Selon l’Institut océanographique de Moscou, il suffirait
qu’1/6ème de ces substances s’échappent dans la Baltique pour éradiquer toute
forme de vie sous-marine pendant un siècle.
15 avril 2019 - Laurie Debove
On connaît la pollution plastique qui ravage nos mers et
océans, mais il en existe une autre, bien plus pernicieuse.
Après les deux Guerres Mondiales, les Alliés ont jeté des
centaines de milliers d’armes chimiques et conventionnelles au fond de la mer
du Nord et la mer Baltique.
Aujourd’hui, l’érosion des fuselages menace d’éradiquer
la vie sous-marine.
Vidéo
Cent ans après la Première Guerre mondiale, les armes
créés pour les deux conflits qui ont ravagé l’Europe menacent toujours l’humain
et son environnement.
Caisses de munitions japonaises jetées par des
prisonniers de guerre (japonais) en mer au large de Singapour. Ces munitions
avaient été trouvées dans l'île par les Britanniques lors de la réoccupation de
Singapour par le Royaume-Uni lors de la Seconde Guerre mondiale (photo
d'archive ; collections de l'Imperial War Museums).
Au total, près de
trois milliards de tonnes d’armes, chimiques et conventionnelles, auraient été
coulées en mer du Nord et en Baltique pour s’en débarrasser à la fin des
guerres.
Dans son documentaire « Menaces en mers du Nord »,
Jacques Lœuille nous prévient des conséquences terribles qui pourraient
advenir.
Le Congre recherche instinctivement des vides
tubulaires horizontaux. Il risque donc plus que d'autres espèces de pénétrer
des douilles corrodées (de torpilles, bombes ou d'obus à demi vidées de leur
contenu).. ou de s'introduire dans les interstices de piles de munitions. Là il
peut être en contact avec des toxiques fuyant de munitions corrodées. Une étude
récente (2012) a montré que des Congres européens vivant près d'un dépôt de
munitions immergées contenaient plus de mercure et d'arsenic qu'ailleurs et qu'ils
présentaient parfois de graves lésions cutanées
Au début du XXème siècle, la mer du Nord a été la scène
de guerre des pays industriels, avec le développement de nouvelles armes :
sous-marin, avions, tanks, armes chimiques…
Femmes fabriquant des obus dans une usine de munition.
Chaque obus et douille contiennent respectivement un gramme de mercure toxique.
Environ un milliard d'obus a été produit entre 1914 et fin 1918
Une fois les conflits terminés, les militaires se sont
débarrassés des armes restantes en les immergeant dans des étendues d’eau.
Près de la ville de Knokke, en Belgique, 35 000 tonnes
d’armes chimiques ont ainsi été jetées en mer, certaines reposant à moins d’un
mètre de profondeur.
A l’époque, les autorités répondent au Maire, qui s’inquiète
d’une pollution environnementale ou de l’explosion des armes, par « c’est la
solution la plus rapide, et les dangers évoqués ne se présenteront pas. »
La frégate italienne Granatiere (115 m et 180
marins64). En 2010, sous le commandement de l'OTAN, elle soutient une opération
de déminage et d'assainissement des fonds sous-marins sur l'espace maritime du
futur Parc naturel marin des trois estuaires, devant la Baie de Somme - Javier
Bueno Iturbe
Une arme chimique est d’abord un agent toxique, une
substance capable d’avoir un effet toxique sur sa cible, couplé avec un système
de dissémination (bombe, aérosol, grenade).
Le gaz moutarde est en fait un liquide à l’aspect
sirupeux, et peut se répandre dans la Mer une fois sa carcasse métallique
érodée… avec des conséquences dramatiques.
Timbre alertant sur les conséquences des immersions de
munitions et de déchets pour les Îles Féroé qui dépendent beaucoup de la pêche,
et où les enfants sont victimes d'une nourriture polluée par le mercure.
Selon l’Institut
océanographique de Moscou, il suffirait qu’1/6ème de ces substances s’échappent
dans la Baltique pour éradiquer toute forme de vie sous-marine pendant un
siècle.
« Ce que l’on sait de l’état de l’eau et des sédiments,
c’est que partout où des munitions ont été déversées, on trouve des traces de
substances qui s’échappent des munitions corrodées.
Au niveau des sédiments et des eaux profondes, il y a un
risque réel de voir les animaux marins métaboliser ces substances : pour nous
il s’agit d’une véritable bombe à retardement pour l’écosystème. » Thomas Lang,
biologiste Marin
Le plus
préoccupant, c’est le manque de suivi sérieux de l’état d’avancement d’érosion
des armes.
