Par Mohamed Benchicou
Prologue
Ce livre doit beaucoup au président Bouteflika d’avoir vu
le jour.
En décidant, par velléité contre un journal qui le
dérangeait, de placer son directeur sous contrôle judiciaire, lui interdisant
de quitter le territoire national, le chef de l’Etat a procuré au journaliste,
que je suis, cette stabilité que la presse interdit souvent à ceux qui la
pratiquent.
J’ai pu ainsi prendre le temps de mes contacts, lire et
compulser les quelques détails qui m’ont laissé entrevoir une carrière sans
grandeur.
Enquêter sur la vie de Bouteflika n’est, cela dit, pas
aisé : l’homme n’a inspiré aucun auteur qui eut pu en conserver quelques
fragments de postérité.
Il a butiné dans le champ politique algérien, ne laissant
derrière lui que de vagues trivialités, quelques récits épiques d’une science
de l’intrigue et de cette ruse bien algérienne par laquelle nous avons
collectionné nos grandes infortunes nationales.
Ce livre n’est cependant pas un portrait à charge.
Il eut été bien superflu d’accabler l’homme quand il
n’est en définitive que l’enfant adultérin d’un système grabataire et d’une
démocratie violée.
Ce livre serait plutôt une chronique d’un temps perdu.
Abdelaziz Bouteflika est la rançon, une de plus, versée
par l’Algérie aux dépositaires divins de ce scrutin censitaire par lequel se
choisit encore un chef d’Etat dans l’ombre.
Seule façon, dira-t-on, d’épargner aux Algériens une
direction islamiste.
Est-ce bien certain ?
Cette riche Algérie ne devrait pourtant pas manquer
d’enfants et de foi pour s’épargner à la fois Bouteflika et les islamistes.
L’imposture Bouteflika est née d’une certaine urgence,
pour le système acculé, à conférer respectabilité à une carrière sans relief :
l’Algérie était invitée à entrer au XXIe siècle sous la direction d’une
figurine dont on avait fabriqué la gloire pour mieux s’en convaincre du destin.
- D’un auxiliaire militaire on fit alors un civil
réformateur,
- d’un autodidacte inaccompli un lettré,
- d’un maquisard occasionnel un héros de guerre,
- d’un noceur avéré un diplomate brillant,
- d’un dignitaire un opposant,
- d’un diviseur un rassembleur,
- d’un revanchard narcissique un prophète…
On a même fait de Bouteflika un célibataire endurci alors
que l’homme est marié depuis treize ans !
Les parrains de ces sortilèges, pris à leur propre jeu,
s’émeuvent cinq ans après que d’une vie si falsifiée on n’a pu sortir qu’un
président défaillant et sans envergure, intrigant, coupé de son époque, inapte
à l’écoute, dépassé par ses charges…
L’homme n’était pas préparé aux grandes décisions.
Aussi, plus qu’une imposture, Abdelaziz Bouteflika est-il
surtout une page du désespoir algérien.
Un terrible aveu d’impuissance d’un pouvoir confronté à
sa propre agonie et à la fatuité de ses créatures.
Parce qu’il se situe dans ce débat, bouillonnant, sur la
nature du système et sur l’urgence d’en finir, ce livre s’interdit toute
prétention à l’opinion définitive.
Il n’est qu’un regard, parmi d’autres, sur nos impasses.
Il attend d’être complété, contredit ou appuyé par
d’autres enquêtes sur cette inauthenticité qu’on se plaît à nous infliger.
Ce livre peut paraître inachevé. Il l’est sans doute :
l’impératif de le boucler avant l’échéance de l’élection présidentielle de 2004
a relégué au secondaire un surcroît d’élaboration dans l’écriture ainsi que des
compléments de recherche qui auraient aboli certaines imprécisions.
Ce livre peut paraître partial, ce n’en était pas
l’objectif.
Ses adversaires parlent plus volontiers de Bouteflika que
de ses alliés.
Il peut sembler inclément envers l’homme, et il l’est
souvent.
Sciemment. Je n’ai ressenti aucun devoir d’indulgence à
l’endroit d’un personnage qui s’est plu à ce point dans la parodie du pouvoir
qu’il en a obligé une nation à abdiquer entre ses mains une dignité pourtant
acquise dans le sang.
L’ambition de Bouteflika — accumulation de basses vanités
— ne se situe pas très haut dans l’échelle des exigences humaines.
Aigri, capricieux, égocentrique, Bouteflika a érigé la
vengeance en style de gestion, l’encensement en système politique et son
tempérament en mode de gouvernance.
L’Algérie, sous sa direction, aura constamment frôlé le
pire :
- la marotte a passé son temps à faire jaser les
marionnettistes,
- activant islamisme et groupes de pression
internationaux,
- fragilisant le pays par d’infinies flagorneries qui ont
brimé le résistant et réhabilité l’assassin.
Coopter Bouteflika devait nous prémunir d’un président
islamiste.
Il semble bien que nous en ayons hérité des deux d’un
seul coup !
Méditer Bouteflika est vital pour les ultimes diagnostics
de nos illusions.
Au bout, nous ne saurons pas forcément ce qu’il faudra
faire pour nos enfants.
Nous saurons, en revanche, un peu plus de ce qu’il ne
faudra plus jamais faire contre eux.
M. B.
……………
Mohamed Benchicou est l'aîné d'une famille de sept
enfants.
Il est marié et père de trois enfants, deux filles et un
garçon.
En 1989, il est l'un des fondateurs du Mouvement des
journalistes algériens (MJA), un mouvement né durant l'ouverture du champ
médiatique.
Il dirige alors l'équipe qui relance le journal Alger
Républicain, interdit de parution en 1965.
Benchicou quitte Alger Républicain en 1991, pour fonder
avec Saïd Mekbel et d'autres journalistes Le Matin, principal quotidien
d'opposition au président en Algérie.
En février 2004, Benchicou publie en Algérie et en France
une biographie critique sur le président algérien Abdelaziz Bouteflika,
Bouteflika : une imposture algérienne.
En juin 2004, Benchicou est condamné à une peine de deux
ans de prison sur plainte du ministère des Finances pour « infraction régissant
le contrôle des changes et les mouvements des capitaux », après avoir été
interpellé en août 2003 à l’aéroport d'Alger en possession de « bons de caisse
».
Il est libéré le 14 juin 2006 de la prison d'El Harrach à
Alger.
Pendant son incarcération, les journalistes du monde
entier se mobilisent pour demander sa libération, car son emprisonnement est
considéré comme une tentative de le faire taire.
Le 29 mars 2006, il obtient le prix PEN qui rend hommage
aux journalistes emprisonnés pour avoir exercé leur droit à la liberté
d'expression.
Pendant son incarcération, le quotidien Le Matin est
fermé.
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