Par Wikipédia.
La bataille de Qadesh (ou
Kadech) est une bataille qui a eu lieu aux environs de 1274 av. J.-C. et qui a
opposé deux des plus grandes puissances du Moyen-Orient : l'empire hittite de
Muwatalli, dont le centre était en Anatolie centrale, et le Nouvel Empire
égyptien de Ramsès II.
Cette bataille s'est
déroulée aux abords de Qadesh, dans le sud de l'actuelle Syrie.
Son résultat est discuté
parce qu'il semble indécis.
Bien qu'ayant commencé à
l'avantage des Hittites, elle se solde par un renversement de situation en
faveur des Égyptiens, mais il est parfois considéré que les Hittites sont
vainqueurs si on tient compte des gains territoriaux obtenus après le conflit.
La bataille de Qadesh est
la première bataille documentée par des sources antiques, des textes et des
images gravés sur les murs de temples égyptiens sur l'ordre de Ramsès II.
Grâce à la précision des
sources égyptiennes, elle est devenue un objet d'étude pour nombre d'amateurs,
chercheurs spécialistes en sciences militaires et historiens.
Elle est également un
objet d'étude sur la propagande et l'idéologie royale au travers de son
impressionnante commémoration par Ramsès II qui la voit comme une victoire
personnelle même si elle n'est pas vraiment un succès pour son royaume.
L'absence de comptes
rendus hittites de la bataille laisse cependant un point de vue biaisé sur
celle-ci.
Temples égyptiens
Très peu de temps après la
bataille, Ramsès II ordonne sa commémoration sur les murs de plusieurs de ses
temples, témoignant de l'importance de l'événement pour son règne.
La bataille de Qadesh est
décrite dans cinq temples différents : dans un état fragmentaire sur deux murs
du temple de Rê à Abydos, sans doute la plus ancienne version ;
- en deux endroits dans le
temple d'Amon à Karnak ;
- en trois emplacements
dans le temple d'Amon à Louxor ;
- deux dans chacune des
grandes cours du Ramesséum, le temple funéraire de Ramsès II à Thèbes-Ouest ;
- et enfin une
présentation plus courte dans la première salle hypostyle du temple principal
d'Abou Simbel en Nubie.
Des copies de ces textes
sur papyrus en hiératique ont également été retrouvées4.
Textes
Trois textes commandités
par Ramsès et répétés en plusieurs exemplaires rapportent la bataille de façon
différente :
Le Poème de Pentaour est
un récit épique de la bataille que Ramsès II a fait écrire après le combat par
le scribe Pentaour.
Il s'agit d'un long texte,
dont subsistent huit copies en différents temples ainsi que d'autres sur des
papyri.
C'est la présentation la
plus détaillée du combat, mais aussi la plus poétique et la plus romancée,
celle qui met le plus en avant les qualités du roi et surtout son lien avec le
dieu Amon.
Le Bulletin est un texte
plus concis dont il existe sept copies en bas-relief, aux côtés de celles du
Poème. Il sert de commentaire aux représentations sur bas-relief.
Les légendes des
bas-reliefs constituent une troisième source écrite.
Ces commentaires des
représentations figurées de la bataille fournissent parfois des informations
non rapportées par les deux textes.
Bas-reliefs
La Syrie à l'époque de la bataille de Qadesh.
Localisation des régions et principales villes de l'Anatolie hittite.
Les bas-reliefs des
temples égyptiens ont été beaucoup utilisés par les rois de la XIXe dynastie
pour commémorer leurs exploits militaires. Ramsès II suit en cela l'exemple de
son père Séthi Ier qui a fait représenter sa victoire sur les Hittites sur les
murs de Karnak.
Un char de guerre hittite monté par deux guerriers, bas-relief de Carchemishreprésentant une scène de chasse. Musée des civilisations anatoliennes d'Ankara.
Parmi les différentes
campagnes de Ramsès mises en image sur les murs, celle de Qadesh est la plus
attestée.
Ces représentations
imagées sont en relation étroite avec le Poème et le Bulletin qu'elles
illustrent, tandis que les légendes apportent des précisions pour leur
compréhension.
Schéma de la position et des mouvements des différentes unités militaires au moment de l'offensive surprise des chars hittites, selon la description égyptienne et les propositions d'A. Spalinger.
Les bas-reliefs sont
traditionnellement divisés en plusieurs parties représentant des moments clés
de la bataille.
Un premier groupe de
scènes est constitué par les événements se déroulant dans le camp égyptien et
un second concerne la bataille à proprement parler.
Bague en or du Nouvel Empire représentant deux chevaux qui pourrait être une commémoration de ceux qui ont tiré le char de Ramsès IIlors de la bataille de Qadesh, Musée du Louvre.
Sont particulièrement mis
en avant le camp égyptien et le conseil de guerre précédant la bataille, puis
l'attaque hittite et surtout la réaction du roi qui défait ses adversaires sur
son char, et la débandade de l'armée hittite.
D'autres tableaux
représentent le roi capturant des prisonniers, et les offrandes qu'il effectue
aux dieux lors de son retour en Égypte pour les remercier de lui avoir accordé
la victoire.
Le siège de Dapour par Ramsès II et ses troupes, d'après un bas-relief du Ramesseum.
Ces scènes narratives
remarquables visent avant tout à magnifier les exploits du roi, tout comme les
textes, mais elles apportent des représentations vivantes et dramatiques des
événements comme la bastonnade des patrouilleurs hittites capturés ou encore la
situation pathétique des vaincus lorsqu'ils sont repoussés vers les zones
marécageuses et se noient.
Copie de la version du traité égypto-hittite retrouvée à Hattusa (Musée archéologique d'Istanbul).
Elles rapportent des faits
délaissés par les textes, comme le rôle des Na'arin. Ces documents permettent
également de mieux connaître l'organisation, l'armement et les techniques de
combat.
Ramsès II maîtrisant des prisonniers ennemis, temple principal d'Abou Simbel.
Sources hittites
Aucun texte hittite
décrivant la bataille de Qadesh n'est connu.
Muwatalli II n'a pas
laissé de texte officiel commémorant ses campagnes militaires, mais le conflit
l'ayant opposé à Ramsès II est néanmoins mentionné dans des textes émanant de
ses successeurs :
- l'Apologie et un décret de
son frère Hatusili III qui était présent sur le champ de bataille, ainsi que le
prologue historique du traité conclu entre le fils de ce dernier, Tudhaliya IV,
et le roi Shaushgamuwa d'Amurru.
