vendredi 26 avril 2019

Pollution

Plus de 3 milliards de tonnes de bombes chimiques présentes dans la mer du Nord et la mer Baltique.

Selon l’Institut océanographique de Moscou, il suffirait qu’1/6ème de ces substances s’échappent dans la Baltique pour éradiquer toute forme de vie sous-marine pendant un siècle.

15 avril 2019 - Laurie Debove

On connaît la pollution plastique qui ravage nos mers et océans, mais il en existe une autre, bien plus pernicieuse.

Après les deux Guerres Mondiales, les Alliés ont jeté des centaines de milliers d’armes chimiques et conventionnelles au fond de la mer du Nord et la mer Baltique.
Aujourd’hui, l’érosion des fuselages menace d’éradiquer la vie sous-marine.

Vidéo

Cent ans après la Première Guerre mondiale, les armes créés pour les deux conflits qui ont ravagé l’Europe menacent toujours l’humain et son environnement.

Caisses de munitions japonaises jetées par des prisonniers de guerre (japonais) en mer au large de Singapour. Ces munitions avaient été trouvées dans l'île par les Britanniques lors de la réoccupation de Singapour par le Royaume-Uni lors de la Seconde Guerre mondiale (photo d'archive ; collections de l'Imperial War Museums).

Au total, près de trois milliards de tonnes d’armes, chimiques et conventionnelles, auraient été coulées en mer du Nord et en Baltique pour s’en débarrasser à la fin des guerres.

Dans son documentaire « Menaces en mers du Nord », Jacques Lœuille nous prévient des conséquences terribles qui pourraient advenir.

Le Congre recherche instinctivement des vides tubulaires horizontaux. Il risque donc plus que d'autres espèces de pénétrer des douilles corrodées (de torpilles, bombes ou d'obus à demi vidées de leur contenu).. ou de s'introduire dans les interstices de piles de munitions. Là il peut être en contact avec des toxiques fuyant de munitions corrodées. Une étude récente (2012) a montré que des Congres européens vivant près d'un dépôt de munitions immergées contenaient plus de mercure et d'arsenic qu'ailleurs et qu'ils présentaient parfois de graves lésions cutanées

Au début du XXème siècle, la mer du Nord a été la scène de guerre des pays industriels, avec le développement de nouvelles armes : sous-marin, avions, tanks, armes chimiques…

Femmes fabriquant des obus dans une usine de munition. Chaque obus et douille contiennent respectivement un gramme de mercure toxique. Environ un milliard d'obus a été produit entre 1914 et fin 1918

Une fois les conflits terminés, les militaires se sont débarrassés des armes restantes en les immergeant dans des étendues d’eau.
Près de la ville de Knokke, en Belgique, 35 000 tonnes d’armes chimiques ont ainsi été jetées en mer, certaines reposant à moins d’un mètre de profondeur.

A l’époque, les autorités répondent au Maire, qui s’inquiète d’une pollution environnementale ou de l’explosion des armes, par « c’est la solution la plus rapide, et les dangers évoqués ne se présenteront pas. »

La frégate italienne Granatiere (115 m et 180 marins64). En 2010, sous le commandement de l'OTAN, elle soutient une opération de déminage et d'assainissement des fonds sous-marins sur l'espace maritime du futur Parc naturel marin des trois estuaires, devant la Baie de Somme - Javier Bueno Iturbe

Une arme chimique est d’abord un agent toxique, une substance capable d’avoir un effet toxique sur sa cible, couplé avec un système de dissémination (bombe, aérosol, grenade).

Le gaz moutarde est en fait un liquide à l’aspect sirupeux, et peut se répandre dans la Mer une fois sa carcasse métallique érodée… avec des conséquences dramatiques.

Timbre alertant sur les conséquences des immersions de munitions et de déchets pour les Îles Féroé qui dépendent beaucoup de la pêche, et où les enfants sont victimes d'une nourriture polluée par le mercure.

Selon l’Institut océanographique de Moscou, il suffirait qu’1/6ème de ces substances s’échappent dans la Baltique pour éradiquer toute forme de vie sous-marine pendant un siècle.

« Ce que l’on sait de l’état de l’eau et des sédiments, c’est que partout où des munitions ont été déversées, on trouve des traces de substances qui s’échappent des munitions corrodées.

Au niveau des sédiments et des eaux profondes, il y a un risque réel de voir les animaux marins métaboliser ces substances : pour nous il s’agit d’une véritable bombe à retardement pour l’écosystème. » Thomas Lang, biologiste Marin

Le plus préoccupant, c’est le manque de suivi sérieux de l’état d’avancement d’érosion des armes.

