Par Bruno Guigue - 23 avr.
2019
Professeur et
observateur de la politique internationale, Bruno Guigue revient sur une
récente discussion entre Jimmy Carter et Donald Trump pour analyser et
expliquer sa vision du déclin de l'hyperpuissance américaine.
Le grand sceau des États-Unis - Source: Reuters
Aurions-nous atteint ce moment crucial où l’hyperpuissance
en déclin se met à douter d’elle-même ?
La presse
américaine vient de relater ce que l’ancien président Jimmy Carter a dit à
Donald Trump lors de leur récente entrevue.
Le locataire de
la Maison Blanche avait invité son prédécesseur à lui parler des relations
entre la Chine et les Etats-Unis, et Jimmy Carter a rapporté publiquement la
teneur de cet entretien lors d’une assemblée baptiste en Géorgie.
C’est une
véritable pépite.
Vous craignez que
la Chine nous passe devant, et je suis d’accord avec vous.
Mais savez-vous pourquoi la Chine est en
train de nous dépasser ?
J’ai normalisé
les relations diplomatiques avec Pékin en 1979.
Depuis cette
date, savez-vous combien de fois la Chine a été en guerre avec qui que ce soit
?
Pas une seule
fois.
Et nous, nous sommes constamment restés en
guerre.
Les États-Unis
sont la nation la plus belliqueuse de l’histoire du monde, parce qu’ils
désirent imposer des valeurs américaines aux autres pays.
© REUTERS/David Gray
La Chine, elle,
investit ses ressources dans des projets tels que les chemins de fer à grande
vitesse au lieu de les consacrer aux dépenses militaires.
Combien de
kilomètres de chemin de fer à grande vitesse avons-nous dans ce pays ?
Nous avons gaspillé 3 000 milliards de
dollars en dépenses militaires.
La Chine n’a pas
gaspillé un centime pour la guerre, et c’est pourquoi elle est en avance sur
nous dans presque tous les domaines.
Et si nous avions
pris 3 000 milliards pour les mettre dans les infrastructures américaines, nous
aurions un chemin de fer à grande vitesse.
Nous aurions des
ponts qui ne s’effondrent pas.
Nous aurions des
routes qui seraient entretenues correctement.
Notre système
éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong.
Qu’un tel bon
sens n’ait jamais effleuré l’esprit d’un dirigeant américain en dit long sur la
nature du pouvoir dans ce pays.
Le président chinois Xi Jinping a annoncé une aide
sans condition de 60 milliards à l'Afrique, face aux critiques des Occidentaux
- © POOL New
Il est sans doute difficile, pour un Etat qui
représente 45% des dépenses militaires mondiales et dispose de 725 bases
militaires à l’étranger, où les industries de l’armement contrôlent l’Etat
profond et dont la politique étrangère a fait 20 millions de morts depuis 1945,
d’interroger son rapport pathologique avec la violence armée.
«La guerre au
Vietnam, disait déjà Martin Luther King, est le symptôme d’une maladie de
l’esprit américain dont les piliers sont le racisme, le matérialisme et le
militarisme.»
Des militaires chinois porte le drapeau national lors
d'une cérémonie à Guangshui, dans la province du Hubei, le 30 juillet 2017. ©
CHINA DAILY Source: Reuters
Mais cette
question concerne surtout l’avenir.
Par la faute de
leurs dirigeants, les Etats-Unis sont-ils condamnés à connaître le sort de ces
empires qui ont succombé à leurs ambitions démesurées, littéralement asphyxiés
par le poids exorbitant des dépenses militaires ?
A la fin de son
mandat, en 1961, le président Eisenhower dénonçait avec des accents
prophétiques un complexe militaro-industriel qui faisait peser une chape de
plomb sur la société américaine.
Pas plus que
Donald Trump ou Barack Obama, il ne se souciait du sort des populations
affamées, envahies ou bombardées par l’Oncle Sam au nom de la démocratie et des
droits de l’homme.
Mais comme Jimmy
Carter aujourd’hui, il pressentait que la course aux armements serait la
principale cause du déclin de l’empire.
Vidéo
L'ECHIQUIER MONDIAL. Taïwan : casse-tête chinois
Car les
néoconservateurs et autres «Docteur Folamour» du Pentagone, depuis plusieurs
décennies, n’ont pas seulement fait rimer démocratie américaine et massacre de
masse
- au Vietnam,
- au Laos,
- au Cambodge,
- en Corée,
- en Afghanistan,
- en Irak,
- en Libye et
- en Syrie,
- sans oublier les tueries orchestrées dans
l’ombre par la CIA et ses succursales, de l’extermination de la gauche
indonésienne (500 000 morts) aux exploits des escadrons de la mort
guatémaltèques (200 000 morts) en passant par les bains de sang exécutés pour
le compte de l’empire par les lobotomisés du djihad planétaire.
Les stratèges de
l’endiguement du communisme à coups de napalm, puis les apprentis-sorciers du
chaos constructif par importation de la terreur, en effet, n’ont pas seulement
mis la planète à feu et à sang.
