Par Yves Montenay
L’Algérie va très mal et utilise la vieille recette de taper
sur la France et sur la position du français en Algérie.
L’Algérie va très mal : avec un pétrole à 40 dollars, la
ruine approche, les militaires ont gardé le pouvoir et le virus n’arrange rien.
Alger by Lazhar Neftien(CC
BY-ND 2.0)
La vieille recette est de taper sur la France et sur la
position du français en Algérie. À mon avis ça n’arrangera rien, au contraire.
Parallèlement, le pouvoir algérien envoie de temps en temps
un mot aimable à Paris, qui semble signifier
» Ne faites pas attention, ces critiques ne sont que des discours de
politique intérieure ».
C’est ce qui se passe à nouveau en ce mois de juillet 2020.
Vu de France, il semble que le régime ait recours à ces
vieilles ficelles pour détourner l’attention des Algériens des vrais problèmes.
Et sur ce point, il est à l’unisson des islamistes, qui
veulent bloquer toute ouverture vers l’extérieur.
Le mouvement de protestation Hirak est donc vu avec
sympathie en France, puisqu’il pose le vrai problème, celui du « système »
algérien, en place depuis l’indépendance.
LA PRISE DU POUVOIR PAR LES MILITAIRES
D’abord une réflexion très générale : dans le monde entier,
les guerres d’indépendance s’appuient certes sur un sentiment populaire,
souvent d’ailleurs cultivé par un ennemi du pouvoir colonial, en général l’URSS
puis la Russie, parfois la Chine, comme au Cambodge.
Mais l’objectif concret des révoltés est d’amener leur chef
et son parti au pouvoir, que ce soit Ho Chi Minh et le parti communiste au
Vietnam ou Boumediene et le Front de libération nationale (FLN) en Algérie.
Étant précisé pour l’Algérie que « l’armée des frontières »
commandée par Houari Boumédiène, futur président, est restée à l’extérieur sans
combattre, et n’est entrée qu’après le cessez-le-feu de 1962, justement pour
prendre le pouvoir.
Donc guerres d’indépendance, oui, guerres de libération,
non.
En Algérie, il y aura donc bientôt 60 ans que l’armée est au
pouvoir, avec des variantes dont l’une, celle de Bouteflika, jeune adjoint de
Boumédiène en 1962, vient de se terminer.
L’économie algérienne a été particulièrement massacrée pour
plusieurs raisons.
L’ÉCONOMIE MASSACRÉE EN ALGÉRIE : LE DÉPART D’UNE GRANDE
PARTIE DES PERSONNES QUALIFIÉES
Il y a d’abord eu le départ des Pieds-noirs, y compris les
quelques dizaines de milliers qui ont essayé de rester après l’indépendance.
Je me souviens de ce patron d’une entreprise de construction
dont le personnel était en majorité musulman, et qui a essayé de rester
plusieurs années pour finalement regagner la France à la suite de brimades
répétées, emmenant avec lui son personnel.
Les cadres qualifiés musulmans des entreprises françaises
sont souvent également partis, notamment parce que le clientélisme et la
corruption les empêchaient de travailler normalement.
Et l’exode continue, du fait de manque de liberté politique,
de pressions sociales et religieuses et des obstacles à la promotion par la
compétence.
On a même vu des cadres algériens rentrés au pays en
repartir.
L’IDÉOLOGIE SOCIALISTE DE L’ÉPOQUE
L’alliance avec l’URSS combinée avec les proclamations
nationalistes ont fait de l’Algérie un pays officiellement socialiste.
Elle a certes dû renoncer à cet adjectif pour recevoir
l’argent du FMI au milieu de la guerre civile des années 1990, mais les mauvaises
habitudes bureaucratiques étaient prises et durent encore.
Ce socialisme national avait également l’avantage de
légitimer les militaires et de leur donner un outil de contrôle de la société.
Cela a mené à la création de sociétés nationales qui ont
presque toutes été des échecs coûteux.
Même la Sonatrach, qui a remplacé les entreprises
pétrolières françaises et qui disposait d’une énorme marge financière, est un
échec relatif, pour les mêmes raisons que les autres compagnies pétrolières
nationales, vénézuélienne ou mexicaine par exemple.
La rente pétrolière y a servi de caisse noire aux
dirigeants, les cadres ne sont pas toujours nommés sur des critères de
compétence et le résultat final est une baisse de la production faute
d’investissements et la sous-traitance ou la coopération généralisée avec des
entreprises étrangères, c’est-à-dire justement ce que l’on voulait
officiellement éviter.
