Maggie Steber et Lynn Johnson nous racontent comment
elles ont documenté le parcours éprouvant de Katie Stubblefield, la plus jeune
patiente à avoir reçu une greffe totale de la face aux États-Unis.
De Erin Blakemore - National Geographic
Seize heures après le début de l'opération dans la
clinique de Cleveland dans l'Ohio, les chirurgiens terminent la phase délicate
de la découpe de la face d'une donneuse d'organes. Réalisant la gravité de
l'acte, l'équipe médicale s'est tue pendant un moment pour observer ce visage
entre deux vies. Les chirurgiens ont passé quinze heures supplémentaires à
attacher ce visage à ce celui de Katie.
PHOTOGRAPHIE DE LYNN JOHNSON, NATIONAL GEOGRAPHIC
Le visage,
détaché du donneur, reposait sur un plateau.
Les chirurgiens
qui l'avaient enlevé l'ont fixé, marquant un temps d'arrêt avant de le
transplanter.
« C'était juste un moment à couper le souffle
», se souvient la
photographe Lynn Johnson. « Les gens
étaient d'une certaine manière stupéfaits. »
Tout s'est arrêté
pour un instant de « reconnaissance »,
explique-t-elle. « Et puis ils se sont
rassemblés et se sont mis à le coudre. »
Katie Stubblefield a posé pour la photographe Maggie
Steber avant sa greffe de la face. Elle montre son visage gravement blessé,
mais la photographe Maggie Steber voulait aussi capturer "sa beauté
intérieure, sa fierté et sa détermination".
PHOTOGRAPHIE DE MAGGIE STEBER, NATIONAL GEOGRAPHIC
Cette
photographie exceptionnellement forte est la principale image de couverture de
la version américaine du magazine National Geographic du numéro de septembre
2018 portant sur l’opération.
Lynn Johnson
était l'une des deux photographes historiques de National Geographic qui ont documenté
le parcours de Katie Stubblefield, dont le visage a été gravement endommagé par
une tentative de suicide au moyen d'une arme à feu, avant d'être reconstruit
puis remplacé.
Pendant deux ans
et demi, la photographe Maggie Steber a suivi Katie et sa famille, les
déplacements entre sa maison à Miami, la clinique de Cleveland dans l'Ohio, où
les chirurgiens ont soigné Katie et la Maison Ronald McDonald, où Katie a vécu
quand elle n'était pas hospitalisée.
Maggie Steber a
suivi tout ce que les Stubblefield faisaient, leur laissant tout de même des
moments de repos, et a fini par se considérer comme un membre de leur famille.
Au Tudor Arms Hotel de Cleveland, Katie et son père
chantent en dansant. "Avant cela, je n'avais jamais passé beaucoup de
temps avec mes parents", se souvient Katie, qui reconnaît que leur amour
et leur dévouement ont contribué à lui sauver la vie.
PHOTOGRAPHIE DE MAGGIE STEBER, NATIONAL GEOGRAPHIC
« Ils partageraient leurs pensées les plus
profondes avec moi »,
explique Maggie Steber. « C'est une
position privilégiée. Parfois, les photographes doivent poser leur appareil
photo et simplement écouter leurs sujets. »
Mais lorsque
Katie et sa famille ont appris qu'un donneur avait été trouvé, Maggie Steber se
trouvait à des milliers de kilomètres de là, à Dubaï, trop loin pour revenir à
temps pour documenter l'opération. « Ils
n'allaient pas m'attendre, pourquoi l'auraient-ils fait ? » confie-t-elle.
« Je suis tombé à genoux et j'ai pleuré. »
C'est à ce
moment-là que Lynn Johnson est intervenue. «
Lynn est une photographe très sensible et une très bonne amie, » déclare
Maggie Steber. « Elle est comme ma soeur.
Ce reportage est
le nôtre et nous avons eu la chance de le partager. »
Au cours de la
procédure qui a duré 31 heures, Lynn Johnson est passée des Stubblefield aux
chirurgiens. « Il y avait une sorte de
tension très sereine dans la pièce », se remémore-t-elle.
La famille de Katie regarde son nouveau visage après
la greffe totale. Pendant la procédure, les chirurgiens ont discuté avec les
parents de Katie à plusieurs reprises pour discuter de la quantité de tissu à
utiliser. En fin de compte, ses parents ont décidé de transplanter la totalité
du visage, malgré un risque de rejet plus grand, car ils savaient que Katie
aurait fait ce choix.
PHOTOGRAPHIE DE LYNN JOHNSON, NATIONAL GEOGRAPHIC
Lynn Johnson a
documenté la transformation de Katie dans la salle d'opération, quand Maggie
Steber, elle, signait la chronique d'une famille transformée par cet événement.
« Ils ont eu le cœur brisé et ont été choqués
par ce qu'il s’était passé, mais ils l’ont accepté », raconte Maggie Steber à propos des parents
de Katie, Robb et Alesia. « Ce sont des
guerriers. Des sortes d'aigles qui protègent un jeune oiseau. Et maintenant,
Katie a une mission. Elle peut essayer de sauver s jeunes vies. »
Elle a également
été témoin de l'agonie physique et émotionnelle de Katie lorsqu'elle a subi ces
interventions chirurgicales pour réparer ses blessures et qu'elle s'est ensuite
lentement approprié son nouveau visage.
