Par Antoine Izambard le 23.01.2020
La Chine qui est de nouveau frappée par un coronavirus,
lequel a causé la mort de 17 personnes, a noué après la crise du SRAS en 2003
un partenariat très sensible et décrié avec la France en matière de sécurité
biologique.
Des chercheurs chinois au sein du laboratoire P4 de
Wuhan inauguré en février 2017 en présence de Bernard Cazeneuve. JOHANNES
EISELE / AFP
La Chine se
retrouve de nouveau au cœur d'une affaire sanitaire dont la portée menace
d'être mondiale. Baptisé "2019-nCoV", un coronavirus est apparu le
mois dernier à Wuhan - ville du centre du pays qui a été mise en quarantaine
jeudi - et a déjà fait dix-sept victimes en Chine où au total 570 personnes
sont infectées d’après le dernier décompte officiel. Plusieurs personnes au
Japon, en Corée du Sud ou aux Etats-Unis ont également été contaminées alors
que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dira dans les jours qui viennent
si l'épidémie constitue une urgence de santé publique internationale.
Celle-ci présente
plusieurs points communs avec le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS),
virus hautement contagieux, parti de Chine et qui avait fait près de 800 morts
en 2002-2003.
Cette pandémie
avait poussé le gouvernement chinois à se tourner vers la France pour se
renforcer dans la lutte contre ces épidémies.
Le début d'une
intense et sulfureuse coopération entre les deux pays. Celle-ci a été racontée
en détails dans le livre "France-Chine, les liaisons dangereuses"
paru en octobre 2019 (Stock) et écrit par l'auteur de ces lignes - les
citations ci-dessous en sont extraites.
C’est lors du
premier semestre 2003, que la puissante Académie chinoise des Sciences fait
savoir à Paris qu’elle souhaite acquérir un laboratoire Pathogènes de classe 4
(P4) qui peut héberger les virus les plus dangereux de la planète (Ebola,
Coronavirus, H5N1…).
Il sert à traquer
les souches infectieuses dans l’espoir de les combattre et protéger ainsi des
dizaines de milliers de personnes à travers le monde.
La France, qui a
inauguré en 1999 à Lyon, le P4 Jean Mérieux, le plus grand d’Europe, fait
partie des pays les plus en pointe sur le sujet.
La demande de
Pékin reçoit toutefois un accueil mitigé au sein de l’État français. Si Paris
ne peut que soutenir la Chine dans sa volonté de lutter plus efficacement
contre les pandémies, plusieurs questions se posent.
Alerté par ses services de renseignement, le
pouvoir se demande si la technologie demandée par Pékin ne va pas être
détournée pour mettre au point des armes bactériologiques.
Ces craintes sont étayées par les soupçons
très forts autour de l’existence d’un programme biologique offensif chinois.
« L’administration a freiné des quatre fers »
Malgré ces
inquiétudes, la France va toutefois très vite donner des gages à son
partenaire.
Après une enquête
minutieuse du Secrétariat général à la Défense (l’ex SGDSN), le Premier
ministre, Jean-Pierre Raffarin, qui s’était rendu en Chine en avril 2003 en
pleine épidémie de SRAS, rend un arbitrage positif fin 2003.
La France aidera
bien la Chine à construire son P4, mais suivant certaines conditions qui visent
à garantir que Pékin n’utilisera pas ces futurs équipements à des fins
offensives.
Ainsi, le projet
devra s’inscrire dans le cadre d’une coopération plus large destinée à lutter
contre les maladies émergentes et remplir de nouvelles conditions liées à la
sécurité biologique.
L’alliance est
ensuite scellée lors de la visite de Jacques Chirac en Chine en octobre 2004.
Il prend la forme
d’un accord intergouvernemental sur les maladies émergentes, prévoit la
construction du P4 ainsi qu’un programme de coopérations scientifiques sur le
sujet entre les deux pays.
Le texte provoque
alors une certaine crispation au sein de l’administration française comme le
confie Jean-Pierre Raffarin.
