jeudi 2 mai 2019

Terrorisme

L’Europe, matrice du terrorisme contemporain ?
Par Gilles FERRAGU

De la Révolution française aux totalitarismes

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Attentat contre le tsar Alexandre II le 1er mars 1881 (auteur inconnu). Source : https://marjinalis.livejournal.com/10867.html

Fortement médiatisé, le phénomène terroriste pèse lourd dans l’histoire de l’Europe contemporaine, mais reste difficile à appréhender.


Attentat de la rue Saint-Nicaise contre Napoléon Bonaparte le 24 décembre 1800 (estampe, auteur inconnu). © BnF.

Il ne répond en effet à aucune définition satisfaisante.
Éparpillé entre divers groupes, tributaire des idéologies les plus variées, il ne saurait se réduire à une succession d’attentats, de revendications et de procès.

Milan , via De Amicis, 14 mai 1977 : Giuseppe Memeo pointe une arme à feu sur la police lors d'une manifestation; photo de Paolo Pedrizzetti. Cette image est devenue l'icône des années de plomb.

Il est donc nécessaire de le replacer dans un contexte et une dynamique plus larges, en observant les liens qui se tissent entre les différents mouvements, et en esquissant une généalogie du phénomène.

L’attentat de la gare de Bologne, le 2 août 1980. Une du journal Il Resto del Carlino, édition extraordinaire du 2 août 1980.

Le terrorisme émerge dans l’Europe du XIXe siècle.

La France du Consulat inaugure cette violence d’un nouveau genre, qui s’importe en Russie où elle est théorisée par les nihilistes, et gagne l’Europe entière.

Une procession de militants de l'autonomie ouvrière.

L’anti-terrorisme, fondé sur des lois d’exceptions, apparaît de manière presque concomitante.
L’État, qu’il soit colonial, dictatorial, révolutionnaire, totalitaire, a pu être amené à ériger la terreur en instrument de gouvernement.
Le terrorisme s’affirme ainsi comme un instrument politique au service de l’État comme de ses opposants.

Définition et généalogie

L’Europe a-t-elle accouché du terrorisme ?

L’hypothèse suppose de définir le phénomène – forme de guérilla urbaine alliant publicité et complot, rhétorique armée et violence politique – et d’en esquisser la généalogie.

Shakers autonomes à trois doigts, symbole de P38 .

Le terme est d’abord forgé dans le contexte de la Révolution française pour qualifier la politique menée par la Convention au nom du salut public, caractérisée par l’état d’exception et les pratiques sanguinaires (Dictionnaire de l’Académie française, 1798).


Les véhicules à chenilles dans les rues de Bologne le 13 mars 1977

Il renvoie donc au « monopole de la violence légitime » qui, selon Max Weber, définit l’État (Le savant et le politique, 1919). Toutefois, le mot est très vite employé pour caractériser la violence politique brandie par des opposants, dans la continuité du tyrannicide de l’Ancien Régime.

Giuseppe Taliercio avant d'être tué

Le terrorisme, un phénomène européen au XIXe siècle

Cette violence politique se nourrit de l’individualisme émergeant à la fin du XVIIIe siècle comme de la désacralisation du pouvoir politique.

Affiche de propagande RDA Dresde, octobre 1985 - Hajotthu

Mais c’est au XIXe siècle que l’Europe commence à résonner du bruit des attentats, et d’abord dans la France du Consulat, avec la conspiration des poignards d’inspiration jacobine (octobre 1800) et l’attentat de la rue Saint-Nicaise conçu par des monarchistes (décembre 1800), tous deux visant Napoléon Bonaparte.

Cette même forme de violence frappe de manière récurrente sous la Restauration, avec l’assassinat du duc de Berry en 1820, puis, sous la monarchie de Juillet, avec une série d’attentats contre Louis Philippe ; on retient surtout celui organisé en 1835 par Giuseppe Fieschi qui, avec sa « machine infernale », manque son but mais fait dix-huit morts.

Le phénomène gagne l’Europe entière.

L' embuscade de la Via Fani , au cours de laquelle les cinq membres de l'escorte d' Aldo Moro ont perdu la vie (16 mars

Importé en Russie, il y est théorisé par les nihilistes.

Le mot terrorisme trouve alors son acception contemporaine : une violence émanant de groupes minoritaires, et visant, à travers un individu considéré comme représentatif, le bouleversement d’un ordre politique et social. Sergei Netchaïev, co-auteur avec Mikhaïl Bakounine d’un véritable bréviaire terroriste (Le catéchisme révolutionnaire, 1869), et dont les actions inspirent à Dostoïevski Les Démons (1872), est aussi le premier à revendiquer l’appellation de « terroriste » lors de son procès en 1873.

Attaque de la gare de Bologne (1980). Beppe Briguglio, Patrizia Pulga, Medardo Pedrini, Marco Vaccari

Les attentats de 1878, qui blessent l’empereur allemand Guillaume Ier et tuent le roi d’Italie Humbert Ier, témoignent des échos européens de cette théorisation.

Affiche américaine comme un appel à la production pendant la menace du "monstre imparable" des puissances de l' Axe

L’assassinat du tsar Alexandre II par des révolutionnaires anarchistes en 1881 bouleverse l’Europe, où les activistes en exil se multiplient (à Berlin surtout, mais aussi à Genève, Londres, Paris, Bruxelles) et où explose la violence anarchiste
- assassinat du président français Sadi Carnot en 1894,
- du Premier ministre espagnol Canovas del Castillo en 1896,
- de l’impératrice Élisabeth d’Autriche en 1898, etc.).