L'expérience
était si intense que Maggie Steber devait parfois appeler le rédacteur photo de
National Geographic, Kurt Mutchler, pour qu'il l'encourage à continuer. « Il suffit de les écouter et d’avoir de
l’empathie pour ce qu’ils vivent », lui répondait Mutchler.
Par une journée de printemps ensoleillée, Katie et ses
parents, Robb et Alesia Stubblefield, s'adonnent à une sieste dans un parc près
de la clinique de Cleveland. Avec Katie en fauteuil roulant, ils ont tous les
trois exploré le parc, errant parmi les arbres en fleurs et le chant des
oiseaux. La sortie a eu lieu alors que Katie avait déjà passé un mois à
l'hôpital. Pour repositionner ses yeux, elle a été opérée pour implanter ce que
l'on appelle un dispositif de distraction. Au cours des trois années précédant
sa transplantation, Katie a été hospitalisée plus d'une douzaine de fois.
PHOTOGRAPHIE DE MAGGIE STEBER, NATIONAL GEOGRAPHIC
La mère de Katie, Alésia, l'aide à se préparer à aller
au lit dans leur appartement Ronald McDonald. Chaque soir, Katie prend un
cocktail de pilules à travers un trou fait dans son estomac. Cette nuit-là, le
front de Katie, soutenue par une plaque de métal, la démangeait à tel point
qu'Alésia la tenait pendant que son père, Robb, lisait à haute voix des
passages de la Bible jusqu'à ce qu'elle s'endorme.
PHOTOGRAPHIE DE MAGGIE STEBER, NATIONAL GEOGRAPHIC
La photographe
faisait de longues promenades pour décompresser, repensant au geste de Katie et
au prix qu'elle payait depuis :
« Katie a payé encore et encore d'une manière
extrêmement douloureuse. »
Papay (à droite) et Raffi Gurunluoglu, un autre
chirurgien, travaillent à enlever le visage de la donneuse d'organes. La salle
d'opération était souvent remplie de chirurgiens, de spécialistes,
d'infirmières et de résidents venus en observateurs. Les photos de Katie
Stubblefield sur le mur derrière l’équipe leur rappellent les enjeux de
l'opération.
PHOTOGRAPHIE DE LYNN JOHNSON, NATIONAL GEOGRAPHIC
Une fois qu'elle
a cessé de documenter cet éprouvant parcours, Steber a remis à Mutchler et à
son équipe des milliers de clichés.
« Il y avait probablement 4 000 ou 5 000
photos », note-il.
S'il est souvent
plus facile de construire un récit avec des photos fortes, dans ce cas créer un
récit cohérent à partir de plusieurs années de photos était un véritable défi,
et certains des clichés préférés de Mutchler et Steber ont dû être écartés.
Katie porte la main à son visage alors que le retrait
des points de suture la fait souffrir.
PHOTOGRAPHIE DE MAGGIE STEBER, NATIONAL GEOGRAPHIC
Katie prend un moment seule dans sa chambre, ce qui
est rare à l’hôpital, car les médecins s’arrêtent souvent pour faire un point
sur son état. Son nouveau visage, avec les sutures apparentes, était encore
assez enflé.
PHOTOGRAPHIE DE MAGGIE STEBER, NATIONAL GEOGRAPHIC
On en est arrivés
au cliché ci-dessus : une image de Katie assise seule sur son lit d'hôpital
après la transplantation.
Comme d'habitude,
explique Maggie Steber, la salle était en «
activité constante. Mais personne ne parlait à Katie. Elle était assise là dans
un moment de réflexion. » C'était un moment privé rare. « En fin de compte, nous devons faire face à
nous-mêmes. »
Pour Steber, le
nouveau visage de Katie est bien plus qu’un miracle médical.
« Il ne s'agit pas que de votre apparence », dit-elle.
« Il s'agit de votre âme. Votre visage
cartographie votre vie. »
Déterminés à aider Katie à vivre une vie aussi normale
que possible, Robb et Alesia ont mis leurs vies entre parenthèses pendant plus
de quatre ans. Allant jusqu'à l'épuisement, s'appuyant sur leur foi en Dieu,
ils ont accompagné leur fille à des rendez-vous sans fin et à de longues
séances de thérapie. Ils cherchent déjà des moyens d'améliorer la vision de
Katie, y compris la possibilité de greffes oculaires. Ils envisagent de
s'installer à Cleveland près de la clinique et des médecins de Katie dans un
avenir proche.
PHOTOGRAPHIE DE MAGGIE STEBER, NATIONAL GEOGRAPHIC
Elle espère que
l'histoire de Katie fera progresser les connaissances scientifiques et incitera
les gens à réfléchir.
« Les gens se détournent de tout, non ? », dit-elle. « Ils détournent le regard des photos d'enfants affamés, de la guerre.
C'est leur choix. Mais je pense aussi à toutes les personnes qui seront très
intéressées [par cette histoire]. Peut-être y a-t-il des enfants qui
deviendront médecins un jour parce qu'ils auront vu cela. Nous devons penser
aux personnes qui seront inspirées, informées et changées par ce reportage. »
Ce reportage a initialement paru sur le site
nationalgeographic.com en langue anglaise.
Retrouvez
l'intégralité de ce reportage dans le numéro
de septembre 2018 du magazine National Geographic. S'abonner
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