La bataille de Qadesh
semble évoquée dans des lettres envoyées par Ramsès II à Hattusili III, mais il
s'agit de sources provenant d'Égypte, qui de toute manière sont dans un état
trop lacunaire pour être bien comprises.
Le conflit égypto-hittite
Au début du XIIIe siècle
avant notre ère, les Égyptiens et les Hittites sont en relation conflictuelle
depuis plus d'une vingtaine d'années.
Les deux pays se disputent
la domination sur plusieurs principautés de Syrie, région riche mais fragmentée
politiquement, ce qui facilite les intrusions des grands royaumes voisins qui
se la disputent depuis plus de deux siècles.
Les deux royaumes
entretenaient pourtant des relations cordiales auparavant : sans frontière
commune durable, ils ont longtemps entretenu chacun de leur côté une rivalité
contre le royaume du Mitanni qui dominait la majeure partie de la Syrie.
L'alliance entre l'Égypte
et le Mitanni n'entache pas les bonnes relations entre rois égyptiens et
hittites.
L'équilibre est vraiment
rompu par les campagnes du monarque hittite Suppiluliuma Ier contre le Mitanni
dans les années 1340-1330 av. J.-C., qui se soldent par la désagrégation du
royaume mitannien et l'établissement de la domination hittite sur la majeure
partie de la Syrie.
Plusieurs vassaux
égyptiens basculent même dans le camp hittite, comme l'Amurru et Qadesh, mais
il ne semble pas que le pharaon de l'époque, Akhénaton, ait jugé nécessaire de
combattre pour les récupérer.
Le conflit entre l'Égypte
et le Hatti éclate, selon les sources hittites, à la suite de l'affaire de la
demande d'une reine égyptienne, sans doute Ânkhésenamon, veuve de Toutânkhamon,
qui réclame à Suppiluliuma un de ses fils en mariage pour en faire le roi du
pays égyptien.
Après des hésitations le
roi hittite accepte la proposition et envoie son fils Zannanza comme promis à
la reine, mais il est assassiné en chemin.
Le roi hittite choisit alors
d'entrer en conflit contre l'Égypte en dépit du traité d'amitié qui lie les
deux pays depuis longtemps.
Les conflits, menés par
les fils du roi hittite vieillissant, ne donnent pas lieu à des résultats
significatifs.
La réplique égyptienne aux
progrès hittites ne vient qu'avec Horemheb, considéré comme le dernier pharaon
de la XVIIIe dynastie.
Il soutient une révolte de
plusieurs vassaux hittites, notamment Qadesh et Nuhasse, qui sont difficilement
soumis par les troupes hittites menées par des princes hittites (notamment
celui de Karkemish).
Le roi Mursili II
intervient par la suite en personne pour rétablir la cohésion parmi ses
vassaux, en concluant plusieurs traités de paix avec eux.
Mais la situation change,
et les Hittites sont désormais sur la défensive face aux Égyptiens.
Séthi Ier, deuxième
pharaon de la XIXe dynastie, veut mener la revanche égyptienne en reprenant les
vassaux perdus.
Il commémore sa victoire
contre les Hittites par une inscription accompagnée de relief dans un temple de
Karnak.
Il réussit à s'emparer de
Qadesh, alors que le roi Bentesina d'Amurru rallie son camp.
Les troupes hittites
vaincues à ce moment sont sans doute dirigées par le vice-roi de Karkemish qui
supervisait la domination hittite en Syrie, le roi Muwatalli II étant alors
retenu en Anatolie occidentale où il doit mater des rébellions jugées sans
doute plus menaçantes que la situation en Syrie, en dépit du fait que son autre
adversaire dans la région, l'Assyrie, progresse également.
La réaction hittite est
lente. Qadesh revient dans l'orbite hittite dans les années qui suivent, dans
des conditions méconnues car les sources hittites ne documentent pas ces
événements.
À l'avènement de Ramsès II
vers 1279 av. J.-C., seul l'Amurru est resté dans le camp égyptien, mais
Muwatalli accentue la pression pour le faire revenir dans son camp.
Les trois premières années
de règne du nouveau pharaon sont consacrées à des affaires internes, puis il
passe à l'action en 1275 av. J.-C. en menant une première campagne vers
l'Amurru, en passant sans doute par la mer, laissant au passage une stèle à
Nahr el-Kelb (sur le littoral du Liban central).
Cette expédition vise sans
doute à démontrer qu'il soutient son vassal face aux Hittites.
Les deux adversaires
préparent leurs troupes pour l'année suivante, et c'est à ce moment que
débutent les récits de la bataille de Qadesh laissés par Ramsès.
Les objectifs
La bataille de Qadesh est
généralement présentée comme ayant pour but la domination de la ville de Qadesh
: les Égyptiens veulent la reprendre alors que les Hittites veulent la
conserver, après l'avoir récupérée à la suite du conflit contre Séthi Ier.
Les textes égyptiens ne
mentionnent pas explicitement cet objectif : si c'était bien le but de Ramsès,
il est logique qu'il n'apparaisse pas dans les textes à sa gloire, n'ayant pas
été rempli.
Les ruines de Qadesh sont
couramment identifiées à celles du Tell Nebi Mend, aujourd'hui au sud-ouest de
la Syrie près de la frontière libanaise, 25 kilomètres au sud de Homs.
C'est sans doute un vassal
intéressant de par sa position : Qadesh dispose d'une situation avantageuse sur
l'Oronte qui coule du sud vers le nord et constitue une artère commerciale
importante, ouvrant au sud sur la plaine de la Bekaa.
Vers l'ouest, la côte
méditerranéenne (le long de laquelle s'étend l'Amurru) est accessible par la «
trouée de Homs », affaissement situé entre le Djébel Ansariyé et le Mont Liban.
C'est donc une ville de
carrefour.
Mais le seul objectif
explicitement connu à cette bataille est celui des Hittites, l'Amurru.
Ce royaume est situé vers
le nord-ouest, autour du Djébel Ansariyé, et le long du littoral.
C'est un ancien vassal de
l'Égypte passé dans le camp hittite, puis à nouveau dans celui de l'Égypte.
