samedi 11 mai 2019

Les Mythes

PHILOSOPHIE DES MYTHES

Essais philosophiques de Fernand Reymond

Les Mythes sont définis comme récits de fiction plus ou moins légendaire, ayant trait aux origines ou à un avenir spéculatif.

La philosophie du VI et IVème siècle AV JC en Grèce, s’est instituée comme alternative à la pensée mythologique dont les maîtres furent Homère et Hésiode, pour lui substituer une pensée réflexive s’appuyant non plus sur la poésie imaginaire mais sur la raison rationnelle.

Homère (1812), par Philippe-Laurent Roland, musée du Louvre

Platon le chef de file de ce nouveau courant philosophique voulait bannir le mythe et le poète de sa cité idéale, car ils sont sources d’illusions.

Platon, copie du portrait exécuté par Silanion pour l'Académie vers 370 av. J.-C., Centrale Montemartini.

Néanmoins Platon lui-même dans sa philosophie, lorsque la pensée rationnelle abstraite ne suffit à pas préciser un raisonnement inventa lui aussi des mythes connus sous le nom de mythes platoniciens.

Portrait supposé d'Hésiode - Musée du Louvre.

Ce sont par exemple : le mythe des androgynes d’Aristophane dans le Banquet, le mythe de l’attelage ailé du dialogue le Phèdre, le mythe de la conception d’Eros du Banquet et le fameux mythe de la caverne dans la République, le mythe d’Er le Pamphilien sur le devenir des âmes en enfer etc…

La Grotte de Platon, attribué à Michiel Coxcie, milieu du xvie siècle. Huile sur bois de peuplier. Musée de la Chartreuse, Douai.

Les Présocratiques grecs avaient une philosophie poétique et mythologique, Thalès de Milet, Anaximène, Xénophane par exemple considéraient qu’à l’origine il y avait un principe fondamental source de tout le reste.

Portrait de Thalès, dans une édition de 1761 de l'ouvrage de Diogène Laërce : Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres.  User:Flappiefh

Pour Thalès c’étaient les eaux primordiales, pour Anaximène l’air, pour Xénophane la terre.
Mais ces interprétations abstraites du monde n’étaient que l’abstraction élémentaire des mythes antérieurs qui faisaient de Zeus le maître du feu et du monde, Hadès le maître de l’air ou Poséidon le maître de l’eau et Gaïa la maîtresse de la terre et la mère originelle.

L'eau est selon Thalès le principe explicatif de toute chose. Sven Hoppe

Pour le philosophes la Physis soit la Nature était dominée par Nomos, c'est-à-dire par le Loi, les lois de la Physique, comme Zeus dans les mythologies par sa loi de monarque olympien avait vaincu le Chaos

Éon et Tellus (Gaïa) entourée de quatre enfants, peut-être les saisons personnifiées, mosaïque romaine d'une villa de Sentinum, début iiie siècleGlyptothèque de Munich (Inv. W504) . User:Bibi Saint-Pol

Les stoïciens le grec Epictète et le latin Marc Aurèle considéraient mythologiquement le monde avec quatre éléments fondamentaux, la terre, l’air, le feu et l’eau qui étaient animés par un souffle divin appelé le pneuma.

Epicteti Enchiridion Latinis versibus adumbratum (Oxford 1715) frontispiece

Puis les philosophes durant des siècles se désintéressèrent des mythes qu’ils rangèrent au rayon de la superstition.

Carte de la Grèce homérique, telle que décrite principalement dans le Catalogue des vaisseaux et des Troyens
Photo Patroklis

Kant accordait aux mythologies et aux représentations religieuses le statut d’illusions transcendantales.

Kant  Johann Gottlieb Becker (1720-1782)

Car pour lui la connaissance humaine ne pouvait avoir accès qu’aux phénomènes, c’est dire à ce qui nous apparaissait, reléguant les noumènes, c’est dire la chose en soi inaccessible à l’expérience, dans le domaine du religieux, du sacré inexplicable seulement représentable par des symboles et des mythes qui ne peuvent pas être vérifiés par la raison et qui ne peuvent pas accéder au statut de concept rationnel.

