Par Anne-Sophie
Bellaiche – 16/01/2019.
« Le piège américain » est à la fois un
thriller, un film d’espionnage, un drame psychologique et surtout un essai
documenté sur la guerre économique que mènent les Américains.
Avec une arme
fatale pour les entreprises étrangères, l’extraterritorialité du droit des
Etats-Unis.
Une arme qui a,
selon ses auteurs, coûté à la France, un des fleurons stratégique de son
industrie : Alstom.
« Le piège américain » de Frédéric Pierucci avec
Matthieu Aron, édition JCLattès
En avril 2013
après 24 heures de voyage depuis l’Asie, un cadre d’Alstom est arrêté à la
sortie de son avion à l’aéroport JFK de New York et jeté en prison.
C’est ainsi que
s’ouvre « le Piège Américain", le livre témoignage de ce cadre qui paraît
aujourd’hui chez Lattès.
ARTE - 16 janv.
2019
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Du côté du drame
psychologique, Frédéric Pierucci, ancien directeur monde de la division
chaudière d’Alstom, nous fait vivre la dégringolade hallucinante d’un cadre
dirigeant lambda d’une multinationale : les chaînes aux chevilles, aux
poignets et la poitrine, la promiscuité, l’enfermement dans une prison de haute
sécurité à Wyatt avec des barons de la drogue ou des truands de la finance, les
soins de santé défaillant, les avocats hors de prix et qui jouent contre lui,
le lâchage de son entreprise.
Et enfin, et
c’est sans doute le plus douloureux, la séparation d’avec sa femme et ses
quatre enfants, qui depuis l’autre bout du monde, à Singapour, tentent de
démêler l’incroyable imbroglio dans lequel le père de famille est tombé.
France Inter – 16/01/2019
Matthieu Aron et Frédéric Pierucci sont les invités de
Léa Salamé à 7h50 pour la sortie du livre "Le piège américain, l'otage de
la plus grande entreprise de déstabilisation économique témoigne"
(éditions JC Lattès).
Sur le même
thème: Le
droit de l'Amérique
Mais au-delà du
témoignage, l’intérêt du livre « Le piège américain » co-écrit avec le très
talentueux journaliste Matthieu Aron est de mettre en perspective cette
aventure individuelle avec la ou plutôt les
affaires Alstom.
BNP Paribas, Volkswagen, Alstom... On ne compte plus
les entreprises du Vieux Continent qui ont dû acquitter des pénalités
colossales aux États-Unis
Car en réalité,
il y a deux affaires Alstom, celle d’un système de corruption que la justice
américaine a dans le viseur et que son état-major, Patrick Kron en tête, gère
de la pire manière. Et celle de la vente de la division énergie d’Alstom à
General Electric.
Pour Frédéric
Pierucci, qui a fait 25 mois de prison au Etats-Unis, les deux affaires sont
imbriquées et passent en partie par lui.
Le livre permet
de comprendre dans le détail les dessous de cette affaire et d’alerter les
entreprises françaises sur les dangers qui les guettent.
Le lampiste étant
devenu au passage un spécialiste du Foreign
corrupt practices act (FCPA), qui leur coûte très cher.
Car selon ces
calculs, "entre 1977 et 2014, sur 26 amendes supérieures à 100 millions de
dollars, 21 concernent des sociétés non américaines".
La menace de 125
ans de prison
Le premier
interlocuteur du cadre est David Novick, procureur fédéral dans le Connecticut
en charge du dossier. Il lui propose de "faire des choses pour (eux)…
contre Alstom et sa direction" admettant que Frédéric Pierucci
"n’était pas décisionnaire mais (…) au courant de tout ce qui se
passait".
"Ce que nous
voulons, c’est poursuivre la direction générale d’Alstom et notamment son
P.-D.G., M. Kron".
Le cadre refuse, suivant les consignes de la
maison, et persuadé que sa direction va le tirer de ce mauvais pas.
Ce ne sera pas le
cas.
Il s’aperçoit
rapidement qu’en plaidant non coupable, c’est potentiellement une peine de 125
ans de prison qui l’attend.
En réalité, la
faute de Frédéric Pierucci est essentiellement d’avoir été l’un des 13
signataires d’Alstom du recrutement d’un consultant sur la vente d’un projet en
Indonésie en 2003. Il avait 31 ans à l'époque.
C’est ce
consultant qui a lui-même versé des commissions à des élus indonésiens et dont
le département de la Justice (DOJ) a le témoignage.
En la matière, le
cadre a strictement suivi toutes les procédures internes d’Alstom, tandis que
la responsabilité du choix des consultants incombait au service Compliance de
l’entreprise.
© Ouest France/Thomas Bregardis
Au cours de ses
différentes auditions, Frédéric Pierucci comprend que le DOJ enquête sur Alstom
depuis 2009 et que la société fait semblant de coopérer tout en poursuivant sa
politique.