Le traité conclu environ
un demi-siècle après la bataille entre son roi Shaushgamuwa et le hittite
Tudhaliya IV (neveu de Muwatalli), rappelant le conflit entre Muwatalli et
Ramsès, désigne clairement ce royaume comme objectif des Hittites :
« Quand Muwatalli, le
frère du père de Mon Soleil (Tudhaliya), le peuple de l'Amurru l'a trahi et lui
a dit :
« D'hommes libres nous
sommes devenus des vassaux.
Mais désormais nous ne
sommes plus tes vassaux ! »
Et ils ont suivi le roi d'Égypte.
Alors Muwatalli, le frère du père de Mon Soleil, et le roi d'Égypte se sont
affrontés pour le peuple de l'Amurru. »
— Traité entre Tudhaliya
IV et Shaushgamuwa.
Il s'agit logiquement pour
les Hittites de récupérer un vassal perdu.
Il se peut également que
la défense de son vassal soit l'objectif premier de Ramsès, qui ne chercherait
pas alors à prendre Qadesh mais veut seulement traverser son territoire sans
projet de l'assiéger.
Quoi qu'il en soit,
l'enjeu de la bataille dépasse le simple conflit territorial : les deux camps
souhaitent apporter la preuve de leur supériorité sur l'adversaire sur le champ
de bataille pour pouvoir affirmer l'hégémonie sur la Syrie.
Cette région est au cœur
des rivalités durant le Bronze récent.
Aucune grande puissance
n'en est originaire depuis la chute d'Alep (Yamkhad) au début du XVIe siècle
av. J.-C. et elle est morcelée entre des petites principautés incapables de
rivaliser avec les grands royaumes les entourant (les Hittites, l'Égypte, le
Mitanni puis l'Assyrie).
En dépit de leur faiblesse
politique, ces petits États sont souvent riches, grâce à leurs productions
agricoles et surtout leur commerce, car ils sont situés aux débouchés de routes
essentielles pour l'approvisionnement des régions voisines en divers métaux,
notamment l'étain venu d'Iran, essentiel pour la réalisation d'objets en bronze
qui est encore le métal le plus forgé pour les outils et les armes de cette
période.
Préparatifs et forces en
présence
Du côté égyptien
Les troupes de Ramsès quittent
l'Égypte vers mars-avril, le 9e jour du 2e mois de Shemou selon le calendrier
égyptien, depuis la ville Pi-Ramsès située à l'est du Delta du Nil et en
direction de Qadesh et de l'Amurru.
Les troupes égyptiennes
sont dirigées par un état-major où le roi occupe le rang de commandant en chef,
assisté par le vizir, un ministre chargé de la guerre ainsi que plusieurs
généraux et les fils de Ramsès qui doivent être formés à l'art militaire en
suivant leur père.
Ce conseil se réunit avant
le combat dans la grande tente qui domine le campement égyptien.
Les troupes sont
constituées de quatre « divisions » portant le nom d'une divinité :
respectivement les divisions d'Amon, Rê, Ptah et Seth, les quatre principaux
dieux de la monarchie à cette époque, dont elles portaient les bannières.
Elles sont respectivement
basées à Thèbes, Héliopolis, Memphis et Pi-Ramsès. Chaque division est dirigée
par un commandant en chef, et dispose également de ses services de logistique
assurés par des scribes, ainsi que des hérauts qui assurent la communication
entre les différentes composantes de l'armée, en particulier pour la
transmission des ordres des supérieurs.
On estime qu'elles
constituent chacune une force d'environ 5 000 soldats, qui sont des guerriers
de métier disposant de ressources régulières (rations, salaires ou terres de
service) et de conscrits.
Le gros de chaque division
est composé d'environ 4 000 soldats d'infanterie, regroupés en environ 200
compagnies dirigées par des « porte enseignes » et elles-mêmes subdivisées en
sections de 50 hommes dirigées par des officiers.
Les fantassins disposent
de boucliers de cuir, de massues, de haches, de lances, de javelots, de dagues
et d'épées recourbées (khepesh).
Les troupes de choc sont
les escadrons de chars légers à deux roues, montés par deux soldats, un
conducteur et un archer qui dispose également d'autres armes pour le combat
rapproché, et tirés par deux chevaux.
Ils sont peut-être 500 par
divisions, eux-mêmes regroupés en unités de 25 chars.
Les officiers encadrant
les chars de combat sont parmi les plus prestigieux de l'armée égyptienne : le
« lieutenant de charrerie », le « directeur des chevaux » et d'autres.
C'est une force plus
conséquente que celle de Séthi qui avait mobilisé trois divisions lors du
précédent conflit contre les Hittites, et encore plus que celle dont Thoutmosis
III disposait à Megiddo où il avait mobilisé « seulement » 924 chars.
Les chars légers sont les
troupes de choc des champs de bataille du Moyen-Orient de l'Âge du Bronze
récent, utilisées pour lancer les premières offensives avant que l'infanterie
ne prenne le relais.
En plus des quatre
divisions, l'armée égyptienne compte d'autres troupes, notamment des
auxiliaires, les mercenaires Shardanes, un des futurs « Peuples de la mer »,
qui sont d'anciens captifs de guerre que le roi a intégré à ses propres troupes
en raison de leur qualité militaire, notamment leurs armes spécifiques, comme
leurs épées longues.
Ils sont encadrés par des
officiers Égyptiens.
Le dernier corps mentionné
est celui des troupes dites Na'arin, souvent évaluées de façon arbitraire à 2
000 hommes environ.
Leur origine n'est pas
expliquée et est débattue : il a été proposé de les voir comme des troupes
égyptiennes (peut-être une unité d'élite) ou bien des troupes d'Amurru ou
recrutées plus largement en Canaan.
On ne sait donc pas
exactement s'ils ont accompagné le reste des troupes depuis l'Égypte, ou encore
s'ils sont arrivés sur le champ de bataille depuis le littoral et ont rejoint
le reste de l'armée au moment de la bataille depuis l'Amurru.
Cela constitue au total
une force de plus de 20 000 hommes, peut-être 25 000, à laquelle il faut
ajouter la logistique qui n'est pas comptabilisée dans les données des textes
antiques qui ne s'intéressent qu'aux combattants.
On notera que les vassaux
égyptiens du Levant ne sont pas mentionnés, y compris l'Amurru, à moins qu'il
ne faille les voir derrière les Na'arin.
