Pour Antoine Basbous, politologue et spécialiste du monde
arabe et fondateur de l’observatoire des pays arabes (OPA), l’entourage du
président algérien Abdelaziz Bouteflika ne doit sa survie qu’à son unité
Propos recueillis par Helene Sergent - 10/03/2019.
Abdelaziz Bouteflika, actuel président algérien,
bénéficie depuis des décennies du soutien de ses proches et d'amis fidèles. —
RYAD KRAMDI / AFP
Abdelaziz Bouteflika, président de l’Algérie depuis 1999,
a été rarement vu en public depuis un AVC dont il a été victime en 2013.
Des manifestations se succèdent depuis le 22 février pour
exiger le retrait de la candidature de Bouteflika qui entend briguer un
cinquième mandat.
Une avocate suisse agissant pour le compte d’une
citoyenne algérienne non identifiée a déposé le 8 mars dernier une requête
devant un tribunal helvète demandant le placement sous curatelle de Bouteflika
en raison de son état de santé et les risques de « manipulation de son
entourage ».
L’Algérie
va-t-elle entrer dans sa troisième semaine de contestation ?
A l’approche du scrutin présidentiel, prévu le 18 avril
prochain, l’avenir de l’actuel président Abdelaziz Bouteflika a continué tout
au long du week-end d’alimenter la chronique politique du pays.
Rapatrié dans un
avion de Genève après des « contrôles médicaux », le chef d’Etat âgé de 82 ans
et affaibli depuis 2013 par les séquelles d’un AVC est arrivé ce dimanche soir
en Algérie.
Qui se charge
depuis de l’intendance à la tête du pays et qui compose ce cercle restreint qui
entoure Abdelaziz Bouteflika ?
Antoine Basbous, politologue spécialiste du monde arabe
et fondateur de l’observatoire des pays arabes (OPA) décortique les strates de
ce camp familial, militaire et économique qui fait bloc derrière le président.
Les observateurs
évoquent régulièrement le « clan Bouteflika ». Existe-t-il vraiment et qui le
compose ?
C’est une réalité depuis vingt ans. Lorsque le président
est arrivé au pouvoir, il y a installé sa famille et ses fidèles.
La principale
personne qui l’a accompagné au Palais présidentiel est son frère Saïd.
Avec le titre de « conseiller spécial », il est considéré
comme le « vice-roi » d’Algérie.
C’est l’ombre de son frère, l’homme de toutes les
besognes, qui parle pour le président.
Au fur et à mesure que Bouteflika s’éteignait, Said
portait sa parole auprès des institutions, du gouvernement ou des armées.
C’est lui qui interprète la pensée d’Abdelaziz Bouteflika
depuis qu’il ne peut plus parler et qui transmet cette pensée aux appareils
d’État.
Nacer, l’autre
frère du président, est l’inamovible secrétaire général du ministère de la
Formation professionnelle. Il ressemble à Abdelaziz Bouteflika, a le goût
du contact, connaît bien l’administration mais très peu l’armée.
Depuis quelques mois, c’est lui qui est exposé.
Il participe à des réunions stratégiques, représente la
famille lors d’événements importants.
Pour toutes ces raisons, certains estiment qu’il peut
être présenté comme l’héritier de l’actuel chef d’Etat.
Bouteflika a toujours fonctionné avec la cellule
familiale au point d’installer sa mère et sa sœur au Palais à qui il a confié
la gestion des cuisines à son arrivée, parce qu’il redoutait l’empoisonnement.
Abdelaziz
Bouteflika peut-il s’appuyer sur un réseau de militaires ou de généraux ?
Oui. On trouve en
première place le général Gaïd Salah, chef d’État-major des armées et
vice-ministre de la Défense (le ministre étant Abdelaziz Bouteflika lui-même).
Il a été nommé à
ce poste en 2004 et a reculé son âge officiel - il a 84 ans - pour pouvoir se
maintenir à ses fonctions.
Bouteflika a fait en sorte de ne pas nommer de jeune
général ou de général très ambitieux parce que à ce poste, il avait besoin d’un
soutien inconditionnel, d’un militaire qui lui doit.
Dans le premier
cercle, on trouve aussi le général Bachir Tartag.
C’est l’ancien adjoint du général Taoufic chargé du
renseignement algérien qu’il avait écarté.
En 2015, Bouteflika a décidé de limoger Taoufic et de
segmenter les services secrets pour les affaiblir et de les répartir sous
plusieurs entités.
La plus visible,
le département de surveillance et de sécurité (DSS) a été confiée à Bachir
Tartag.
Le général
Abdelghani Hamel, à la tête d’une puissante force de police depuis 2010 est
également un proche du clan du président qui fondait beaucoup d’espoirs en lui.
Mais il a été mêlé à une affaire d’importation de cocaïne
par l’entremise de son chauffeur et de son fils et limogé en juin 2018.
Et au sein des
sphères économiques ?
Le camp Bouteflika compte trois personnes majeures qui
évoluent dans les milieux économiques.
Ali Haddad, le
patron du puissant Forum des chefs d’entreprise en Algérie est très proche de
Saïd Bouteflika. Il a raflé de très importants contrats - dans les BTP notamment
- et a aujourd’hui la capacité de faire et de défaire les carrières de
ministres et de premiers ministres. Jusqu’ici, ce fut un homme extrêmement
puissant.
L’ancien ministre
de l’Energie, Chakib Khelil, est lui aussi très proche des Bouteflika.
Inquiété par la Justice en 2013, il a été réhabilité au
sein de la politique intérieure algérienne avant d’être de nouveau cité par la
justice italienne, en décembre dernier, dans une affaire de pots-de-vin.
La dernière
personne qui compte dans le milieu est l’actuel patron de la Sonatrach,
Abdelmoumen Ould Kaddour.
Condamné et emprisonné en 2007 et soupçonné d’espionnage,
il a été nommé à la tête de cette entreprise publique, véritable poids lourd de
l’industrie pétrolière en Afrique, en mars 2017.
Ces différents
cercles ont-ils une influence réelle ou supposée ?
- Qui a été aux
côtés d’Abdelaziz Bouteflika à Genève lors de ses examens de santé ?
Son frère Nacer.
- Qui gérait le
pays depuis l’accident vasculaire cérébral du président algérien survenu en
2013 ?
Son autre frère, Saïd. Haddad, lui, a été en capacité
d’écarter l’ancien premier ministre Tebboune à l’été 2017 et s’affiche lors de
forums, conférences ou voyages officiels au-dessus des membres du gouvernement.
Ce cercle-là n’a
pas une influence supposée, elle est bien réelle.
Y’a-t-il toutefois
des risques de fissures, de dissensions au sein de ce camp ?
L’avenir de chaque membre de ce clan dépend de leur
survie à tous.
Ils sont la colonne vertébrale du « bouteflikisme ».
En revanche, un
homme parmi eux est susceptible d’abandonner le reste du groupe, c’est le
général Gaïd Saleh.
Lui pourrait avoir le souci de la survie du régime.
Il sait que le pays est contre Bouteflika, que c’est
irréversible.
Il ne va pas s’engager dans une guerre civile pour un homme
qui est à l’agonie.
Il pourrait réagir de la même façon que l’armée
égyptienne lors de la révolution de 2011 et donner congé au chef d’Etat pour
pouvoir sauver le régime.
Il se montre de
plus en plus ambigu et a fait plusieurs déclarations contradictoires ces
dernières semaines.
Désormais, il ne menace plus la population qui manifeste
et assure que le peuple et l’armée partagent les mêmes objectifs.
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