"En
France, l'évasion fiscale c'est 100 milliards d'euros par an, le budget de
l'Education"
Après deux
années d'enquête, Yannick Kergoat et Denis Robert sortent un documentaire
explosif sur l'évasion fiscale.
Entretien
exclusif - Par Charlotte Cieslinski et Julien Bouisset – 22/01/2019.
Sept ans
après les "Nouveaux
Chiens de garde", coréalisé avec Gilles Balbastre, Yannick Kergoat
s'attaque à la finance.
Cette fois,
avec "la Très Grande Evasion"
il s'allie au journaliste d'investigation
Denis Robert (à l'origine du scandale Clearstream) pour réaliser un
documentaire sur les Panama Papers, Paradise Papers et autres scandales
d'évasion fiscale qui se succèdent depuis dix ans.
Explosif, le sujet résonne en bien des
points avec la mobilisation des "gilets jaunes":
Lire aussi :
Denis Robert : "Pourquoi
les 'prédateurs' de la finance sont-ils impunis ?"
"Aujourd'hui, Emmanuel Macron organise un
grand débat national, mais il y a une question qui n'est pas posée, et qui
pour nous, résoudrait toutes les autres : qu'est-ce
qu'on fait de l'évasion fiscale ?"
Après deux
années d'enquête, Yannick Kergoat et Denis Robert se heurtent aujourd'hui à la
frilosité des investisseurs.
Pour
financer la fin de leur travail, ils lancent un appel
à crowdfunding.
Entretien
"La Très Grande Evasion" représente déjà deux années
d'enquête.
Richesses mal
redistribuées, classes moyennes qui se paupérisent… A plusieurs égards, votre
projet fait écho aux revendications des "gilets jaunes".
Vous ont-ils inspirés
?
Le mouvement des "gilets jaunes", et le fait qu'il
mette vraiment au cœur la question de la justice fiscale, c'est pour nous un
énorme encouragement.
Ça nous
porte, ça nous engage.
Ça fait deux
ans qu'on écrit ce film, donc il n'y a pas l'idée opportuniste de surfer sur un
mouvement social, une revendication partagée.
Le titre, "la Très Grande Evasion", est un
clin d'œil au film, évidemment.
A
l'initiative de ce projet, il y a le producteur Bertrand Faivre : un ami de
longue date, qui a coproduit le dernier film de Denis Robert.
Il nous a
réunis en pensant que la question de l'évasion fiscale est au cœur de nos vies
de tous les jours.
On en entend
parler, il y a des livres, des articles et des reportages télévisés sur le
sujet.
Mais il n'y
a pas un film, avec l'impact que ça peut avoir au cinéma, la capacité
d'interpeller les gens.
Donc, on
s'est mis au boulot. Il a déjà financé deux ans de travail, d'enquête, de
recherches, d'écriture.
Dans "la Très Grande Evasion", vous
projetez de revenir sur les Panama Papers, Paradise Papers et autres scandales
financiers qui révèlent depuis dix ans l'ampleur de l'évasion fiscale en
France.
Concrètement, ça
représente quoi ?
Aujourd'hui, l'évasion fiscale, c'est 100 milliards d'euros,
chaque année pour la France.
100
milliards d'euros, c'est plus que le budget de l'Education nationale.
Le déficit budgétaire français,
c'est 83 milliards d'euros.
Ces chiffres
ne sortent pas de nulle part, mais de nombreuses associations et de rapports
parlementaires.
Ça recouvre
des réalités et des dispositifs qui sont un peu différents et qu'on nuancera
dans le film : tout un agrégat de situations et de techniques d'évasion ou
d'optimisation fiscales.
On vit depuis au moins quinze ans
sous le régime de politiques d'austérité.
On nous dit
"il n'y a plus d'argent dans les
caisses, il faut se serrer la ceinture", et le grand débat national
organisé cette semaine, stipule noir sur
blanc que l'alternative c'est soit augmenter les impôts, soit baisser les
services publics.
Nous, on dit
: il y a une alternative, rétablissons
la justice fiscale.
Comme les "Nouveaux Chiens de garde" en son
temps, ce documentaire sera ponctué d'archives télévisuelles.
En 2011, vous
dénonciez la connivence entre le pouvoir et les "éditocrates".
Cette fois, qui
souhaitez-vous pointer du doigt ?
Ceux qui fraudent sont ceux qui
ont le bénéfice de la fraude.
Ceux pour
lesquels c'est rentable de frauder, évidemment, ça ne sera pas le salarié qui
s'apprête à être prélevé à la source.
Ce sont les grandes fortunes, les plus riches de la société...
ceux qui ont intérêt à soustraire des sommes à l'impôt ! La responsabilité est essentiellement politique, à
différents échelons : français, européen, international...
Une grande
partie de l'optimisation agressive vient de la compétition que se mènent les
pays européens entre eux.
Pourquoi les
questions de fiscalité ne sont-elles pas mieux harmonisées ?
Connivence, bienveillance… le personnel politique est-il complice
de ces grands circuits d'évasion fiscale ?
Concrètement, à qui
pensez-vous ?
Est-ce qu'il y a en France des
hommes et des femmes politiques qui sont corrompus, en termes d'évasion fiscale
?
La réponse est oui.
On a
quand même eu un ministre du Budget qui pratiquait la fraude fiscale.
Est-ce que
c'est la raison principale pour laquelle le problème perdure ?
Je ne pense
pas.
Il va
falloir comprendre et analyser cette impuissance politique.
Essayer de définir pourquoi depuis tant d'années, il n'y a pas
réellement eu de politiques conséquentes sur la question.
Avec Denis Robert, on posera la question à ceux qui ont des
réponses et des solutions à apporter.
On ne fait
pas ce film pour donner notre opinion, mais pour aller à la rencontre de ceux
qui sont bien plus spécialistes que nous sur ces questions.
Face aux difficultés rencontrées pour financer
votre film, vous lancez un crowdfunding
sur KisskissBankbank.
Comment expliquez-vous les réticences du CNC
(Centre national du cinéma et de l'image animée) ou des autres ?
Le producteur a cette formule :
"Jamais je n'ai eu de réponses aussi rapides, ça a été non tout de suite
!".
La difficulté de financer un film
sur la fraude fiscale est quand même le signe qu'il va falloir beaucoup travailler... Et que le problème ne fait
pas consensus du côté des élites.
La seule solution, c'était de
demander aux gens directement et de leur dire "on a besoin de vous pour
faire ce film, si vous croyez un peu à l'équipe qu'on forme, avec Denis,
aidez-nous à le faire".
Il faut
d'abord comprendre qu'un film, ça coûte cher.
Il y a
beaucoup de collaborateurs, des animations, des tournages, des voyages. Et ce
même si, nous, comme auteurs-réalisateurs, on ne prend pas d'argent ou très
peu.
On est à l'abri des coups de
pression car on est indépendants.
On
n'appartient pas à un organe de presse, on n'est pas salariés à l'année d'une
société de production, on n'a pas d'actionnaires, pas de directeurs, etc.
Ça nous met
largement à l'abri et on est bien déterminés à faire ce qu'on veut faire.
Propos recueillis par
Julien Bouisset et Charlotte Cieslinski
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