Un cargo pétrolier amarré au port de Yangzhou, dans la
province chinoise de Jiangsu en 2016 (illustration). Source: Reuters
Marionnettes de
l’Etat profond américain, ces bellicistes qui ont pignon sur rue au Congrès, à
la Maison Blanche et dans les think tanks néocons ont également plongé la
société américaine dans un marasme intérieur que masque à peine l’usage
frénétique de la planche à billets.
Si le bellicisme
des Etats-Unis est l’expression de leur déclin, il en est aussi la cause.
Il en est l’expression,
lorsque pour enrayer ce déclin, la brutalité des interventions militaires, des
sabotages économiques et des opérations sous fausse bannière est la marque de
fabrique de sa politique étrangère.
Il en est la
cause, lorsque l’inflation des dépenses militaires sacrifie le développement
d’un pays où les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en
plus nombreux.
Pékin-Washington : «la plus grande guerre commerciale
de l'histoire» ne fait que commencer - © Aly Song Source: Reuters
Alors que la
Chine investit dans les infrastructures civiles, les Etats-Unis laissent les
leurs à l’abandon au profit des industries de l’armement.
Washington fait
des rodomontades à l’extérieur, mais laisse le pays se déliter à l’intérieur.
Le PIB par
habitant est colossal, mais 20% de la population croupit dans la pauvreté.
Les détenus
américains représentent 25% des prisonniers de la planète.
40% de la
population est frappée par l’obésité.
L’espérance de
vie des Américains (79,6 ans) est passée derrière celle des Cubains (80 ans).
Comment un petit
pays socialiste, soumis à l’embargo, peut-il faire mieux qu’une gigantesque
puissance capitaliste auréolée de son hégémonie planétaire ?
Il faut croire
qu’aux USA la santé de la plèbe n’est pas la préoccupation majeure des élites.
Donald Trump prend la parole à la sortie d’un
restaurant, le 9 juin 2018 à Charlevoix au Québec pour se rendre à Singapour et
y rencontrer Kim Jong-un. Source: Reuters
Habile
compétiteur, Donald Trump a gagné les élections en 2016 en promettant de
restaurer la grandeur des Etats-Unis et en s’engageant à rétablir les emplois
perdus à cause d’une mondialisation débridée.
Mais les
résultats obtenus, faute de réformes structurelles, infligent une douche froide
à ses ardeurs incantatoires.
Le déficit
commercial avec le reste du monde a explosé en 2018, battant un record
historique (891 milliards de dollars) qui pulvérise celui de 2017 (795
milliards).
Donald Trump a
complètement échoué à inverser la tendance, et les deux premières années de son
administration sont les pires, en matière commerciale, de l’histoire des
Etats-Unis.
Dans ce déficit
global, le déséquilibre persistant des échanges avec la Chine pèse lourd.
Il a atteint en
2018 un record historique (419 milliards) qui dépasse le bilan désastreux de
l’année 2017 (375 milliards).
En fait, la
guerre commerciale engagée par Donald Trump a surtout aggravé le déficit
commercial américain.
Alors que les
importations de produits chinois vers les Etats-Unis continuaient de croître (+
7%), la Chine a réduit ses importations en provenance des Etats-Unis.
Donald Trump a
voulu utiliser l’arme tarifaire pour rééquilibrer le bilan commercial
américain.
Ce n’était pas
illégitime, mais irréaliste pour un pays qui a lié son destin à celui d’une
mondialisation dictée par des firmes transnationales Made in USA.
Si l’on ajoute
que le déficit commercial avec l’Europe, le Mexique, le Canada et la Russie
s’est également aggravé, on mesure les difficultés qui assaillent l’hyper-puissance
en déclin.
Mais ce n’est pas
tout.
Outre le déficit
commercial, le déficit budgétaire fédéral s’est également creusé (779 milliards
de dollars, contre 666 milliards en 2017).
Il est vrai que
l’envol des dépenses militaires est impressionnant.
Le budget du Pentagone pour 2019 est le plus
élevé de l’histoire des Etats-Unis : 686 milliards de dollars.
La même année, la Chine a dépensé 175
milliards, avec une population quatre fois supérieure.
Rien d’étonnant,
dans ces conditions, à ce que la dette fédérale ait battu un nouveau record,
atteignant 22 175 milliards de dollars.
Quant à la dette privée, celle des
entreprises et des particuliers, elle donne le vertige (73 000 milliards de
dollars).
Certes, les
Etats-Unis bénéficient d’une rente de situation exceptionnelle.
Le dollar est
encore la monnaie de référence pour les échanges internationaux et pour les
réserves des banques centrales.
Mais ce privilège
n’est pas éternel.
La Chine et la
Russie remplacent leurs réserves en dollars par des lingots d’or et une part
croissante des échanges est désormais libellée en yuans.
Les Etats-Unis vivent à crédit aux dépens du
reste du monde, mais pour combien de temps ?
Selon la dernière
étude du cabinet d’audit PwC («Le monde en 2050 : comment l’économie mondiale
va changer ces 30 prochaines année»), les pays émergents (Chine, Inde, Brésil,
Indonésie, Mexique, Russie, Turquie) pourraient peser près de 50% du PIB
mondial en 2050, tandis que la part des pays du G7 (États-Unis, Canada,
Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon) descendrait à 20%.
La chute de l’aigle est proche.
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