Tout cela a bien entendu généralisé une corruption par
pompage des recettes publiques, qui a eu comme conséquence de bloquer le
développement du pays, puisque chaque tentative de production nationale était
interdite pour ne pas léser les intérêts de la personnalité ayant la main sur
les importations, importations payées avec le pétrole, après un petit détour
vers un paradis fiscal.
Un autre exemple de cette corruption bloquant le
développement a été à mon avis la fameuse loi des 51 % de capital algérien
imposés aux investisseurs étrangers, ce qui en a découragé la plupart et obligé
les autres à des arrangements coûteux.
Or les pays qui se sont développés, tant au nord qu’au sud,
l’ont fait en encourageant les investisseurs étrangers qui apportent de
l’argent et du personnel qualifié.
Pour mes lecteurs français, je rappelle que le peuple
algérien est très conscient du manque de démocratie et d’une corruption
freinant de développement.
Il s’est révolté plusieurs fois, et, depuis le 22 février
2019, ont eu lieu chaque vendredi d’énormes manifestations, le hirak
(traduction littérale, le mouvement), qui ont abouti dans un premier temps à la
renonciation du président Bouteflika à se représenter pour un cinquième mandat
en dépit de sa santé plus que catastrophique.
Mais l’armée est alors réapparue en pilotage direct, puis en
faisant ouvertement élire comme président un relatif inconnu, au profil de haut
fonctionnaire non islamiste, Abdelmajid Tebboune.
Le hirak a continué jusqu’à sa suspension par le
confinement, et son éventuelle reprise est en débat.
Le nouveau pouvoir alterne bonnes paroles et répression.
Mais comme sa nature n’a pas changé, les Algériens craignent
le retour des mêmes défauts.
Et de toute façon demeure l’énorme handicap de la mauvaise
qualification des Algériens.
UN PEUPLE SOUS QUALIFIÉ
Les Français d’origine algérienne, ainsi que les Algériens
résidant en France, sont présents à tous les niveaux de la société française,
comme en témoignent les noms de famille arabes que l’on trouve dans toutes les
professions.
Il y a deux raisons à cela : d’abord l’arrivée des meilleurs
cerveaux algériens, médecins notamment, et ensuite le système scolaire
français, extrêmement imparfait certes, mais néanmoins nettement en meilleur
état que l’algérien si on croit la presse de ce pays et de nombreux
témoignages.
Une des raisons du retard du système scolaire algérien est
son arabisation brutale dans les années 1970, et donc l’importation de nombreux
enseignants égyptiens, pas forcément choisis parmi les meilleurs, très souvent
traditionalistes religieusement et formant par l’apprentissage par cœur,
contrairement à l’analyse critique qui est en principe la base du système
français.
Rajoutons que dans ces années 1970, cet enseignement en
arabe était en langue étrangère pour les jeunes Algériens car l’arabe officiel
n’était la langue maternelle de personne, la population parlant une sorte de
créole partiellement francisé, la darija, ou une langue berbère ou encore le
français.
LE REMÈDE À TOUT CELA : TAPONS SUR LA FRANCE ET LE FRANÇAIS
!
Bref, la situation algérienne est toujours mauvaise.
Et l’explication officielle n’a pas changé : « c’est la
faute de la France » !
Les grands dirigeants français, Napoléon III ou de Gaulle,
dès 1943 pour ce dernier, ont été beaucoup plus lucides que les Pieds-noirs,
constatant que l’avenir de l’Algérie ne pouvait se concevoir en écartant 80 à
90 % de la population.
Les réformes du premier n’ont pas survécu à son départ en
1871, et ont au contraire permis aux Pieds-noirs qui y étaient opposés de se
proclamer les « vrais républicains » et d’inventer « l’Algérie française » qui
étendait à l’Algérie toutes les lois françaises, sauf le droit de vote pour les
musulmans.
Mais les militaires algériens ont nourri la demi-vérité
d’une « colonisation épouvantable », et qu’ils auraient éliminée par la force,
ce qui n’est plus du tout la vérité, l’indépendance résultant d’un plébiscite
organisé par De Gaulle.
Les programmes
scolaires algériens et l’information officielle font sans cesse allusion à
cette « victoire » de l’armée qui légitimerait son pouvoir sur le pays.
Pour nourrir cette légitimité, et éviter qu’elle ne soit
entamée par des échecs gouvernementaux répétés, il faut noircir la France et
dénoncer ses pressions pour sauver « ses intérêts ».
Intérêts qui n’existent plus depuis 50 ans et qui ont été
remplacés notamment par des intérêts chinois.