Il convient au moins
d'admettre qu'ils ont apporté un soutien logistique à l'armée de leur suzerain
via le système tributaire.
Ce dernier dispose
également de garnisons permanentes installées dans ses dépendances, peu
nombreuses mais qui peuvent avoir eu un rôle d'informateurs et de logistique.
Du côté hittite
Les textes égyptiens et
les reliefs décrivent en détail les troupes mobilisées par les Hittites.
Muwatalli aurait levé des
contingents parmi tous ses vassaux ainsi que des moyens financiers
considérables pour les équiper :
« Le vil ennemi du Hatti
avait rassemblé autour de lui tous les pays étrangers, jusqu'aux confins de la
mer : le pays du Hatti était venu tout entier, le Naharina (sans doute le
Mitanni) de même, l'Arzawa, Dardanya, les Gasgas, les gens de Masa, les gens de
Pitassa, d'Arawanna, Karkisa, Lukka, Kizzuwatna, Karkemish, Ugarit, Qode, le
pays de Nuhasse tout entier, Mushanesh et Qadesh.
Il n'avait laissé aucun
pays qu'il n'ait amené parmi toutes ces lointaines contrées, leurs chefs
étaient là avec lui, chacun avec son infanterie, et sa charrerie, une
formidable multitude, sans pareille.
Ils recouvraient les
collines et les vallées, ils ressemblaient à des sauterelles, à cause de leur
grand nombre.
Il n'avait laissé aucun
argent dans son pays, il en avait dépouillé toutes ses possessions, pour le
donner à l'ensemble des contrées étrangères, afin de les amener combattre avec
lui »
L'identification des pays
mobilisés n'est pas toujours certaine.
Après le Hatti le texte
mentionne le Naharina qui correspond sans doute au Mitanni qui est alors devenu
un vassal des Hittites, puis les pays de l'ouest et du nord anatolien soumis
depuis le règne de Mursili II.
Le premier et plus
important est l'Arzawa, est évoqué en dépit du fait qu'il ne soit plus de
réalité politique à cette époque car il a été éclaté entre trois entités
politiques (Hapalla, Mira-Kuwaliya et le Pays de la rivière Seha).
Dardanya (Dardanie ?)
correspond peut-être à la Troade, Masa à la Mysie, les Lukkas sont assurément
les habitants de la Lycie, les Gasgas sont un peuple vivant au nord du Hatti et
souvent un adversaire pour celui-ci ; la localisation des autres pays de cette
région, connus par les sources hittites, est incertaine.
Après le Kizzuwatna qui
correspond à une partie de la Cilicie, le texte énumère les vassaux syriens des
Hittites, dont Qadesh qui est repassée de leur côté, auxquels il faut rajouter
Alep dont le prince est mentionné plus loin.
Il faut également évoquer
l'Alshe, situé dans l'est anatolien, son prince étant figuré dans les
bas-reliefs.
Les légendes, textes et
images évoquent en effet divers personnages éminents entourant Muwatalli,
notamment plusieurs princes vassaux, et des frères du Grand roi, même si l'un
d'eux, le futur Hattusili III, n'est pas présent alors qu'on sait par un autre
source qu'il participe à la bataille avec les troupes de son royaume Hakpissa.
Cela aurait donc abouti à
la constitution d'une force de 19 000 et 18 000 guerriers-teher entourant le
roi, et surtout 3 500 chars de combats tirés par deux chevaux et montés par 3
guerriers selon les représentations égyptiennes : - un conducteur,
- un combattant avec un
arc, plus un porte-bouclier qui n'était pas présent dans les représentations
antérieures et serait une innovation de l'époque.
En tout, cela ferait 47
500 combattants (et au moins 7 000 chevaux), donc une large supériorité
numérique pour les Hittites.
Ces données ont
manifestement pour but de glorifier l'exploit du roi égyptien, qui aurait
vaincu une troupe largement supérieure en nombre à la sienne, représentant «
tous les pays étrangers », ce qui correspond au topos du combat du roi
défendant son royaume seul face aux forces du chaos venant de l'étranger.
La description de
l'origine géographique des troupes mobilisées est généralement considérée comme
fiable car elle correspond bien aux pays sous domination hittite à cette
période, mais elle n'est pourtant pas certaine.
Il est surtout probable
que le nombre des troupes hittites ait été gonflé, a fortiori si on prend en
considération le fait que Ramsès prétend qu'ils se cachaient derrière la ville
de Qadesh.
Cette modeste cité
d'environ 10 hectares aurait bien eu du mal à dissimuler un camp de plus de 40
000 soldats avec sa logistique et ses milliers de chevaux qu'il fallait faire
paître dans les espaces alentours.
Quoi qu'il en soit des
débats sur les chiffres et l'origine des troupes, il apparaît que cette
description correspond grossièrement à ce qui est connu de l'armée hittite,
dont l'organisation ne se différencie pas fondamentalement de celle des autres
armées du Bronze récent.
La majorité des troupes
est constituée de fantassins armés d'épées, de lances et d'arcs, faits en
bronze et non pas en fer comme le veut une opinion courante, et protégés par
des boucliers.
Le corps d'élite est là
aussi constitué par les chars de combat.
La cavalerie montée est
peu développée, réservée aux missions de surveillance et d'espionnage que l'on
voit sur les bas-reliefs sur Qadesh.
Les Hittites ont souvent
recours aux troupes de leurs vassaux, dont les obligations contenues dans des
traités de paix comportent la nécessité d'assister militairement et
financièrement leur suzerain en cas de besoin.
L'encadrement des troupes
hittites comprend le roi et les hauts dignitaires de la cour hittite, en
particulier le Chef de la garde royale (les MEŠEDI) qui est généralement un
frère du roi.
S'y joignent les rois des
dynasties hittites collatérales installées dans des cités syriennes, les «
vice-rois » de Karkemish et d'Alep, représentées sur les reliefs de Qadesh.
Ils jouent le rôle de
relais du pouvoir hittite dans la région et sont donc au premier rang face aux
Égyptiens et des Assyriens qui convoitaient la Syrie.
Les autres agents du
pouvoir hittite présents en Syrie sont les « Fils du roi », qui se trouvent
dans les royaumes vassaux.
