme un fluide
presque parfait, sans viscosité.
Il peut donc
s'écouler à la façon de l'hélium liquide avant de se refroidir en donnant des
gouttes de liquide hadronique visqueux, c'est-à-dire des hadrons.
La géométrie du flot de ces hadrons, dans le détecteur
entourant le lieu de formation du quagma, permet de remonter à sa structure
initiale, celle d'une goutte de liquide adoptant des formes bien particulières.
L'idée a été mise en pratique avec des collisions de
noyaux d'or (symbole Au) avec respectivement des protons, des deutérons (un
proton et un neutron) et des noyaux d'hélium trois (3He, deux protons + un neutron).
Les flots résultant devaient être là aussi respectivement
ceux d'une sphère en expansion, d'un ballon de rugby (la somme de deux sphères
en expansion) et d'un triangle (la somme de trois sphères en expansion).
C'est effectivement ce qui a été observé. Ces résultats
pourraient aider les théoriciens à mieux comprendre comment le plasma originel
de quark-gluon du Big Bang s'est refroidi en quelques millisecondes, donnant
naissance aux premiers protons et neutrons.
CE QU'IL FAUT RETENIR
Les quarks, qui s'attirent entre eux avec une force
augmentant avec la distance, ne sont jamais solitaires.
Mais dans un tout petit volume, avec des pressions et des
températures très élevées, les quarks des protons, des neutrons et autres
hadrons peuvent exister sous la forme d'une sorte de gaz appelé quagma, ou
plasma de quarks et de gluons.
Dans ce quagma, qui se comporte comme un liquide parfait
sans viscosité, des physiciens, au laboratoire, ont observé des tourbillons
dont les vitesses de rotation dépassent de loin celles mesurées dans tous les
fluides connus à ce jour.
Avec l'expérience Phenix aux États-Unis, les chercheurs
ont maintenant observé que du quagma pouvait se former avec des simples
collisions entre noyaux légers et lourds alors que l'on pensait qu'il fallait
nécessairement des collisions d'ions lourds pour produire sur Terre ce plasma
exotique.
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