L’industrie pharmaceutique joue la carte du
patriotisme pour demander des aides - © Novo Nordisk
Son
emprisonnement a pour but de mettre la pression sur la direction pour qu’elle
coopère.
Deux autres
cadres sont également mis en examen, dont un qui a quitté l’entreprise.
Frédéric Pierucci
apprend que Keith Carr, le directeur juridique d’Alstom, s’est rendu à
Washington pour négocier avec le DOJ, il témoigne : "vingt-quatre heures
après mon arrestation, mais lui n’a nullement été inquiété par le FBI. Ce qui
ne cesse de m’intriguer."
Alstom finit par collaborer avec le DOJ
Finalement, le
cadre préférera plaider coupable pour avoir une chance de réduire sa peine.
Après 14 mois de
prison, il est mis en liberté conditionnelle, puis peut revenir en France après
moult péripéties en attendant son jugement qui a finalement lieu en 2017 et qui
le renvoie pour 12 mois en prison puisque la sentence est de 30 mois de prison.
Alstom signera finalement de son côté un
"plaider coupable" le 22 décembre 2014.
Frédéric Pierucci
ne le loupe pas :
"J’observe
que la très grande majorité des 75 millions de pots-de-vin ont été versés après
l’arrivée de Kron à la tête d’Alstom (en 2003). (…)
On comprend donc
mieux ce que risquait Patrick Kron s’il avait été poursuivi."
C’est en prison
que Frédéric Pierucci apprendra, stupéfait,
qu’Alstom est prêt à céder 70 % de ses activités énergie à General
Electric.
Pour les auteurs,
la vente d’Alstom à GE, qui entretient des liens comme toutes les entreprises
américaines avec le DOJ était un moyen d’éviter la prison à son PDG Patrick
Kron et de réduire le montant de l’amende.
Elle sera de plus
de 700 millions de dollars mais le chiffre de 1,5 milliard circule à l'époque.
Le livre revient
longuement sur le rôle d’Arnaud Montebourg pour trouver une solution
alternative (avec Siemens), les batailles entre Bercy et l’Elysée, la démission
fataliste d’autres, en particulier Emmanuel
Macron, face à la puissance américaine, le jeu de poker menteur qui se joue
entre les différents intervenants.
Il explore surtout la question : a-t-on cédé
Alstom aux Américains pour de mauvaises raisons ?
Pressions sur la
vente d'Alstom
Cette possibilité
n’a pas manqué d'interroger des spécialistes du renseignement français et les
députés de la nation.
En novembre 2017,
l’assemblée lance une commission d’enquête parlementaire sur "la politique
industrielle et notamment les cas d’Alstom, Alcatel et STX". Elle a tenté
de démêler le sujet.
Dans ses
conclusions écrites, la commission admet qu’elle n’a pas trouvé de preuves de
cette thèse :
"Alstom a
été fragilisée financièrement par les poursuites américaines anti-corruption
mais aucun élément factuel ne permet de corroborer la théorie selon laquelle
General Electric aurait instrumentalisé ces procédures pour faciliter le rachat
d’Alstom".
Dans les ateliers de General Electric à Belfort. Photo
d’archives Lionel VADAM.
Belfort : chez General Electric, des réductions de
postes en vue dans la branche Alstom Power System.Des négociations ont été
entamées au sein de la branche Alstom Power System de General Electric afin de
trouver un accord de « gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences »
et de rupture conventionnelle collective. 19/01/2019
Mais lors de la
présentation à la presse, en avril 2018, à laquelle nous avions pu assister, il
apparaissait clairement que les points de vue d’Olivier Marleix (LR), le
président de la commission et de Guillaume Kasbarian (LREM), son rapporteur
n’étaient pas tout à fait en ligne.
Le premier étant
proche de la thèse de Frédéric Pierucci.
Président comme
rapporteur de la commission se rejoignaient, en tout cas sur la sous-estimation
du risque par les entreprises françaises des moyens du DOJ et le travail
déficient de l’administration en matière de renseignement.
Mais aux yeux
du cadre d’Alstom et Matthieu Aron, il existe une preuve irréfutable de cette
collusion entre le DOJ et GE dans cette affaire.
Alors que les
juges dans le cadre du FCPA, "dans 99 % des cas", valident une
transaction financière et exigent le paiement de l’amende dans les dix jours.
La décision de
justice, une fois le deal conclu, n’interviendra que 11 mois plus tard, une
fois que les autorités européennes auront approuvé la vente.
Le deal était
donc susceptible d'être revu si GE n'avait pas pu acheter l'entreprise
française.
Cette décision
des autorités européennes avait comme principal avocat... Patrick Kron.
Ce dernier
quittera l’entreprise en janvier 2015 avec un bonus de 6,5 millions d’euros
pour ses bons et loyaux services.
Sans sous-estimer
la situation délicate d’Alsthom à l’époque, il faut constater qu’il a vendu à
GE l’expertise qui permet la maintenance des centrales nucléaires françaises et
de ses sous-marins de dissuasion.
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