Ils ont pu être actifs
dans la préparation du conflit, aussi bien dans les aspects logistiques que
dans ceux liés à l'information qui joue un rôle crucial dans ce conflit.
Déroulement de la bataille
Depuis leur redécouverte
et leur publication, les sources antiques sur la bataille de Qadesh ont fait
l'objet de nombreuses études, parfois très poussées dans l'analyse militaire et
tactique.
Elles ont été initiées par
l'étude fondatrice de James Henry Breasted en 1903, dont l'interprétation a par
la suite été affinée par d'autres chercheurs (Raymond Oliver Faulkner, Alan
Henderson Gardiner, etc.), notamment à l'aide des sources hittites.
Ils se sont rangés aux
grandes lignes de la reconstruction du déroulement de la bataille par le
premier : l'affrontement se déroule sur deux jours, initié par une tactique de
désinformation et d'attaque surprise des Hittites, qui réussit dans un premier
temps à assaillir le campement égyptien avant d'être mise en échec au soir du
premier jour par la résistance égyptienne menée par Ramsès ; le second jour
voit une passe d'armes qui se solde par un armistice entre les deux parties.
Cette reconstruction qui
est la plus couramment admise est contestée par d'autres historiens extrêmement
sceptiques sur la description donnée par Ramsès et qui proposent un déroulement
alternatif, en particulier Hans Goedicke.
Selon lui, il n'y aurait
pas eu d'attaque surprise hittite mais un affrontement prévu, l'ampleur de la
bataille est exagérée par les textes (ce serait une simple escarmouche), mais
elle aurait cependant pu durer jusqu'à trois jours.
Par commodité la version
la plus courante sera suivie ici.
Les sources égyptiennes
fournissent en tout cas un matériau inédit sur le déroulement d'une bataille
dans la Haute Antiquité dont il serait dommage de se priver : elles décrivent
les préparatifs, les forces en présence chiffres à l'appui, les différents
types d'unités, les mouvements et les tactiques des combattants.
De quoi satisfaire les
spécialistes d'histoire militaire.
Mais pourtant il ne faut
pas oublier que le but premier de ces récits et de ces images n'est pas de
raconter la bataille, mais de s'en servir pour illustrer le fait que Ramsès II
est un roi idéal, aimé des dieux, au courage et à l'adresse au combat sans
égaux.
Il est donc impossible de prendre tout le
contenu de ces documents pour argent comptant, de la même manière qu'il ne faut
pas non plus les reléguer au rang de simple fable.
Leur analyse nécessite de
lire entre les lignes, le problème étant de déterminer quelles sont les
informations les plus crédibles et lesquelles sont à rejeter, ce qui peut être
assez périlleux.
Cela est bien illustré par
le fait que les historiens ne sont pas d'accord sur les détails du déroulement
de la bataille (même ceux qui s'accordent généralement sur les grandes lignes)
et aussi sur l'interprétation du résultat de l'affrontement.
L'avancée des troupes
égyptiennes vers Qadesh
Les troupes égyptiennes
mettent environ un mois à parvenir dans la Bekaa depuis leur départ d'Égypte,
et reçoivent en chemin l'hommage de plusieurs vassaux cananéens.
Elles arrivent dans la
plaine de Qadesh par la vallée de l'Oronte, et doivent traverser le fleuve à un
gué situé au lieu nommé Shabtouna, une vingtaine de kilomètres au sud de
Qadesh, qu'elles atteignent après avoir traversé le bois de Laboui,
vraisemblablement situé sur la rive droite de l'Oronte.
Ramsès reçoit alors deux
transfuges Shasou prétendant avoir quitté le camp hittite, qui disent que
Muwatalli est localisé avec ses troupes à Alep, 190 kilomètres plus au nord.
Il s'agit en réalité d'une
manœuvre de désinformation car l'armée hittite est déjà installée juste au
nord-est de Qadesh.
Au matin du 9e jour du
troisième mois de Shemou (vers le début du mois de mai), les troupes
égyptiennes trompées par les agents doubles à la solde des Hittites se dirigent
vers la gueule du loup.
Le roi et ses proches,
avec sa garde et la division d'Amon (et peut-être les Na'arin) franchissent en
premier l'Oronte au gué de Shabtouna pour se rendre sur sa rive gauche et
établissent leur camp à l'ouest de Qadesh, à l'opposé de la position des
Hittites qui sont stationnés au nord-est derrière la ville, apparemment
invisibles depuis la position des Égyptiens.
Les bas-reliefs d'Abou
Simbel montrent le campement égyptien installé, délimité par des boucliers et
dominé par la grande tente où le roi tient son conseil de guerre, tandis que
tout autour les soldats s'affairent à réparer leurs armes, nourrir leurs
chevaux et d'autres activités, sans se douter de l’imminence du combat.
Des patrouilles sont mises
en place.
Une d'elles réussit à
capturer deux éclaireurs hittites qui, après une bastonnade (illustrée elle
aussi sur les bas-reliefs), révèlent la position réelle de leurs troupes :
« Sa Majesté leur demanda
encore : « Où est-il, lui, le prince de Hatti ?
Voyez, j'ai entendu dire
qu'il était au pays d'Alep, au nord de Tunip ».
Ils répondirent à Sa
Majesté :
« Vois, le vil prince du
Hatti est venu avec les contrées innombrables qui sont avec lui et qu'il a
acquises par force et toutes les contrées qui se trouvent dans le pays du Hatti
[...].
Ils sont pourvus de leurs armées et de leurs
charreries, et sont plus nombreux que les grains de sable de la berge.
Et vois, ils se tiennent
en armes, prêts au combat derrière Qadesh l'Ancienne ». »
À ce moment, la division
de Rê a traversé l'Oronte et se dirige vers le camp.
À sa suite, celle de Ptah
sort du bois de Laboui et marche vers le gué de Shabtouna.
Quant à la division de
Seth, elle est encore plus au sud. Les lignes égyptiennes sont étirées sur une
bonne quarantaine de kilomètres.
L'offensive hittite
Les stratèges hittites ont
manifestement bien préparé la bataille et développé un plan qui consiste en une
embuscade visant, soit à capturer ou tuer Ramsès alors privé des trois quarts
de ses forces, soit à détruire l'armée égyptienne morceau par morceau, en
profitant de son étalement qui la rend vulnérable tout en évitant la
confrontation directe avec la totalité de l'armée ennemie.
