(D’après « Le Gaulois », paru en 1904) et la France Pittoresque.
Assistant à la silencieuse déliquescence des moeurs
politiques, un chroniqueur du Gaulois déplore en 1904 la propension de ses
contemporains à répondre par une indifférence de plus en plus manifeste
lorsqu’un scandale impliquant un ministre vient à éclater...
« Le Combes de l’activité dévorante pour faire le mal
» Caricature parue dans Le Pèlerin du 27 juillet 1902
Il fut un temps où le pays se montrait soucieux du bon
renom de ceux qui avaient l’honneur de le gouverner.
Les hommes publics ne méprisaient pas la calomnie,
sachant bien « qu’il en reste toujours quelque chose », et lorsqu’on portait
atteinte à leur considération, jamais ils n’hésitaient à confondre celui qui
les accusait injustement.
Nous étions susceptibles, même chatouilleux, et quand le
glaive de la justice avait seulement effleuré, sans l’atteindre, un ministre ou
un ex-ministre, il se considérait lui-même comme à jamais disqualifié.
Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus accommodants.
Nous avons eu depuis quelques années tant d’occasions de
mépriser et de flétrir les maîtres de la France, que notre sens de
l’indignation s’est à peu prés émoussé.
Si l’on nous signale un méfait, un acte honteux dont se
serait rendu coupable un fonctionnaire haut placé, nous n’en éprouvons aucune
émotion.
Devant les scandales de l’affaire Humbert — scandale
secouant le monde politique et financier, qui éclata au tout début du XXe
siècle et impliquait une certaine Thérèse Imbert *, coupable d’escroquerie
durant vingt ans et mariée au fils du ministre de la Justice —, l’opinion
publique demeure indifférente, et si l’on nous démontrait demain que les
puissants du jour ont essayé de faire chanter les congrégations religieuses, je
crois bien que nous nous contenterions de hausser les épaules, déplore le
chroniqueur du Gaulois.
Thérèse Humbert et Maître Henri-Robert
Récemment, un journal officieux nous faisait connaître
qu’un trésorier-payeur qui avait volé les fonds confiés à sa garde avait été
couvert et protégé par M. Combes — Émile Combes **, président du Conseil des
ministres entre juin 1902 et janvier 1905.
Émile Combes.
Cette révélation sensationnelle n’a pas été relevée,
observe notre journaliste ; — à la Chambre on ne s’en est point occupé.
« Le nouveau Ministère » (1902).
La semaine dernière, M. Combes avouait publiquement qu’il
avait délibérément soustrait à ses juges naturels un corrupteur émérite ; on en
a parlé sans passion et comme d’une chose toute naturelle sous le régime où
nous avons la honte de vivre.
Aujourd’hui, la commission d’enquête, au début de ses
travaux, a découvert des faits qui suffiraient à déshonorer l’Empereur ou le
Roi qui les eût tolérés.
On a expurgé des dossiers d’instructions judiciaires,
faussé l’inventaire des procès, etc.
Le peu qui subsiste cependant nous montre la république
actuelle soutenue par une bande suspecte, qui la subventionne pour en obtenir
d’importantes faveurs.
C’est à peine si cette situation difficilement avouable
provoque chez les braves gens de légères nausées.
Enfin, l’on raconte publiquement, à tort ou à raison,
qu’on avait trouvé dans un coffre-fort appartenant à l’un des plus influents
dignitaires de la défense républicaine, toute une fortune dont l’origine
demeure inconnue.
On s’en étonne, quelques-uns en sourient, d’autres, moins
sceptiques, se contentent de dire :
« Je ne l’aurais pas cru. » Et c’est tout.
Nous nous accoutumons à l’avilissement des fonctions
publiques et surtout de ceux qui les exercent et si parfois nous en éprouvons
quelque dégoût, nous ne jugeons pas utile d’en laisser rien paraître.
Encore quelques mois de ce régime, et les honnêtes gens
seront considérés comme des êtres démodés, s’obstinant contre toutes raisons à
vivre en dehors du siècle.
Un jour — peut-être prochain — nous entendrons un membre
de l’opposition répondre à un ministre en ces termes :
« L’honorable fripouille qui descend de la tribune... »
Et le président ne songera même pas à le rappeler à
l’ordre.
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