À la redécouverte des
monuments d’éternité de Ramsès II.
Par Philippe Martinez et
Philippe Walter le 23.11.2018.
Pour ce 5e épisode des
Carnets d'Egypte, la mission de recherche qui étudie les peintures des tombes
thébaines revient sur les travaux de Christian Leblanc Directeur de recherche
honoraire au CNRS, qui travaille à l’occident de l’ancienne Thèbes depuis une
quarantaine d’années
©LAMS /MAFTO / CNRS
Christian Leblanc,
Directeur de recherche honoraire au CNRS, y a longtemps œuvré dans cette Vallée
des Reines, exhumant patiemment les tombes des reines et princes de l'époque
ramesside, de la 19e et de la 20e Dynastie.
De nombreuses épouses
royales de la 18e Dynastie, connues par les seuls monuments, manquent cependant
encore à l'appel.
©La Vallée des Reines vue du ciel (LAMS/MAFTO/CNRS)
Il est en effet possible
que leurs corps momifiés aient été rassemblés dans une cachette sacerdotale,
comme celle qui fut découverte non loin de Deir el Bahari en 1881.
Cette cache contenait les
corps d'une quarantaine de souverains égyptiens.
Ils reposent aujourd'hui
dans la salle des momies du Musée du Caire autour de celle de Ramsès II
lui-même.
Momie de Ramsès II conservée au Musée du Caire ©LAMS/MAFTO CNRS
Depuis plus de vingt-cinq
années, Christian Leblanc et les membres de son équipe se sont attelés à
l'étude des monuments d'éternité de ce grand roi, son Château-de-Millions
d'Années ou temple mémorial, le Ramesseum, et sa demeure d'éternité, tombe
portant le numéro KV7 dans la fameuse Vallée de Rois.
Dans ce monument, le
travail touche à sa fin.
Mais le dégagement de la
tombe en avait découragé plus d'un depuis le 19e siècle.
Elle a en effet été
envahie à de multiples reprises par des coulées de boue qui y ont formé une
masse compacte et dure, tout en faisant littéralement exploser le calcaire déjà
géologiquement fracturé dans les parties basses de cet immense hypogée.
Il a fallu toute la
ténacité de Christian Leblanc pour venir à bout de cette fouille périlleuse.
Le monument nécessite
maintenant d'importants travaux de soutènement et de restauration avant de
pouvoir être enfin présenté au public.
Il s'agit d'un des plus
grands tombeaux royaux de Thèbes.
Le Ramesseum vu du Nord ©LAMS/MAFTO/CNRS
En collaboration étroite
avec le Centre d'Étude et de Documentation sur l'Ancienne Égypte (CEDAE) du
Caire, et le soutien financier providentiel et vital de l'Association pour la
Sauvegarde du Ramesseum, la MAFTO (Mission Archéologique Française de
Thèbes-Ouest) s'est aussi attachée depuis maintenant un quart de siècle à
l'étude scientifique, la restauration et la mise en valeur du Ramesseum,
complexe religieux couvrant près de six hectares.
Le site avait déjà été
fouillé par plusieurs équipes depuis la fin du 19e siècle, révélant une ruine
imposante et romantique, dont les restes d'un énorme colosse de granit
monolithe qui avec ses 20 mètres de haut et ses quelque 1 200 tonnes est une
des plus grandes statues jamais sculptées au monde.
Les restes imposants du colosse de granit qui ornait la première cour du Ramesseum ©LAMS/MAFTO/CNRS
Les fouilles patientes
menées par l'équipe française se sont en outre attachées à l'étude de restes
jusque là méprisés qui ont révélé l'histoire complexe du site qui ne peut plus
aujourd'hui être décrit seulement comme le temple de Ramsès II : cet espace
cultuel a en effet abrité tout d'abord une nécropole populaire à l'époque du
Moyen Empire, nécropole dont l'existence a perduré durant tout le début du
Nouvel Empire, sans doute autour d'un sanctuaire vénéré, peut-être dédié à une
divinité locale d'essence hathorique.
L'espace fut ensuite
totalement terrassé pour pouvoir accueillir un nouveau sanctuaire.
Mais la date originelle de
ce dernier semble remonter à la fin de la 18e Dynastie et il se peut que Ramsès
II ait pu profiter au tout début de son règne d'un édifice demeuré en chantier,
mais déjà bien avancé.
Ramsès II coupe la première gerbe en l'honneur des récoltes et du dieu Min, symbole de fertilité agraire©LAMS/MAFTO/CNRS
Les parois du temple
montrent encore quelques hauts faits du règne du grand Ramsès, tels que le
déroulement de la célèbre bataille de Qadesh.