L'attaque est déclenchée
contre la deuxième division, celle de Rê, au moment où Ramsès apprend la
réalité de la position de ses ennemis :
« Mais comme Sa Majesté
était assise à tenir conseil avec ses officiers, le vil vaincu de Hatti s'était
avancé avec son armée et sa charrerie, ainsi que tous les pays étrangers qui
étaient avec lui, dans l’intention de traverser le gué au sud de Qadesh.
Soudain, ils enfoncèrent
l'armée de Sa Majesté, qui progressait, ignorante du danger.
Alors l'armée et la
charrerie de Sa Majesté s'effondrèrent, courant devant eux vers le nord pour
rejoindre l'endroit où se trouvait Sa Majesté.
Les rangs des vaincus de
Hatti encerclèrent alors la garde de Sa Majesté qui était à ses côtés. »
Les chars hittites (2 500
selon les textes égyptiens), positionnés sur la rive droite de l'Oronte,
franchissent le fleuve et provoquent la déroute de la division de Rê, encore en
approche du camp et qui ne peut réagir.
Ils remontent ensuite vers
le nord en direction du camp égyptien où la division d'Amon n'a pas eu le temps
de se placer en ordre de bataille.
Cette première partie de
l'engagement est un revers cinglant pour les troupes égyptiennes.
Leur camp commence à être
investi et Ramsès directement menacé.
Muwatalli, positionné de
l'autre côté de l'Oronte avec l'ensemble de ses troupes à pied, peut contempler
le succès de sa charrerie.
La réaction égyptienne
Le pillage du camp
égyptien démobilise peut-être une partie des troupes hittites.
En tout cas, Ramsès a eu
le temps de se réarmer et de mettre ses fils à l'écart. Au moins une partie de
la division d'Amon est prête au combat, tandis que les Na'arin (dont la
présence est peut-être ignorée de l'ennemi) rejoignent le camp à la hâte depuis
le nord, créant un apport décisif pour vaincre l'encerclement des troupes
égyptiennes par les Hittites, qui de leur côté reçoivent des renforts (dont 1
000 chars supplémentaires).
Dans le même temps, la
division de Ptah est prévenue de l'assaut et hâte sa marche pour rejoindre le
champ de bataille au plus vite.
Les récits égyptiens font
alors la part belle à l'action du Pharaon, qui aurait tenu tête seul aux hordes
ennemies assaillant son campement.
Il en ressort en tout cas
que les troupes égyptiennes ont su renverser le cours du combat en leur faveur
: les Hittites sont repoussés.
Les reliefs égyptiens
illustrent leur débâcle pour en faire ressortir l'aspect pathétique : ils sont
forcés de battre en retraite en direction d'une zone marécageuse où beaucoup de
soldats se seraient noyés, parmi lesquels un frère de Muwatalli, ce dernier
assistant impuissant à l'éparpillement et au massacre de ses troupes depuis
l'autre rive de l'Oronte.
Les derniers combats et la
trêve
Au soir du premier jour de
la bataille, la division de Ptah rejoint le gros de l'armée, et les dernières
troupes hittites sont refoulées hors du camp.
La division de Seth arrive
sans encombre par la suite.
Suivant le Poème, Ramsès
est alors acclamé par ses troupes pour sa bravoure au combat, mais il réagit
fermement en blâmant ses soldats pour leur lâcheté.
Le lendemain, les troupes
égyptiennes enfin réunies au complet et les troupes hittites encore nombreuses
auraient fait une passe d'armes à l'initiative de Ramsès qui voudrait encore en
découdre, mais selon le Poème ses ennemis auraient refusé l'affrontement.
La réalité de ces combats
du second jour est souvent remise en question.
Quoi qu'il en soit, même
s'ils ont bien eu lieu ils ne semblent pas changer le cours de la bataille.
Dans l'impasse, les deux
camps cessent le combat.
Suivant la description
égyptienne des événements, c'est à ce moment que Ramsès reçoit un courrier de
Muwatalli qui lui demande le « souffle de vie », c'est-à-dire de lui accorder
sa bénédiction en l'épargnant après sa victoire.
Il s'agit plus
certainement d'une demande d'armistice proposant à Ramsès de le laisser
repartir sans encombres.
Après avoir réuni son
conseil, le roi égyptien accepte la proposition et repart dans son pays.
Loin de ses bases et après
avoir échappé à une débâcle, il s'agit sans doute pour le Pharaon de conserver
ses forces encore disponibles et de les renforcer pour ensuite revenir dans la
Bekaa pour faire valoir ses prétentions.
Les deux ennemis se
quittent en effet sans conclure de traité de paix : il s'agit donc d'une trêve.
Les bas-reliefs d'Abou
Simbel illustrent le retour triomphal du roi sur son char, suivi par ses
officiers et le reste des troupes, tandis que les soldats et les scribes
comptent les mains coupées aux ennemis tués au combat de façon à les dénombrer.
Le butin semble maigre, constitué
de quelques chevaux pris à l'ennemi.
Les suites de la bataille
Les derniers affrontements
égypto-hittites et la conclusion de la paix
Une fois les troupes
égyptiennes reparties, les Hittites réussissent à reprendre le contrôle de
l'Amurru, une dizaine d'années après sa défection.
Son roi Bentesina est
remplacé par un certain Sapilli, et il rejoint l'entourage du prince Hattusili.
Si on suit un récit laissé
par ce dernier une fois qu'il est devenu roi, les troupes hittites lancent
ensuite une offensive contre le pays d'Apu (ou Upi, Aba), dans la région de
Damas, un vassal de l'Égypte.
Ramsès revient en Amurru
durant la huitième année de son règne (vers 1272 av. J.-C.), et réussit à
prendre la cité de Dapour, événement commémoré sur les murs du Ramesséum.
Puis il revient encore la
dixième année (vers 1270).
Aucun succès durable ne
ressort pour lui de ces affrontements.
Le conflit entre l'Égypte
et les Hittites s'achève peu après (on ne sait pas précisément quand), sur une
situation de statu quo voyant un retour aux frontières telles qu'elles étaient
avant les campagnes de Séthi Ier. Ni l'Amurru, ni Qadesh ne regagnent le camp
égyptien.
