Par
Nicolas Keraudren - Photographe : Manuel Braun –
Première fortune du pays, Issad Rebrab se présente comme
une grande victime de l'ère Bouteflika.
Il est l'un des rares industriels à soutenir le
soulèvement populaire en cours. Portrait d'un milliardaire que beaucoup
surnomment le « Berlusconi algérien ».
Emmanuel Macron a modifié son programme pour être dans les Ardennes et ne cache pas sa satisfaction de voir 1000 emplois directs créés par le projet de Rebrab / Photo : D. R.
Un silence
trompeur règne sur les hauteurs algéroises. Nous sommes vendredi, dans le
quartier des Annassers à Kouba.
Algérie: l’homme le plus riche du Maghreb entendu par
la gendarmerie
Une poignée de
fonctionnaires est mobilisée au ministère des Affaires étrangères pour
accueillir les journalistes des quatre coins du monde.
Certains mangent
le couscous devant la retransmission en direct du soulèvement populaire
algérien.
« Vous venez couvrir les manifestations ?
Prenez votre accréditation et dépêchez-vous d'aller défiler ! » s'exclame l'un d'eux.
« N'oubliez
pas, nous voulons un changement radical », ajoute un autre.
Issad Rebrab, dans une station d'ultrapurification,
fabriquée par EvCon, sa filiale allemande ©Manuel Braun pour Les Echos Week-end
À quelques
kilomètres, dans le centre-ville d'Alger, aux embouchures de la place
Maurice-Audin, plusieurs centaines de milliers de manifestants sont rassemblés
pour réclamer la fin du « système » .
Issad Rebrab - photo Benoudina samir
Comme tous les
vendredis depuis le 22 février, les « Elblad bladna w ndirou
rayna » - « C'est notre
pays, c'est à nous de décider » - fusent dans les rues. Etudiants,
avocats, médecins, ingénieurs, retraités… Toutes les corporations sont là.
Toutes, sauf une.
Celle des grands patrons algériens que les manifestants qualifient de
« gang ».
Ceux qui pendant
des années ont usé du « système » à des fins personnelles et favorisé
un climat de corruption que tout le monde dénonce aujourd'hui.
« Nous ne
voulons plus de ces voleurs, ils doivent tous tomber », défend Mustapha, un jeune Algérien.
La justice s'est
saisie de leur cas.
« Des enquêtes préliminaires sont mises en oeuvre pour
des faits de corruption et de transferts illicites de capitaux vers l'étranger
», a annoncé le Parquet le 1er avril, par la voie d'un communiqué.
Certains ont d'ailleurs été frappés d'une interdiction de
sortie du territoire.
Ils seraient une
dizaine au total, dont l'ancien patron des patrons, Ali Haddad, qui présidait
jusqu'au mois dernier le Forum des chefs d'entreprise - l'équivalent du Medef
en France.
Première fortune
d'Algérie
Rebrab a inauguré son usine en présence du président
français. D. R.
Le milliardaire
Issad Rebrab , lui, joue son va-tout.
Il a bien été inquiété par la police des frontières à
l'aéroport Houari-Boumédiène d'Alger. Avant de s'envoler pour l'Allemagne où il
a rencontré le PDG d'ABB, un géant mondial de la robotique, il a raté un, puis
deux vols.
Selon le
journaliste algérien Khaled Drareni, « les policiers voulaient être certains de
ne pas commettre d'erreur en le laissant passer. Ils ont donc pris toutes les
précautions nécessaires. »
Mais à l'heure où le pouvoir vacille, son antagonisme
avec le clan Bouteflika est devenu un atout. L'homme d'affaires n'est pas
n'importe qui : il représente la
première fortune d'Algérie et la sixième d'Afrique.
L'usine du futur EvCon pour Larbaa
Décrit comme « un acharné de travail », il a bâti son
empire Cevital dans la décennie 1990, en investissant dans l'agroalimentaire,
la construction, l'électroménager, les vitres et les réseaux de distribution.
« Voir grand, commencer petit et aller vite. » Une
devise, telle un leitmotiv, qui a porté Issad Rebrab jusqu’à la réussite.
Dans un café à quelques pas de la place Maurice-Audin, un
proche se souvient : « À l'aide de
crédits à l'exportation, il achetait des produits pour les revendre cash.