Mais ce temple est avant
tout un lieu de culte dédié à Amon, le plus grand dieu d'Égypte, et son
programme iconographique est dédié tout entier à la divinisation de Pharaon,
afin de lui permettre de se fondre dans la divinité et participer en elle à
l'entretien du cosmos pour des millions d'années.
Vue à 360 degrés de la salle hypostyle du Ramesseum ©LAMS/MAFTO/CNRS
Le Ramesseum conserve
aussi la trace de l'existence des centaines de prêtres qui assuraient son
fonctionnement et dont nous étudions aujourd'hui les chapelles funéraires
peintes.
Autour du temple de pierre
se dressaient des structures de brique crue abritant les cuisines, les greniers,
les celliers, les réserves de miel, d'huile, d'onguent et de parfums destinés
au culte quotidien y prenant place.
Ces réserves qui
rassemblaient la production de nombreux domaines agricoles et artisanaux
étaient en outre destinées à nourrir des communautés locales de fonctionnaires
royaux, telles que celle des artisans de Deir el Medineh, village modèle, situé
à quelques centaines de mètres à l'ouest.
C'est au Ramesseum que ces
ouvriers triés sur le volet pour creuser et décorer les tombes de la Vallée des
Rois, décidèrent un jour d'installer le premier piquet de grève de l'histoire,
alors qu'ils n'étaient plus rémunérés depuis de longs mois par un régime
pharaonique en pleine déliquescence.
Un lieu de vénération
L'archéologie nous a aussi
révélé que ces monuments d'éternité n'étaient pas en fait appelés à durer.
À peine plus de cent ans
après la mort de Ramsès II et son enterrement dans ses gigantesques
appartements funéraires, le temple cessa de fonctionner en tant qu'entité
économique.
Ces structures ancillaires
furent démontées et certaines de ses maçonneries réemployées non loin dans un
nouvel édifice mémorial d'une taille tout aussi imposante érigé par Ramsès
quatrième du nom.
Le temple de pierre
continua néanmoins d'être un lieu de vénération et une nouvelle nécropole s'y
installa, abritant les caveaux et chapelles de culte de membres de la famille
royale et de nombreux prêtres.
Quelques siècles plus
tard, il finit par être phagocyté à son tour par des constructions érigées au
nom de souverains d'origine grecque, les Ptolémées, quelques kilomètres plus au
sud.
La pierre de taille
coûtait cher et le temple de Ramsès II était devenu une ruine que le dieu Amon
ne daignait plus habiter.
Numérisation 3D d'une paroi montrant Ramsès II assis sous le perséa sacré ©LAMS/MAFTO/CNRS/insightdigital.org
Il fut bientôt remplacé
par le dieu des chrétiens qui installèrent une église dans une salle où était
encore visible un relief montrant le plus grand des Ramsès assis sous les
frondes lourdes de fruits du perséa d'Héliopolis l'arbre dynastique de la
royauté pharaonique.
Un quart de siècle a donc
permis aux équipes de la MAFTO de révéler avec patience et passion l'histoire
longue et complexe d'un secteur particulièrement passionnant de l'ancienne
Thèbes.
Mais près de la moitié du
complexe économique reste encore à fouiller et restaurer pour permettre aux
touristes qui pénètrent cette ruine majestueuse d'en apprécier la puissance,
tout en lui conservant son charme unique et envoûtant, souvent ignoré par les
visiteurs les plus pressés.
Restitution 3D du colosse de granit ayant inspiré le poème de Shelley ©LAMS/MAFTO/CNRS/insightdigital.org
Ozymandias
Au 19e siècle, époque des
Lumières et des révolutions contre la tyrannie d'ancien régime, les ruines de
la statue de Ramsès II évoquaient pour un poète anglais épris de liberté, la
vanité de ces constructions gigantesques, mais moins pérennes que ne l'aurait
souhaité le Roi des Rois.
Voici ce poème de poème de
Shelley, écrit en 1817, intitulé Ozymandias
Je rencontrai un voyageur
venu d'une terre antique
Qui dit : "deux
jambes de pierre vastes et sans tronc
Se dressent dans le
désert. Près d'elles, sur le sable,
À moitié enfoncé, gît un
visage brisé, dont le froncement de sourcil
Et la lèvre plissée, et le
ricanement de froid commandement
Disent que le sculpteur
sut bien lire ces passions
Qui survivent encore,
empreintes sur ces choses sans vie,
À la main qui les imita et
au cœur qui les nourrit.
Et sur le piédestal,
apparaissent ces mots :
"Mon nom est
Ozymandias, Roi des Rois,
Regardez mes œuvres, ô
puissants, et désespérez !"
Il ne reste rien à côté.
Autour de la ruine
De ce colossal débris,
infinis et nus,
Les sables solitaires,
égaux, s'étendent loin.
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