Par Michel Aubouin -31/07/2019
Auteur de Quarante ans dans les cités (presse de la cité),
l’ancien préfet Michel Aubouin
s’interroge sur le mécanisme
financier qui consiste à priver sept millions de locataires d’une partie des
services attendus pour investir à fonds perdus dans des quartiers dont la
situation ne fera que se dégrader, dès lors que le problème de la sécurité
n’est pas réglé.
L’Etat va
ponctionner la trésorerie d’Action Logement pour financer l’ANRU *(Agence
nationale de la rénovation urbaine).
L’information,
donnée pendant l’été, n’a pas suscité de réaction.
Pour le citoyen peu au fait des arcanes du logement
social, ce mouvement financier est sans doute sans importance, puisqu’il s’agit
de transférer des fonds publics d’un organisme à un autre.
Mais si l’on veut bien prendre le temps de comprendre les enjeux du transfert, dès lors qu’il s’agit d’opérations à plusieurs milliards d’euros, la question mérite d’être soulevée, à l’heure où la France creuse un peu plus chaque année son déficit budgétaire.
La politique de
rénovation urbaine a échoué à endiguer la violence.
L’ANRU a été créée en 2003 pour financer la rénovation
des immeubles situés dans les quartiers d’habitat social qui posent le plus de
problèmes.
Ces quartiers sont au nombre de 490, soit le tiers des 1
500 quartiers considérés par la politique de la ville comme les plus
difficiles.
Ils accueillent
près de 4 millions d’habitants.
On y trouve, sans
surprise, la plupart des quartiers qui se distinguent à date régulière par les
manifestations du désordre : trafic de drogue, émeutes urbaines, dégradation de
bâtiments publics, prostitution… Evidemment, les auteurs de ces faits ne
constituent qu’une petite part de leurs quatre millions d’habitants, mais il
est évident que sans leur violence, les quartiers où ils habitent seraient
traités à l’égal des autres.
La plupart de ces quartiers se situent dans les mêmes
agglomérations ou dans les mêmes départements.
Si, quinze ans
après sa mise en œuvre, la politique de rénovation urbaine avait fait diminuer
le niveau des violences, endigué le communautarisme et fermé la porte à l’intégrisme
religieux, personne n’aurait regretté les dizaines de milliards d'euros qu’elle
aurait consommées.
Evidemment, tel
n’a pas été le résultat obtenu.
Loin d’être
résolues, les tensions y sont de plus en plus vives.
Les premières victimes directes de ces agissements sont
les familles honnêtes qui vivent dans ces quartiers et sont les proies des
comportements violents.
Mais il existe une autre catégorie de victimes
indirectes qui sont les sept millions de locataires du secteur HLM qui n’ont
pas la chance de vivre dans un tel quartier et qui ne bénéficieront donc pas de
la manne financière générée par l’ANRU.
Sans compter les
centaines de milliers de familles qui vivent dans des conditions très
précaires, sans possibilité d’accéder au logement social, y compris toutes
celles qui résident dans un milieu rural où l’offre reste limitée.
Le logement public
occupe une place exorbitante en France.
Action Logement, appelée à financer ce dispositif, est
l’héritière du 1% logement, un dispositif créé en 1943 pour aider les salariés
à se loger.
Son conseil d’administration est paritaire : il rassemble
des représentants du patronat et des syndicats.
Son président est issu du Medef.
Il collecte 0,45% de la masse salariale dans les
entreprises de plus de cinquante salariés, soit plus d’1,5 milliards d’euros
par an.
On peut se demander si ce dispositif, qui pèse sur les
entreprises et, de fait, sur les salaires, est encore d’actualité, mais la
question se pose dans le cadre d’une réflexion plus globale sur la place désormais
exorbitante du logement public en France.
Les 7,7 milliards d’euros de trésorerie de l’organisme ne
manquent d’ailleurs pas de surprendre, dès lors que sa vocation affichée
demeure sociale.
Au-delà, on doit surtout s’interroger sur le mécanisme financier
qui consiste à priver sept millions de locataires d’une partie des services
attendus pour investir à fonds perdus dans des quartiers dont la situation ne
fera que se dégrader, dès lors qu’on ne résout pas la question première des
populations, qui est celle de la sécurité.
Pour le dire plus
simplement : au nom de quelle morale, une famille impliquée dans le trafic de
drogue, qui possède des résidences à l’étranger et dont les enfants rendent la
vie impossible aux habitants du quartier serait-elle une fois de plus
prioritaire pour qu’on lui attribue un logement neuf ou rénové et qu’on lui
offre des services auxquels une famille vivant dans un village ou dans un
quartier urbain non répertorié n’aura jamais accès ?
Aucune !
Les responsables des décisions prises sur un fondement
aussi incertain feraient bien de s’interroger avant de poursuivre dans une voie
qui, jusque-là, a montré ses limites.
Il est sans doute urgent de suspendre ces politiques
inégalitaires et de prendre le temps d’une indispensable réflexion.
…………………….
Au mois de juillet
ont été validés les projets de 20 quartiers mobilisant près de 820 millions
d’euros de concours financiers de l’Anru *.
Le comité d’engagement national de l’Agence nationale
pour la rénovation urbaine (Anru) a validé les projets de renouvellement urbain
des communes ou agglomérations suivantes : Gennevilliers,
Stains et La Courneuve au sein de Plaine Commune ; Paris 20e ; Nice ; Mulhouse
; Bonneuil-sur-Marne ; Dunkerque - Grande-Synthe ; Lyon (la Duchère) -
Vénissieux ; Villiers-le-Bel.
Depuis le lancement de la phase opérationnelle du Nouveau
programme national de renouvellement urbain (NPNRU), l’Anru a ainsi validé les
projets de 290 quartiers.
Pour engager les
chantiers de transformation de ces territoires, elle a mis 7,3 milliards
d’euros à disposition des collectivités et des bailleurs.
Ces concours
financiers déjà validés vont permettre la réalisation de projets estimés à plus
de 25,6 milliards d’euros tous financeurs confondus. Concrètement, cet investissement va permettre de réaliser : 59 000
démolitions de logements sociaux ; 46
000 reconstructions de logements sociaux ; 81 000 réhabilitations de logements
sociaux ; plus de 560 équipements, dont
165 écoles.
* L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)
est un établissement public à caractère industriel et commercial créé par
l’article 10 de la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la
rénovation urbaine du 1er août 2003, afin d'assurer la mise en œuvre et le
financement du programme national de rénovation urbaine (PNRU).
Elle est placée sous la tutelle du ministre chargé de la
politique de la ville qui fixe les orientations générales de son action.
Le 13 février 2014, après le Sénat, l’Assemblée nationale
a adopté définitivement la loi de « programmation pour la ville et la cohésion
urbaine » présentée par François Lamy, ministre délégué à la Ville.
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