dimanche 25 novembre 2018

Monuments d’éternité de Ramsès II


À la redécouverte des monuments d’éternité de Ramsès II.
Par Philippe Martinez et Philippe Walter le 23.11.2018.

Pour ce 5e épisode des Carnets d'Egypte, la mission de recherche qui étudie les peintures des tombes thébaines revient sur les travaux de Christian Leblanc Directeur de recherche honoraire au CNRS, qui travaille à l’occident de l’ancienne Thèbes depuis une quarantaine d’années

 Portrait de la reine Néfertari dans son tombeau de la Vallée des Reines

©LAMS /MAFTO / CNRS


Christian Leblanc, Directeur de recherche honoraire au CNRS, y a longtemps œuvré dans cette Vallée des Reines, exhumant patiemment les tombes des reines et princes de l'époque ramesside, de la 19e et de la 20e Dynastie.

De nombreuses épouses royales de la 18e Dynastie, connues par les seuls monuments, manquent cependant encore à l'appel.

©La Vallée des Reines vue du ciel (LAMS/MAFTO/CNRS)


Il est en effet possible que leurs corps momifiés aient été rassemblés dans une cachette sacerdotale, comme celle qui fut découverte non loin de Deir el Bahari en 1881.
Cette cache contenait les corps d'une quarantaine de souverains égyptiens.
Ils reposent aujourd'hui dans la salle des momies du Musée du Caire autour de celle de Ramsès II lui-même.

Momie de Ramsès II conservée au Musée du Caire ©LAMS/MAFTO CNRS


Depuis plus de vingt-cinq années, Christian Leblanc et les membres de son équipe se sont attelés à l'étude des monuments d'éternité de ce grand roi, son Château-de-Millions d'Années ou temple mémorial, le Ramesseum, et sa demeure d'éternité, tombe portant le numéro KV7 dans la fameuse Vallée de Rois.

Dans ce monument, le travail touche à sa fin.
Mais le dégagement de la tombe en avait découragé plus d'un depuis le 19e siècle.
Elle a en effet été envahie à de multiples reprises par des coulées de boue qui y ont formé une masse compacte et dure, tout en faisant littéralement exploser le calcaire déjà géologiquement fracturé dans les parties basses de cet immense hypogée.

Il a fallu toute la ténacité de Christian Leblanc pour venir à bout de cette fouille périlleuse.
Le monument nécessite maintenant d'importants travaux de soutènement et de restauration avant de pouvoir être enfin présenté au public.
Il s'agit d'un des plus grands tombeaux royaux de Thèbes.

Le Ramesseum vu du Nord ©LAMS/MAFTO/CNRS


En collaboration étroite avec le Centre d'Étude et de Documentation sur l'Ancienne Égypte (CEDAE) du Caire, et le soutien financier providentiel et vital de l'Association pour la Sauvegarde du Ramesseum, la MAFTO (Mission Archéologique Française de Thèbes-Ouest) s'est aussi attachée depuis maintenant un quart de siècle à l'étude scientifique, la restauration et la mise en valeur du Ramesseum, complexe religieux couvrant près de six hectares.

Le site avait déjà été fouillé par plusieurs équipes depuis la fin du 19e siècle, révélant une ruine imposante et romantique, dont les restes d'un énorme colosse de granit monolithe qui avec ses 20 mètres de haut et ses quelque 1 200 tonnes est une des plus grandes statues jamais sculptées au monde.

Les restes imposants du colosse de granit qui ornait la première cour du Ramesseum ©LAMS/MAFTO/CNRS


Les fouilles patientes menées par l'équipe française se sont en outre attachées à l'étude de restes jusque là méprisés qui ont révélé l'histoire complexe du site qui ne peut plus aujourd'hui être décrit seulement comme le temple de Ramsès II : cet espace cultuel a en effet abrité tout d'abord une nécropole populaire à l'époque du Moyen Empire, nécropole dont l'existence a perduré durant tout le début du Nouvel Empire, sans doute autour d'un sanctuaire vénéré, peut-être dédié à une divinité locale d'essence hathorique.

L'espace fut ensuite totalement terrassé pour pouvoir accueillir un nouveau sanctuaire.
Mais la date originelle de ce dernier semble remonter à la fin de la 18e Dynastie et il se peut que Ramsès II ait pu profiter au tout début de son règne d'un édifice demeuré en chantier, mais déjà bien avancé.

