Par Charles Gave – 11/11/2019
Je viens de passer une journée dans l’est de la France,
invité par le Maire d’une petite commune de la Meuse, Culey, que je remercie
ici.
J’en suis revenu
encore plus indigné que je ne l’étais en partant, tant la situation des
habitants y est encore plus désastreuse que tout ce que je pouvais imaginer.
Je me suis
précipité en rentrant sur mon ordinateur pour écrire un compte rendu de ce
petit voyage.
En l’écrivant, j’ai eu la sensation que j’avais déjà tout
décrit avant même d’y être allé.
J’ai vérifié, et j’ai retrouvé ce texte que j’ai écrit il
y a environ un an et que je reprends in extenso, n’ayant rien à y ajouter.
Que le lecteur veuille bien m’excuser de cet inhabituel
accès de paresse mais parfois, nul besoin de ré-inventer la roue.
Je vais me livrer à un petit exercice de style : utiliser
les écrits de deux hommes éminents qui m’ont influencé dans mon parcours
intellectuel, Bastiat et Milton Friedman pour porter un diagnostic sur ce qui
mine notre pays.
Une chose en particulier : la capacité de me faire rire
en parlant d’économie tout en écrivant dans une langue superbe.
Commençons par Bastiat.
Bastiat disait que n’importe quel individu qui voulait
s’approprier quelque chose avait le choix pour l’obtenir entre « travailler ou
voler », et qu’il n‘y avait pas de troisième voie.
Et qu’il était beaucoup plus fatigant de travailler que
de voler, mais que voler pouvait être dangereux.
Et donc que le plus simple pour voler est de s’organiser
pour capturer l’Etat et autoriser le vol légal, qu’il appelait « spoliation ».
Voici la citation
S’il en était ainsi, je donnerais, en effet, une trop
grande importance sociale à des faits exceptionnels, que la conscience publique
réprouve et que la loi réprime.
Mais, hélas ! il y
a la spoliation qui s’exerce avec le consentement de la loi, par l’opération de
la loi, avec l’assentiment et souvent aux applaudissements de la société.
Le vol individuel
peut être rare, sévèrement réprimé, mais la spoliation est organisée,
légalisée, systématisée. »
Et pourtant à son époque le vol en bande organisée «
(communément appelé socialisme) » commençait à peine à prendre son vol (si
j’ose dire).
Nous avons fait beaucoup de progrès depuis !
Venons-en à Milton Friedman, qui disait en riant beaucoup
qu’il y avait quatre façons de dépenser de l’argent.
Je peux dépenser pour moi de l’argent que j’ai gagné
moi-même.
En général, cet argent est bien utilisé et le montant de
satisfaction très élevé.
Je peux dépenser de l’argent que j’ai gagné au profit de
quelqu’un d’autre. J’achète une moto de compétition pour son anniversaire à mon
épouse. L’intention est là, la satisfaction peut-être pas.
Je peux dépenser de l’argent que quelqu’un d’autre a
gagné, mettons une subvention étatique et j’en tirerai une satisfaction
certaine, mais il n’est pas certain que cet argent soit mieux dépensé que par
celui qui l’a gagné, ou que je vais continuer à toucher ces subventions.
Et enfin, l’argent peut être transféré de mon compte au
compte de quelqu’un qui ne l’a pas gagné mais qui devra le dépenser en
l’envoyant à une autre personne parce que la Loi lui a donné cette prérogative,
et là c’est toujours du grand n’importe quoi.
Le but de ce petit papier est simplement de montrer qu’en
utilisant l’analyse de Bastiat et la typologie de la dépense de Milton
Friedman, je peux expliquer tout ce qui s’est passé en France depuis quarante
ans, tout ce qui se passe aujourd’hui et prévoir sans grandes difficultés tout
ce qui va se passer demain.
Au travail donc.
Comme je l’ai souvent rappelé, une Nation est une volonté de vivre ensemble (Renan) et cette volonté
de vivre ensemble s’exprime par le fait que la communauté délègue à une entité
qu’il est convenu d’appeler « L’ETAT » le monopole de la violence légale.
Pour fonctionner cet Etat (je ne sais pas pourquoi je
l’honore d’une majuscule, mais c’est une tradition française) a besoin de lever
des impôts pour faire face à ses obligations.
Dans ma vie, j’ai rencontré au grès de mes pérégrinations
trois sortes de systèmes d’imposition.
Certains pays levaient des impôts simplement pour assurer
le fonctionnement des fonctions régaliennes de l’état.
Police, Justice, Diplomatie et Armée.
Je pense à Hong-Kong et à Singapour par exemple.
La charge fiscale de ces pays se balade entre 15 % et 25
% et ils sont en général en excèdent budgétaire et la fraude fiscale y est
inexistante.