La dernière vérification officielle a eu lieu en 1972 pour certaines zones, les fuselages peuvent aussi bien être encore intacts que déjà corrodés, répandant leur poison dans l’eau.

En France, ces zones sont classées « secret défense » et l’accès aux archives militaires est interdit, compliquant la tâche aux spécialistes qui voudraient étudier le sujet.



Si certaines zones sont d’ores et déjà recensées, et même interdites à la pêche, d’autres ont donc été oubliées et sont redécouvertes au hasard.

En cherchant des déchets nucléaires au large de Cherbourg, Greenpeace a ainsi trouvé des armes chimiques qui avaient été rejetées.

Parfois, des pêcheurs remontent des bombes dans leurs filets et sont sérieusement blessés comme le pêcheur Danois Walther Thorsen en 2004.
La peau de ses mains a été totalement brûlé après que du gaz moutarde se soit échappé d’un bidon gris qu’il avait pêché.

En 2005, trois pêcheurs ont été tués par l’explosion, sur leur bateau de pêche, d’une bombe datant de la Deuxième Guerre mondiale et prise dans leurs filets dans la partie méridionale de la mer du Nord.

Le Danemark est le seul pays de la Baltique à indemniser les pêcheurs contaminés, ce qui lui permet de recueillir des statistiques sur la quantité d’armes remontées et les zones où elles sont trouvées.

L’Allemagne possède l’un des centres à la pointe de la technique de décontamination en Europe, piloté par la société publique GEKA.
Mais la France ne fait que repousser le problème…

Pour les experts interrogés dans le documentaire, le devenir de ces armes devrait être un sujet public. Ils craignent que la décontamination laissée aux militaires n’avance pas en raison de choix économique :

« Si les autorités militaires ont le choix entre acheter un nouvel appareil de guerre ou dépenser de l’argent pour nettoyer un site, à votre avis que choisiront-elles ? »

Pour le réalisateur du documentaire, le problème des armes chimiques vient s’ajouter à celui du réchauffement climatique et de la pêche industrielle.

La plus grande menace aujourd’hui n’est donc plus militaire, mais environnementale.

Faut-il attendre une catastrophe maritime sans précédent pour se décider à déminer les zones connues ?

15 avril 2019 - Laurie Debove
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Fuites toxiques avérées

Il faut environ 80 ans pour qu'une munition commence à fuir. La corrosion des munitions est source fuite de produits toxiques « différés dans le temps et l'espace », encore sont mal évaluée, d'abord car la situation est en quelque sorte "nouvelle" dans l'Histoire environnementale, mais aussi parce qu'en Europe le secret a longtemps concerné les décharges marines de munitions.

Ce n'est qu'en 2005, que le public anglais a appris que la Fosse de Beaufort contenait plus d'un million de tonnes de munitions noyées là durant plus de 40 ans.

Et concernant la France qui semble être l'un des pays plus touchés au monde par les immersions de munitions, ce n’est qu’en 2005 qu'une première carte officielle, peu précise et sans données quantitatives, a été publiée (avec cinq ans de retard car ces cartes devaient être publiées avant l'an 2000, en application de la convention de Londres et conformément aux engagements des pays membres de la commission OSPAR).

Les responsables de ces immersions semblent avoir longtemps pensé qu'il y aurait dégradation puis dilution des toxiques chimiques.

Or, au moins dans les eaux froides, la plupart des toxiques des munitions sont restés parfaitement actifs après 80 ans, certains ne sont ni dégradables ni biodégradables (mercure, par exemple) et ils peuvent être rapidement reconcentrés par les organismes filtreurs et par la chaîne alimentaire.

Plusieurs types de risques indirects sont à prendre en compte, pouvant parfois additionner leurs effets sous forme de contaminations de l'écosystème et/ou de matériaux marins (gravières, extraction de sable) susceptibles d'être utilisés.

Fuites chroniques

Des études récentes (en Mer baltique où une soixantaine de site d'immersion étaient repérés en 200912 mais où des décharges de munitions auparavant non documentées ont été récemment découvertes (dans la fosse de Gdansk), Belgique) et de nombreux indices laissent penser que le plomb, le mercure et les gaz ou liquides toxiques ainsi que les explosifs des munitions de 1914 (ou ultérieures), et le nitrate (propulsif) ou le phosphore et les métaux qui constituent les enveloppes, douilles ou chemisages des munitions immergées ont commencé à fuir dans l'environnement et qu'ils pourraient significativement affecter les écosystèmes terrestres et aquatiques, notre alimentation et notre santé.




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