En pratique seules subsistent des coopérations culturelle et
antiterroriste demandées par les deux parties.
REMOUS DIPLOMATIQUES ENTRE LA FRANCE ET L’ALGÉRIE
Dernier incident un peu hypocrite : en mai 2020, l’Algérie a
décidé de rappeler immédiatement son
ambassadeur à Paris « suite au caractère récurrent de programmes diffusés par
des chaînes de télévision publiques françaises attaquant le peuple algérien et
ses institutions, dont l’Armée nationale populaire, la digne héritière de
l’Armée de libération nationale » d’après un communiqué du ministère des
Affaires étrangères algérien.
Pourtant, les Algériens savent parfaitement que les médias
français sont indépendants de l’État, ce qui n’est pas le cas chez eux… où je
pense qu’on trouverait facilement de nombreuses émissions pas très aimables
pour la France !
Parallèlement, l’ambassadeur de France en Algérie, Xavier
Driencourt partira à la retraite le 2 août 2020, ayant atteint la limite d’âge.
Ce départ prévu de longue date tombe donc à un moment
délicat, et on s’interrogeait encore ce 5 juin sur le nom de son successeur.
Le candidat idéal, François Gouyette, ambassadeur en Arabie,
fin connaisseur du Moyen-Orient et arabophone, a comme handicap d’atteindre lui
aussi la limite d’âge en 2021.
Certes, il y a régulièrement des réchauffements entre les
présidents français et algériens.
C’est une fois de plus le cas en cette mi-juillet 2020.
Mais jusqu’à présent, le poids de la politique intérieure
algérienne la fait retomber dans ses errements habituels, puisque sa cause
structurelle demeure, à savoir la légitimation de la direction du pays par
l’armée.
HARO SUR LA LANGUE FRANÇAISE !
Et puisqu’il faut taper sur la France, tapons aussi sur le
français puisque les francophones ont accès à des informations pas toujours
agréables pour le régime.
Et que le français est un obstacle pour les islamistes, qui
pèsent sur tous les gouvernements algériens.
Ainsi, le ministre algérien de l’Enseignement supérieur
vient de demander aux étudiants de rédiger leurs thèses et mémoires en langue
anglaise dès la rentrée prochaine !
Heureusement, il ne suffit pas de le décréter pour que cela
se concrétise…
Mieux encore : le parti islamiste MSP demande que la future
constitution algérienne prévoie « la criminalisation de l’utilisation de la
langue française dans les institutions et documents officiels ».
Le journal algérien La liberté du 12 juillet 2020 rappelle
que « trois éléments sont la cible permanente des fanatiques religieux : les
femmes, les arts, et les langues étrangères ».
Le dirigeant du MSP, Abderrazak Makri persiste et signe en
attaquant « Les enfants de la France » (comprendre les traîtres) qui se
consacrent à la défense de la langue française et des intérêts français et ont
une attitude servile à l’égard de la France ».
POURTANT LE FRANÇAIS EST UNE LANGUE ALGÉRIENNE
Pendant la colonisation, une partie de la population
algérienne a adopté le français, et après l’indépendance, la grande coopération
demandée par l’Algérie a envoyé dans ce pays des dizaines de milliers de jeunes
Français qui ont permis de lancer la scolarisation des Algériens à grande
échelle.
Cette période scolaire en français a fourni des cadres à
l’Algérie pendant 50 ans.
Ces derniers ont transmis l’usage du français comme langue
de travail. Usage encore renforcé par les familles à cheval sur les pays
francophones et l’Algérie, par les nombreux Algériens ayant effectué leurs études
supérieures dans ces mêmes pays francophones, ou par le cas particulier des
Kabyles qui ont le français comme deuxième langue comme peut le constater tout
voyageur.
Finalement le français est une langue de l’Algérie et non
une langue étrangère, contrairement à ce que le pouvoir ou des religieux ne
cessent de répéter.
Citons parmi mille autres cette tribune de Khaoula Taleb
Ibrahimi
, Professeur en science du langage à
l’Université d’Alger 2, parue dans La liberté le 1er juin 2020 :
« Nous avons besoin d’une politique des langues dans tous
les paliers de notre système éducatif, de l’école primaire à l’université,
hardie, raisonnée et rationnelle…
Et cela doit se faire sans chauvinisme, sans dogmatisme,
sans populisme ni démagogie et sans donner à une langue une position
hégémonique au détriment d’une autre…
Malgré le profond mouvement populaire en faveur de la
démocratie, le pouvoir continue ses pratiques autoritaires sur le mode de
l’injonction et du mépris des réalités objectives du pays ».
