Par Valérie Lassus et Alain Pitton (Reporterre) – 12/01/2019.
Toulouse (Haute-Garonne), reportage
En France, on a d’abord entendu leur nom lors de
l’expulsion de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, les streets medics.
Depuis, ces secouristes volontaires œuvrent partout où la
répression des contestations est agressive.
À Toulouse, la Ligue des droits de l’homme (LDH) recense
250 à 300 blessés depuis début décembre.
À Toulouse, devant la violence des manifestations
entre les Gilets jaunes et les forces de l’ordre, un groupe d’une soixantaine
de volontaires s’est constitué pour porter secours à tout le monde. Reporterre
les a suivis pendant un mois et demi.
L’absence d’écho donné à leur nombre et à la gravité des
blessures n’empêche pas la prise de conscience et les initiatives.
Ainsi, la Ville rose a vu naître aux côtés d’une poignée
de medics solitaires un groupe étonnant par sa genèse et sa sociologie : les «
secouristes volontaires toulousains ».
Une équipe en action :
deux secouristes confirmés s’occupent des soins. Un volontaire s’occupe de
filmer et photographier, un autre est en rapport avec la régulation, les autres
font « la bulle » en levant les bras autour de ceux qui prodiguent les premiers
soins alors qu’un canon à eau est en approche. Toulouse, le 5 janvier 2019.
Un groupe d’une soixantaine de bénévoles qui reflète les
valeurs démocratiques portées par les Gilets jaunes, dont beaucoup sont issus.
« Nous portons secours à tout le monde : manifestants,
passants, policiers. Je pense que notre attitude permet une tolérance des
forces de l’ordre à notre égard.
Nous avons été les seuls à rencontrer le directeur de
cabinet du préfet et à passer un accord oral de principe pour que nos équipes
puissent travailler à peu près sereinement.
Il arrive que les forces de police essaient de nous
empêcher de passer, tentent de nous intimider en nous bloquant, qu’ils nous
arrosent sciemment avec leur canon à eau…
Mais, d’autres fois, ils nous remercient d’être là, nous
facilitent l’accès à un blessé.
Des petites choses. Il faut maintenir ce sésame »,
explique Julien, colosse à la trentaine souriante.
Voici les portraits de quelques-uns de ces volontaires.
Guillaume Bru : «
Moi, je suis le citoyen lambda »
Guillaume, à Toulouse, le 15 décembre.
Le 4 décembre, Guillaume Bru, choqué par ce qu’il a vu
trois jours plus tôt en manifestation, poste un appel sur Facebook.
Le lendemain, ils étaient 40 à la première réunion.
Les « secouristes volontaires toulousains » étaient nés.
Le succès de la page Facebook ?
Oui, ça m’a surpris, surtout que moi, je ne suis
personne, je suis le citoyen lambda.
Je n’ai aucune expérience de secouriste, j’ai une
formation de pilote mais, aujourd’hui, je travaille dans une entreprise de
sous-traitance aéronautique.
Bref, je ne suis pas une voix qui compte.
Comme d’autres, j’ai juste fait le constat de l’absence
de services de prise en charge des blessés.
La brutalité, elle est des deux côtés, mais là, on a vu
[dans toute la France] des yeux crevés, une main et un pied arrachés, un coma,
un décès à Marseille, des passants de tous âges gazés, coursés…
Comme certains d’entre nous viennent au départ du
mouvement des gilets jaunes, nous accordons une grande importance au
fonctionnement démocratique du groupe.
Parce que les Gilets jaunes viennent de toutes les
catégories socioprofessionnelles, nous avons pu rassembler des compétences
multiples, récolter des contacts très utiles de gens qui connaissent le droit,
trouver des locaux, etc.
Nous sommes par exemple épaulés pour la partie juridique
par la LDH, la Fondation Copernic et un collectif d’avocats. »
Guillaume Bru
Clément : « La
reconnaissance des gens me porte »
Clément, à Toulouse, le 8 décembre.
Clément a 29 ans.
Il est 100 % Toulousain, informaticien, sauveteur secouriste du travail, Gilet
jaune affirmé. Ce sont ses premières manifestations.
Le premier lundi
des manifestations lycéennes, j’étais dans le centre-ville pour le travail et
j’ai voulu voir comment se passait la manif.
Quand j’ai
observé le comportement des flics envers les gamins, j’ai été scandalisé.
Le lendemain,
j’ai pris mon matériel, j’étais avec ma compagne et des amis, j’ai commencé à
porter secours, comme ça, tout seul.
C’est là qu’on
m’a parlé de l’initiative de Guillaume.
Depuis, je n’ai
plus quitté le groupe.