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Une nouvelle étape dans l’évolution du terrorisme est franchie en Espagne comme en France en 1894, lorsque se développe un terrorisme aveugle qui, dans une stratégie de déstabilisation, cible désormais la foule, devenue un « ennemi objectif » sans distinction.

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Le terrorisme s’inscrit dans cette sorte de guerre entre une communauté et un État, ainsi qu’une nation.

Passée la sidération devant cette violence d’un nouveau genre, les gouvernements prennent rapidement la mesure de ce crime singulier, qui menace la sûreté de l’État et appelle une réaction judiciaire.

Ainsi l’anti-terrorisme, fondé sur des lois d’exception, apparaît de manière presque concomitante, et s’affirme dans de récurrentes vagues de répression.

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Il s’internationalise, dès lors que les gouvernements européens, confrontés à ce qu’ils envisagent comme une véritable internationale terroriste, organisent deux conférences internationales sur le sujet
– à Rome en 1898,
- puis à Saint-Pétersbourg en 1904
– pour mutualiser la lutte et enrayer le phénomène.

La mondialisation du terrorisme au XXe siècle

Au XXe siècle, celui-ci se mondialise.

On assiste à une diversification des discours idéologiques de légitimation (nationalisme, révolution, religion, etc.) ainsi que des méthodes employées (l’invention de la dynamite par Alfred Nobel, en 1866, continue cependant de faire date).

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L’attentat de Sarajevo, en 1914, fait la démonstration des enjeux du terrorisme, arme des faibles aux conséquences vastes, en l’occurrence une guerre mondiale.

En mai 1974, les enquêteurs ont diffusé les photographies de certains des chefs présumés des Brigades rouges: de gauche à droite, Piero Morlacchi , Mario Moretti , Renato Curcio et Alfredo Bonavita .

Le terrorisme révèle sa nature transnationale, et sa capacité à articuler avec succès le global et le national.

L’ampleur du phénomène est tel qu’il est au cœur des préoccupations non seulement des États, mais encore des institutions internationales.

Le corps du magistrat Francesco Coco , tué par les Brigades rouges ainsi que les deux hommes de son escorte à Gênes le 8 juin 1976.

La SDN fait figure de pionnière en ce domaine avec une première convention datant de 1937, annonçant celles qui seront élaborées plus tard au sein de l’Union européenne (1977, 2000, 2002).

Les évolutions de la violence politique des groupes minoritaires ne doivent pas faire perdre de vue la manière dont les États peuvent également s’approprier l’outil de la terreur à des fins politiques.

De fait, si la Convention a ouvert la voie, l’État du XXe siècle– qu’il soit colonial, dictatorial, révolutionnaire, totalitaire – a pu aussi ériger la terreur en instrument de gouvernement.

L’un des premiers hommes d’État à défendre le principe de cette « terreur légale » est Trotski, dans sa réponse au socialiste allemand Karl Kautsky (Terrorisme et communisme.

Fleurs pour les gardes-frontières de la RDA sur le mur de Berlin

Contribution à l’histoire des révolutions, Paris, 1919) :
« Qui renonce par principe au terrorisme, c’est-à-dire aux mesures d’intimidation et de répression à l’égard de la contre-révolution acharnée et armée, doit également renoncer à la domination politique de la classe ouvrière. »


Le 28 avril 1977, les Brigades rouges ont assassiné à Turin le président de l'ordre des avocats Fulvio Croce .

Cette pratique de la terreur est encore revendiquée par Lénine qui, en 1922, invite Koursky – l’un des rédacteurs du code pénal soviétique – à « justifier et légitimer » la terreur sur le plan juridique.

Ainsi, pour les régimes totalitaires, la terreur d’État constitue un instrument moderne de gouvernement, au service d’un projet politique – la fin de la question sociale –, et dans le cadre d’une dynamique révolutionnaire permanente.

Les voitures de l'honorable Aldo Moro et de l'escorte se sont arrêtées via Fani, quelques minutes après l' embuscade des Brigades rouges , sur le sol, le corps de l'agent de la sécurité publique Raffaele Iozzino . Photo AP

Dans ces États forgés par un discours millénariste et la volonté du chef (le Führerprinzip hitlérien prime sur le droit), on confère à la violence politique la force du droit.

Hannah Arendt le souligne dans Les origines du totalitarisme :
« Si la légalité est l’essence du régime non tyrannique, et l’absence de lois l’essence de la tyrannie, alors la terreur est l’essence de la domination totalitaire. »
Et ce schéma, qui s’étend dans les années 1930 et au-delà en Europe et dans le monde, aboutit aux pratiques génocidaires.

Le corps du commissaire Antonio Esposito tué par les Brigades rouges à Gênes, le 21 juin 1978.

Le terrorisme constitue la part sombre de l’histoire politique européenne : il prospère dans les régimes libéraux, détourne la liberté des médias à des fins de propagande, et joue de l’ouverture des frontières.

Dans une Europe pacifiée qui prône le consensus, il témoigne du caractère irréductible du conflit politique et de sa lecture en termes de violence.

Gilles FERRAGU,
« L’Europe, matrice du terrorisme contemporain ? », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, 2016, mis en ligne le 05/04/2019, consulté le 02/05/2019. Permalien : https://ehne.fr/node/1794








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