dimanche 10 mars 2019

Algérie

BOUTEFLIKA UNE IMPOSTURE ALGÉRIENNE
Par Mohamed Benchicou


Prologue

Ce livre doit beaucoup au président Bouteflika d’avoir vu le jour.

En décidant, par velléité contre un journal qui le dérangeait, de placer son directeur sous contrôle judiciaire, lui interdisant de quitter le territoire national, le chef de l’Etat a procuré au journaliste, que je suis, cette stabilité que la presse interdit souvent à ceux qui la pratiquent.

J’ai pu ainsi prendre le temps de mes contacts, lire et compulser les quelques détails qui m’ont laissé entrevoir une carrière sans grandeur.

Enquêter sur la vie de Bouteflika n’est, cela dit, pas aisé : l’homme n’a inspiré aucun auteur qui eut pu en conserver quelques fragments de postérité.

Il a butiné dans le champ politique algérien, ne laissant derrière lui que de vagues trivialités, quelques récits épiques d’une science de l’intrigue et de cette ruse bien algérienne par laquelle nous avons collectionné nos grandes infortunes nationales.

Ce livre n’est cependant pas un portrait à charge.
Il eut été bien superflu d’accabler l’homme quand il n’est en définitive que l’enfant adultérin d’un système grabataire et d’une démocratie violée.

Ce livre serait plutôt une chronique d’un temps perdu.
Abdelaziz Bouteflika est la rançon, une de plus, versée par l’Algérie aux dépositaires divins de ce scrutin censitaire par lequel se choisit encore un chef d’Etat dans l’ombre.

Seule façon, dira-t-on, d’épargner aux Algériens une direction islamiste.
Est-ce bien certain ?
Cette riche Algérie ne devrait pourtant pas manquer d’enfants et de foi pour s’épargner à la fois Bouteflika et les islamistes.

L’imposture Bouteflika est née d’une certaine urgence, pour le système acculé, à conférer respectabilité à une carrière sans relief : l’Algérie était invitée à entrer au XXIe siècle sous la direction d’une figurine dont on avait fabriqué la gloire pour mieux s’en convaincre du destin.

- D’un auxiliaire militaire on fit alors un civil réformateur,
- d’un autodidacte inaccompli un lettré,
- d’un maquisard occasionnel un héros de guerre,
- d’un noceur avéré un diplomate brillant,
- d’un dignitaire un opposant,
- d’un diviseur un rassembleur,
- d’un revanchard narcissique un prophète…

On a même fait de Bouteflika un célibataire endurci alors que l’homme est marié depuis treize ans !

Les parrains de ces sortilèges, pris à leur propre jeu, s’émeuvent cinq ans après que d’une vie si falsifiée on n’a pu sortir qu’un président défaillant et sans envergure, intrigant, coupé de son époque, inapte à l’écoute, dépassé par ses charges…

L’homme n’était pas préparé aux grandes décisions.

Aussi, plus qu’une imposture, Abdelaziz Bouteflika est-il surtout une page du désespoir algérien.

Un terrible aveu d’impuissance d’un pouvoir confronté à sa propre agonie et à la fatuité de ses créatures.

Parce qu’il se situe dans ce débat, bouillonnant, sur la nature du système et sur l’urgence d’en finir, ce livre s’interdit toute prétention à l’opinion définitive.
Il n’est qu’un regard, parmi d’autres, sur nos impasses.
Il attend d’être complété, contredit ou appuyé par d’autres enquêtes sur cette inauthenticité qu’on se plaît à nous infliger.

Ce livre peut paraître inachevé. Il l’est sans doute : l’impératif de le boucler avant l’échéance de l’élection présidentielle de 2004 a relégué au secondaire un surcroît d’élaboration dans l’écriture ainsi que des compléments de recherche qui auraient aboli certaines imprécisions.

Ce livre peut paraître partial, ce n’en était pas l’objectif.
Ses adversaires parlent plus volontiers de Bouteflika que de ses alliés.
Il peut sembler inclément envers l’homme, et il l’est souvent.

Sciemment. Je n’ai ressenti aucun devoir d’indulgence à l’endroit d’un personnage qui s’est plu à ce point dans la parodie du pouvoir qu’il en a obligé une nation à abdiquer entre ses mains une dignité pourtant acquise dans le sang.

L’ambition de Bouteflika — accumulation de basses vanités — ne se situe pas très haut dans l’échelle des exigences humaines.

Aigri, capricieux, égocentrique, Bouteflika a érigé la vengeance en style de gestion, l’encensement en système politique et son tempérament en mode de gouvernance.

L’Algérie, sous sa direction, aura constamment frôlé le pire :
- la marotte a passé son temps à faire jaser les marionnettistes,
- activant islamisme et groupes de pression internationaux,
- fragilisant le pays par d’infinies flagorneries qui ont brimé le résistant et réhabilité l’assassin.

Coopter Bouteflika devait nous prémunir d’un président islamiste.
Il semble bien que nous en ayons hérité des deux d’un seul coup !

Méditer Bouteflika est vital pour les ultimes diagnostics de nos illusions.
Au bout, nous ne saurons pas forcément ce qu’il faudra faire pour nos enfants.

Nous saurons, en revanche, un peu plus de ce qu’il ne faudra plus jamais faire contre eux.

M. B.
……………
Mohamed Benchicou est l'aîné d'une famille de sept enfants.
Il est marié et père de trois enfants, deux filles et un garçon.

En 1989, il est l'un des fondateurs du Mouvement des journalistes algériens (MJA), un mouvement né durant l'ouverture du champ médiatique.

Il dirige alors l'équipe qui relance le journal Alger Républicain, interdit de parution en 1965.
Benchicou quitte Alger Républicain en 1991, pour fonder avec Saïd Mekbel et d'autres journalistes Le Matin, principal quotidien d'opposition au président en Algérie.

En février 2004, Benchicou publie en Algérie et en France une biographie critique sur le président algérien Abdelaziz Bouteflika, Bouteflika : une imposture algérienne.

En juin 2004, Benchicou est condamné à une peine de deux ans de prison sur plainte du ministère des Finances pour « infraction régissant le contrôle des changes et les mouvements des capitaux », après avoir été interpellé en août 2003 à l’aéroport d'Alger en possession de « bons de caisse ».

Il est libéré le 14 juin 2006 de la prison d'El Harrach à Alger.

Pendant son incarcération, les journalistes du monde entier se mobilisent pour demander sa libération, car son emprisonnement est considéré comme une tentative de le faire taire.

Le 29 mars 2006, il obtient le prix PEN qui rend hommage aux journalistes emprisonnés pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression.

Pendant son incarcération, le quotidien Le Matin est fermé.




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