La situation pacifique qui
s'est installée entre les deux royaumes est formalisée vers 1259 av. J.-C. par
le « traité éternel » conclu entre Ramsès II et Hatusili III. Ce dernier, frère
de Muwatalli, est monté sur le trône après avoir évincé son neveu Mursili III,
ou Urhi-Teshub, héritier légitime mais peu solide d'autant plus qu'il était le
fils d'une concubine et non de la reine en titre.
Cette usurpation a incité
Hattusili à conclure un accord avec le roi égyptien, ce dernier ayant qui plus
est probablement fourni l'asile à son neveu.
La situation
internationale est également en train de changer, et désormais les Hittites
doivent affronter la menace de l'Assyrie, qui se fait de plus en plus pressante
et est plus dangereuse que l'Égypte.
Le contenu du traité est
connu par une version recopiée sur les murs du Ramesséum et du temple d'Amon de
Karnak ainsi qu'une version sur une tablette d'argile retrouvée dans les ruines
de Hattusa, la capitale hittite.
Il contient plusieurs
clauses assurant la reconnaissance de la légitimité de Hattusili par Ramsès, et
met en avant la situation de paix et fraternité qu'il instaure entre les deux
dynasties :
« Ramsès, Grand Roi, Roi
d'Égypte, est en bonne paix et bonne amitié avec [Hattusili], Grand Roi du
Hatti.
Les fils de
Ramsès-aimé-d'Amon, [Grand Roi], Roi d'Égypte, seront en paix et [en fraternité
avec] les fils de Hattusili, Grand Roi, Roi du Hatti, pour toujours. Et ils
resteront dans les mêmes relations de fraternité [et de] paix comme nous, ainsi
l'Égypte et le Hatti seront en paix et en fraternité comme nous pour toujours.
Ramsès-aimé-d'Amon, Grand
Roi, Roi d'Égypte, n'ouvrira pas à l'avenir d'hostilités contre le Hatti pour y
prendre quoi que ce soit, et Hattusili, Grand Roi, Roi du Hatti, n'ouvrira pas
à l'avenir d'hostilités contre l'Égypte pour y prendre quoi que ce soit. »
— Traité entre Ramsès II
et Hattusili III, version de Ramsès II retrouvée à Hattusa.
Par la suite, les
relations entre la cour hittite et celle d'Égypte sont cordiales : des lettres
retrouvées à Hattusa montrent que les deux rois correspondaient régulièrement
entre eux, mais aussi les reines et les princes.
À deux reprises Ramsès
prit pour épouse une fille de son homologue hittite.
Qui a gagné Qadesh ?
Du fait des évidentes
exagérations des documents égyptiens relatant la bataille, le résultat final de
celle-ci est discuté.
L'idée selon laquelle
Ramsès II a gagné la bataille comme il le prétend est remise en cause.
S'ils dénigrent les
ennemis du Pharaon, les documents égyptiens ne sont pas tendres avec leurs
propres troupes, du moment que cela met encore plus en relief l'action du roi :
- ils accusent de lâcheté
ceux qui n'auraient pas tenu leur rang au combat, et relèguent au second plan
des corps qui ont manifestement joué un rôle décisif dans la réaction contre
les Hittites, comme les Na'arin (dont le rôle est rétabli par les bas-reliefs).
Des défaillances dans
l'appareil militaire égyptien sont également décelables : le fait que les
Égyptiens soient facilement tombés dans le piège tendu par leur adversaire,
s'il ne s'agit pas d'une invention des récits, tant l'idée que l'armée hittite
ait pu se cacher est étonnante, ainsi que la débandade d'une partie des troupes
qui s'est ensuivie. Ils sont imputables au moins en partie au chef de l'armée
en personne.
Assurément, le conflit
dont fait partie la bataille de Qadesh a été perçu comme une victoire par les
Hittites, comme le montrent les deux documents datés des règnes de Hattusili
III et de Tudhaliya IV déjà évoqués, qui disent que les troupes égyptiennes ont
été vaincues du fait du résultat final voyant l'Amurru revenu dans le giron
hittite.
Pour autant, le
déroulement du combat rapporté par les sources égyptiennes, qui est
généralement considéré comme fiable, montre plusieurs échecs hittites : en
dépit de leur supériorité numérique, du choix du terrain et de leur succès
initial dû à une stratégie bien pensée, ils ne sont pas en mesure d'infliger
une défaite totale à l'adversaire alors qu'elle leur semblait promise.
La bataille a donc pu être
présentée par les historiens comme une victoire égyptienne ou du moins comme un
succès tactique, mais le résultat final est souvent vu de façon nuancée, comme
une demi-victoire ou bien une victoire pour aucun des deux, donc une impasse.
Le fait que les Égyptiens
n'aient aucun gain territorial mais au contraire perdent la domination sur
l'Amurru interdit en tout cas de voir le conflit comme une victoire égyptienne.
S'il a peut-être gagné la
bataille, Ramsès a vu son pays perdre la guerre face aux Hittites.
La mise en récit de la
bataille : l'épopée de Ramsès II
Que l'issue de la guerre
contre les Hittites ait été peu flatteuse pour les troupes égyptiennes ou pas,
il est évident que Ramsès II a vu dans la bataille de Qadesh un événement
fondateur pour son règne, une véritable « épreuve du feu » face à son plus
grand rival, et sans cela elle ne serait pas aussi bien connue.
Le roi était alors
seulement dans sa cinquième année de règne, qui avait débuté alors qu'il était
encore jeune.
Cet affrontement l'a sans
doute profondément marqué sur le plan personnel, parce qu'il a failli y perdre
beaucoup et qu'il a dû faire montre de ses qualités.
Certains chercheurs
estiment qu'il est peu probable que Ramsès ait fait autant de tapage sur une
bataille s'il n'avait pas de bonnes raisons de la considérer comme une victoire
sur le plan personnel.
Quoi qu'il en soit, la
propagande égyptienne a transformé cette bataille pas franchement glorieuse
pour son armée en victoire légendaire.
De ce fait, le déroulement
exact du conflit peut paraître secondaire, ce qui doit ressortir des nombreux
documents qui « reconstruisent » la bataille est le fait que Ramsès a eu
l'occasion d'y prouver qu'il était unique parmi les hommes, digne de sa
fonction et capable de protéger l'Égypte seul dans les pires circonstances.
