Par Jean-Luc Marion - 26/03/2019 .
Voici une retranscription des huit premières minutes de
cet exposé prononcé en septembre 2014 sur la chaîne KTO en partenariat avec
l’Académie catholique de France.
«Il y a un discours de la crise qui présuppose que la
crise dure dans le temps et qu’elle s’étend universellement dans l’espace.
Or ces deux injonctions ne correspondent pas à la réalité
et même se contredisent l’une l’autre.
Nous nous demandons : que se passera-t-il quand le litre
d’essence dépassera un euro ? Rien.
Que se passera-t-il quand le chômage dépassera la barre
du million ou des deux millions ou des trois millions ? Rien.
Que se passera-t-il lorsque la crise des subprimes ou la
crise de la bulle financière éclateront ? D’une certaine façon, rien.
Extraits du livre de Ferdinand Lot,
La fin du monde antique et le début du moyen âge :
Rien d’autre que
ce qui se passait avant. Depuis 30 ans, 40 ans, nous sommes dans la crise.
Nous n’en voyons pas le bout. Comme disait le président
Mitterrand, contre le chômage, on a tout essayé, rien n’est réussi.
Comme disent les responsables politiques, finalement, je
n’y peux rien.
Et comme disait le président Queuille, remis à la mode
par le président récent, il n’y a aucun
problème que l’absence de solution finisse par faire disparaître.
C’est la décadence qui dure
Les Romains de la décadence, peinture académique de
Thomas Couture, 1847. « Enrichis par leurs conquêtes militaires, les généraux
romains ont ramené chez eux des esclaves, et leur épouses, libérées des tâches
domestiques, s'émancipent ; elles se fardent et se conduisent parfois comme des
courtisanes. » référence iconographique
C’est-à-dire que
la crise dure.
Or, le concept de crise – la krisis des Grecs – vient
contredire cette possibilité que la crise dure.
Krinein, c’est
décider, c’est choisir, c’est introduire la césure, c’est que ça casse.
Au contraire, nous ne sommes pas en crise puisque,
d’après le discours universel répandu par toutes les élites supposées, la crise
dure.
Elle devient un état permanent.
Il faut donc dire que nous ne sommes pas en crise, que
nous sommes justement dans un tel état de longue indécision, de longs
non-choix, dans la continuité plate d’une absence de crise, comme on parle
d’encéphalogramme plat.
Nous n’avons aucune crise parce que nous n’avons aucune
prise sur la réalité de quelque pouvoir que ce soit. Nous sommes incapables de
décider, incapables de choisir.
Nous ne sommes pas
en crise ; nous sommes en décadence.
C’est la décadence
qui dure.
Précisément parce qu’aucune crise ne vient la briser, la
faire se diriger, se rediriger.
La décadence n’est pas en crise, elle dérive, elle suit
son cours au fil de l’eau, comme une épave flottante immergée jusqu’à
plat-bord, mais pas encore submergée – on pourrait presque le regretter.
La décadence nous
fait dériver, le nihilisme nous réduit à ne rien pouvoir.
C’est parce que
l’homme fixe des valeurs qu’il détruit les choses
Qu’est-ce que le
nihilisme ?
Si nous sommes incapables de décider, c’est parce que
nous sommes confrontés, non pas aux choses, mais à des valeurs.
Que n’entend-on souvent le terme de valeur ?
Les gens se
battent pour des valeurs, veulent que leurs valeurs triomphent.
Mais qu’est-ce qu’une valeur ?
Une valeur, par définition, est ce qui se dévalorise.
Elle se dévalorise par le simple fait qu’elle apparaît
comme une valeur.
Car la valeur suppose toujours une évaluation, une
valorisation comme on dit en bourse.
C’est-à-dire que
la valeur n’a pas de valeur en soi. La valeur est toujours par un autre.
Elle est une chose
aliénée en un objet comme l’objet est un objet aliéné dans sa valeur.
La valeur sombre
sous le coup du nihilisme, non pas du tout parce qu’on la dévalue, parce qu’on
la sous-évalue, mais bien plus profondément parce qu’on l’évalue, ne serait-ce
qu’à sa juste valeur.
Mais la juste
valeur d’une valeur ne repose pas sur la chose elle-même.
Elle suppose la
chose déjà soumise à un évaluateur.
Et l’évaluateur
par excellence, le maître de la valorisation, c’est l’homme.
C’est précisément
parce que l’homme fixe des valeurs – ses valeurs, comme il dit stupidement,
fièrement – que l’homme détruit les choses.
Il les consomme au
moment même où il les établit.
