Il y a dans la pensée de Nietzsche une valorisation de
l’oubli renvoyant à une réflexion sur le vivant et son fonctionnement qui participe
chez lui d’une analyse de la vie :
- l'oubli est une condition du bon
fonctionnement du vivant.
Pourquoi faudrait-il se réjouir d'avoir la mémoire qui
flanche ?
"Nietzsche, toute action exige
l’oubli", dessin de David Ha• Crédits : © David Ha
Cette semaine, nous vous proposons une expérience inédite
: celle de saisir ce qui, par définition, nous échappe, nous est perdu à jamais
: l'oubli...
Des clés égarées, une adresse, un code, un nom qui nous
sont sortis de l'esprit, un moment, une atmosphère, un je-ne-sais-quoi qui se
rappelle à nous, nous avons tous fait l'expérience d'avoir oublié quelque
chose.
Mais l'oubli nous apparaît seulement quand il ne l'est
plus et quand le souvenir surgit et quand on surprend l'absence, avec angoisse
ou émotion...
Drôle de paradoxe.
- Comment faire vraiment l'expérience de l'oubli ?
- Comment le provoquer,
- comment apprendre à ne plus se souvenir ?
- Comment cultiver la disparition d'une partie de nous ?
- Et donc, pourquoi faudrait-il même s'en réjouit ?
L'invité du jour :
Patrick Wotling, professeur de philosophie, directeur du
département de philosophie de l’Université de Reims et fondateur du Groupe
International de Recherches sur Nietzsche
L’oubli, fondement
même de la vie communautaire
Nietzsche nous apprend que l’oubli est positif, s’éduque,
peut se contrôler et surtout qu’il est la condition qui rend possible
énormément de choses, comme la vie sociale : le second traité de la "Généalogie de la morale" est fondé
sur cette affaire de la tendance à l’oubli qui est une régulation fondamentale
du vivant et la manière dont cette tendance à l’oubli peut être régulée,
éduquée, contrecarrée, canalisée, représente pour Nietzsche le fondement même
de la possibilité d’une vie communautaire.
L’oubli est
vraiment un processus positif si on le comprend bien.
L’homme n’est pas
une machine à stocker du savoir
L’homme n’est pas un pur esprit, l’homme n’est pas une
machine à construire du savoir et surtout pas à avaler et stocker du savoir, le
problème est bien là :
- pour l’épanouissement, pour ce que Nietzsche désigne
comme le bonheur, qui suppose une manière de coller au présent, d’épouser le
présent, il faut avoir un minimum de liberté, de légèreté, ne pas être écrasé par le poids du souvenir…
C’est l’une des
directions qui permettent de commencer à comprendre pourquoi Nietzsche valorise
l’oubli.
Nietzsche fait un rapport au modèle animal qui est très
parlant :
- l’animal ne connaît pas les angoisses,
- les crises
d’identité qui sont devenues le lot commun de l’homme contemporain et
Nietzsche l’attribue notamment au fait que l’animal ne souffre pas de cette
hypertrophie de la mémoire qui surcharge, paralyse les régulations vitales
fondamentales…
- L’animal vit dans l’instant.
Oublier, est-ce
digérer ?
Nietzsche utilise cette image au début du second traité
de la "Généalogie de la morale", il parle de digestion spirituelle,
psychique, qui est l’équivalent plus général d’une digestion organique,
matérielle.
Oublier, au bon sens du terme, c’est rendre quelque chose
inconscient, mais ça ne veut pas dire le perdre ou le neutraliser, ça veut dire
l’agréger à toutes les régulations physiques qui sont déjà actives.
Patrick Wotling
Extrait de Seconde considération intempestive de
Nietzsche, traduction de Pierre Rush aux éditions Gallimard, collection Folio
essais
Extrait de Généalogie de la morale de Nietzsche, Second
Traité, traduction de Patrick Wotling aux éditions Livre de Poche.
Textes lus par Hélène Lausseur :
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