Relief représentant Marc Aurèle et les membres de la famille impériale procédant à un sacrifice devant le temple de Jupiter, Palazzo dei Conservatori (Musei Capitolini).

Ce n’est qu’au XIX ième siècle que les philosophes se penchèrent de nouveau sur la mythologie.

Schopenhauer dans son « Monde comme volonté et représentation » créa un nouveau mythe pour expliquer la philosophie du monde, c’est la Volonté, soit le vouloir vivre unissant tous les règnes minéral, végétal et animal ainsi que l’homme.

Portrait (1852)

Pour Schopenhauer le monde n’existe pas en dehors de la représentation que les vivants s’en font. Donc le monde réel n’est pas si étranger au monde mythique puisque ce monde mythique est une interprétation, une représentation du monde réel.

Nietzsche dans «  La naissance de la tragédie » définit deux dieux grecs comme instigateurs de l’art, l’affrontement entre Dionysos le dieu de l’instinct, de l’ivresse et de l’extase et Apollon le dieu de la mesure, de la loi, de l’harmonie. C’est de la synthèse entre les forces de ces deux dieux que naît l’art qui rend compte de la tragédie humaine.

Friedrich Nietzsche

Freud fonda une nouvelle mythologie celle des pulsions sexuelles qui déterminent la psyché humaine, Il institua le mythe d’Œdipe comme le mythe fondamental structurant de la personnalité des névrosés et subsidiairement le mythe de Narcisse comme le fondement de la personnalité archaïque des psychotiques, puis dans « Au-delà du principe de plaisir » il affirma que l’Inconscient est sous la tutelle de deux types de pulsions contradictoires, les pulsions de vie et les pulsions de mort, ce que les anciens grecs définissaient déjà dans la lutte entre Eros et Thanatos.

Photographic portrait of Sigmund Freud, signed by the sitter ("Prof. Sigmund Freud") - Max Halberstadt

Bachelard au XX ème siècle influencé par la psychanalyse, établit une philosophie d’inspiration mythologique dont il rend compte dans :

« L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière » en1942

« L’air et les songes, essai sur l’imagination du mouvement » en 1943

« La terre et les rêveries de la volonté, essai sur l’imagination des forces » 1948

« La terre et les rêveries du repos, essai sur les images de l’intimité » en 1948

Claude Lévy Strauss anthropologue fait des mythologies une analyse structuraliste, c’est avec «  Les structures élémentaires de la parenté » qu’il théorise les mythes à partir de l’interdit de l’inceste et des lois sociales du mariage exogamique, c'est-à-dire du mariage en dehors de la famille, pour lui les mythes structurent les formes de la société entre le nombre deux des oppositions de la différence entre le masculin et le féminin et le nombre trois de la triangulation père,mère et fils ou fille.

 Sa conception du totémisme est en relation avec la filiation directe entre l’animal et l’homme, le totem étant l’ancêtre du clan, l’esprit du clan avec l’interdit de le manger et le devoir de le vénérer.

Mais étant bien entendu que cette filiation avec le totem est une filiation symbolique et non réelle, les individus et les tribus se différenciant les uns des autres comme les espèces animales figurant les totems se différencient les unes des autres ; il s’agit plus d’une taxinomie symbolique que d’une réelle filiation généalogique entre le totem et l’individu.

Mircea Eliade réhabilite les mythes et les rites qui vont avec, pour un retour aux origines dans le tout Un, l’harmonie avec le cosmos, la divinité.

Dans notre monde contemporain scientiste et profane, il affirme comme Carl Gustav Jung que notre inconscient individuel et collectif a besoin de renouer avec ces symboles, mythes et rites sacrés, car le spirituel est au fondement de notre psyché, sinon nous n’échappons pas aux désordres pathologiques de la psyché.

Freud, déjà, attribuait aux mythes la fonction de soudure sociale, dans « Totem et tabou » il invente un mythe celui du meurtre du père de la horde primitive.

Le père de la horde primitive tué par ses fils car il concentrait tous les pouvoirs et il possédait exclusivement toutes les femmes au dépend de ses fils.

