lundi 27 janvier 2020

Coronavirus en Chine

Après le SRAS, la sulfureuse coopération franco-chinoise à Wuhan
Par Antoine Izambard le 23.01.2020

La Chine qui est de nouveau frappée par un coronavirus, lequel a causé la mort de 17 personnes, a noué après la crise du SRAS en 2003 un partenariat très sensible et décrié avec la France en matière de sécurité biologique.

Des chercheurs chinois au sein du laboratoire P4 de Wuhan inauguré en février 2017 en présence de Bernard Cazeneuve. JOHANNES EISELE / AFP

La Chine se retrouve de nouveau au cœur d'une affaire sanitaire dont la portée menace d'être mondiale. Baptisé "2019-nCoV", un coronavirus est apparu le mois dernier à Wuhan - ville du centre du pays qui a été mise en quarantaine jeudi - et a déjà fait dix-sept victimes en Chine où au total 570 personnes sont infectées d’après le dernier décompte officiel. Plusieurs personnes au Japon, en Corée du Sud ou aux Etats-Unis ont également été contaminées alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dira dans les jours qui viennent si l'épidémie constitue une urgence de santé publique internationale.

Celle-ci présente plusieurs points communs avec le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), virus hautement contagieux, parti de Chine et qui avait fait près de 800 morts en 2002-2003.

Cette pandémie avait poussé le gouvernement chinois à se tourner vers la France pour se renforcer dans la lutte contre ces épidémies.

Le début d'une intense et sulfureuse coopération entre les deux pays. Celle-ci a été racontée en détails dans le livre "France-Chine, les liaisons dangereuses" paru en octobre 2019 (Stock) et écrit par l'auteur de ces lignes - les citations ci-dessous en sont extraites.


C’est lors du premier semestre 2003, que la puissante Académie chinoise des Sciences fait savoir à Paris qu’elle souhaite acquérir un laboratoire Pathogènes de classe 4 (P4) qui peut héberger les virus les plus dangereux de la planète (Ebola, Coronavirus, H5N1…).
Il sert à traquer les souches infectieuses dans l’espoir de les combattre et protéger ainsi des dizaines de milliers de personnes à travers le monde.

La France, qui a inauguré en 1999 à Lyon, le P4 Jean Mérieux, le plus grand d’Europe, fait partie des pays les plus en pointe sur le sujet.

La demande de Pékin reçoit toutefois un accueil mitigé au sein de l’État français. Si Paris ne peut que soutenir la Chine dans sa volonté de lutter plus efficacement contre les pandémies, plusieurs questions se posent.

Alerté par ses services de renseignement, le pouvoir se demande si la technologie demandée par Pékin ne va pas être détournée pour mettre au point des armes bactériologiques.
Ces craintes sont étayées par les soupçons très forts autour de l’existence d’un programme biologique offensif chinois.

« L’administration a freiné des quatre fers »

Malgré ces inquiétudes, la France va toutefois très vite donner des gages à son partenaire.
Après une enquête minutieuse du Secrétariat général à la Défense (l’ex SGDSN), le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, qui s’était rendu en Chine en avril 2003 en pleine épidémie de SRAS, rend un arbitrage positif fin 2003.

La France aidera bien la Chine à construire son P4, mais suivant certaines conditions qui visent à garantir que Pékin n’utilisera pas ces futurs équipements à des fins offensives.
Ainsi, le projet devra s’inscrire dans le cadre d’une coopération plus large destinée à lutter contre les maladies émergentes et remplir de nouvelles conditions liées à la sécurité biologique.

L’alliance est ensuite scellée lors de la visite de Jacques Chirac en Chine en octobre 2004.
Il prend la forme d’un accord intergouvernemental sur les maladies émergentes, prévoit la construction du P4 ainsi qu’un programme de coopérations scientifiques sur le sujet entre les deux pays.

Le texte provoque alors une certaine crispation au sein de l’administration française comme le confie Jean-Pierre Raffarin.
« Il y a eu un accord politique, de chef d’État à chef d’État, mais derrière l’administration a freiné des quatre fers ».

Celle-ci, et plus particulièrement la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), soulève entre autre le fait qu’alors que le cabinet d’architecte lyonnais RTV a été choisi pour assurer la maîtrise d’ouvrage du P4, le ministère chinois de la Recherche, désigne en 2005 la société locale IPPR Engineering International pour construire le laboratoire.

Or, après vérifications des espions français, celle-ci dépend d’un organisme, le China National Equipment of Machinery Corporation (CNEMC), qui serait contrôlé par l’Armée populaire de libération.
Ce dernier est notamment dans le viseur de la CIA qui suspecte un certain nombre de sociétés affiliées à la CNEMC d’être des faux-nez des services de renseignement chinois.
A tel point que cet organisme a un temps figuré sur la liste noire de l’agence de Langley.

Ces craintes, auxquelles se greffent des difficultés techniques et juridiques – le groupe d’ingénierie Technip qui devait certifier le P4 s’est subitement retiré de l’accord en 2007 – puis une brouille diplomatique entre Paris et Pékin après les propos de Nicolas Sarkozy sur le Tibet en 2008, vont mettre à mal le projet.

Ce dernier sera toutefois relancé en 2009-2010 et débouchera en juin 2011 par le début des travaux sur le site de de Zhengdian au sud de Wuhan.
Ils seront achevés en 2016 et l’inauguration en grande pompe du P4 aura lieu en février 2017, en présence du Premier ministre français Bernard Cazeneuve.

Entreprise aussi légitime qu’explosive

Accrédité en 2017 par les autorités chinoises pour manipuler trois virus : Ebola, fièvre hémorragique de Congo-Crimée (CCHF) et Nipah, le P4 est entré en service il y a trois ans.
Mais il doit encore se conformer à un certain nombre de standards internationaux pour le conduire à rejoindre le réseau des centres collaborateurs de l’OMS, dispositif qui identifie les épidémies de portée internationale et essaie d’y répondre. Cette accréditation, espérée pour 2020, permettra alors au P4 de tourner enfin à plein régime avec 250 chercheurs présents à temps plein sur le site de Zhengdian.

La dernière phase de ce projet qui aura mis plus de quinze ans à éclore sonne aussi l’heure d’un premier bilan. La France a-t-elle eu raison de se lancer dans cette entreprise aussi légitime qu’explosive ?

La Chine a-t-elle tenu ses engagements ?

La situation sanitaire mondiale s’en trouvera-t-elle améliorée ?
« Tout n’a pas été simple, c’était une coopération sensible qui a rencontré un certain nombre de problèmes, répond Yuan Zhiming, le directeur de l’Institut de Virologie de Wuhan et du P4.

La France et la Chine ont eu par moment des opinions différentes, des tensions diplomatiques, mais au final nous avons réussi.
La Chine a maintenant un laboratoire de haut niveau qui permettra à l’Asie et au monde de mieux lutter contre les pandémies ».
Au sein de l’État français, tous ne sont pas de cet avis.

« Durant ces quinze années, la Chine a plusieurs fois manqué à sa parole, un certain flou a notamment entouré son action en faveur d’un programme biologique offensif, précise un fonctionnaire.
Les dirigeants chinois nous avaient par exemple certifié qu’ils n’avaient pas d’autres P4 et ne projetaient pas d’en construire de nouveau.
On sait aujourd’hui qu’ils en ont plusieurs, dont certains sont assez suspects ».

Plus de quinze ans après la crise du SRAS, le premier P4 d’envergure internationale dont va disposer la Chine n’a pas fini de faire polémique.

Antoine Izambard



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