Les récits relatifs à
cette bataille s'inscrivent dans un type de récit qui a été qualifié de « Conte
royal » (en allemand Königsnovelle) courant sous le Nouvel Empire sous des
formes très différentes, par exemple dans le récit de la victoire de Kamosé
contre les Hyksôs ou celui de la bataille de Megiddo remportée par Thoutmosis
III.
Le roi se retrouve
confronté à une épreuve qu'il doit surmonter seul par sa volonté d'agir, et
remporte un triomphe inespéré qui prouve toute sa valeur et son éclat et donne
un dénouement heureux au récit.
Les récits sur Qadesh
décrivent ainsi une fable à la gloire de Ramsès II : il tombe dans le piège
tendu par un ennemi fourbe, se retrouve acculé, abandonné de tous et croit sa
fin proche, mais par son courage et l'appui divin il évite la catastrophe.
Tous les témoins de ses
exploits (serviteurs ou ennemis) sont forcés d'admettre qu'il est unique par sa
grandeur.
Cela ressort bien dans le
passage du Poème relatant le retour triomphal du roi en Égypte :
« Il revint en paix vers
le Pays Bien-Aîmé avec son infanterie et sa charrerie ; toute vie, stabilité et
force étaient auprès de lui, les dieux et les déesses assurant la protection
magique de son corps. Il avait repoussé tous les pays à cause de la crainte
qu'il inspirait, tandis que sa puissance avait protégé son armée. Tous les pays
étrangers louaient et acclamaient son beau visage. »
— Poème de Pentaour,
traduction de C. Lalouette.
La bataille de Qadesh a
cela de particulier qu'elle est illustrée par de nombreux bas-reliefs qui
retranscrivent en images les récits et les accompagne de divers commentaires ;
le roi y est toujours figuré plus grand que les autres personnages, seul sur
son char face aux chars ennemis, pour mettre en avant sa supériorité sur les
autres participants au combat.
Tout est fait pour que
Ramsès apparaisse comme le rempart qui a sauvé l'Égypte contre les ennemis
extérieurs symbolisant le chaos, qu'il défait tout seul au cours du combat.
Suivant l'expression
consacrée, il est celui qui combat le chaos (isfet) et rétablit l'ordre juste
(maât).
Le roi figure donc dans
les récits sur l'affrontement de Qadesh comme digne de gouverner l'Égypte,
parce qu'il était l'élu et le fils des dieux, et avant tout d'Amon.
Cela ressort explicitement
dans le Poème, au moment où le monarque adresse une longue prière au dieu alors
qu'il se prépare à affronter l'ennemi tout seul, l'implorant de lui venir en
aide alors qu'il s'est comporté comme un souverain pieux ; le dieu intervient
alors :
« Je m'aperçois qu'Amon
vient à mon appel ; il me donne sa main, et je suis joyeux ; derrière moi il
s'écrie : « Face à face avec toi, Ramsès-aimé-d'Amon !
Je suis avec toi, c'est
moi ton père, ma main est avec la tienne.
Je vaux plus que des
centaines de milliers d'hommes, moi, le maître de la victoire, qui aime la
vaillance. » »
— Poème de Pentaour,
traduction de C. Lalouette.
À cette période, les
batailles sont vues comme des jugements divins, des ordalies dont l'issue est
tranchée par les grands dieux : celui qui gagne est celui qui a leurs faveurs.
Pour illustrer cela, on
trouve une représentation d'Abou Simbel dans laquelle Amon tend l'épée-khepesh
de la victoire à Ramsès maîtrisant des ennemis. Dans le Poème et le Bulletin,
Ramsès est présenté comme un guerrier au courage et à l'adresse au combat sans
égaux, abattant avec aisance ses ennemis en les criblant de flèches depuis son
char :
« Alors il (Ramsès) monta
sur Nakhtemouasé (« Victoire-dans-Thèbes »), son grand attelage, se lançant au
galop tout seul.
- Sa Majesté était
puissante, son esprit était intrépide, et on ne savait se mettre debout devant
lui.
Tout le terrain sur lequel
il se tenait brûlait, et une flamme avait consumé tous les pays étrangers par
sa chaleur.
Ses yeux étaient féroces
depuis qu’ils les avaient vus et sa puissance crachait du feu contre eux.
Il lui était impossible de
prêter la moindre attention fût-ce à un million d'étrangers, car il ne les
considérait que comme des fétus de paille, quand il enfonçait les rangs des
vaincus de Hatti, et des pays étrangers innombrables qui étaient avec eux,
- Sa Majesté ressemblant à
Seth à la grande force, à Sekhmet au moment où elle se met en rage, Sa Majesté
exterminant jusqu’au dernier homme l’armée du vaincu de Hatti, ainsi que ses
nombreux officiers et tous leurs frères et tous les princes de tous les pays
étrangers qui étaient venus avec lui. De leur armée et de leur charrerie les
soldats se retrouvèrent tombés sur la face, l'un sur l'autre,
- Sa Majesté les tuant sur
place, de sorte qu’ils formaient des rangées de cadavres devant ses chevaux,
- Sa Majesté étant toute
seule, sans personne avec elle. »
— Bulletin, adapté de la
traduction de P. Grandet.
Est alors portée à son
paroxysme l'image du roi-guerrier du Nouvel Empire.
Le Poème fait reconnaître
sa supériorité par le calame même de son adversaire Muwatalli II, dans un texte
inventé pour l'occasion qui est un bon révélateur de l'idéologie royale
égyptienne de la période :
« Ô souverain protecteur
de son armée, vaillant grâce à son bras puissant, muraille pour ses soldats le
jour du combat, roi de Haute et de Basse Égypte, prince de la joie, Seigneur du
Double Pays, Ousermaâtrê-Setepenrê, fils de Rê, maître de puissance,
Ramsès-aimé-d'Amon, doué éternellement de vie, ton serviteur parle, afin de
faire connaître que tu es le fils de Rê, issu de son corps et qu'il t'a donné
tous les pays réunis en un seul. Le pays d'Égypte et le pays du Hatti sont tes
serviteurs ; ils sont tous à tes pieds ; Rê, ton père auguste, te les a donnés.
»
Tout cela justifie la
transformation de la bataille de Qadesh en véritable épopée de Ramsès II, qui
trouvait un surcroît de légitimité dans les nombreux récits et représentations
de celle-ci qu'il a commandités.
Ils ont participé à sa
légende et à en faire un modèle pour les dynasties suivantes.
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