Une deuxième catégorie de pays lève des impôts non
seulement pour assurer leurs obligations régaliennes mais aussi pour financer
tout ou partie d’un certain nombre de dépenses propres à favoriser la cohésion
nationale du style éducation pour tous, dépensés de santé ou aménagement du
territoire.
La charge fiscale dans ces pays, parmi lesquels on peut
compter les démocraties du nord de l’Europe sera de ce fait beaucoup plus
élevée que dans le premier cas, mais force est de constater que la population
supporte assez bien cette pression dans la mesure où les sociétés sont
homogènes et respectueuses de la Loi.
Il n’en reste pas
moins que les législations fiscales deviennent tellement compliquées et
contradictoires qu’une véritable industrie de l’optimisation fiscale se met en
place qui utilise beaucoup de gens très compétents à des taches qui ne
paraissent pas bien intéressantes.
La fraude fiscale apparaît…
Et enfin, un certain nombre de pays ont bâti des systèmes
qui cherchent à « promouvoir la justice sociale », qui est à la justice ce que
la musique militaire est à la musique.
L’idée de base de ceux qui parlent de justice sociale est
le concept Marxiste que la richesse est un gâteau à taille fixe et que si
certains ont une trop grosse part de ce gâteau, c’est qu’ils ont volé ou triché
et que l’Etat, dans son rôle d’arbitre impartial (si c’est eux qui en ont la
charge bien sûr) doit leur faire rendre gorge.
Et donc, la soi-disant Justice Sociale n’est qu’une
déclinaison moderne de ce que l’on appelait dans ma jeunesse « l’envie aux
dents vertes », condamnée comme tout un chacun le sait par l’un des dix
commandements, le dixième si mes souvenirs sont exacts.
Là, la fraude fiscale devient quasiment légitime…
Fort naturellement, ces pays se retrouvent à financer
tous les canards boiteux pour « préserver l’emploi au nom de la justice sociale
» pendant que les gens compétents quittent le pays aussi vite que les capitaux,
tandis que le poids de l’Etat ne cesse de monter, le nombre de fonctionnaires
d’exploser, la corruption de fleurir (comme le disait un humoriste, quand c’est
un fonctionnaire qui donne des licences
d’importation, la première chose à
acheter est ce fonctionnaire), les pénuries de voir le jour et les
déficits budgétaires d’exploser…
Et le pire est que ce que je décris est un processus
dynamique et non pas un état stable et ce processus se termine TOUJOURS par la
faillite de l’état qui se laisse aller à ce genre de pratiques tout ceci se
terminant par un changement de personnel politique ou de régime….
Et je peux fournir autant d’exemples que le lecteur le
désire mais en voici quelques-uns :
France en 1958, Grande-Bretagne en 1977, URSS en 1990,
Venezuela et Algérie aujourd’hui.
Les principes sont
toujours les mêmes et les résultats identiques.
La spoliation
étatique ne se stabilise jamais, elle ira toujours vers son but ultime : une
pauvreté effrayante pour tout le monde, sauf pour les apparatchiks.
Tout cela est bel et bon mais il nous faut maintenant en
arriver au diagnostic sur notre pays.
Commençons par la
spoliation.
Je ne suis pas un
grand sociologue, mais j’ai vraiment l’impression que si les gens se collent
des gilets jaunes sur le dos le samedi, ce n’est pas pour aller à la chasse ou
éviter de se faire écraser sur les routes mais bien parce qu’ils en ont assez
d’être spoliés.
Et je voudrais rappeler ici que la Démocratie Britannique
a commencé en 1689 par le contrôle des
dépenses du Souverain par le Peuple.
Et je crois avoir remarqué qu’un certain nombre de gilets
jaunes veulent arriver à un résultat semblable et pour se faire réclament non
seulement un audit des dépensés de l’état pour comprendre exactement où va leur
argent mais aussi un référendum d’initiative citoyenne pour pouvoir voter sur
la façon dont cet argent allait être dépensé dans le futur.
Tant il est
certain qu’une grande partie du peuple de France est convaincu qu’il est
l’objet d’un vol organisé, ce en quoi ils ont parfaitement raison.
Venons-en à l’analyse Friedmanienne.
Une partie gigantesque de la valeur ajoutée en France est
allouée de fait par des gens qui ne l’ont pas créée, à des gens qui ne le
méritent pas vraiment, dans un superbe mélange entre le point numéro trois et
le point numéro quatre, sans que les autorités n’y trouvent rien à redire.
Prenons un exemple
: d’après les sources les plus sérieuses, la fraude à la Sécu coûte 14
milliards d’euro par an et les faits sont connus et confirmés par des rapports
de la Cour des Comptes et de l’Inspection Générale de la Sécu, et ce depuis la
présidence Sarkozy.