Ramsès II coupe la première gerbe en l'honneur des récoltes et du dieu Min, symbole de fertilité agraire©LAMS/MAFTO/CNRS


Les parois du temple montrent encore quelques hauts faits du règne du grand Ramsès, tels que le déroulement de la célèbre bataille de Qadesh.
Mais ce temple est avant tout un lieu de culte dédié à Amon, le plus grand dieu d'Égypte, et son programme iconographique est dédié tout entier à la divinisation de Pharaon, afin de lui permettre de se fondre dans la divinité et participer en elle à l'entretien du cosmos pour des millions d'années.

Vue à 360 degrés de la salle hypostyle du Ramesseum ©LAMS/MAFTO/CNRS


Le Ramesseum conserve aussi la trace de l'existence des centaines de prêtres qui assuraient son fonctionnement et dont nous étudions aujourd'hui les chapelles funéraires peintes.

Autour du temple de pierre se dressaient des structures de brique crue abritant les cuisines, les greniers, les celliers, les réserves de miel, d'huile, d'onguent et de parfums destinés au culte quotidien y prenant place.

Ces réserves qui rassemblaient la production de nombreux domaines agricoles et artisanaux étaient en outre destinées à nourrir des communautés locales de fonctionnaires royaux, telles que celle des artisans de Deir el Medineh, village modèle, situé à quelques centaines de mètres à l'ouest.

C'est au Ramesseum que ces ouvriers triés sur le volet pour creuser et décorer les tombes de la Vallée des Rois, décidèrent un jour d'installer le premier piquet de grève de l'histoire, alors qu'ils n'étaient plus rémunérés depuis de longs mois par un régime pharaonique en pleine déliquescence.

Un lieu de vénération

L'archéologie nous a aussi révélé que ces monuments d'éternité n'étaient pas en fait appelés à durer.

À peine plus de cent ans après la mort de Ramsès II et son enterrement dans ses gigantesques appartements funéraires, le temple cessa de fonctionner en tant qu'entité économique.
Ces structures ancillaires furent démontées et certaines de ses maçonneries réemployées non loin dans un nouvel édifice mémorial d'une taille tout aussi imposante érigé par Ramsès quatrième du nom.

Le temple de pierre continua néanmoins d'être un lieu de vénération et une nouvelle nécropole s'y installa, abritant les caveaux et chapelles de culte de membres de la famille royale et de nombreux prêtres.

Quelques siècles plus tard, il finit par être phagocyté à son tour par des constructions érigées au nom de souverains d'origine grecque, les Ptolémées, quelques kilomètres plus au sud.
La pierre de taille coûtait cher et le temple de Ramsès II était devenu une ruine que le dieu Amon ne daignait plus habiter.

Numérisation 3D d'une paroi montrant Ramsès II assis sous le perséa sacré ©LAMS/MAFTO/CNRS/insightdigital.org


Il fut bientôt remplacé par le dieu des chrétiens qui installèrent une église dans une salle où était encore visible un relief montrant le plus grand des Ramsès assis sous les frondes lourdes de fruits du perséa d'Héliopolis l'arbre dynastique de la royauté pharaonique.

Un quart de siècle a donc permis aux équipes de la MAFTO de révéler avec patience et passion l'histoire longue et complexe d'un secteur particulièrement passionnant de l'ancienne Thèbes.

Mais près de la moitié du complexe économique reste encore à fouiller et restaurer pour permettre aux touristes qui pénètrent cette ruine majestueuse d'en apprécier la puissance, tout en lui conservant son charme unique et envoûtant, souvent ignoré par les visiteurs les plus pressés.

Restitution 3D du colosse de granit ayant inspiré le poème de Shelley ©LAMS/MAFTO/CNRS/insightdigital.org


Ozymandias

Au 19e siècle, époque des Lumières et des révolutions contre la tyrannie d'ancien régime, les ruines de la statue de Ramsès II évoquaient pour un poète anglais épris de liberté, la vanité de ces constructions gigantesques, mais moins pérennes que ne l'aurait souhaité le Roi des Rois.

Voici ce poème de poème de Shelley, écrit en 1817, intitulé Ozymandias

Je rencontrai un voyageur venu d'une terre antique
Qui dit : "deux jambes de pierre vastes et sans tronc
Se dressent dans le désert. Près d'elles, sur le sable,
À moitié enfoncé, gît un visage brisé, dont le froncement de sourcil
Et la lèvre plissée, et le ricanement de froid commandement
Disent que le sculpteur sut bien lire ces passions
Qui survivent encore, empreintes sur ces choses sans vie,
À la main qui les imita et au cœur qui les nourrit.
Et sur le piédestal, apparaissent ces mots :
"Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois,
Regardez mes œuvres, ô puissants, et désespérez !"
Il ne reste rien à côté. Autour de la ruine
De ce colossal débris, infinis et nus,
Les sables solitaires, égaux, s'étendent loin.



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