La dernière vérification officielle a eu lieu en 1972
pour certaines zones, les fuselages peuvent aussi bien être encore intacts que
déjà corrodés, répandant leur poison dans l’eau.
En France, ces
zones sont classées « secret défense » et l’accès aux archives militaires est
interdit, compliquant la tâche aux spécialistes qui voudraient étudier le
sujet.
Si certaines zones sont d’ores et déjà recensées, et même
interdites à la pêche, d’autres ont donc été oubliées et sont redécouvertes au
hasard.
En cherchant des déchets nucléaires au large de
Cherbourg, Greenpeace a ainsi trouvé des armes chimiques qui avaient été
rejetées.
Parfois, des pêcheurs remontent des bombes dans leurs
filets et sont sérieusement blessés comme le pêcheur Danois Walther Thorsen en
2004.
La peau de ses
mains a été totalement brûlé après que du gaz moutarde se soit échappé d’un
bidon gris qu’il avait pêché.
En 2005, trois pêcheurs ont été tués par l’explosion, sur
leur bateau de pêche, d’une bombe datant de la Deuxième Guerre mondiale et
prise dans leurs filets dans la partie méridionale de la mer du Nord.
Le Danemark est le seul pays de la Baltique à indemniser
les pêcheurs contaminés, ce qui lui permet de recueillir des statistiques sur
la quantité d’armes remontées et les zones où elles sont trouvées.
L’Allemagne possède l’un des centres à la pointe de la
technique de décontamination en Europe, piloté par la société publique GEKA.
Mais la France ne fait que repousser le problème…
Pour les experts interrogés dans le documentaire, le
devenir de ces armes devrait être un sujet public. Ils craignent que la
décontamination laissée aux militaires n’avance pas en raison de choix
économique :
« Si les autorités militaires ont le choix entre acheter
un nouvel appareil de guerre ou dépenser de l’argent pour nettoyer un site, à
votre avis que choisiront-elles ? »
Pour le réalisateur du documentaire, le problème des
armes chimiques vient s’ajouter à celui du réchauffement climatique et de la
pêche industrielle.
La plus grande menace aujourd’hui n’est donc plus
militaire, mais environnementale.
Faut-il attendre une catastrophe maritime sans précédent
pour se décider à déminer les zones connues ?
15 avril 2019 - Laurie Debove
…………………..
Fuites toxiques
avérées
Il faut environ 80 ans pour qu'une munition commence à
fuir. La corrosion des munitions est source fuite de produits toxiques «
différés dans le temps et l'espace », encore sont mal évaluée, d'abord car la
situation est en quelque sorte "nouvelle" dans l'Histoire
environnementale, mais aussi parce qu'en Europe le secret a longtemps concerné
les décharges marines de munitions.
Ce n'est qu'en 2005, que le public anglais a appris que
la Fosse de Beaufort contenait plus d'un million de tonnes de munitions noyées
là durant plus de 40 ans.
Et concernant la France qui semble être l'un des pays
plus touchés au monde par les immersions de munitions, ce n’est qu’en 2005
qu'une première carte officielle, peu précise et sans données quantitatives, a
été publiée (avec cinq ans de retard car ces cartes devaient être publiées
avant l'an 2000, en application de la convention de Londres et conformément aux
engagements des pays membres de la commission OSPAR).
Les responsables de ces immersions semblent avoir
longtemps pensé qu'il y aurait dégradation puis dilution des toxiques
chimiques.
Or, au moins dans les eaux froides, la plupart des
toxiques des munitions sont restés parfaitement actifs après 80 ans, certains
ne sont ni dégradables ni biodégradables (mercure, par exemple) et ils peuvent
être rapidement reconcentrés par les organismes filtreurs et par la chaîne
alimentaire.
Plusieurs types de risques indirects sont à prendre en
compte, pouvant parfois additionner leurs effets sous forme de contaminations
de l'écosystème et/ou de matériaux marins (gravières, extraction de sable)
susceptibles d'être utilisés.
Fuites chroniques
Des études récentes (en Mer baltique où une soixantaine
de site d'immersion étaient repérés en 200912 mais où des décharges de
munitions auparavant non documentées ont été récemment découvertes (dans la
fosse de Gdansk), Belgique) et de nombreux indices laissent penser que le
plomb, le mercure et les gaz ou liquides toxiques ainsi que les explosifs des
munitions de 1914 (ou ultérieures), et le nitrate (propulsif) ou le phosphore
et les métaux qui constituent les enveloppes, douilles ou chemisages des
munitions immergées ont commencé à fuir dans l'environnement et qu'ils
pourraient significativement affecter les écosystèmes terrestres et aquatiques,
notre alimentation et notre santé.
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