Par Christine Cuny – 27/01/2019.
Il faut rappeler que le mouvement des Gilets Jaunes s’est
mis en branle à la suite de, et en réaction contre, la flambée du prix du
carburant.
Or, n’oublions pas qu’au-delà de l’essence qui permet aux
« citoyen(nes) » de se déplacer quotidiennement pour aller travailler, et des
différents produits dérivés qui pourvoient à un grand nombre de leurs besoins
matériels, il y a un élément primordial : c’est l’or noir.
Pour mettre en lumière le rôle essentiel que celui-ci
occupe désormais dans l’existence d’un peuple dit « civilisé » comme le nôtre,
et la façon dont il continue à impacter des relations internationales qui,
malgré l’existence d’organisations censées neutraliser les conflits, restent
marquées par l’instabilité, il nous est nécessaire de revenir une fois de plus
à la guerre de 1914-1918.
Car, si sur le plan humain elle fut un désastre à jamais
irréparable, il faut redire à quel point elle s’est révélée à l’inverse, le
moyen, pour certaines puissances engagées dans le conflit, de s’assurer un
véritable triomphe politique et économique pour le présent, mais aussi pour le
futur.
Le pétrole, en particulier, y avait gagné son titre de
gloire en apportant sa contribution à la résolution d’un conflit qui perdurait
depuis quatre ans, à tel point que lors d’un banquet organisé à Londres, le 21
novembre 1918, Lord Curzon, ministre britannique des affaires étrangères, avait
déclenché de vifs applaudissements dans l’assistance en déclarant, dans un
discours enflammé :
« Tous les produits du pétrole – l’huile combustible,
l’essence-aviation, l’essence-moteur, l’huile de graissage, etc., etc. – ont eu
une part égale d’importance dans la guerre.
En vérité, l’avenir dira que les alliés ont été portés à
la victoire sur des flots de pétrole ! ».
Métaphore qui n’avait rien d’exagéré car, si l’on en
croit William Engdahl dans son ouvrage Pétrole, une guerre d’un siècle :
« En 1914, au
début de la guerre, l’armée française disposait de 110 camions, 60 tracteurs et
132 avions.
En 1918, quatre ans plus tard, les chiffres étaient de 70
000 camions, 12 000 avions tandis que les Britanniques et dans les derniers
mois les Américains, engageaient au combat 105 000 camions et plus de 4 000
avions.
L’offensive finale anglo-franco-américaine sur le front
occidental consomma la quantité stupéfiante de 12 000 barils de pétrole par
jour. »
Placés devant la nécessité d’assurer l’approvisionnement
de quantités colossales de pétrole pour le transport des troupes et des
équipements, et pour la fabrication d’explosifs, les États des pays belligérants
avaient dû en prendre directement le contrôle et la gestion, comme ils avaient
été contraints de le faire, pour tout ce qui était indispensable à la poursuite
de la guerre en vue de la victoire, ce qui, par ailleurs, était tout à fait
inédit en matière d’intervention économique.
Or, de ce côté-là, Lord Curzon, porte-parole des
Britanniques, ne pouvait que se féliciter des résultats tout à fait
satisfaisants qui avaient été obtenus :
« Nous avons eu à exercer d’une façon tout à fait stricte
les pouvoirs de l’État, en prenant en mains le contrôle de plusieurs produits
essentiels à la vie nationale.
Parmi ces produits nationaux et internationaux, le
plus important fut le pétrole. »
Et pour cause…
La Grande Bretagne, dont la suprématie économique n’avait
jusque-là jamais été démentie, avait fini par s’inquiéter de la montée en
puissance des États-Unis, en raison de leurs capacités de production du
précieux combustible.
Ainsi se préparait un changement majeur dans les rapports
de force internationaux que la guerre avait par ailleurs confirmé, les champs
pétrolifères étasuniens ayant fourni 80% des besoins en pétrole des Alliés.