Le fait de
prendre soin de son équipe, de savoir que les autres sont là, c’est fort.
Ce qui me touche
énormément et me porte, ce sont les remerciements que l’on reçoit de toutes
parts.
C’est le signe
qu’on fait quelque chose d’utile, c’est une reconnaissance.
J’en ai même
repris un projet que j’avais laissé tomber : devenir ambulancier. Jusqu’à
présent, j’étais dans la production.
En gros, je
faisais gagner des sous à une entreprise.
En allant vers
l’aide aux gens, ma vie prend un autre sens. »
Clément
Julien : « Je ne pouvais pas accepter de voir
ça sans agir »
Julien rappelle comment poser un garrot tourniquet, le
5 janvier, avant la manifestation, à Toulouse.
Ancien pompier
militaire, aujourd’hui régisseur de théâtre, Julien se forme pour devenir
moniteur secouriste.
Moi, c’est en
voyant les images à la télévision que j’ai eu le déclic.
C’était le 1er
décembre, on parlait d’émeutes, il y avait des incendies au cœur de la ville,
un truc que les Toulousains n’avaient jamais vu.
C’était juste
pas possible pour moi d’accepter de voir ça sans agir.
Depuis, je
participe à toutes les manifestations, gilets jaunes, Marche pour le climat,
lycéens...
Nous n’avons pas
de message à faire passer, notre job c’est d’agir contre la violence, d’où
qu’elle vienne.
Mais nous
essayons d’aller plus loin, en offrant des conseils juridiques et une aide
sociale.
Avec d’autres
bénévoles, nous nous sommes mis par exemple à faire des maraudes pour aider les
SDF.
C’est comme ça,
il y a dans ce groupe beaucoup d’humanité, une chaleur extraordinaire. »
Julien
Inaya : « Avec eux, j’ai grandi »
Inaya, à Toulouse, le 15 décembre.
Inaya vient de
laisser tomber son boulot dans la restauration pour pouvoir mieux se consacrer
au secourisme.
Elle a été
sapeur-pompier volontaire pendant deux ans. Sa vie n’est pas un long fleuve
tranquille.
Elle a cofondé
l’Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles.
Son fils a failli
y passer, il a mis un an à s’en sortir. Inaya s’est battue comme une lionne.
Donner, elle connaît.
Mon premier et
seul souvenir de manif, c’était à Troyes, contre le CPE [contrat première
embauche].
J’y étais allée
avec ma grande sœur. Rien à voir. Ici, j’ai commencé en Gilet jaune mais le
déclic s’est fait dans la manifestation lycéenne du 6 décembre.
J’ai vu des
enfants de 12, 14 ans se faire matraquer, une violence, un manque de distinction vis-à-vis des divers
participants et des passants particulièrement choquants de la part des
policiers.
Avec les
Secouristes volontaires, j’ai grandi, j’ai pris dix ans.
C’est une claque
émotionnelle de se rendre compte de ce que l’on peut apporter aux autres, que
l’on peut faire du bien, concrètement, là, sur le terrain.
Une sensation
d’utilité que je n’avais pas de la même façon, même en soignant mon enfant et en aidant d’autres familles touchées.
J’en étais venue à penser “Tous pourris”, qu’il n’y avait plus de valeurs
humaines dans ce monde, tout ça… Je me trompais.
On met nos vies
entre les mains de nos collègues, des liens forts se tissent.
Cette
solidarité, c’est beau, ça fait du bien. »
Inaya
Ophélie : « Je cherchais ma place »
Ophélie, à Toulouse, le 29 décembre.
Ophélie est
animatrice auprès d’enfants. Elle a exercé mille et un boulots après ses études
de psycho.
Elle possède un
brevet de secourisme « qui date » et elle est engagée dans plusieurs mouvements
à vocation sociale et/ou écologique.
Même si je suis
d’accord avec les revendications des Gilets jaunes, j’étais contre la forme que
prenait leur mouvement.
Je suis quand
même allée faire un tour à la manifestation du 1er décembre.
Ce que j’ai vu en
centre-ville était révoltant : les forces de police tiraient des gaz et des
flashballs sans aucun discernement, c’était la panique totale.
Je me suis dit
que je ne pouvais pas ne rien faire.
Je cherchais ma
place dans ce mouvement quand je suis tombée sur la page Facebook de Guillaume.
Et à la première
réunion, ça a été une énorme émotion de se retrouver au milieu de tous ces gens
tellement différents mais prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Les secours,
c’est éreintant, ça peut être dur, mais ça a du sens.
Je m’amuse bien
et je me retrouve. Cette aventure humaine intense qui nous fait tous évoluer,
on est en train de réfléchir à lui donner une suite. »
Ophélie
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