Pour ceux qui ne connaissent pas l’Algérie, je précise que
ces réalités objectives sont l’usage de la darija, des langues berbères et du
français.
Ajoutons que la connaissance du français par une grande
partie des Algériens permettrait une installation simple et rapide
d’entreprises françaises, belges, suisses, canadiennes, comme au Maroc.
Ce pays en a largement bénéficié, et en a tiré un double
bénéfice puisque les entreprises marocaines se développent maintenant en
Afrique subsaharienne francophone.
L’ANGLAIS EN ALGÉRIE ?
Le premier changement de langue, l’arabisation, a été une
catastrophe.
Le passage à l’anglais en serait une autre, en partie pour
les mêmes raisons : une langue non maternelle et encore plus ignorée par la
population, pas de corps enseignant et pas de débouchés, sauf pour certains
métiers restreints comme la recherche scientifique de haut niveau.
Mais ce dernier point ne concerne que quelques centaines ou
quelques milliers de spécialistes qui feront comme dans tous les autres pays :
apprendre l’anglais. Il n’est pas nécessaire de bouleverser l’Algérie pour cela
!
Et puis n’oubliez pas que de l’aveu même de The Economist,
journal de l’élite anglophone mondiale, des cadres internationaux parlant le
français ou l’espagnol en plus de l’anglais éliminent les purs anglophones ou
les anglo-arabophones, sauf dans quelques pays du Moyen-Orient.
Rappelons que les chercheurs français, comme ceux des autres
pays, travaillent en français et publient en anglais, langue qu’ils ont apprise
comme les autres matières de leur formation.
Et puis, comment exiger de passer un doctorat en anglais
quand tout ce qui précède est ou devrait être en arabe ?
Je maîtrise le français, l’anglais et l’allemand, et mon
expérience de cadre dirigeant dans 12 pays a illustré deux évidences : on
travaille beaucoup mieux dans sa langue maternelle ou de formation et la
traduction est un exercice excellent pour préciser les idées.
J’ajoute que beaucoup de textes conçus en anglais sont moins
précis que leur équivalent en français, d’une part parce qu’il y a davantage de
polysémie en anglais qu’en français et d’autre part parce qu’ils n’ont pas subi
l’épreuve de la traduction.
C’est pour cette raison que la cour de justice de l’Union
européenne à Luxembourg est un temple de la traduction, avec le français comme
langue des débats internes, malgré les pressions anglo-saxonnes.
Et puis, même si l’anglais était un remède, il faudra
combien de décennies pour l’implanter à la base, alors que le français est là !
Sans même parler du gâchis humain que serait la mise à
l’écart de l’élite francophone…
REFUSER LE MODÈLE MOYEN-ORIENTAL
Je connais le Moyen-Orient, arabe, turc et perse. Cela m’a
convaincu de la nécessaire ouverture linguistique et culturelle des sociétés
musulmanes pour éviter les dérives catastrophiques et souvent sanglantes de
cette région.
Or on n’étudie pas les mêmes textes en français et en arabe.
Les rapports du Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD) des années 2000 nous rappellent que les principales œuvres
mondiales ne sont pas traduites en arabe, et l’examen des lieux de lecture
arabophone montre la prépondérance des ouvrages religieux.
Une grande langue étrangère largement connue par le peuple
algérien est donc nécessaire pour échapper aux dictatures extrémistes.
Cela pourrait être l’anglais, l’espagnol ou le français,
mais, comme dit, pourquoi torturer encore plus la société algérienne alors que
le français y est déjà assez largement connu.
Par ailleurs, l’anglais est souvent utilisé comme une simple
langue de communication et non comme l’ouverture à une culture, du moins au
Moyen-Orient.
Je vais être franc et direct : si une partie des Algériens
et leurs amis français ou occidentaux sont attachés au maintien du français en
Algérie, une des raisons est qu’il permet de sortir de l’univers moyen-oriental
et du conservatisme politique, voire du fanatisme religieux qui y règne.
Beaucoup d’Africains du nord se sentent plus proches de
l’autre rive de la Méditerranée que de la Syrie ou de l’Irak.
Les chercheurs arabes travaillant en Occident ont une vue
catastrophique du Moyen-Orient. 1.
Il ne s’agit pas seulement de langue ou de religion, mais de
développement économique et humain.
Il faut que dès
l’enfance, les Algériens aient d’une autre source d’information que les
télévisions wahhabites.
Sur le web :
Voir par exemple Le monde arabe a-t-il un avenir ?
d’Abdelatif Laroui.
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