Ce meurtre du père de la horde primitive est initiateur de la culpabilité inhérente à tous les hommes, il est fondateur de la hiérarchie sociale, de la loi.

Jacques Lacan va plus loin en instituant «  le nom du père » comme signifiant primordial nécessaire à l’accession à l’ordre symbolique du langage et de la parole, signifiant du nom du père qu’il définit comme moteur de la castration symbolique indispensable à l’acquisition de la parole et du langage.

La castration symbolique étant le fait que pour accéder à la parole et au langage, l’instinct, la pulsion doivent renoncer à l’être, au principe de plaisir pour se soumettre à la loi de l’interdit de l’inceste et au principe de réalité qui nous condamne au paraître à défaut d’être réellement.

La castration symbolique signifiant que l’homme parlant contrairement à l’animal, a ses instincts domestiqués dans la conscience et refoulés dans l’inconscient.

Michel Boccara chercheur au CNRS et anthropologue dans son ouvrage «  La part animale de l’homme » reproche au structuralisme de ne considérer les mythes que comme des récits signifiants.

Pour lui les mythes sont indissociables de l’action car les mythes sont actualisés dans des rites et des affects qui eux sont liés aux angoisses de mort et de résurrection.

Le problème du mythe est indissociable du problème de la mort et de la résurrection. Le mythe a dans sa genèse une origine le chant animal qu’imitaient les hommes pour communiquer avec le monde animal qu’ils considéraient comme leur ancêtre leur totem, celui dont ils étaient issus, celui qui les initierait au devenir après la mort.

Pour lui dans le mythe, la mort n’est pas figurée comme un néant mais comme un autre monde, s’approprier les mythes dans l’action du rite et l’affect, c’est domestiquer la mort.
Pour lui le chaman c’est l’initié qui fait régulièrement l’aller retour de la vie à la mort et retour à la vie, par un voyage initiatique.

Le sacré et le mythe sont liés, les mythes sont les fondements de l’inconscient, ils sont émanations de notre interprétation de l’en deçà des origines et de l’au-delà de la mort.
Les mythes touchent au numineux, c'est-à-dire au sacré, à ce qui nous transcende.

La science moderne crée elle aussi des mythes comme le « Big bang » par exemple.

La mécanique quantique a aussi développé un mythe celui des quantas pour résoudre l’incompatibilité de la mécanique classique et de la mécanique ondulatoire, en synthétisant la mécanique corpusculaire et la mécanique ondulatoire.

Les mythes sont une interprétation du réel conforme à nos espérances plus qu’à notre raison.
Les mythes sont des formules métissées entre poésie et science.

Ce sont des représentations mentales conformes aux phantasmes inconscients.

Pour la psychanalyse les mythes sont le devenir conscient des phantasmes inconscients, ils spéculent tous sur nos origines et sur notre devenir eschatologique.

Les mythes sont les interprétations religieuses ou profanes de l’être et du non être.

Ils ont à voir avec le Désir inconscient, ils sont le fruit d’une imagination qui tente de réduire les impasses, les apories de la dialectique et du raisonnement scientifique, ils sont la création de poètes inspirés par les muses.

Les muses étant les allégories de nos pulsions, de nos instincts qui forcent notre volonté à souder les fractures les antinomies vie/mort par l’imagination qui crée des solutions satisfaisant notre âme plus que notre intellect.

Les mythes sont des allégories concrètes, qui sont codées, qui demandent interprétation, une exégèse.

Les mythes sont des formules concrètes pour illustrer ce que l’abstrait conceptuel ne peut exprimer.

LES MYTHES ET LA PHILOSOPHIE POLITIQUE

Mythes : dans le sens de récits fabuleux ou légendaires, mais surtout dans le sens qui nous intéresse ici, de représentations idéalisées de l'état de l'humanité dans un passé ou un avenir fictif.

Les mythes sont des allégories imaginaires qui par leur valeur de symboles emportent l'adhésion des esprits.