Parfois, il se faisait même préfinancer par ses clients.
Il a dégagé des sommes colossales qu'il a réinvesties
dans des secteurs productifs où il n'y avait aucune concurrence. Et pour cause
: le commerce extérieur était réservé au secteur public jusqu'en 1993.
Tout ceci lui a donné les moyens de démarrer ses
activités. »
JEAN-LOUIS LEVET EN VISITE À BEJAÏA - 22 MAI 2017
Le président du groupe Cevital, M. Issad Rebrab, a
reçu la visite du Haut Responsable à la coopération industrielle et
technologique franco-algérienne, M. Jean Louis Levet, ce Lundi 22 Mai. Cette
rencontre fut l’occasion pour M. Levet de découvrir le plus grand complexe
industriel privé en Algérie et en Afrique, composé de plusieurs unités de
production agroalimentaires ultramodernes, de silos portuaires, ainsi que du
premier terminal de déchargement portuaire en Méditerranée.
Zones d'ombre
Sa fortune, estimée à 3,9 milliards de dollars
aujourd'hui, n'est pas forcément bien vue de tous les Algériens.
Sur les réseaux sociaux, l'un d'eux écrit : « Il a volé plus que Haddad. » Pour
Rachid, chargé d'affaires juridiques dans une entreprise publique, « c'est un
voleur, oui. Mais contrairement aux
autres, il a aidé son pays. »
Pour ne rien
arranger, l'homme d'affaires a aussi été cité dans les Panama Papers dévoilés à
l'été 2016.
6 JUIN 2017 - Cevital, premier groupe privé algérien
hors hydrocarbures, lance une campagne de communication de grande envergure
pour souligner sa contribution majeure au rayonnement de l’industrie
algérienne, à la richesse du pays et à la création d’emplois.
Selon Le Monde, il compte « parmi les plus anciens
clients du cabinet d'avocats panaméen Mossack Fonseca ».
Rebrab aurait alors bénéficié d'un compte offshore, au
début de la « décennie noire », alors que la loi algérienne l'interdisait. Ce
qu'il a toujours démenti.
TROPHÉE EXPORT 2016 : BRANDT REÇOIT LE PREMIER PRIX
D’ENCOURAGEMENT 7 JUIN 2017
Le Premier prix d’encouragement du « Trophée Export
2016 », décerné par le World Trade Center Algérie aux meilleurs exportateurs
algériens, a été attribué à Brandt Algérie, filiale du groupe Cevital, et
producteur et exportateur de produits électroménagers et électroniques.
Malgré ces zones d'ombre, il reste un « homme très
populaire en Algérie » estime Jean-Pierre Séréni, journaliste et observateur du
pays depuis quarante ans.
Pour Mokrane, un jeune Algérien originaire de Kabylie et
expatrié en France, « il porte l'espoir
du développement dans notre pays ».
L'un de ses proches abonde : « Sa fortune ne doit rien aux privilèges accordés par l'Etat. Il s'est
construit seul. »
8 AOÛT 2017 - Brandt Algérie, filiale du groupe
Cevital spécialisée dans l’électroménager, a organisé ce mardi 08 juillet, à
Alger, une cérémonie honorifique de remise de prix aux lauréats des classes
d’examens de cinquième année primaire, du brevet d’enseignement moyen (BEM) et
du baccalauréat de l’année 2017, en offrant aux trois premiers lauréats une
Smart TV dotée du programme de soutien scolaire « Likoul », une innovation
intégrée dans toutes les Smart TV Brandt, ainsi que des packs électroménagers à
leurs familles respectives.
Dans le monde sclérosé des affaires algériennes, Issad
Rebrab est effectivement un ovni.
Il est l'un des rares industriels à s'opposer au «
système ».
Le 1er mars 2019,
il a même participé physiquement à la « révolution du sourire ». Drapé du
drapeau algérien, on le voit porté par la foule qui manifeste.
Electron libre
Au huitième et dernier étage du siège de son groupe situé
aux portes d'Alger, il dresse son réquisitoire d'une voix paisible et saccadée,
comme s'il pesait ses mots.
« Certains de nos
jeunes sont obligés de traverser la Méditerranée pour trouver un emploi. Ce
n'est pas normal, l'Algérie aurait pu être un eldorado pour les investisseurs
et pour le peuple. »
UNE FIN D’ANNÉE 2017 CHARGÉE POUR LE GROUPE CEVITAL !