« Il y a eu un
accord politique, de chef d’État à chef d’État, mais derrière l’administration
a freiné des quatre fers ».
Celle-ci, et plus
particulièrement la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE),
soulève entre autre le fait qu’alors que le cabinet d’architecte lyonnais RTV a
été choisi pour assurer la maîtrise d’ouvrage du P4, le ministère chinois de la
Recherche, désigne en 2005 la société locale IPPR Engineering International
pour construire le laboratoire.
Or, après vérifications des espions français,
celle-ci dépend d’un organisme, le China National Equipment of Machinery
Corporation (CNEMC), qui serait contrôlé par l’Armée populaire de libération.
Ce dernier est notamment dans le viseur de la
CIA qui suspecte un certain nombre de sociétés affiliées à la CNEMC d’être des
faux-nez des services de renseignement chinois.
A tel point que cet organisme a un temps
figuré sur la liste noire de l’agence de Langley.
Ces craintes,
auxquelles se greffent des difficultés techniques et juridiques – le groupe
d’ingénierie Technip qui devait certifier le P4 s’est subitement retiré de
l’accord en 2007 – puis une brouille diplomatique entre Paris et Pékin après
les propos de Nicolas Sarkozy sur le Tibet en 2008, vont mettre à mal le
projet.
Ce dernier sera
toutefois relancé en 2009-2010 et débouchera en juin 2011 par le début des
travaux sur le site de de Zhengdian au sud de Wuhan.
Ils seront
achevés en 2016 et l’inauguration en grande pompe du P4 aura lieu en février
2017, en présence du Premier ministre français Bernard Cazeneuve.
Entreprise aussi légitime qu’explosive
Accrédité en 2017
par les autorités chinoises pour manipuler trois virus : Ebola, fièvre
hémorragique de Congo-Crimée (CCHF) et Nipah, le P4 est entré en service il y a
trois ans.
Mais il doit
encore se conformer à un certain nombre de standards internationaux pour le
conduire à rejoindre le réseau des centres collaborateurs de l’OMS, dispositif
qui identifie les épidémies de portée internationale et essaie d’y répondre.
Cette accréditation, espérée pour 2020, permettra alors au P4 de tourner enfin
à plein régime avec 250 chercheurs présents à temps plein sur le site de
Zhengdian.
La dernière phase
de ce projet qui aura mis plus de quinze ans à éclore sonne aussi l’heure d’un
premier bilan. La France a-t-elle eu raison de se lancer dans cette entreprise
aussi légitime qu’explosive ?
La Chine a-t-elle tenu ses engagements ?
La situation
sanitaire mondiale s’en trouvera-t-elle améliorée ?
« Tout n’a pas
été simple, c’était une coopération sensible qui a rencontré un certain nombre
de problèmes, répond Yuan Zhiming, le directeur de l’Institut de Virologie de
Wuhan et du P4.
La France et la
Chine ont eu par moment des opinions différentes, des tensions diplomatiques,
mais au final nous avons réussi.
La Chine a
maintenant un laboratoire de haut niveau qui permettra à l’Asie et au monde de
mieux lutter contre les pandémies ».
Au sein de l’État
français, tous ne sont pas de cet avis.
« Durant ces quinze années, la Chine a
plusieurs fois manqué à sa parole, un certain flou a notamment entouré son
action en faveur d’un programme biologique offensif, précise un fonctionnaire.
Les dirigeants
chinois nous avaient par exemple certifié qu’ils n’avaient pas d’autres P4 et
ne projetaient pas d’en construire de nouveau.
On sait
aujourd’hui qu’ils en ont plusieurs, dont certains sont assez suspects ».
Plus de quinze
ans après la crise du SRAS, le premier P4 d’envergure internationale dont va
disposer la Chine n’a pas fini de faire polémique.
Antoine Izambard
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Votre commentaire est le bienvenu à condition d'être en relation avec le sujet - il sera en ligne après accord du modérateur.
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.