16/05/2019 – CEA
Des neurones voient le jour au sein même du
microenvironnement tumoral, contribuant au développement du cancer.
Ces cellules nerveuses dérivent de progéniteurs provenant
du cerveau et sont acheminés via la circulation sanguine.
Réseau de nerfs adrénergiques (en rouge) dans des
tumeurs à haut risque du cancer de la prostate. @Science
Cette découverte étonnante ouvre la voie à tout un
nouveau champ de recherche, relatif au rôle du système nerveux dans le
développement des cancers et aux interactions entre les systèmes vasculaires,
immunitaires et nerveux dans la tumorigenèse.
Schéma d'un neurone mature. Nicolas.Rougier
La production de nouveaux neurones est un événement
plutôt rare chez l’adulte, cantonné à deux régions particulières du cerveau :
le gyrus denté dans l’hippocampe et la zone sous-ventriculaire.
Schéma de la neurogenèse adulte dans l'hippocampe
avec, en bleu, la morphologie des cellules souches neurales adultes de cette
zone. Wikitavanti
Mais voilà que l'équipe Inserm Atip-Avenir dirigée par
Claire Magnon* à l'Institut de Radiobiologie Cellulaire et Moléculaire, dirigé
par Paul-Henri Roméo (CEA, Fontenay-aux-Roses), vient de montrer que ce
phénomène se produit également en dehors du système nerveux central : dans les
tumeurs !
En 2013, cette chercheuse avait déjà mis en évidence,
dans des tumeurs de la prostate, que l’infiltration de fibres nerveuses, issues
de prolongements d'axones de neurones préexistants, était associée à la
survenue et à la progression de ce cancer.
Depuis, d'autres études ont permis de confirmer le rôle
inattendu, mais apparemment important, des fibres nerveuses dans le
microenvironnement tumoral de nombreux cancers solides.
Soucieuse de comprendre l’origine du réseau neuronal
tumoral, Claire Magnon a une idée surprenante : et si le réseau nerveux
impliqué dans le développement des tumeurs provenait de nouveaux neurones se
formant sur place ?
Et dans ce cas, comment pourrait être initiée cette
neurogenèse tumorale ?
Des cellules
neurales souches dans les tumeurs
Pour tester cette hypothèse, Claire Magnon a étudié les
tumeurs de 52 patients atteints de cancer de la prostate.
Elle y a découvert des cellules exprimant une protéine,
la doublecortine (DCX), connue pour être exprimée par les cellules
progénitrices neuronales, lors du développement embryonnaire et chez l’adulte
dans les deux zones du cerveau où les neurones se renouvellent.
De plus, dans les tumeurs étudiées, la quantité de
cellules DCX+ est parfaitement corrélée à la sévérité du cancer. "Cette
découverte étonnante atteste de la présence de progéniteurs neuronaux DCX+ en
dehors du cerveau chez l’adulte.
Et nos travaux montrent qu’ils participent bien à la
formation de nouveaux neurones dans les tumeurs", clarifie-t-elle.
Une migration du
cerveau vers la tumeur
Pour déterminer
l’origine de ces progéniteurs neuronaux, Claire Magon a utilisé des souris
transgéniques, porteuses de tumeurs.
Elle a quantifié les cellules DCX+ présentes dans les
deux régions du cerveau où elles résident habituellement.
Elle a alors constaté que, lors de l’établissement d’une
tumeur, leur quantité est réduite dans l’une d’elles : la zone
sous-ventriculaire.
"Il y avait deux explications : soit les cellules
DCX+ mourraient dans cette région sans qu’on en connaisse la cause, soit elles
quittaient cette zone, ce qui pouvait expliquer leur apparition au niveau de la
tumeur".
Différentes expériences ont montré que cette seconde
hypothèse était la bonne avec la mise en évidence du passage des cellules DCX+
de la zone sous-ventriculaire du cerveau dans la circulation sanguine et de
l’extrême similarité entre les cellules centrales et celles retrouvées dans la
tumeur.
"En pratique, nous constatons des anomalies de
perméabilité de la barrière hématoencéphalique de la zone sous-ventriculaire
chez les souris cancéreuses, favorisant le passage des cellules DCX+ dans le
sang.
Rien ne permet pour l'instant de savoir si ce problème de
perméabilité précède l’apparition du cancer sous l’effet d’autres facteurs, ou
si elle est provoquée par le cancer lui-même, via des signaux issus de la
tumeur en formation.
Quoi qu’il en soit, les cellules DCX+ migrent dans le
sang jusqu’à la tumeur, y compris dans les nodules métastatiques, où elles
s’intègrent au microenvironnement.
Là, elles se différencient en neuroblastes puis en
neurones adrénergiques producteurs d’adrénaline.
Or, l’adrénaline régule le système vasculaire et c’est
probablement ce mécanisme qui favorise à son tour le développement tumoral.
Mais ces hypothèses restent à vérifier".
Une piste
thérapeutique
En attendant, cette recherche ouvre la porte à une
nouvelle piste thérapeutique :
De fait, des observations cliniques montrent que les
patients atteints de cancer de la prostate qui utilisent des bêtabloquants (qui
bloquent les récepteurs adrénergiques) à des fins cardiovasculaires, présentent
de meilleurs taux de survie.
"Il serait
intéressant de tester ces médicaments en tant qu’anticancéreux" estime la
chercheuse.
Deux essais cliniques allant dans ce sens ont récemment
ouvert aux Etats-Unis**. De façon plus générale, "l’étude de ce réseau
nerveux dans le microenvironnement tumoral pourrait apporter des réponses sur
le pourquoi des résistances à certains traitements et favoriser le
développement de nouveaux médicaments", conclut-elle.
……………………
Philippe Mauffrey ,Nicolas Tchitchek ,Vilma Barroca
,Alexis Bemelmans ,Virginie Firlej ,Yves Allory ,Paul-Henri Roméo &Claire
Magnon
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