Troisième
producteur de pétrole africain derrière le Nigeria et l'Angola, elle vit depuis
des décennies au gré de la rente qu'elle tire de ses hydrocarbures.
Ceux-ci
représentent la quasi-totalité de ses exportations (97%).
« Notre malheur, c'est la mauvaise gouvernance », ajoute
Issad Rebrab, qui regrette de ne pas pouvoir faire plus pour son pays.
« Je pense que le
système algérien ne voulait pas d'une personnalité ou d'un entrepreneur qui
arrive à un certain niveau. »
Son indépendance,
il l'arbore comme un étendard.
« J'ai toujours été un électron libre », assure-t-il en
racontant sa démission d'une entreprise publique, dans la décennie 1970.
A l'occasion de son itinérance mémorielle, le
président de la République a visité ce mercredi matin les anciens locaux de PSA
à Charleville-Mézières où le groupe Cévital va s'implanter. A la clé, plus d'un
millier d'emplois. Cette visite n'était pas inscrite à l'agenda présidentiel.
Emmanuel Macron est arrivé sur le futur site
d'implantation de Cévital à Charleville-Mézières. A ses côtés, Issad Rebrab, le
PDG de groupe © Radio France - Alexandre Blanc
Issad Rebrad est alors expert-comptable et rédige un
rapport d'activité défavorable au ministre de l'Industrie, qui l'oblige à
revoir sa copie.
« À ce moment, j'ai compris que je ne travaillerai plus
jamais dans une entreprise publique algérienne », lâche-t-il devant un modeste
plat de poisson qu'il savoure à son rythme.
L'homme ne cite jamais ses ennemis. Pas même Abdelaziz
Bouteflika, l'ex-président algérien avec qui il entretient des relations
exécrables : « Il ne veut pas d'un Berlusconi en Algérie, m'a-t-on dit »,
glisse-t-il sans jamais le nommer.
Le « Berlusconi
algérien »
Des points communs avec le magnat italien, il en existe
plus d'un.
Comme lui, Rebrab est un patron de presse.
Le regard rivé sur sa montre clinquante, il explique être
l'un des quatre fondateurs de Liberté, l'un des principaux médias d'opposition
qui lui assure une couverture médiatique favorable.
Il est aussi impliqué dans le football, via le club de la
Jeunesse sportive de Kabylie.
« C'est mon devoir d'aider la JSK et j'en suis fier »,
dit-il devant les caméras.
« Ce club est l'emblème de la Kabylie et de la nation
algérienne », le président d'honneur du club.
Ces activités lui ont permis d'asseoir sa notoriété. Et
de conforter sa position de « victime » de Bouteflika auprès du grand public.
Car depuis plusieurs années, tous les projets d'Issad
Rebrab sont ralentis ou bloqués par le pouvoir algérien.
Ce fut le cas d'un
hub portuaire en Kabylie, où devaient être construits un complexe
pétrochimique, une centrale électrique, une usine de construction automobile,
une de sidérurgie et une de désalinisation d'eau de mer.
Le tout devait
générer 1 million d'emplois et 32 milliards de dollars de revenus à l'export,
assure l'intéressé.
Autre projet
avorté, celui de l'usine de trituration de graines oléagineuses prévu par
Cevital dans la ville de Béjaïa, à l'est d'Alger.
Quelque 100 000
emplois étaient en jeu, toujours selon Rebrab.
Le gouvernement ne veut pas en faire une affaire d'Etat :
pour Ahmed Ouyahia, Premier ministre jusqu'au 11 mars dernier, « les
malentendus touchent des centaines d'entreprises et ce n'est pas en les
politisant ou en organisant des marches qu'ils vont se régler ».
La main invisible
Le coup de grâce fut porté avec le retrait de la
concession Hyundai qu'Issad Rebrab détenait depuis plus de vingt ans, et que
dirigeait l'un de ses fils, Omar. Celle-ci a été confiée à un autre homme
d'affaires, l'influent Tahkout Mahieddine, grâce aux arrangements de l'ancien
ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb.
Selon le journaliste algérien Khaled Drareni, « celui-ci
a tout fait pour trouver une faille chez Rebrab ».
Au-delà du gouvernement, c'est toute une partie du
patronat qui lui fait barrage.