Et pourtant, rien n’a été fait depuis, ni sous Napoléon,
ni sous Flanby, ni sous Jupiter. Il y a des gens qui volent 14 milliards d’euro
à la communauté depuis des années et tout le monde s’en fout, personne n’agit
et le pouvoir politique préfère augmenter le prix de l’énergie au détriment des
non frondeurs pour continuer à boucher les trous.
Pourquoi ?
Trois raisons me
viennent à l’esprit
Les courageux qui
nous gouvernent ont peur que les fraudeurs ne soient d’un groupe ethnique
diffèrent du reste de la population, ce qui pourrait gêner leurs politiques
favorables à l’immigration.
Les mêmes ont peur que l’arrestation des fraudeurs ne
déclenche des troubles dans certaines banlieues, ce qui nous ramène au problème
bien connu des « territoires perdus de la République » qui sont peut -être
perdus pour la République mais lui quand même coûtent très, très cher.
La troisième raison est de loin la plus grave : il n’est
pas impossible que certains hommes politiques soient convaincus que cette
fraude, dans la mesure où elle serait commise par ceux qu’ils pensent être les
damnés de la terre soit légitime, un peu
comme les juges du syndicat de la magistrature qui pensent que la victime est
toujours coupable et le coupable toujours innocent.
Et pour ces pervertis du cerveau, condamner le voleur, ce
serait dans le fond reconnaître que la propriété privée doit être protégée, ce
qui pour eux est une abomination.
Et si ça se passe dans la Sécu, cela doit se passer
ailleurs et en particulier au niveau des administrations régionales et
territoriales, et à une échelle très supérieure.
Je n’ai donc pas le moindre doute que cela se passe
partout en France et que cette forme de corruption peut expliquer bien des
résultats électoraux, que parfois je trouve étranges, ou des niveaux de vie que
je trouve surprenants.
Ce qui nous amène à la philosophie de notre système
fiscal qui, comme chacun le sait, ne cherche qu’à punir celui qui a réussi.
Dans la parabole des talents, le Maître envoie en enfer
le mauvais serviteur et donne son talent à celui qui a le mieux fait.
Là ou l’on voit que le socialisme est proprement
d’inspiration diabolique est dans le fait que nos systèmes fiscaux font
exactement l’inverse.
Ils enlèvent les
talents à ceux qui ont bien travaillé pour les filer à celui qui n’a rien
foutu, tout simplement parce que celui qui n’a rien foutu est un gros jaloux.
Conclusion
Nous sommes en
plein dans une « inaptocratie », là laquelle j’avais consacré il y a longtemps
l’une de ces chroniques, définie ainsi par un philosophe britannique :
“L’inaptocratie est un système de gouvernement où les
moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où
les autres membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes ou à
réussir, sont récompensés par des biens et des services qui ont été payés par
la confiscation de la richesse et du travail d’un nombre de producteurs en
diminution continuelle.
(Cette définition avait été reprise par Jean d’Ormesson
quelque temps après mon article, qui s’en était attribuée la paternité, ce qui
m’avait déçu…)
Nous sommes donc
régis par des ineptocrates au profit de bons à rien et voilà un diagnostic qui
ne surprendra personne…
Heureusement et
comme cela s’est souvent produit dans notre histoire, le peuple se lève et l’on
peut espérer que « les moins capables de gouverner » vont être renvoyés à leurs
chères études.
En fait, je suis surpris que personne ne fasse le
rapprochement entre Solidarnosc en Pologne en 1988 et les Gilets Jaunes
aujourd’hui tant les protagonistes et le scénario sont les mêmes.
Comme je le dis depuis son élection, dans le fond
monsieur Macron est un nouveau Jaruzelski, placé là par les caciques de la
mondialisation pour qu’ils puissent continuer à piller tranquillement notre
pays.
Or ce genre de
Quisling affectionne généralement l’usage de la force et donc la force a été
utilisée de façon démesurée contre des gens fondamentalement paisibles.
S’il veut que les
français se fâchent vraiment, qu’il continue, le résultat est garanti et il lui
faudra se réfugier en Grande-Bretagne, comme Napoléon III le fit en son temps.
Je ne doute pas d’ailleurs qu’il y trouvera un poste dans
la City, pas rancunière pour un sou.
Auteur: Charles Gave
Economiste et financier, Charles Gave s’est fait
connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions
menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses
fonctionnements monétaires.
Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux
Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de
l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal
Research (www.gavekal.com).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Votre commentaire est le bienvenu à condition d'être en relation avec le sujet - il sera en ligne après accord du modérateur.
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.