Les mythes servent de modèles à la psyché des individus, se sont des paradigmes d'identification, pour régler les conduites et les mœurs selon des règles morales collectives pour s'identifier aux héros fabuleux ou légendaires sous la bannière desquels s'unissent les individualités sociales pour rejoindre leurs idéaux collectifs.

La Politique étant entendue comme le gouvernement de la vie de la cité (polis = cité), de la nation.

Les philosophes grecs s'efforcèrent de sortir l'humanité de la pensée mythique des temps archaïques pour la faire accéder à la pensée rationnelle, au logos et certain comme Platon se proposait de chasser le poète de la cité car il était tel Homère le maître de la pensée mythique imaginaire fruit de toutes les illusions et vecteur de l'irrationnel.

Platon a écrit "La République " son chef d'œuvre de la philosophie politique, mais pour mieux fixer ses idées abstraites sur la différence entre le monde du sensible donc de l'illusion avec le monde de l'intelligible ou de la raison dialectique, il n'a pu faire l'économie de la création d'un nouveau mythe : le mythe de la Caverne.

Et il semble que depuis des siècles depuis la fondation de la démocratie athénienne, les politiques n'ont pu se dispenser de créer de nouveaux mythes pour cimenter la pluralité des sujets des royaumes ou des citoyens des Républiques.

La politique depuis les temps immémoriaux jusqu'à nos jours a toujours étayé son action sur une théorie qui dans les temps anciens s'appuyait sur la notion du sacré qui fondait le droit et organisait la justice.

Que ce soit la notion de sujets dans les royaumes ou les empires et leur sujétion au Roi de droit divin dans les monarchie absolues qui s'appuyait sur le mythe que le Roi était descendant du Dieu; ou son intercesseur sur terre entre les fidèles et la divinité; ou que ce soit la notion de citoyen dans les Républiques grecques ou romaines qui s'appuyait sur la notion sacré de liens du sang unissant les protagonistes d'une même cité Athènes ou Rome descendant de Romulus et Remus les fondateurs de la cité .

Toutes ces notions,fondement, de l'unité politique, s'étayaient sur un mythe des origines avec leurs cortèges de héros acteurs de grandes œuvres épiques .

La Politique moderne n'échappe pas à cette création imaginaire de théories sacrées qui transcendent le profane, le trivial de la vie communautaire et institutionnelle.

La révolution française a créé ses mythes comme la Bastille, la nation une et indivisible, tout comme sa devise "Liberté, égalité, fraternité" qui débouche sur des textes sacrés comme "La déclaration des droits de l'homme et du citoyen" qui depuis ont largement dépassé la république pour devenir déclaration universelle des droits de l'homme de l'organisation des nations unis.

Mais ces textes même restent des mythes, des idéaux imaginaires auxquels doivent tendre les politiques mises en œuvre dans les différents états qui naviguent entre l'idéal à atteindre et la réalité autrement plus subjective et plus profane que le texte sacré.

Le communisme a sa bible sacré lui aussi c'est "Le Capital " de Karl Marx et les régimes totalitaires de l'Est ont usé du Mythe utopique du communisme, jusqu' au Goulag et aux grands procès staliniens.

Maintenant un nouveau mythe structure la pensée unique de la mondialisation capitaliste sauvage c'est "la loi du Marché" sans aucune régulation.

L'impérialisme américain s'appuie sur un mythe, celui des pionniers de l' Ouest et de leur dogme " la libre entreprise", la ruée vers l'or du Nouveau Monde dont l'iconographie du cinéma Western est l'emblématique représentation du sacré chez les américains qui n'ont pas d'histoire et qui la résume en un raccourci saisissant .

Donc la politique ne peut pas se passer de Mythes, car s'en passer ce serait se passer d'Idéal, donc de But pour permettre la quête dont les mythes sont le moteur qui mobilise les individus.

Pour lutter contre le mythe du marché, qui structure la pensée unique et la mondialisation, qui survient, après la mort de Dieu au siècle dernier en Occident, et après la mort des idéologies avec l'effondrement du communisme, le problème est de créer de nouveaux mythes afin de structurer l'avenir politique.










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