Publiquement, le milliardaire préfère parler d'une « main
invisible » qui retient ses projets.
À notre micro, il se fait plus disert. Ces blocages ne
seraient-ils pas le fait d'un concurrent ?
La famille Kouninef ou le clan Haddad, par exemple ?
« Vous avez tout compris », murmure-t-il.
La première est en cour au sommet de l'Etat. Son PDG,
l'influent Rédha Kouninef, serait l'un des plus proches fidèles de Saïd
Bouteflika, le frère d'Abdelaziz. Tout comme Ali Haddad - ex-chef du patronat
algérien - dont les affaires concurrencent celles de Rebrab.
Le plafond de
verre
Les entreprises algériennes se divisent ainsi en deux
catégories :
« D'une part, celles qui sont connectées au pouvoir et
entretiennent une relation de vassalité avec celui-ci.
Elles sont d'ailleurs organisées au sein du Forum des
chefs d'entreprise.
Et d'autre part, les entreprises non connectées à l'Etat,
plus indépendantes mais qui demeurent sous un plafond de verre », explique le
professeur d'économie El Mouhoub Mouhoud, auteur d'un rapport pour la Banque
mondiale sur la diversification de l'économie algérienne.
Issad Rebrab revendique son appartenance au second
groupe.
« Le pouvoir
craint que je me lance en politique. » Est-ce justifié ? « Ma seule ambition
est de contribuer au développement de l'économie de mon pays, en créant des
richesses et des emplois pour nos jeunes », élude-t-il.
Difficile, selon lui, de marquer la frontière entre
l'économie et la politique.
Pour l'un de ses proches, « ceux qui prêtent des
ambitions politiques à Monsieur Rebrab n'ont rien compris de lui.
La politique ne l'intéresse pas du tout. »
Succès étrangers
Les difficultés qu'il rencontre dans son pays contrastent
avec l'aura dont il jouit à l'étranger.
Notamment en France, où il a été reçu en grande pompe en
novembre 2018 par Emmanuel Macron à l'occasion d'un forum sur l'attractivité de
l'Hexagone.
En 2014, Rebrab avait été qualifié de « sauveur » par la
presse française après le rachat pour 200 millions d'euros du groupe
d'électroménager français Brandt, alors en redressement judiciaire.
Un an plus tôt, c'est le menuisier PVC Oxxo qui avait été
repris par le groupe Cevital.
Dans les Ardennes, à Charleville-Mézières, il prévoit de
recruter 1 000 personnes pour son usine du traitement de l'eau, EvCon. Via
différentes filiales, il est aussi présent en Allemagne, au Brésil et en
Espagne.
Un dynamisme qui tranche avec le marasme des activités
algériennes. « J'aimerais pouvoir faire plus pour mon pays », soupire Rebrab.
Alors que le pouvoir bascule, son heure est peut-être
venue.
Issad Rebrab dans
l'histoire algérienne
27 mai 1944 : Naissance en Kabylie.
5 juillet 1962 : L'Algérie obtient son indépendance.
1988 : Issad Rebrab fonde Metal Sider (sidérurgie). C'est
avec cette société qu'il monte sa fortune dans la décennie 1990.
27 juin 1992 : Avec trois autres associés, Issad Rebrab
fonde le journal Liberté dans le contexte de la « décennie noire ». Quatre
journalistes sont assassinés par les terroristes islamistes pendant cette
période.
1998 : Naissance du conglomérat Cevital, un an avant la
première élection de Bouteflika à la présidence.
30 avril 2001 : Un décret signé par Ali Benflis, alors
Premier ministre, interdit de manifester dans la capitale.
12 novembre 2008 : Le Parlement révise la Constitution
pour autoriser Abdelaziz Bouteflika à exercer plus de deux mandats
présidentiels. Il est réélu une troisième fois avec 90,24% des voix.
10 février 2019 : Bouteflika annonce son intention de
briguer un cinquième mandat. Quelques jours plus tard, plusieurs milliers de
personnes manifestent dans tout le pays, répondant à différents appels anonymes
lancés sur les réseaux sociaux.
2 avril 2019 : Démission d'Abdelaziz Bouteflika.
Abdelkader Bensalah est nommé président par intérim la semaine suivante, pour
une durée de 90 jours. L'élection présidentielle est fixée au 4 juillet.
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