Dans la mesure où le pétrole était susceptible de
supplanter le charbon, dont la Grande-Bretagne avait été jusqu’à présent le
principal producteur et pourvoyeur, l’hégémonie de l’Empire britannique était
plus que jamais menacée.
À ce propos, William Engdahl remarque que l’ « on évoque (…) rarement le fait que bien
avant 1914, les objectifs stratégiques géopolitiques de la Grande-Bretagne
n’impliquaient pas seulement l’écrasement de son grand rival industriel
allemand, mais aussi, par le moyen de la conquête, la garantie d’un contrôle
britannique incontesté sur ces précieuses ressources pétrolières qui depuis
1919 s’étaient imposées comme la matière première stratégique indispensable au
développement économique. »
Obnubilés, jusque dans leurs relations avec les autres
puissances, par la préoccupation de préserver, coûte que coûte, les intérêts
fondamentaux liés à la pérennisation de leur domination économique sur le
monde, les Britanniques ne se montraient guère plus tendre avec leurs « alliés
» qu’avec leurs rivaux déclarés…
Si l’on en croît William Engdahl,
« Tandis que la
France et l’Allemagne étaient occupées à s’entretuer dans une boucherie
sanglante et inutile le long de la ligne Maginot, la Grande-Bretagne déplaçait
plus de 1 400 000 de ses soldats, un nombre étonnant, vers le théâtre oriental.
»
Faut-il donc le redire ?
La guerre de 1914-1918 a eu comme élément déclencheur
bien autre chose que l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie par
un obscur « fanatique » serbe, et elle avait une tout autre motivation que la
prétendue défense des peuples et de leurs territoires : ses véritables buts
étaient secrets, parce qu’en réalité inavouables.
William Engdahl nous en donne un aperçu qui ne peut que
nous glacer le sang…
« L’examen des
véritables relations financières entre les principaux intérêts en guerre révèle
un extraordinaire arrière-plan de crédits secrets associés à des plans
détaillés pour ré-allouer, après la guerre, les matières premières et la
richesse matérielle du monde entier et particulièrement les zones de l’Empire
ottoman qui étaient réputées receler des réserves pétrolières. »
Et la France dans tout cela ?
Paraît-il qu’elle manquait de pétrole : pourquoi donc
n’aurait-elle pas tenté de profiter des marrons que sa chère « alliée », la
Grande-Bretagne, aurait bien voulu tirer du feu (pour ses beaux yeux ?) du côté
de l’Empire ottoman ou encore, et ce qui était bien plus près, dans les
colonies qu’il suffirait de rafler au « barbare teuton » ? …
Pour William Engdahl,
« …rien mieux que
l’accord secret signé en 1916, au plus fort de la bataille, ne démontre les
objectifs cachés des puissances alliées contre les puissances centrales
regroupées autour de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie et de la Turquie
ottomane lors de la guerre de 1914-1918. Les signataires en étaient la
Grande-Bretagne, la France et plus tard l’Italie et la Russie tsariste. »
En fait, comme le constate le même auteur, aucune guerre
n’avait jusqu’alors révélé aux grandes puissances « l’importance primordiale de l’approvisionnement pétrolier pour le futur
de la sécurité militaire ou économique ».
En apposant sa signature sur l’accord secret Sykes-Picot
censé lui garantir sa part d’or noir, grâce à un dépeçage en règle des régions
productrices, la France conclurait un pacte d’infamie dont elle continuerait,
un siècle plus tard, à subir des effets lourds de conséquences.
Car, pendant que le peuple français semble n’être
préoccupé que par le prix du carburant et par les taxes qui le grèvent, la
guerre n’a toujours pas lâché prise dans ce Moyen Orient si convoité où, tout
là-bas, en Syrie et en Palestine, d’autres peuples continuent de s’entretuer ou
bien, quand ils le peuvent, de s’exiler pour préserver leur vie.
Est-ce donc vraiment si loin, que cela nous touche si
peu, nous les Français(es) qui croyons encore pouvoir nous porter garant(e)s de
ce beau pays des Droits de l’Homme et du … Citoyen ?
Christine Cuny
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