L’homme n’a
lui-même d’ailleurs aucune valeur, étant la source unique des valeurs.
D’où la rationalité, après tout, de cette contradiction
de l’homme nihiliste.
D’une part, rien n’échappe à son entreprise de
valorisation – c’est-à-dire de nihilisme.
Par là même, lui même ne peut pas s’établir autrement que
comme un évaluateur qui, en tant que tel, source de toute valeur, n’en est pas
une et, donc, ne vaut rien.
Les choses sont dissoutes dans la croissance
Il n’y a pas de crise en temps de nihilisme.
Il y a l’éternel recommencement de la décadence par la
valeur.
L’éternel retour du semblable.
La décadence dans
la croissance ?
Mais bien sûr !
Car la croissance – la croissance qu’on appelle de ses
vœux pour sortir de la crise, comme on dit sans penser à ce qu’on dit – la
croissance n’est finalement la croissance de rien.
Il s’agit de faire
de la croissance, avec tout, avec n’importe quoi.
En transformant n’importe quoi en quoi ?
En valeur ajoutée.
C’est-à-dire que les choses sont en quelque manière
dissoutes dans la croissance, indifférente et neutralisante.
Il faut faire de la croissance avec n’importe quoi.
C’est d’ailleurs pourquoi la Commission de Bruxelles
demande d’intégrer maintenait dans le calcul du PIB toutes les économies parallèles, c’est-à-dire en clair, l’économie
de la drogue et l’économie de la prostitution.
La valeur n’a pas d’odeur et on en fait avec n’importe
quoi.
L’accroissement justifie tout.
Voilà la définition du nihilisme.
Voilà la définition de la décadence.
Et c’est justement parce que nous ne sommes pas en crise
que nous sommes en décadence.
Il reste à savoir
qui pourrait sortir de la crise ou plutôt qui pourrait sortir de la non-crise
qui provient de l’absence de décision.
Il faudrait rompre avec la croissance, avec la décadence
de la croissance.
Il faudrait rompre avec la volonté de puissance qui ne
cherche qu’à s’affirmer elle-même.
Il faudrait
choisir autre chose que la propre croissance de ma volonté d’évaluation.
Il faudrait ne pas vouloir simplement la croissance de
soi-même, par soi-même, pour soi-même, qui est précisément la définition de la
décadence.
Il faudrait pour
cela vouloir une autre volonté que la sienne propre (…)
Entrons dans la
crise pour sortir de la décadence.»
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- Né en 1946, membre de l’Académie française, le philosophe
Jean-Luc Marion appartient à la tradition de la phénoménologie française.
Professeur à l’Université de Chicago, où il a succédé à
Paul Ricoeur, il a longtemps enseigné à Poitiers, à Nanterre, à la Sorbonne et
à La Catho.
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Décadence : nom féminin - Acheminement
vers la ruine.
Tomber en décadence.
Synonymes : chute,
déclin
Description : Le concept de décadence renvoie
parfois à la Rome antique et concerne alors la chute de l'Empire romain
d'Occident, parfois à l'Empire ottoman.
Le terme vient du latin cadere et est un doublet savant
de « déchéance ».
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Par valorisation, (d'un élément matériel ou immatériel)
on peut entendre :
- un processus de détermination de la valeur d'un objet,
d'un actif, d'une entité. L'objectif est d'établir un prix.
- un processus visant à améliorer la valeur de cet objet,
actif, entité : on parle alors de "valoriser" un bien immobilier, un
patrimoine, des sous-produits, des déchets.
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En 2018, Wall Street a battu un record de longévité à la
hausse.
Pendant 3 453 jours, il n'y a eu aucun choc à la bourse.
La dernière fois que ce record avait été établi, début
2000, la bulle internet éclatait le lendemain...
Une bulle éclate
quand disparaît l'illusion que ce qui valait de plus en plus cher peut encore
prendre de la valeur.
Or l'indice S&P500, qui rassemble les valeurs des 500
plus grandes sociétés américaines a augmenté de... non pas 100 ni 200, mais
343% depuis 2010.
Les arbres ne
montent pas au ciel...
Cela peut-il encore grimper? C'est là que les financiers se divisent en
deux catégories. Les taureaux, et les ours.
Voici ce que dit un ours... rencontré cet été à New York
lors d'une conférence censée donner le ton des 6 prochains mois.
Bonjour.Pas assez de cerveau pour prendre le temps d'essayer de tout comprendre. Juste un humble ouvrier jardinier qui aimerait gagner un peu plus et ne pas avoir à travailler avec des matières toxiques pour que les fleurs soient belles et ... commestibles... et pouvoir en offrir
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